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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Patrick SERIOT : «La pensée ethniciste en URSS et en Russie post-soviétique», Strates, n° 12, 2005, p. 111-125.

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«La notion d’ethnicité consiste non pas à attester l’existence des groupes ethniques, mais à poser cette existence comme problématique» (Poutignat & Streiff-Fenart, 1995, p. 17)

 

Les contacts entrepris entre chercheurs français et russes après la chute du Mur de Berlin ont donné lieu à un certain nombre de malentendus, surtout lorsqu’il s’est agi d’étudier le contenu du mot «nation», et, de façon plus générale, d’analyser le fonctionnement des communautés humaines. Il semble que la notion de communauté n’a pas le même contenu dans les deux cultures scientifiques. Si l’on part du constat de ce malentendu, il y a deux façons d’y apporter un éclaircissement : soit les réalités recouvertes par la notion de nation sont différentes (approche réaliste), soit les termes utilisés ont une histoire conceptuelle divergente (approche nominaliste).[1]

Je vais tenter de montrer que la seconde approche est plus à même, dans un premier temps, de débrouiller un faisceau d’incohérences dans nos discussions entre
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Européens de l’Ouest et de l’Est[2], ce qui n’exclut nullement la première, qui ne devrait intervenir, cependant, que lorsque ce travail d’élucidation conceptuelle aura stabilisé le terrain à explorer.

 

1. Nationalité et citoyenneté

1.1. Une question de droit

Commençons par quelques remarques, qui peuvent paraître anecdotiques. Elles sont pourtant indispensables pour faire apparaître la distance qui sépare deux conceptions antagonistes de la notion de nation, distance qui est si grande qu’on ne peut en saisir l’ampleur qu’à condition d’en comparer explicitement les présupposés fondateurs.

En 1992 est apparu un soir à la télévision en France un personnage inhabituel. Il s’agissait d’un Français, ancien combattant de la deuxième guerre mondiale. Prisonnier de guerre, il avait fait la connaissance, dans son camp de prisonnier, d’une Ukrainienne. A la fin de la guerre son camp avait été libéré par les Soviétiques, il s’était marié avec cette femme ukrainienne et était parti vivre avec elle en URSS. Pendant 50 ans il n’avait plus donné signe de vie. Mais après la perestroïka il avait voulu retrouver les traces de sa famille en France. L’important ici, ce sont les papiers d’identité qu’il a présentés à la frontière : il était citoyen soviétique de nationalité française. Cette formulation qui, en droit français, est totalement dépourvue de sens, est en revanche parfaitement correcte dans un système administratif qui repose sur une distinction ayant là-bas un effet d’évidence. C’est l’étonnement des Français qui provoque alors de l’incompréhension en Russie.

Autre exemple : le cas d’une jeune femme russe, mariée à un citoyen suisse. Lorsqu’elle alla (vers 1995) présenter son mari à sa famille en Russie, il fallut l’inscrire, en tant qu’étranger, au commissariat de police du quartier. Le fonctionnaire qui remplissait le formulaire avait deux rubriques différentes devant lui : citoyenneté, ce qui ne posait pas de problème, il suffit de recopier les indications du passeport, et une autre, plus délicate : la nationalité. Sans demander l’avis de quiconque, le fonctionnaire écrivit «Allemand». Devant la surprise des intéressés, il répondit que, puisque le nom de ce citoyen helvétique avait une consonance germanique, ce dernier était nécessairement  de nationalité allemande.

La nationalité, catégorie administrative en URSS totalement distincte de la citoyenneté, était familièrement connue sous le nom de «pjatyj punkt», «cinquième point» des papiers d’identité (après nom, prénom, date de naissance et adresse). Ainsi, en 1975, A.Sozhenitsyne fut déchu de sa citoyenneté soviétique, mais pas de sa nationalité russe, ce qui ne serait venu à l’idée de quiconque, même du KGB, puisque la nationalité dans ce sens est aussi inaliénable et «naturelle» que la couleur des yeux.[3]

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A l’inverse, l’absence de cette même distinction en France suscite autant de perplexité en Russie. Lors de la retransmission d’un match de football à la télévision russe, où jouait l’équipe nationale de France, des collègues moscovites interloqués m’ont demandé si je n’étais pas gêné que cette équipe «nationale» comporte des joueurs sénégalais, togolais, etc. «Pourquoi alors l’appeler ‘nationale’?», me demandaient-ils.

On peut, à partir de là, comparer la gestion de l’éclatement de la Yougoslavie par les gouvernements français et allemands. Pour F. Mitterrand, la Croatie était une subdivision administrative de l’Etat (nécessairement unitaire) yougoslave, subdivision dont le séparatisme ne reposait sur aucun fondement, alors que H. Kohl, qui y voyait une «nation», a été le premier à en reconnaître l’indépendance.

