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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Virginie SYMANIEC (Université de Paris-IV) : «L’académisation[1] du biélorussien : une question politique», in P. Sériot (éd.) : Le discours sur la langue en URSS à l'époque stalinienne (épistémologie, philosophie, idéologie), Cahiers de l'ILSLS, n° 14, 2003, p. 209-228.



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Même si l'on admet que le vieux-biélorussien fut la langue administrative du grand-duché de Lithuanie[2] jusqu’au décret de 1696 par lequel la langue officielle de la République Commune polono-lithuanienne devient le polonais, les interrogations sur l’existence d’une langue biélorussienne moderne ne naissent réellement qu’au début du XIXème siècle. Le processus de son académisation appartient, en revanche, aux XXème et XXIème siècles et continue à avoir de fortes répercussions dans la vie politique et culturelle du pays.

Au début du XIXème siècle, le Royaume de Pologne, proclamé en 1791[3] et construit à partir des frontières de la République commune (Rzecz Pospolita) affaiblie tant par des pressions externes qu’internes vient d’être rayé de la carte et partagé entre la Prusse, l’Autriche et la Russie[4] (dernier partage de 1795). Si dès 1793, la quasi totalité du territoire qui compose l’actuelle Biélorussie est intégré à l’empire de Russie, de nombreux représentants de la petite intelligentsia locale rêvent de restaurer l’ancienne République commune ainsi qu’un grand-duché de Lithuanie désormais perçu
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comme un «paradis perdu». Les accords de Vienne de 1815[5] sonnent pour un temps le glas de cette utopie. Dès le début du XIXème siècle, certains cercles restreints d’intellectuels de langue polonaise, originaires du grand-duché de Lithuanie[6], avaient commencé à œuvrer pour la mise en valeur des caractères spécifiques du monde polonais en élargissant le champ de leurs connaissances à d’imaginaires «confins orientaux». L’écrivain Jan Czeczot, pour ne citer que cet exemple, étudie les parlers des régions du Nioman et de la Dvina, allant même jusqu’à jeter les bases d’un dictionnaire du «Krivitche».[7]

Au début des années 1830, l’ordre administratif, politique et culturel de la région se doit d’être consolidé face aux insurrections. Le code russe remplace celui du grand-duché de Lithuanie dans les gouvernements (gubernii) de Vitebsk et de Mahileù (Mogilev) en 1831. La langue russe supplante le polonais, devenant officielle dans toute la région en 1832. Cette réforme, qui proclame l’exclusivité du russe dans l’enseignement, s’accompagne de la fermeture de l’université de Wilno (Vilnius)[8], crainte à juste titre par les autorités tsaristes comme une pépinière de nationalisme polonais. A partir de 1840, la dénomination Litva est également interdite à la faveur de la dénomination Territoire du Nord-Ouest auquel le code russe est désormais appliqué.

La politique de russification du Territoire du Nord-Ouest est encore renforcée suite aux insurrections des années 1861-1863. La politique du gouverneur-général M. N. Murav’ev, dépêché pour «pacifier» la région en avril 1863 est fatale à la langue polonaise, mais également au biélorussien
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décrié comme ersatz de cette dernière. Cette politique répressive est suivie par l’interdiction de toute publication en alphabet latin (1867). Elle met également fin à la publication de textes d’agitation en biélorussien tant au service des insurgés qu’au service des autorités. Ces textes avaient ceci de particulier qu’ils appartenaient au genre de la «conversation» (hutarka). Ces «conversations», ou dialogues partisans entre deux personnages dont un restait à convaincre, cherchaient à se concilier les paysans tout en leur rappelant l’urgence de se revendiquer Russe ou Polonais. Entre ces deux pôles, pointa une troisième tendance largement minoritaire, mais pour le moins symptomatique, concernant des textes de propagande produits par des personnes affirmant l’urgence de se revendiquer Biélorussiennes. Le plus célèbre de ces exemples reste le périodique clandestin de Kastus’ Kalinoùski (1838-1864), La Vérité paysanne, qui disparut en 1864 avec son auteur, pendu par Murav’ev à Vilnja[9]. Certains auteurs polonophones tentèrent aussi, dès cette époque, d’établir l’historicité de la langue biélorussienne[10]. Ce fut par exemple le cas de Syrokomla[11] qui, en 1861, idéalisait le passé du biélorussien, considérant la noblesse de ses racines ruthènes[12] comme preuve de son historicité.

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, des intellectuels et des ethnologues russes élaborent également un imaginaire biélorussien[13]. Promus par le pouvoir central au travers de diverses Académies impériales, leurs travaux ont d’abord pour objectif de montrer la diversité de l’empire dans son unité, ainsi que la richesse de l’histoire de la langue russe[14]. Nul n’a encore envisagé de traiter la question de la langue biélorussienne selon les critères du nationalisme romantique, ce que fera Francišak Bahuševič de Cracovie (Autriche), en 1891, dans sa préface à son recueil de poèmes, La
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Flûte biélorussienne
[15]. L’écrivain y souscrit au principe de Herder, selon lequel la langue devient le gage de l’humanité de celui qui la parle et de la dignité de tout un peuple. L’écrivain ne considère plus le lieu d’habitation de ce dernier comme une province d’une province, mais comme une «patrie» dont les frontières recoupent peu ou prou celles du Territoire du Nord-Ouest de la Russie alors composé des gubernii  de Mensk (Minsk), Vitabsk (Vitebsk), Mahileù (Mogilev), Horadnja (Grodno) et Vilnja (Vilnius)[16]. Bahuševič envisage cet espace comme une étendue linguistique uniforme, ce que l’académicien russe Karski appuiera en produisant, en 1903, une Carte ethnographique des peuples biélorusses : les parlers biélorusses, qui en recoupe le tracé[17]. Avec Bahuševič, la notion de «patrie» est emplie d’une symbolique de pureté, trouvant dans le mot Belarus’ (langue originale) la justification du caractère intact du peuple. Cette fois, il le nomme : les Biélorussiens.