 

1.2. Les limites de l’identité : universalisme contre localisme.

Le présent prend plus de relief, ou devient plus compréhensible, moins opaque, quand on reconstitue le long cheminement historique dont il est l’aboutissement. Si, dans l’Europe actuelle, deux conceptions de la nation coexistent et s’affrontent sans se nommer, c’est qu’elles sont le résultat d’une situation ancienne, dont la source est presque oubliée, mais dont l’Europe actuelle garde la trace, qui s’est perpétuée dans une temporalité longue. Les discours circulent dans un éternel présent, mais véhiculent des sens qui se révèlent par leur profondeur historique.

Un moment-clé pour l’intelligibilité de cette opposition est la fin du 18ème siècle. Ce n’est pas une origine absolue, mais un point de focalisation de deux idéologies antagonistes.

Montesquieu et Rousseau ont dans leurs écrits des différences notables. Mais ils partagent l’idée que toute société humaine est le résultat d’un «contrat» social. C’est la théorie dite du contractualisme : des hommes se rassemblent, décident de fonder une nation, ils se lient ainsi ensemble par un acte conscient et délibéré, limitant leur liberté au nom d’une liberté supérieure, garantie par un contrat (par exemple une constitution[4]). La nation a ainsi une origine juridique, écrite, datée : elle est le résultat d’un projet politique. Les Jacobins français, qui s’inscrivaient en droite ligne dans l’idéologie du contractualisme (et s’opposaient en cela aux Girondins, partisans d’une grande autonomie des pouvoirs locaux) n’opéraient pas là une rupture totale avec l’ancien régime : ils ne faisaient qu’en renforcer les tendances centralisatrices.

De l’autre côté du Rhin, la situation était fort différente. L’Allemagne n’existait pas en tant qu’Etat, elle était constituée d’un grand nombre de petits Etats (principautés, archevêchés), séparés par des barrières douanières.[5] Pourtant, bon nombre d’intellectuels allemands considéraient que la nation allemande existait déjà, en dehors de tout Etat. Ils en donnaient une définition par la langue et la culture. Après avoir été initialement des admirateurs de la Révolution française, des penseurs comme Herder et Fichte ont opposé leur nation comme naturelle, organique
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(Kulturnation) à celle des Jacobins, artificielle, mécanique, uniquement politique (Staatsnation). La définition des romantiques allemands permettait ainsi de séparer rigoureusement la nation et l’Etat, ce qui n’était pas possible en France. Mais l’opposition dépassait le cadre du Droit administratif : c’étaient des valeurs anthropologiques qui étaient en jeu. En effet, pour Hegel, l’individu ne saurait se réaliser dans sa plénitude qu’en participant à ce qui le dépasse et l’exprime à la fois : sa nation en tant qu’entité culturelle. C’est alors que se concrétise en Allemagne une nouvelle opposition, au niveau des valeurs, cette fois, entre Gesellschaft, «société», entité artificielle, issue de la théorie contractualiste des encyclopédistes français, association d’individus qui se proposent un but particulier, et pour laquelle le groupement n’est pas à lui-même sa propre fin, et Gemeinschaft, «communauté», notion organique, ensemble naturel (l’unité globale que forment les individus y est première).[6] Au plan sociologique, cette antinomie est à la base de l’œuvre du sociologue et philosophe Ferdinand Tönnies (1855-1936), qui l’a développée dans son ouvrage majeur Gemeinschaft und Gesellschaft (1887).

Autrement dit, en Allemagne la nation était pensée comme un point de départ, une donnée naturelle, dont l’Etat était la réalisation, alors qu’à l’inverse en France la nation était co-extensive à l’Etat, les deux termes recouvrant une construction politique[7]. Insistons sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’une opposition nationale entre la culture française et la culture allemande : les grands intellectuels de la Droite réactionnaire, anti-révolutionnaire, penseurs de la nation au sens naturel, «objectif», se recrutent en France, parmi les «ultras» : Joseph de Maistre (1753-1821), Louis de Bonald (1754-1840) (cf. Berlin, 1992). L'opposition est idéologique, et ne dépend pas d'une culture nationale particulière.

 

1.3. Marxisme-léninisme et romantisme allemand

Avant la Première guerre mondiale le mouvement marxiste international s’était déjà scindé en deux orientations, marquées culturellement. Pour les marxistes «occidentaux», la nation était un phénomène essentiellement transitoire, propre au stade capitaliste des formations sociales, et qui devait disparaître naturellement une fois la victoire du prolétariat acquise à l’échelon mondial. On est là au cœur du problème des limites de l’identité collective : pour eux, l’appartenance de classe l’emportait sur l’appartenance nationale. C’est là tout le message de la dernière phrase du Manifeste du Parti communiste (1848) : «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!».

Dans les Empires centraux, la situation — et, parallèlement, le contenu des termes — étaient tout autres. Les marxistes «orientaux», à leur tour, se divisaient selon qu’ils étaient dans l’Empire austro-hongrois ou dans l’Empire tsariste. Les uns comme les autres considéraient que la nation devait se maintenir une fois advenu le socialisme. Mais ils divergeaient sur les critères de sa définition. Les «austro-marxistes» (Otto Bauer, Otto Springer) avaient une vision déterritorialisée et volon
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tariste de la nation : l’appartenance à une nation devait correspondre à un acte volontariste d’adhésion à la majorité légale de tout individu (on pouvait «choisir» sa nation), et ceci sans aucun rapport à un territoire. Sans remettre en cause l’existence même de l’Autriche-Hongrie, les austro-marxistes envisageaient une représentation de chaque «nation» au parlement de Vienne[8].

Les bolcheviks étaient moins unanimes sur ce sujet. Il semble que Lénine ait envisagé, d’un point de vue tactique, d’utiliser le mécontentement des minorités nationales de l’Empire au profit de la révolution à venir, quitte à le faire passer à la trappe une fois le but atteint. Mais c’est chez Staline, futur commissaire du peuple aux nationalités, qu’on va trouver la définition la plus explicite de ce qu’est une nation, définition fort différente de la catégorie marxiste d’étape transitoire. En 1913 Staline est à Cracovie. Lénine lui a demandé d’écrire un article pour préciser la position des bolcheviks sur ce sujet. Il s’agissait de faire pièce aux bundistes, les activistes juifs qui faisaient obstacle à la montée en puissance des bolcheviks. C’est dans ce texte que Staline donne sa très célèbre définition en quatre critères, appelée à un bel avenir dans la future URSS :

 

«La nation est une communauté humaine stable, historiquement constituée, née sur la base d’une communauté de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit en une communauté de culture»[9]

 

Dans cette définition, chaque terme a son importance. On voit, par exemple, que le critère de communauté de langue et de territoire élimine d’emblée les juifs[10]. Le critère de stabilité écarte toute idée de stade transitoire : dès avant la Révolution d’Octobre on a là une dimension verticale de l’identité collective (la nation, proche du «peuple» chez les Romantiques), qui est supérieure à la dimension horizontale (celle des solidarités de classe).

Quant au dernier critère, celui de communauté de «formation psychique» (psixicheskij sklad), le plus mystérieux, on se contentera ici de remarquer son lien avec les théories allemandes de la fin du 19e siècle, en particulier la théorie de la «psychologie des peuples» (Völkerpsychologie), de Steinthal et Lazarus[11]. Ce dernier critère va traverser toute la période soviétique, pour aboutir au néo-humboldtianisme dont il sera question dans une suite de ce travail.

 

2. L’ethnos

 

2.1. Achéologie d’une évidence

 

Au 18e siècle, vus d’Europe, les peuples récemment découverts lors des voyages d’exploration vont être situés dans une histoire universelle, la même pour tous. Le sauvage devient alors un primitif : il prend place dans une série ordonnée, qui se lit selon le principe que toute altérité est une antériorité. Les autres sont actuellement ce
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que nous étions avant. Se met alors en place un schéma évolutionniste à quatre stades, dont l’ordre de succession est obligatoire, quelle que soit l’époque d’apparition du premier stade :

 

 

La lecture de ce schéma est simple : l’espace fait coexister synchroniquement des stades de développement différents, mais qui s’inscrivent dans une linéarité unique. Une observation anthropologique élémentaire semble être à l’origine de cette façon de voir les choses : de la même façon que cohabitent en permanence dans une société donnée des êtres humains d’âges et de générations différentes, de même coexistent sur la Terre des groupes humains d’âges différents. C’est Démeunier qui, en France, inaugure, dans L’esprit des usages et des coutumes des différents peuples ou Observations tirées des voyageurs et des historiens (1776), la comparaison systématique des coutumes et des institutions des peuples du monde[12]. Il y suit une méthode fondée sur une intuition anthropologique éprouvée par tout un chacun, que l’on appellera plus tard le plan «récapitulatif» (ou «loi biogénétique» de Haeckel en Allemagne et K. Von Baer en Russie), à savoir que la phylogénèse reproduit, résume ou «récapitule» l’ontogénèse.

Autrement dit, la vie des peuples évolue à l’image de la vie des hommes. Il s’agit bien là d’une métaphore anthropocentriste, dont la lumineuse simplicité a sous-tendu tant de discours ethnicistes depuis lors : «un groupe, c’est comme un individu». Les conséquences de cette métaphore sont gigantesques, qui vont de Morgan à Engels. Le seul point obscur est celui de la fin : les évolutionnistes parlent rarement de la mort  d’une société à l’aboutissement de l’échelle de perfectionnement : le dernier stade est souvent censé durer pour l’éternité (cf. le stade du communisme dans Engels, 1884).

Mais si c’est cette métaphore qui a donné naissance au discours scientifique de l’ethnologie à la fin du 18e siècle, le présupposé évolutionniste linéaire qui en a été la condition de possibilité va vite être remis en cause par la pensée relativiste issue
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du romantisme allemand. Se produit alors un curieux déplacement des termes : ce n’est plus le groupe qui est comme un individu, mais l’individu qui n’existe que de son appartenance au groupe, lequel groupe, à son tour, est assimilé à une espèce vivante. Mais une espèce qui a perdu sa place dans un schéma évolutionniste universel, et qui est désormais séparée de ses consœurs : c’est la théorie de l’abîme sensé séparer les communautés humaines entre elles, ou des «types historico-culturels fermés»[13].