Le pouvoir au biélorussien

A la fin du XIXème siècle, le travail historiographique, ethnologique et littéraire entamé associe une dimension d’opposition politique à sa dimension culturaliste. Au début du XXème siècle, tandis que paraissent les premiers partis politiques biélorussianophones, de nombreux critiques affirment leur volonté de mettre la langue biélorussienne au pouvoir[18], condamnant la présence des signes du pouvoir russe dans les textes de leur temps. Ainsi, par exemple, des premiers articles critiques sur la littérature biélorussienne du poète Maksim Bahdanovič [19] (1911), qui reproche aux farces d'A. Paulovič[20] d'être truffées de russismes[21]. Au théâtre, les critiques
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s'insurgent contre les acteurs, incapables de donner le texte en biélorussien sans y introduire des russismes[22]. D’une manière générale, le début du XXème siècle voit naître réflexions sur le style et appels à la purification de la langue. Ces débats montrent que, dès le début du siècle, il existe différentes fractions au sein même du «mouvement de renaissance nationale biélorussien», entre ceux qui rêvent d’une langue «virile» et «authentique» épurée et ceux qui prétendent que la stylisation de la langue est au contraire une condition sine qua non pour marquer les spécificités de la littérature nationale. Ces discussions sur la nécessité de normaliser le biélorussien révèlent qu’une étape politique a été franchie dans la conception du rôle que devra désormais jouer la langue.

Dans la majorité des cas, les discours nationalistes de l’époque tentent de pratiquer une réduction des différences culturelles et linguistiques dont ils soulignent l’existence de façon romantique en Biélorussiens russifiés et Biélorussiens polonisés d’une part, mais également entre Biélorussiens orthodoxes et Biélorussiens catholiques d’autre part. En 1909, par exemple, l'historien ukrainien Dorošenko[23] décrit la génération des écrivains biélorussianisants de la fin du XIXème siècle comme une génération «coupée en deux»[24] entre les auteurs de type Bahuševič[25], partisans d'une
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écriture en alphabet latin et influencés par la culture polonaise, et les auteurs de type Nesluxouski[26], employant l'alphabet cyrillique et influencés par la culture russe[27]. L'image d'une intelligentsia «coupée en deux» métaphorise une zone d'affrontement interne au groupe comme à chaque individu, laquelle dénote toute l'importance et l'ambivalence de la mutation historique en cours. Pour Doroßenko le processus d'absorption des contraires ne peut naître que dans le cadre d'un mouvement biélorussien «propre», qui ne tirerait ni vers Moscou, ni vers Varsovie. Il en situe l'émergence entre 1903 et 1904, ce qui correspond bien au début de l'activité des premiers partis politiques biélorussiens.

L’heure est à l’union des contraires, ce que commence également à pratiquer le journal Naša Niva entre 1906 et 1909. Ce journal biélorussianophone, né suite à la levée de la censure sur les langues après la révolution de 1905, est l’organe du mouvement national et socialiste biélorussien (mouvement anti-marxiste). Cet hebdomadaire biélorussien «avec lettres russes et polonaises» interpelle clairement deux lectorats, en publiant, durant les 6 premières années de son existence, des versions cyrilliques et latines de chacun des ses numéros[28]. On pressent déjà que de cette volonté d’unir les contraires naîtra la question de la définition de lettres graphiques spécifiquement biélorussiennes. Pour l’heure, dans un contexte où les nationalistes pensent la Biélorussie par défaut tout en cherchant des solutions symboliques, l’Ukraine devient le modèle idéal. En 1909, l’historien
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ukrainien Dorošenko[29] les aide à détourner le trajet des influences linguistiques officielles de son axe est-ouest/ouest-est, excluant les Russes et les Polonais :

«Pendant longtemps les érudits ukrainiens et biélorussiens ont utilisé une langue littéraire commune, et les écrivains des XV-XVIème siècles pensaient qu'il n'y avait qu'une seule langue pour deux peuples frères ; cette langue, ils l'appelaient la langue ‘russienne’[30] pour la différencier de la langue ‘moscovienne’ [31](qu'ils appellent maintenant aussi russienne ou russe[32]».

Au début du XXème siècle, la question linguistique est bien au cœur de l’affirmation d’une identité propre selon le critère nationaliste que la langue est une variable à la nation. Mais la définition de ces critères symboliques devient toutefois l’enjeu de conflits internes au mouvement nationaliste, opposant occidentalistes, orientalistes, fédéralistes, autonomistes, indépendantistes et «zapadno-russistes[33]» (ou ‘occidentalo-russis-tes’), qui ne rêvent pas de la même Biélorussie. Dans tous les cas de figure, les Biélorussiens sont désormais mis en demeure de choisir leur camp.

En 1913, la rédaction de Naša Niva, dirigée par Janka Kupala, fait le choix de l'alphabet cyrillique, optant pour une filiation distincte de la culture polonaise. Cette décision, qu’il faut également replacer dans le contexte des élans patriotiques de la veille de la Première Guerre mondiale, s'inscrit dans le cadre de la polémique sur la langue lancée par Naša Niva
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en 1909[34]. Dans un article intitulé «La foi et la nationalité», publié dans le numéro 27 de 1914[35], Janka Kupala synthétise, a posteriori, les tenants et les aboutissants du débat. Il regrette que les Biélorussiens, «coupés en deux», soient encore déchirés par des luttes internes et il appelle ses lecteurs à ne pas mélanger les affaires religieuses avec celles de la nationalité. «Le Biélorussien-catholique ou le Biélorussien-orthodoxe, écrit-il, doivent se souvenir qu'ils ont une patrie — la Biélorussie, une langue natale — la biélorussienne (...)[36]». Quand bien même les choix de ces intellectuels n'ont encore que peu d'impact au plan officiel, ces derniers posent néanmoins les jalons d'une uniformisation culturelle de la patrie sur la base de critères linguistiques et non plus religieux.

Première rupture

La Première Guerre mondiale conduit au franchissement d’une étape supplémentaire. Côté germanique, tous les groupes nationaux sont interdits de pratiques politiques par décret à partir du 28 juillet 1915, mais on les autorise à mener des activités culturelles. Les principes généraux des relations entre les autorités allemandes et les nationalités en territoire occupé sont publiés par le Maréchal Hindenburg, le 22 décembre 1915[37]. Officiellement, l'enseignement du russe est interdit. L'enseignement de l'allemand devient obligatoire et les différentes nationalités sont invitées à développer un enseignement dans leurs langues dites maternelles[38]. Le nouvel ordre linguistique se pense en fonction des pratiques religieuses et les autorités d'occupation éditent des passeports bilingues et, pour le cas qui nous concerne, en allemand et en biélorussien.