Une étape importante de cette remise en cause relativiste de la pensée évolutionniste est l’ouvrage de N. Troubetzkoy Evropa i chelovechestvo («L’Europe et l’humanité», Sofia, 1920[14]). Troubetzkoy, connu en Occident pour ses travaux de linguistique structurale, était en même temps le chef de file intellectuel du mouvement émigré russe dit «eurasisme»[15]. L’orientation générale de l’ouvrage est une inversion systématique des thèses évolutionnistes, sans proposer pour autant une vision diffusionniste, qui résumait alors en «Occident» la remise en cause de l’évolutionnisme.

 

2.1.1. Naturaliser la culture

En URSS, entre la mort de Staline (1953) et la chute du Mur de Berlin, se met en place une théorie officielle, celle de l’«ethnos», qui, tout en suivant de très près, sans jamais le nommer, le schéma évolutionniste stadialiste de Staline, va en opérer un renversement saisissant. Le concept d’ethnos est le fait d’une profession appelée en URSS les «ethnographes» (etnografy), dont le chef de file fut Ju. Bromlej (1921-1990), directeur de l’Institut d’ethnographie de l’Académie des sciences de 1966 à 1989.

Dès le «Grand Tournant» de la fin des années 1920 était apparue une tension entre deux types de discours difficilement compatibles : celui d’un évolutionnisme de type universaliste, dans la lignée de Engels, et celui d’une approche relativiste et culturaliste, plus près des théories romantiques de la nation chez Herder, de la psychologie des peuples de Steinthal et Lazarus, et enfin du néo-humboldtianisme de L.Weisgerber, sur la base de l’école idéaliste de K. Vossler. Dans tous les cas, en ce qui concerne le savoir sur les communautés humaines, c’est dans la science allemande que les scientifiques soviétiques allaient puiser leur inspiration.

C’est en avril 1929 qu’a lieu la première conférence des ethnographes soviétiques, qui a pour but de définir les tâches de l’ethnographie dans l’édification du socialisme en Union Soviétique. La terminologie ici a toute son importance, puisque dès cette époque se met en place une théorie des deux sciences : après de longues discussions, les participants parviennent à un accord pour reconnaître que l’ethnologie est une tentative «bourgeoise» de construire une science particulière, dont l’objet est la culture, indépendamment de l’étude des formations socio-économiques. Seule l’ethnographie est reconnue comme ayant sa place dans le tableau général des sciences en URSS, mais à titre d’auxiliaire de la science historique.

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La déstalinisation commencée en 1956 avec le «rapport Khrouchtchev» n’a touché les sciences sociales que superficiellement. Ce n’est qu’à partir de la nomination de Ju. Bromlej à la tête de l’Institut d’ethnographie que le concept d’ethnos vint à désigner l’objet spécifique d’une science à part entière[16].

Bromlej s’éloigne très nettement de toute considération de type économique, social et politique. Il fonde la «catégorie» de l’ethnos sur une opposition entre «eux» et «nous», reposant sur une évidence subjective :

 

«L’antithèse ‘nous-eux’ est absolument inhérente à l’ethnos.C’est pourquoi l’ethnos ne constitue cette communauté culturelle de gens qu’en tant qu’elle se perçoit elle-même comme telle, différente des autres communautés semblables» (Bromlej, 1973, p. 31).

 

Pour Bromlej, l’ethnos a un fondement objectif, qui repose sur une homogénéité de culture et de langue. Mais le critère de mise en évidence des spécificités de l’ethnos repose sur une analyse (on dirait plutôt une intuition) psychologique : à travers le «caractère national» d’un ethnos, c’est le lien tout particulier entre la psychologie d’un ethnos et sa culture qui se trouve exprimé, lien qui confère à l’ethnos une spécificité psychologique, une configuration propre et une capacité à perdurer à travers le temps (bien qu’il naisse et évolue dans le temps).

L’ethnos est un objet au frontières nettement closes. Le premier article sur l’ethnos que Bromlej publia, en 1968, était intitulé «Ethnos i endogamija» («Ethnos et endogamie», Bromlej, 1976, p. 24-39). L’endogamie joue un rôle essentiel de «stabilisateur de l’ethnos» en lui assurant une continuité à travers le temps (Bromlej, 1969, p. 88). Mais, plus profondément, l’endogamie constitue une «barrière génétique de l’ethnos», ce qui introduit bien vite une dimension des sciences naturelles dans cette science sociale : l’ethnos est une «unité biologique» (ib.). Bromlej opère ainsi plusieurs renversements d’importance : l’ethnographie, de science sociale, se rapproche fortement des sciences naturelles; la «culture» se réifie, devient un objet comptable. On passe d’une conception universaliste de la culture comme progrès, conception propre à la philosophie des Lumières du XVIIIe siècle à un relativisme culturel où chaque culture est une catégorie fermée, homogénéisante, et incommensurable aux autres. Les ethnos, entités bio-culturelles, sont homogènes à l’intérieur, non divisées, rétives à toute opposition de classe et clairement distinctes les unes des autres.

Bromlej ancre son discours dans une tradition ethnographique qui précède l’introduction du marxisme en ethnographie. Or cette «théorie» de l’ethnos rappelle si fortement le domaine de la Volkskunde allemande qu’on peut s’étonner que ce lien n’ait pas été mis en évidence dès son apparition. C’est grâce aux travaux de Petr Skalnik que la préhistoire conceptuelle et idéologique de cette notion est apparue dans toute sa clarté. P. Skalnik est un ethnologue tchèque qui a fait ses études à l’Institut d’ethnographie de Leningrad dans les années 1970 puis a travaillé aux Pays-Bas et enfin à l’Université du Cap en Afrique du Sud. Sa connaissance du russe, de
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l’allemand et de l’afrikaans, combinaison de langues peu commune, lui a permis de faire apparaître des liens insoupçonnés entre les inspirateurs de l’ethnographie soviétique et de l’anthropologie sud-africaine de l’époque de l’apartheid. P. Skalnik met au jour les présupposés conceptuels et méthodologiques partagés par l’univers conceptuel de la «volkekunde» sud-africaine et celui de l’etnografija soviétique. En premier lieu, il s’agit de «l’obsession de l’ethnicité primordiale», et du concept même d’«ethnos»[17]. P. Skalnik montre que ces deux domaines (soviétique et sud-africain) procèdent d’une même tradition de pensée plus ancienne[18]. Cette source commune est une théorie bio-sociale de l’ethnos, issue de la pensée naturaliste allemande de la fin du XIXe siècle, mais fortement biologisée et formalisée. Il s’agit du travail de l’ethnologue russe Sergej M.Širokogorov [19] (1887-1939), chez qui on va trouver l’origine de la biologisation de la notion d’ethnie, dans une abolition de la distance entre la culture et la nature. Shirokogorov avait été un membre influent du Musée d’anthropologie et d’ethnographie Pierre 1er de l’Académie russe des sciences, il avait travaillé chez les Tunguz[20] jusqu’à l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, qui l’avait fait émigrer en Chine (il travailla à Shanghaï jusqu’à sa mort en 1939). Sa grande monographie, intitulée précisément Ethnos, parut en russe à Shanghaï en 1923. La qualité d’émigré de l’auteur a rendu impossible la popularisation officielle de l’ouvrage en URSS, mais les termes mêmes de la théorie ont été popularisés dans la Völkerkunde de langue allemande, en particulier à l’époque nazie par Wilhelm Mühlmann (1938, 1941). La grande influence culturelle allemande sur les sciences sociales afrikaners y a facilité l’introduction des théories de Mühlmann, reproduisant à leur tour les conceptions de Širokogorov[21]. Or Bromlej, en tant qu’académicien, avait accès à des parties des bibliothèques soviétiques qui n’étaient pas accessibles au commun des mortels. C’est ainsi qu’il a pris connaissance des travaux de S. Širokogorov, qu’il cite discrètement, à plusieurs reprises, pour en souligner l’appartenance à la «science russe» :

 

«Ce n’est pas une coïncidence si l’introduction du terme d’ethnos dans l’usage savant est généralement liée à la science russe, en particulier au nom de S.M. širokogorov.» (Bromlej, 1973, p. 22)

 

Le travail de P. Skalnik montre l’extraordinaire continuité de la ligne de pensée qui, issue de Širokogorov, se prolonge, à travers Mühlmann vers les ethnographes afrikaners, et, plus directement, vers Bromlej. Quelques rapprochements de citations suffiront à donner une idée de ces similitudes.

 

• S. Širokorogov :

 

(l’ethnos est) «un groupe de gens qui parlent la même langue, se reconnaissent une origine commune, ont un système de coutumes et un mode de vie préservé et sanctionné par la tradition qui diffèrent de ceux d’autres groupes semblables» (Shirokogorov, 1923, p. 13, cité par Skalnik, 1988, p. 165)

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(l’ethnos est) «une unité dans laquelle se produisent tous les processus des variations culturelles ou somatiques de l’homme en tant qu’espèce (ou genre) et qui s’appréhende lui-même comme un groupe de gens unis par la conviction de l’unité de leur origine, par leurs coutumes, leur langue et leur culture technique» (Shirokogorov, 1924, p. 27, cité par Skalnik, 1988, p. 165)

 

• En Afrique du Sud :

 

«D’un point de vue socio-génétique, les unités ethniques dont s’occupe la volkekunde peuvent être qualifiées de communautés antérieures au volk. Il est probable que toute horde d’Esquimaux, tout clan mélanésien, etc., peut être décrit comme ethnos au sens d’une communauté clairement définie qui se distingue des groupes voisins et qui est encore renforcée par la conviction qu’elle descend d’un ancêtre commun, par un dialecte commun, des expériences et certaines limites sociales communes et par des signes distinctifs tels que le costume, le tatouage, etc. Ces groupes ethniques ont ceci de caractéristique qu’ils ont la conscience franche d’être meilleurs que tous leurs voisins et qu’ils possèdent une vision du monde ethnocentrique de type insulaire». (Coetzee, 1980, p. 15, cité par Skalnik, 1988, p. 166)