Contrairement à ce qu’a prôné la grille narrative officielle soviétique, la vie culturelle et politique n'est pas totalement «anéantie» à cette date, ni côté allemand, ni côté russe. Du côté de Vilnja[39], celle de la nationalité biélorussienne commence à peine à se structurer, la politique des
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autorités d'occupation lui donnant même un semblant de valeur institutionnelle favorisant le principe de l’autonomie culturelle à la défaveur de l’autonomie politique, et ceci par l’intermédiaire d’associations d'aide aux victimes de la guerre qui deviennent des pépinières de nationalisme biélorussien[40]. Dans un premier temps, les Allemands, qui se présentèrent comme les défenseurs des nations opprimées de l’empire de Russie, avaient en effet stratégiquement proclamé que les territoires libérés de la Russie ne retourneraient pas sous le joug russe. Un petit groupe de militants de Vilnja, dont les frères Luckevič, associé à des militants d’autres minorités nationales (Lituaniens, Polonais et juifs) revendiquent l’indépendance pleine et entière «des territoires lituano-biélorussiens» sous la forme d’un grand-duché de Lithuanie reconstitué avec un Parlement à Vilnja. Fin décembre 1915, ils proclament, en quatre langues (biélorussienne, lituanienne, polonaise et yiddish), la fondation d'une Confédération du grand-duché de Lithuanie.

Outre l’autorisation donnée à pratiquer un enseignement en biélorussien, sans pour autant que ce dernier soit encore normé, et la mise en pratique concrète du principe d’autonomie culturelle, l’autre événement politique de cette période reste la proclamation, le 25 mars 1918, de la République populaire de Biélorussie (BNR), grâce à laquelle la langue biélorussienne devient réellement un objet de pouvoir, nécessaire pour accéder au pouvoir. Le premier volume des Archives de la BNR publié en 1998 montre que le gouvernement biélorussien sous tutelle allemande n'eut ni le temps ni les moyens de stabiliser une politique culturelle. Le 3 avril 1918, le biélorussien est toutefois proclamé langue de l'Etat et les minorités nationales sont autorisées à utiliser leur langue dans les documents officiels.

La même année, le traducteur, philologue et homme politique, Branislau· Taraškievič (1892-1938) fournit au jeune Etat un outil qui peut servir à unifier progressivement l'enseignement du biélorussien, la première édition de la Grammaire biélorussienne pour les écoles[41]. Comme le montre
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le journal biélorussianophone de Vilnja Homan, cette grammaire s’inscrit toutefois, dès sa parution, dans une lignée de travaux lui ayant préexisté. En 1918, ce journal affirme également la nécessité de réformer la langue dans un article intitulé «La réforme de la grammaire»[42] :

«Que chaque auteur écrive à sa manière dès lors qu’il s’agit de littérature n’est pas un problème mais aujourd’hui, il se crée des écoles biélorussiennes et populaires, des collèges biélorussiens, il se publie des livres d’étude, et il est très mauvais que nos enfants aient différents manuels.»

On a vu, au temps de l’occupation, quelques tentatives pour élaborer une grammaire biélorussienne (Homan a publié Comment écrire correctement en biélorussien de A. Luckevič, la Grammaire biélorussienne de A. Luckevič et de J. Stankevič, la Grammaire de la langue biélorussienne de B. Pačobka). Des tentatives similaires ont eu lieu de l’autre côté de la ligne de front avec les livres Biélorussie Libre de Jazep Ljosik ou Pensées sur la grammaire de E. Budzka. Nombreux sont ceux qui ont cherché des bases pour construire un système correct d’écriture en biélorussien. En se fondant sur la phonétique, tous se sont également lancés dans des études étymologiques pour fixer le sens des mots. Homan opte pourtant pour la proposition de Taraškevič, considéré comme un universitaire ayant sans doute une plus grande légitimité scientifique que ses prédécesseurs, au grand dam d’un autre linguiste important de l’époque et sur lequel on reviendra, Jan Stankevič.

La souveraineté toute relative de la BNR est de courte durée. En novembre 1918, l’Allemagne se morcelle en république des Conseils et en décembre, l’Armée rouge prend Minsk. Le Conseil de la BNR quitte la ville pour Horadnja (Grodno), remplacé par le Commissariat populaire du Front et de la région de l’Ouest. Le 1er janvier 1919, une république de Biélorussie soviétique est fondée à Smolensk, adoptant Minsk pour capitale le 5 du même mois. Les nouvelles autorités tentent de mettre en pratique le discours léniniste sur l’égalité des droits entre les nations, symbolisée par la proclamation de l’égalité entre les langues polonaise, yiddish, biélorussienne et russe. La mise en pratique de cette proclamation est toutefois stoppée par l’entrée de l’Armée polonaise de Pilsudski dans Minsk, le 8 août 1919. Cette invasion avait été précédée de peu par la proclamation d’une nouvelle entité politique, la République Socialiste Soviétique de Lituanie-Biélorussie (Lit-Bel). En juillet, la Lit-Bel est dissoute, et le 20 août, le polonais devient prioritaire sur les autres langues partout où stationne l’armée, même si le biélorussien peut encore être employé à côté du polonais dans les administrations. Le gouvernement polonais d’occupation, au contraire de son prédécesseur allemand, ne s’empresse pas de développer
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la langue biélorussienne. De nombreuses écoles ouvertes quelques années auparavant ferment ou sont désormais remplacées par des écoles polonaises.