 

• En Union Soviétique :

 

«L’ethnos au sens étroit du terme et dans sa forme la plus générale peut être défini comme une communauté de gens formée historiquement et dotée de caractéristiques culturelles spécifiques communes et relativement stables, ainsi que d’une conscience de leur unité et de leur différence par rapport à d’autres communautés similaires». (Bromlej, 1971, p. 49-50, cité par Skalnik, 198, p. 165)

 

Il est important de souligner ce que ce travail de comparaison permet de mettre au jour : au delà des différences de cautions rhétoriques (Dieu en Afrique du Sud, le marxisme-léninisme en URSS), les points de convergence sont la notion de stabilité de l’ethnos, reposant sur une endogamie relevant de l’évidence. Même si Bromlej envisage que l’ethnos est une catégorie «constituée historiquement», la permanence intemporelle revient massivement dans ses écrits. Que Bromlej, au détour de la déstalinisation, utilise la définition stalinienne de la nation pour présenter sa théorie de l’ethnos ne serait après tout pas si étonnant.  Mais cette discussion sur le fondement historique des théories, cette archéologie à laquelle se livre le travail de P. Skalnik, nous amènent à des considérations bien plus importantes encore : comment se fait-il que le marxisme–léninisme de l’époque stalinienne puis post-stalinienne ait cette remarquable continuité avec la pensée ethniciste des années 1930 en Allemagne et dans l’émigration russe ? Une chose doit être claire : la pensée ethniciste n’est pas toujours racialiste, son contenu biologique peut être estompé. Mais elle s’appuie toujours sur l’idée de base que l’individu n’existe pas en dehors du groupe auquel il appartient, que les limites supérieures du groupe anthropologique ne sont pas l’humanité en tant qu’espèce, mais les ethnos, ou communautés de l’évidence. Cette pensée a une histoire
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bien précise : elle remonte au refus de l’universalisme de la philosophie des Lumières. Cf. cette phrase si typique de Joseph de Maistre : 

 

«Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes. Je sais même grâce à Montesquieu qu’on peut être Persan; mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie; s’il existe, c’est bien à mon insu» (Œuvres, I, p. 75, cité, sans indication de date, dans Finkielkraut, 1992, p. 28).

 

Mais là encore, on aurait pu élargir le champ de la comparaison. L’idéologue ethniciste du régime de Vichy en France, l’ethnologue suisse Georges Montandon, après avoir écrit un livre sur L’ethnie française, est devenu le rédacteur en chef de la revue du même nom pendant la période de l’occupation allemande[22]. Contre l’ancienne conception d’un développement uniforme de la civilisation dans le monde, Montandon soutient la théorie des cycles de culture qui se différencient les uns des autres.

 

2.2. Une vision bio-énergétique de l’ethnicité : L. Gumilev

 L’un des représentants les plus typiques en URSS et Russie post-soviétique de la conception «ethnique» des sociétés modernes est Lev Gumilev (1912-1992), fils du poète N. Gumilev et d’Anna Akhmatova. Historien et géographe, il a passé de nombreuses années de sa vie en camp de travaux forcés. Juste après la dislocation de l’Union Soviétique, il a réussi  publier un certain nombre de livres et d’articles (écrits en prison et dans les camps), qui ont tous pour but de faire avancer l’idée d’un déterminisme ethnique absolu comme explication universelle de l’histoire humaine. L. Gumilev n’insiste pas sur l’aspect linguistique de la question, il refuse explicitement d’identifier l’ethnos avec la race au sens bio-physique. Il est fasciné plutôt par l’idée que des forces «bio-cosmiques» venant de l’espace intersidéral viennent frapper chaque ethnos à des moments variés, lui conférant, grâce à la photosynthèse des plantes qu’absorbent les membres de l’ethnie, en symbiose avec leur sol spécifique, une énergie qu’il appelle la «passionarité» (passionarnost’), qui fait qu’une ethnie va se déployer, conquérir des territoires, faire naître des poètes et des savants, puis peu à peu entrer en décadence et disparaître, à l’issue d’un cycle de vie qui dure environ 2000 ans. Gumilev donne l’exemple des Arabes, petit groupe de nomades qui, soudain, en un siècle, produit une civilisation raffinée, conquiert un territoire immense de l’Atlantique à l’Insulinde, puis se fige et tombe en décadence.