Suite au traité de Riga en 1921, la partie occidentale de l’actuelle Biélorussie revient à la Pologne. Les Biélorussiens, majoritaires dans certaines régions comme celle de Bialystok obtiennent le statut de minorité nationale. Durant toutes les années 1920, Branislaù Taraškevič qui réside en Pologne Orientale (ou Biélorussie Occidentale selon les documents) n’a de cesse de défendre les droits culturels, politiques et sociaux des Biélorussiens au Parlement de Pologne, sans pour autant que ses efforts soient couronnés de succès[43] et la politique polonaise se traduit bientôt par des actes de censure et de répression à l’égard de toute activité culturelle en biélorussien. Côté soviétique, la situation est d’abord bien différente. Dès la prise de Minsk par l’Armée rouge, le Comité central du Parti confirme de nouveau l’égalité entre les langues biélorussienne, russe, yiddish et polonaise (février 1921). L’argument de la lutte des classes intervient alors pour légitimer la nouvelle politique de dépolonisation puisqu’on avait pris l’habitude d’assimiler la langue polonaise à celle des seigneurs. Les appels à la réforme se font par ailleurs de plus en plus pressants, mais l’objectif a changé puisque la problématique majeure est désormais la construction d’un Etat en dehors de toute généalogie polonaise. Jazep Varonka, un des membres fondateurs de la BNR, se permet même de critiquer la langue de Francišak Bahuševič, dénonçant le fait que les traductions – il ne parle ni de transpositions, ni de translittérations — cyrilliques de sa Flûte biélorussienne n’ont pas été faites à partir du texte original en biélorussien latin et se plaignant également que sa langue «est pleine de barbarismes et de provincialismes, quand bien même sa grammaire (qui n'est malheureusement pas consignée dans nos grammaires contemporaines) est intéressante». Aussi demande-t-il à ce que ses œuvres soient désormais publiées «académiquement»[44].

La politique soviétique de «biélorussianisation»

Au cours des années 1920, la biélorussianisation de l'Etat succède à la reconnaissance de la multiplicité des nations en son sein. Le lancement de la politique soviétique des nationalités est mis au service de la réconciliation, tout en contribuant à aggraver le clivage entre communautés. On souhaite gérer le multiculturalisme, or la première conséquence est de
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l'enraciner[45]. Tout en élevant quatre langues au rang de langues officielles de l'Etat de BSSR, le Comité exécutif du Parti décrète que la langue biélorussienne a été choisie comme langue prioritaire dans les relations entre les organisations professionnelles et civiles, et l'appareil d'Etat. Dès lors, le biélorussien remplit les deux fonctions de langue officielle des Biélorussiens et de langue d'Etat, tandis que le russe est promu langue des relations avec les républiques soviétiques. L'égalité entre les langues ne correspond à aucune égalité de fait, ces dernières n'assumant pas la même fonction.

La biélorussianisation se situe dans le prolongement d'une période de crise :  la Première Guerre mondiale, la révolution, la guerre civile et l’invasion polonaise ont causé des pertes considérables[46]. Elle s'élabore aussi à un moment où les frontières de l'Etat biélorussien soviétique ne sont pas encore stabilisées, s’effectuant de manière hétérogène par régions, au fur et à mesure de l'acquisition de nouveaux territoires. Le territoire que s'étaient partagé la Russie et la Pologne lors des accords de paix de Riga double presque de surface et intègre plus de 4 millions d'habitants supplémentaires, russophones. Au plan du discours idéologique, la biélorussianisation inaugure la période dite de «communisme national» qu'il serait parfois plus judicieux de nommer, du moins pour la Biélorussie, période de «nationalisme révolutionnaire». Elle reste contemporaine de la guerre de clans qui portera Staline au pouvoir absolu en 1927.

A la notion «d'ordre national», discutée dans la presse de l’époque, s'adjoint bientôt celle «d'ordre culturel»[47] et un certain quadrillage culturaliste de la société accompagne son verrouillage administratif. Par exemple, différents théâtres d’Etat sont créés, où les Biélorussiens sont regroupés avec les Biélorussiens et seuls des Biélorussiens sont censés jouer en biélorussien, les Juifs avec les Juifs, les Russes avec les Russes, les Polonais avec les Polonais. Il en va de même pour les corporations ouvrières[48].

Le lancement de la biélorussianisation fait suite à une Communication de Staline sur la question nationale[49], publiée dans la presse biélorussienne le 26 avril 1923, et qui affirme que «dans chaque république soviétique, les organes du pouvoir doivent travailler en langue maternelle et être composés de personnel local. (…) Pour que le pouvoir soviétique devienne le pouvoir naturel de la paysannerie nationale, il faut qu’il soit compréhensible, que les autorités travaillent en langue maternelle, que les organes du pouvoir se construisent avec des personnes locales connaissant la langue, le droit, le quotidien et la vie». La biélorussianisation de l’appareil est pensée comme une étape transitoire, qui ne sera pas, à terme, considérée comme contradictoire avec la russification de la population.

La biélorussianisation fut donc une politique soviétique, menée tambour battant à la mode stalinienne. De nombreux intellectuels locaux nationalistes misèrent sur la possibilité de biélorussianiser le bolchevisme dans le cadre d’un Etat qu’ils lui reconnaissaient avoir contribué à créer. Leurs efforts pour opposer l’image d’une nation «authentique» à la patrie soviétique, et notamment par l’instrumentalisation de la question linguistique, sont bien plus tardifs. La multiculturalité de l’Etat finira par être dénoncée comme une preuve de la délégitimation de la nation biélorussienne. L’indépendantiste Jaukim Kipel écrira par exemple que «la reconnaissance de quatre langues d’Etat en Biélorussie avait pour but d’amoindrir la signification du problème biélorussien et de montrer que la Biélorussie était juste un nom géographique»[50]. Derrière les efforts de communication de l’appareil, tous ne partagent donc pas la même définition de la biélorussianisation qui, dans la pratique, tourne à deux vitesses.

Le quadrillage en communautés nationales atteint son point culminant entre 1926 et 1929. A compter du 25 septembre 1926, le bureau du Comité central donne 6 mois à ses organisations de coopération qui ne sont pas biélorussianisées — comme les Jeunesses Communistes — pour le devenir entièrement. «La maîtrise de la langue biélorussienne est une clef pour le rôle dirigeant du Parti dans la construction culturelle de la
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BSSR»[51]. En octobre de la même année, il est décrété qu'au 1er janvier 1927, l'ensemble de l'appareil doit parler biélorussien[52]. La biélorussianisation ne fut donc pas la politique d’une Biélorussie autonome. Replacée dans ce contexte, elle soutient l'enracinement du pouvoir monolithique et autoritaire du Parti en BSSR.

Le quadrillage culturaliste de la société crée des structures d'incitation où les acteurs du champ culturel prennent des initiatives qui remettent en question l'équilibre du pouvoir. Une compétition s'engage entre l'appareil d'Etat et les structures d'incitation qu'il a lui-même contribué à développer. L’apparition d'une volonté d'académiser la langue biélorussienne, d'abord soutenue par le pouvoir, doit être étudiée dans le contexte de cette atmosphère de conflit et de compétition.

Entre les 14 et 21 novembre 1926, une conférence académique sur la langue est organisée par l'Institut Biélorussien de la Culture (Inbelkul’t) de Minsk réunissant 69 linguistes et universitaires de Biélorussie, d’Ukraine, de Russie, de Lituanie, de Lettonie[53], d’Allemagne[54] ou de Tchécoslovaquie. Les linguistes de Biélorussie de l’Ouest manquèrent à l’appel, n’ayant pas obtenu de passeport des autorités polonaises ce qui suscita de vives protestations[55]. Après les salutations et les remerciements d’usage, l’influence du biélorussien sur les langues baltes fut discutée. Le travail des commissions linguistiques de l’Institut  biélorussien de la culture fut ensuite évoqué : commission de terminologie pour la suppression des mots étrangers ; commission folklorique et dialectale ; commission pour l’élaboration d’un dictionnaire «vivant» et «populaire» du biélorussien, auquel manque le lexique de Biélorussie occidentale qualifié de «pur» pour n’avoir pas subi avec la même force l’influence de la langue russe. La question des frontières du biélorussien fut ensuite portée à l'ordre du jour, ainsi que ses relations aux autres langues slaves et ses spécificités dialectales. Ces questions soulevèrent des polémiques, puisqu’il s’agissait au fond soit de cautionner la thèse de «l’unicité slave», de laquelle aurait émergée «l’unicité russe», de laquelle seraient ensuite nés le biélorussien et l’ukrainien, soit de considérer que le biélorussien aurait évolué de manière autonome au même titre que les autres langues slaves. Les conférenciers
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défendirent également la nécessité de réformer la langue biélorussienne, en vue de son uniformisation, «car ce facteur est essentiel et souligne l'unité du peuple»[56]. Les pro-réformistes considéraient que l'académisation de la langue renforcerait son statut de langue d'Etat d’une part ; d’autre part, comme l’affirma le militant politique Vaclau Lastouski

«nos lettres cyrilliques exigent une réforme pour les rapprocher de la phonétique et pour les faire correspondre à l’histoire de notre écriture ; je pense que la réforme doit avoir deux objectifs : le premier – nous rapprocher de la phonétique et le second – faire correspondre les données phonétiques avec l’histoire de la littérature mais également avec la littérature contemporaine».

Il demande que l’histoire de la langue serve de fondement à la réforme. Il évite également la polémique du choix entre l’alphabet cyrillique et latin, affirmant que tant que la Russie ne passe pas au latin, il est inutile d’envisager un tel changement.

A l'issue de la conférence, une commission est fondée pour présenter aux autorités un projet de réforme achevé en 1930 et élaboré, pour partie, d’après la grammaire dite de Taraškevič. Entre-temps, la biélorussianisation de l'appareil contribue à forger, comme par réaction, de nouvelles formes russifiées de pratiques linguistiques. En 1928, un jeune écrivain, Kuzma Čorny, montre comment trop de traductions littérales introduisent des russismes et «des formes qui n'existent pas» en biélorussien[57]. Il explique que ce jargon est développé par des personnes qui maîtrisent parfaitement le russe, mais qui se biélorussianisent. De fait, la politique culturelle volontariste de l'Etat, qui entend imposer à l'échelle de l'appareil le passage d'une langue à une autre, annoncé en cinq ans, et menée de manière autoritaire, génère conflits et ressentiments, aggravant le radicalisme des personnes sur la question linguistique. Le jargon dénoncé par Kuzma Čorny se développe également parallèlement à la monopolisation de l'information par le pouvoir, où les médias deviennent le milieu naturel de la langue de bois. La soviétisation de la langue ne peut donc pas être entièrement confondue avec sa russification.[58]

Lorsque la Commission présente son projet de réforme en 1930, les ingrédients qui permettent de considérer la question linguistique de manière absolue sont tous réunis. Les principaux conférenciers de 1926 sont arrêtés, le personnel de la Faculté de recherches linguistiques est restructuré
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et cette dernière a désormais pour mission d'élaborer un contre-projet. En 1931, trois mois de «discussions» opposent les linguistes sans-parti aux linguistes communistes qui fondent «le front des connaisseurs de la langue»[59]. Ils accusent les réformateurs de lutter «contre toutes les formes de déclinaisons et de conjugaisons similaires aux formes russes» et de rapprocher la langue biélorussienne «des parlers paysans archaïques»[60]. Désormais, la langue biélorussienne doit devenir celle du prolétariat et servir d'arme dans la lutte des classes. L’Institut d’études linguistiques dépose toutefois un projet de réforme le 28 juin 1933. Mais deux mois plus tard, le 26 août 1933, un projet de contre-réforme est entériné en pleine terreur par un décret en 28 points du Conseil des commissaires du peuple de BSSR. Il entre en vigueur le 16 septembre de la même année. Le biélorussien vient d'être intronisé langue académique, mais «soviétisée». Le radicalisme de la méthode semble être à la mesure de la crise du pouvoir.

Du point de vue de ce dernier, la contre-réforme se différencie de celle proposée par les «nationalistes démocrates» en ce qu’elle cherche à réduire les obstacles et barrières qu’ils se proposaient de construire entre le russe et le biélorussien ; qu’elle nettoie le biélorussien des polonismes qui y avaient été introduits comme parades à la russification par les nationalistes ; qu’elle nettoie le biélorussien des archaïsmes, néologismes, et vulgarités introduits par les nationalistes ; qu’elle entend faciliter aux masses l’apprentissage de l’écriture en biélorussien. Dès 1933, des personnes et des groupes de personnes la refusent pourtant ouvertement, niant appartenir à une même communauté linguistique, remettant ainsi en cause la domination politique du moment et la capacité des institutions du pays à imposer une langue dominante. Progressivement, la langue de Taraškevič s’emplit d’une forte charge symbolique de résistance au pouvoir soviétique.