Gumilev est fils de son temps : de même que sur la géosphère se trouve une mince pellicule de vie, appelée la biosphère, il invente l’«ethnosphère», lieu naturel de vie des ethnos, mosaïque qu’il oppose à l’«anthroposphère», qui n’est qu’abstraction déshumanisante. Son but est d’étudier les lois et régularités de l’ethnogenèse, ou histoire de l’apparition des ethnos dans leur relation à la nature, ou plus exactement au «Landschaft», territoire naturel propre à chaque ethnos. Le schéma général de l’ethnogenèse est celui d’un processus unique et uniforme, d’une nécessité naturelle (Gumilev, 1990, p. 5). Ce modèle unique d’ethno-
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genèse se manifeste dans une succession obligatoire de «phases», qui rappellent fortement les stades des théories évolutionnistes, à ceci près que le temps, pour lui, n’est pas linéaire, mais cyclique. Le temps historique a un caractère discret, et non continu ou cumulatif. Gumilev est profondément scientiste : ses métaphores n’ont rien de mystique, il les emprunte aux sciences naturelles. Ainsi, son modèle énergétique de l’ethnogenèse repose sur le second principe de la thermodynamique (loi d’entropie). Un système reçoit une impulsion initiale d’énergie, puis il y a dépense graduelle de cette énergie pour combattre la résistance du milieu, jusqu’à ce qu’il y ait égalité des potentiels énergétiques. Exemple : le poêle à bois (de l’allumette initiale à la cendre froide de la fin, en passant par la montée de la combustion, l’équilibre thermique entre le poêle et la pièce, puis le lent refroidissement). Cette étonnante théorie n’est pas non plus vitaliste (la Vie n’est pas, chez lui, auto-explicative), il s’agit plutôt d’une grande métaphore énergétiste permettant d’expliquer l’inévitable naissance et l’inévitable déclin des ethnos :

 

«Les hommes font partie de la nature, et rien de naturel ne leur est étranger. Dans la nature tout vieillit : animaux et plantes, les hommes et les ethnos, les cultures, les idées et les monuments. Et tout, en se transformant, renaît renouvelé». (Gumilev, 1990, p. 5-6)

 

Gumilev met en avant une méthode empirique de la constatation d’évidences : «Il y a des Français, des Allemands, des Malais…» (ib., p. 11). Ces ethnos se différencient entre eux par des stéréotypes de comportement que tout un chacun peut constater dans son expérience quotidienne. Par exemple

 

«Un ivrogne excité monte dans un tramway et se met à faire du scandale. Que se passe-t-il ? Le Russe va se mettre de son côté, il lui dira ‘Allez, pays, descends, tu vas avoir des ennuis’. Le Caucasien ne va pas se retenir et va probablement le frapper. Le Tatare, vraisemblablement, va se mettre à l’écart et ne se mêlera de rien. L’Occidental [= un Letton. P.S.] va se précipiter vers un agent de police». (ib., p. 12)

 

Les ethnos sont des objets naturels structurés. Ainsi en va-t-il des Français.

 

«Les Français, exemple frappant d’ethnos monolithique, incluent des Celtes bretons, des Gascons d’origine basque, des Lorrains, descendants des Allamands, et des Provençaux, un peuple autonome du groupe roman. Au IXème  siècle, lorsque pour la première fois fut fixé dans des documents écrits le nom ethnique de ‘Français’, tous les peuples susmentionnés (les Burgondes, les Normands, les Aquitains, les Savoyards) ne constituaient pas encore un ethnos unique et ce n’est qu’après un processus millénaire d’ethnogenèse qu’ils ont formé un ethnos, que nous appelons la nation française. Ce processus de fusion, néanmoins, n’a pas abouti à un nivellement des traits ethnographiques. Ils se sont maintenus comme particularités provinciales, qui ne mettent pas en cause l’unité ethnique des Français.

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Mais on observe en France les résultats d’une intégration ethnique, parce que le cours des événements de l’époque de la Réforme a fait que les Huguenots français, produit de la différenciation, ont été obligés, au XVIIème siècle, de quitter la France. En sauvant leur vie, ils ont perdu leur appartenance ethnique et sont devenus des nobles allemands, des bourgeois hollandais, et, pour une large part d’entre eux, des Boers qui ont colonisé l’Afrique du Sud. L’ethnos français s’est débarrassé d’eux comme d’un élément indésirable de sa structure, qui était déjà fort diverse et complexe. (On peut s’étonner du fait que j’attribue à l’ethnos la capacité d’autorégulation, pourtant elle est propre à presque tous les systèmes biologiques, y compris la biocénose.) L’ethnos, dans son développement historique, est dynamique, et, par conséquent, comme tout processus naturel de longue durée, choisit des solutions à la mesure de ses forces pour maintenir sa propre existence. Les autres sont éliminés par la sélection et s’éteignent». (Gumilev, 1990, p. 20)

 

Gumilev connaît les thèses de Bromlej, qu’il considère comme idéalistes. En effet, pour Bromlej, le mode de vie de l’ethnos est déterminé et généré par sa conscience, ce qui consiste à «violer la règle de conservation de l’énergie» (ib., p. 30). Pour Gumilev, au contraire, l’ethnogenèse est un processus qui se manifeste par le travail (au sens physique).

 

«On fait des camps militaires, on construit des cathédrales ou des palais, on modifie le Landschaft, on opprime les opposants, intérieurs et extérieurs. Pour accomplir ce travail, il faut de l’énergie, la plus ordinaire, mesurée en kilocalories. Considérer que la conscience, même ethnique, peut être un générateur d’énergie c’est le fantasme de la télékinèse» (Ib, p. 30)

 

Gumilev prend ses sources dans les bibliothèques qu’il avait à sa disposition lors de ses nombreux séjours en prison. Si «la source de ce travail est l’énergie biogéochimique de la matière vivante de la biosphère», on reconnaît là les théories du bio-géo-chimiste Vladimir Vernadskij (1863-1945, père de l’historien eurasiste Georgij Vernadskij (1887-1973), et ami de Teilhard de Chardin, qu’il avait connu à Paris lors de son séjour en France au début des années 1930.

Il est inutile de mener plus loin cette investigation de la vision scientiste et naturaliste de la théorie de l’ethnos chez Gumilev,  elle donne assez vite le tournis. C’est par des études systématiques de comparaison, par exemple avec les idées de Montandon en France dans les années 1930 ou de Mühlmann en Allemagne à la même époque, qu’on pourra faire apparaître les aspects originaux, mais aussi l’effarante banalité de cette approche des sociétés modernes en termes de déterminisme ethnique.

 

Conclusion

Je n’ai fait qu’esquisser ici un programme de travail. L’important est de ne jamais perdre de vue une perspective éthique cohérente, par exemple ne pas prendre pour
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un mouvement d’émancipation ce qui se présente comme une exclusion de l’Autre sur la base d’un présupposé déterministe, qui dénie la possibilité d’un choix personnel, donc éthique.

On ne doit pas se faire relativiste soi-même pour étudier des théories relativistes : il importe de comparer entre elles des façons de définir les collectivités humaines. La notion d'ethnos en Russie est moins le fruit d'une «pensée russe» que le produit d'une idéologie déterministe naturaliste, dont on a pu voir les manifestations au cours de l'histoire en Europe dans le refus de la pensée démocratique et de la philosophie des Lumières. Il importe d'en mettre au jour les présupposés de la façon la plus explicite, pour ne pas tomber dans le piège des mots qui, sous une identité de façade, cachent des contenus fort différents.

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[1]  Les réalités sociales ne sont pas indépendantes du système de pensée qui en propose une intelligibilité, ce qui, malgré les apparences, n'est pas une thèse idéaliste.

[2] Nombre d'intellectuels russes refuseraient vigoureusement de se considérer comme des «Européens», fût-ce «de l'Est». Mais ceci est encore une autre affaire, qui pourrait faire l'objet d'une autre étude.

[3] On  ne peut pas, alors, ne pas faire un rapprochement avec la pratique administrative du régime de Vichy en France. Par le Décret Crémieux de 1871, tous les juifs d'Algérie avaient reçu la nationalité française (= «citoyenneté» en termes d'Europe orientale). En 1941 les lois raciales abrogèrent ce décret, et les juifs d’Algérie furent déchus de leur nationalité (=citoyenneté) française, mais bien sûr pas de leur  «ethnie» juive. Sur la notion d'«ethnie française«, cf. plus loin, point 2.1.1.

[4] Pour J.-J. Rousseau, la référence au «Serment du Grütli», ou pacte fondateur de la Confédération Helvétique à partir des quatre cantons dits «primitifs», en 1291, est un point de repère fondamental.

[5] Il fallut, après l'échec du Parlement de Francfort en 1849, attendre la victoire de la Prusse sur la France en 1870 pour que se réalise l'unité allemande, au plan politique, forgée par Bismarck.

[6] La théorie romantique de la communauté présuppose l'homogénéité linguistique de la nation : les dialectes allemands ne peuvent dans ce cas être que des variantes négligeables de la langue — unique et une – allemande. Cet unanimisme est la négation de toute division de la société.

[7] Cf. Sériot, 1997.

[8] Cf. Bauer, 1907.

[9] Staline, 1913 (texte français dans Staline, 1978, p. 15.

[10]  Ce n’est qu’à partir de 1932 que la «nationalité juive» a été reconnue, au moment de l’attribution des passeports intérieurs, mentionnant la nationalité. Ils recevaient en même temps un territoire : le Birobidjan, dans l’extrême est de la Sibérie. 

[11] Cf. Lazarus & Steinthal, 1860.

[12] Sur Démeunier, cf. Menget (s.d.).

[13]  Cf. Danilevskij, 1871.

[14]  Traduction partielle en français dans Sériot, 1996.

[15]  Cf. Sériot, 1999 et Laruelle, 1999.

[16] Sur Bromlej, cf. Skalnik, 1986, 1988, et Junod, 1996.

[17] Curieusement, c'est le même mot ethnos qui est utilisé dans les deux langues.

[18]  Cf. Skalnik, 1988, p. 161 sqq.

[19] Connu en Occident sous l'orthographe Shirokogoroff.

[20] Peuple de Sibérie, appelé maintenant Evenki.

[21]  Pour une histoire détaillée de cet étonnant parcours conceptuel, cf. Skalnik, 1986 et 1988, dont je ne fais ici qu'un rapide résumé.

[22] La revue L’ethnie française avait été fondée en juillet 1940. G. Montandon y publiait des articles sur «l’ethnie juive», qu’il opposait à «l’ethnie française». Il fut assassiné par la Résistance en août 1944.


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