La grammaire de Taraškevič n’était pourtant pas la seule à pouvoir assumer ce rôle. Ce linguiste et homme politique qui avait fait ses études à Saint-Pétersbourg et qui adhéra au communisme après avoir fondé le Rassemblement des ouvriers et paysans biélorussiens de Pologne, n’en eut pas moins des détracteurs au sein même du mouvement nationaliste. Ainsi de Jan Stankevič, auteur de quantité d’articles sur la langue biélorussienne, mais généralement assimilé au populisme de droite. A priori, les deux hommes n’étaient pas en désaccord sur les seules règles de l’akanie et de l’accentuation de la langue. Ne partageant pas les mêmes idéaux politiques, ils ne rêvaient pas de la même Biélorussie. Les attaques personnelles de Stankevič contre Taraškevič, auquel il reprochait d’être à la solde des linguistes
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russes pour avoir fait ses études universitaires à Saint-Pétersbourg, furent parfois violentes.

La manière dont Stankevič condamne la «modification de la grammaire de la langue biélorussienne en BSSR» en 1936 à Vilnja[61] — à l’époque Wilno en Pologne — est toutefois intéressante en ce qu’elle souligne, certes de façon partiale, d’autres arguments aux choix gouvernementaux de 1933 qui ne semblent pas tant liés à des problèmes idéologiques qu’à la pratique concrète du pouvoir. Pour Stankevič, la réforme ne fut pas simplement orthographique, mais modifia la phonétique et la morphologie de la langue pour la rapprocher du russe en la simplifiant. La politique soviétique dite de «lutte contre l’analphabétisme» aurait été une vitrine consistant à élaborer une langue congruente avec l’image que le pouvoir se faisait de la nation biélorussienne, peuplée surtout de paysans. Il se serait également agi de simplifier le biélorussien pour permettre aux fonctionnaires russes amenés à travailler en Biélorussie de l’apprendre plus facilement, en vertu du principe selon lequel on écrit le biélorussien comme on le prononce. Or ce n’était pas le cas avant la réforme de 1933. En revanche, le décalage entre la prononciation courante et quotidienne du biélorussien tel que les gens le pratiquent et la nouvelle manière de l’écrire imposée par le pouvoir ne saurait faciliter l’apprentissage de la langue écrite à ceux qui la parlent déjà. Aussi pense-t-il que cette difficulté supplémentaire permettra au pouvoir de convaincre plus facilement les Biélorussiens de l’avantage qu’il y a à apprendre le russe avant d’apprendre le biélorussien. Comparée à un biélorussien simplifié, la langue russe pourra en effet être désormais présentée, du fait de sa plus grande complexité phonétique, comme une langue de haute culture, supérieure au biélorussien.

Pour ce qui concerne l’influence de la langue polonaise, Stankevič s’insurge contre le fait qu’on puisse confondre ce qu’il appelle des «régionalismes» avec une influence réelle du polonais sur la langue littéraire. Derrière la relation à la Pologne, se cache en fait la problématique du choix de l’alphabet latin et celle de la généalogie historique et culturelle officielle du nouvel Etat. Suite à l’aménagement du territoire consécutif au traité de Riga, toute une partie de l’intelligentsia biélorussianophone se trouvait côté polonais, décriée comme «contre-révolutionnaire», tandis que l’emploi du cyrillique permettait de marquer l’attachement de la Biélorussie à la zone d’influence russe et slave orientale. D’aucuns allèrent même jusqu’à formuler de manière ironique que si Moscou choisissait le latin, alors tous les partisans du cyrillique seraient perçus comme des «contre-révolutionnaires». Toujours est-il que l’argument du pouvoir resta de reprocher aux partisans de l’alphabet latin de vouloir modifier les frontières
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de la BSSR en les élargissant à l’Ouest, ce qui fut dénoncé comme du chauvinisme, et en les rétrécissant à l’Est, ces dernières ne pouvant pas correspondre aux zones de l’Orient biélorussien soviétique récemment cédées par la Russie à la BSSR (la région de Vitebsk en 1924 ou de Gomel en 1926). Aussi, derrière la question du choix de l’alphabet résidait celle, bien plus épineuse, de la définition du territoire de l’Etat. Enfin, le fait que le décret d’août 1933 n’ait pas tenu compte des propositions des linguistes du terrain permit aux nationalistes de développer l’idée qu’il était impossible de valider le biélorussien dit désormais soviétique, puisque la réforme n’avait pas été faite par des Biélorussiens mais par des «étrangers», russes et juifs. De ce point de vue, elle eut également pour conséquence de mettre de l’huile sur le feu des tensions que la politique soviétique des nationalités avait déjà révélées. Cause de violents ressentiments anti-bolchevique et antisémites, elle eut également pour conséquence de pousser une partie de l’intelligentsia biélorussianophone dans les bras du nazisme à l’heure de la Seconde Guerre mondiale.

 

La réforme de 1933 a été appliquée. Au cœur de cette bataille se jouaient également la dévalorisation des valeurs paysannes et le discrédit jeté sur elles par l’intermédiaire des discours sur la langue. La fin tragique de l’épisode de 1933 a permis de souligner que parler le biélorussien non réformé n’était plus considéré comme faisant partie des compétences techniques permettant d’accéder au pouvoir. Du jour au lendemain, l’intelligentsia biélorussianophone, le personnel des universités, des arts, de la littérature et d’une manière générale, les personnes qui avaient fait la Biélorussie n’ont plus eu autorité pour parler de la question fondamentale de sa culture comme politique, et furent éliminées du système pour n’être plus jugées aptes à parler le biélorussien de manière acceptable. La réforme permit la mise en place de nouvelles formes de censure par la langue, créant un univers où plus aucun mot en biélorussien ne put être considéré comme innocent. Depuis, la langue biélorussienne n’a cessé d’être mesurée à un russe lui-même soviétisé mais défini comme langue dominante et vectrice tant de l’idéologie que de la haute culture soviétique. Elle put agir comme signe de reconnaissance d’une nouvelle élite, dont la langue normalisée devait correspondre à la situation idéologique du moment et contribuer à générer les représentations collectives considérées comme justes par l’autorité stalinienne. L’histoire de l’académisation du biélorussien de 1933 n’appartient pour autant pas entièrement au passé du XXème siècle et ses ondes de choc se répercutent jusqu’à nos jours où parler biélorussien reste, décidément, un acte politique.

 

© Virginie Symaniec

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[1] Nous faisons ici référence au processus qui conduisit à travailler la notion de langue biélorussienne académique et que nous datons du début du XXème siècle aux années 1930.

[2] Avec Ihar Lalkou, nous avons pris l’habitude de distinguer, pour éviter les confusions, la Lituanie contemporaine du Grand-duché de Lithuanie, de Rus’ et de Samogitie, ces entités n’étant ni congruentes en terme de territoire, ni en terme de régime politique.

[3] La Constitution du 3 mai 1791 transforme la fédération polono-lithuanienne connue sous le nom de Communauté des deux peuples en un Etat unitaire, le Royaume de Pologne. Le grand-duché de Lithuanie disparaît de jure.

[4] Lalkou, 2000.

[5] Le 26 septembre 1815, à Vienne, les trois puissances signent un traité de Sainte-Alliance.

[6] Depuis l’Union de Lublin le 1er juillet 1569, une fédération entre la Couronne de Pologne et le grand-duché de Lithuanie avait été créée, la République commune des deux peuples. Les deux entités étaient gouvernées par un souverain commun élu par une diète commune en vue de mener une politique étrangère commune. Les deux Etats gardaient toutefois leur administration, leur trésor, leurs troupes et leurs lois propres. Côté couronne polonaise, la langue officielle était le latin, côté grand-duché de Lithuanie, la langue officielle était ce qu’on appelle aujourd’hui le vieux-biélorussien ou ruthénien occidental. Ce n’est qu’en 1696 que le polonais est proclamé langue officielle pour les deux Etats. Mais la spécificité du code lithuanien était également cause d’un sentiment d’appartenance spécifique à cette zone et distinct de l’identité polonaise.

[7] Nom d’une tribu aujourd’hui placée à l’origine de la constitution de la principauté médiévale de Polacak, couramment qualifiée de berceau culturel et politique de la Biélorussie contemporaine.

[8] Cette université avait été érigée en université impériale en 1803.

[9] Voir Harecki, 1992, p. 230.

[10] Nous faisons ici référence au principe historiciste qui consiste à repousser toujours plus loin dans le passé les origines supposées de la langue afin de démontrer l’existence de son histoire, mais à des fins politiques.

[11] Syrokomla, pseudonyme de Ljudvik Kondratovič (1823-1862), poète, publiciste et auteur dramatique polonais. Voir le Kurjer Wilenski des 7 et 10 mars 1861 (N°19-20) in Dobryja Vesty [Les bonnes nouvelles] Minsk, 1993, pp. 506-516.

[12] Syrokomla se réapproprie en fait l’histoire de la Rus’ kiévienne.

[13] Nous faisons ici référence à la thèse de Benedict Anderson, 1996.

[14] En attestent, par exemple, les travaux linguistiques de Nosovič qui publie un Dictionnaire du parler biélorussien en 1870 ou de Karski sur les sons et les formes du parler biélorussien en 1886. Sur Karski, voir Arnold B. McMilin, 1966 et 1967.

[15] Voir Dudka belaruskaja, 1922.

[16] Il s’agit du découpage administratif sur lequel on se base généralement pour étudier le recensement de 1897.

[17] Voir Karski, 2001, cahier-photos.

[18] Voir, par exemple, les propositions de l'écrivain S. Palujan (1890-1910) in Lyč & Navicki, 1996, p. 143.

[19] Maksim Adamavič Bahdanovič (1891-1917). Poète, traducteur, critique et historien de la littérature, au moins aussi important que Janka Kupala et Jakub Kolas.

[20] Albert Paùlovič (1875-1951). Poète, humoriste, auteur dramatique, il commence sa carrière littéraire en biélorussien en 1907 dans Naša Niva. Il quitte Minsk en 1932 pour Moscou, où il vit jusqu’en 1941. Puis, il se réfugie dans l’Oural entre 1941 et 1945 et s’installe à Koursk jusqu’à sa mort. La majeure partie de son activité littéraire en biélorussien se situe pendant la période pré-révolutionnaire.

[21] Voir « Profond et superficiel », publié dans Naša Niva, numéros 3 et 5, 20 et 27 janvier, 3 février 1911 in Bahdanovič, 1993, t. 2, p. 185-192.

[22] Voir «Le théâtre biélorussien» de Ljosik, article daté de 1917, in Ljosik, 1994, p. 167. Mais aussi, le numéro 1 de 1918 du journal Vol’naja Belarus’ [Biélorussie Libre] et le numéro 23 de 1919 du journal Zvon’ [Le tocsin]. Ce problème reste d'actualité. Des spectateurs se plaignent encore, à la sortie du Théâtre Janka Kupala, de l'intrusion de mots russes dans le jeu en biélorussien. Or, les acteurs ne pratiquent souvent le biélorussien qu'en scène. Ce ne sont d'ailleurs pas les russismes en eux-mêmes qui posent problème dans une société où la langue dominante du quotidien est le russe. C'est le symbole qu'ils représentent lorsqu'ils émergent au cœur du temple de la culture biélorussienne qui est problématique.

[23] Nous n’avons pas d’autres renseignements concernant cet auteur qui est traduit dans Naßa Niva entre 1909 et 1910.

[24] L'historien Dovnar-Zapolski reprend ce discours à son compte dans son Historyja Belarusi [Histoire de la Biélorussie], 1994, p. 341, écrite dans les années 1920, mais publiée pour la première fois en 1994 et de manière incomplète.

[25] Francišak Kazimiravič Bahußevi© (1840-1900). Ecrivain, poète, connu aussi sous les pseudonymes de Macej Buračok et de Symon Reùka de la région de Barisaù et pour ses recueils de poèmes Dudka Belaruskaja [La flûte biélorussienne] et Snyk Belaruski [L’archet biélorussien], qui ont servi de manifestes au mouvement de renaissance nationale biélorussien.

[26] Ivan Ljucyjanavič Nesluxoùski est le pseudonyme du poète Janka Lučinka (1851-1897). Ses œuvres inspirent les idéologues du mouvement de renaissance nationale biélorussien.

[27] Dans un extrait que donne Dorošenko du poème Le tricot de Nesluxoùski, il est possible de retrouver un vocabulaire très proche de celui de Bahuševič. Aussi faut-il relativiser l'idée que les deux tendances culturelles, polonaise et russe s'opposèrent et n'eurent aucun contact entre elles.

[28] Les bibliothèques ne semblent pas être toujours en mesure de fournir la version latine du journal et les spécialistes du Naša niva-isme ne nous disent pas si les deux versions du journal disaient bien la même chose. On part du présupposé qu'elles furent exactement semblables, ce que rien ne démontre. Partait-on du cyrillique pour traduire en alphabet latin ou l'inverse ? Dans un cas comme dans l'autre, qu'est-ce que la traduction impliquait comme réadaptations ? Lorsqu'on estime devoir s'adresser à deux lectorats différents et qu'on souligne ce qui les sépare de manière aussi claire, ressent-on le besoin de leur dire la même chose ? Les rédacteurs du journal n'ont-ils pas adapté leurs discours — comme les dessins — à deux langages culturels ?

[29] Il s'agit d'un des  premiers essais d'histoire sur le mouvement biélorussien, intitulé Les Biélorussiens et leur renaissance nationale, écrit en ukrainien par D. Doroßenko et traduit en biélorussien par Januk Jurba dans Naßa Niva, N°4, 1909, p. 49-62 in fac-similé, t.2.  Le traducteur précise que cet essai fut précédé en 1908 par une autre publication ukrainienne parue à Lvov intitulée La renaissance de l'écriture biélorussienne de I. Svjaticki.

[30] mova rusin, en biélorussien dans le texte.

[31] maskoùskaja mova, en biélorussien dans le texte.

[32] rassijskaja mova, en biélorussien dans le texte.

[33] On appelle «Zapadno-russisme» une forme de patriotisme russe considéré comme typique du Territoire du Nord-Ouest, où «la Biélorussie [définie comme Russie de l’Ouest] n’est pas un pays avec une culture nationale particulière (…) n’a pas, de ce fait, le droit à se développer culturellement et politiquement de façon autonome, mais (…) elle représente une partie de la culture et de l’Etat russes, ce pourquoi elle doit être perçue comme un de ses éléments constitutifs». Sur ce point, on peut se reporter à Cvikevič, 1993.

[34] Le journal s'opposait au Vilenski vestnik [‘Le messager de Vilna’], au Minskoe slovo [‘La parole de Minsk’], au journal de Saint-Pétersbourg Novaja Rus’ [‘Nouvelle Rous’’] et au journal varsovien Den [‘Le jour’].

[35] Voir Recueil d’œuvres, Minsk : Navuka i Texnika, 1976, t. 7, p. 212-213.

[36] Ib. p. 213.

[37] On en retrouve les traces dans ses instructions datées du 16 janvier 1916.

[38] Sur le nouvel ordre linguistique, voir aussi les décrets du feld-maréchal Hindenburg in Homan [‘Clameur’], numéros 6, 8, 12 et 14 de 1916.

[39] En biélorussien. Wilno en polonais, Vilno ou Vilna en russe, Vilnius en lituanien et Vilné en yiddish.

[40] Dès 1915, on retrouve dans le comité d'organisation de l'association des victimes de la guerre de Vilnja à peu près tous les grands noms du mouvement de renaissance nationale (adraženski rux, en biélorussien), des frères Luckevič à Cjotka en passant par l'auteur dramatique et metteur en scène F. Aljaxnovič.

[41] D'abord publiée en alphabets cyrillique et latin. En 1918, le journal Homan publie à Vilnja un article intitulé «Réforme de l'orthographe» qui explique que les nouveautés de Monsieur Taraškevič ne correspondent pas aux règles admises dans le journal, mais que ses travaux étant d'une haute valeur scientifique, ce dernier s'efforcera désormais de s'y adapter (Numéro 71, 1918, p. 2).

[42] n°71 (267) de 1918.

[43] Voir Drweski, 2002.

[44] Préface à la publication de La flûte biélorussienne à Kaunas en 1922.

[45] Sur ce point, voir Gellner, 1983, p. 85.

[46] En février 1921, dans un souci de réconciliation, le Comité Exécutif Central de la BSSR avait même lancé un appel à tous les exilés ayant quitté le territoire entre 1915 et 1920, pour les inciter à rentrer au pays. Cet appel visait surtout les intellectuels. Le besoin de matière grise et de cadres était tel que, le 11 juillet 1923, une amnistie avait été prononcée en faveur des militants des unions biélorussiennes nationales de 1918, 1919 et 1920 et des organisations nationales antisoviétiques, Conseil Suprême Biélorussien et Conseil de la BNR y compris.

[47] M. Bajkoù dans «Question de culture biélorussienne et chemin de l'intelligentsia biélorussienne», Polymja, numéros 5 et 6, 1923, pp. 96-104, affirme que la question du développement culturel se résume à celle de « l'ordre culturel » (p. 98).

[48] Dès 1925, une Commission spéciale de propagande de la politique nationale est fondée par le Præsidium du Comité central exécutif de RSSB, des bureaux spéciaux de propagande et d'agitation qui visent les groupes ouvriers juifs, polonais, lettons et lituaniens sont créés dans leur langue.

[49] Saveckaja Belarus, n°91 (788) du 26 avril 1923.

[50] «La chaumière biélorussienne», La jeunesse biélorussienne, 5/1960, New York, p. 7.

[51] Lyč & Navicki, 1996, p. 202.

[52] Voir aussi «Résolution du plénum du Comité Exécutif Central du Parti Communiste (bolchevique) de Biélorussie sur la politique nationale» in Zarja Zapada, numéro 265, 1926, p. 3.

[53] On note la présence de Jan Rajnis, ministre de l’éducation letton.

[54] Comme le professeur Vasmer, membre de l’Université de Berlin et du ministère de l’éducation de Prusse.

[55] Voir aussi Jan Stankevič, 2002b.

[56] Lyč, 1993, p. 8-9.

[57] Uzvyšša, numéro 5, p. 173-183.

[58] Toutes les langues de l'URSS furent réformées, y compris le russe. Une des premières fut le yiddish. Voir aussi Symaniec, 1999.

[59] Bočarev, 1931.

[60] Vjačorka, 1991, p. 7.

[61] Stankevič, 1936.


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