Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens



Le discours sur la langue dans les régimes autoritaires

Le Louverain (Jura neuchâtelois), 2-4 octobre 2003

organisé par Patrick SERIOT et Andrée TABOURET-KELLER
contacts :
patrick.seriot@slav.unil.ch
atekatab@club-internet.fr

cliquer sur les photos

jeudi 2 octobre
- 9 h Accueil des participants
- 9 h 30 Andrée TABOURET-KELLER (Strasbourg) Eléments d'une étude comparative des nouages métaphoriques de "langue maternelle", "Muttersprache", "mother tongue", "rodnoj jazyk"
- 10h Christofer HUTTON (Hong-Kong) Linguistics and race theory in Nazi Germany: contradictory or complementary 'sciences'?
- 10 h 30 Pause
- 11 h Dan SAVATOVSKY (Paris) Philologie d'une nov-langue : V. Klemperer et la LTI
- 11 h 30 Carolina RODRIGUEZ (Campinas) La construction imaginaire de la nation paraguayenne par le discours sur le guarani langue nationale
- 12 h Repas
- 14 h 30 Hélène MERLIN-KAJMAN (Paris) La langue française sous la monarchie absolue
- 15 h Françoise DOUAY (Aix-en-Provence) Révolution française et rationalisation du langage
- 15 h 30 Alexander SCHWARZ (Lausanne) La linguistique du roi et du fou du roi (l'Allemagne au 18ème siècle)
- 16 h Pause
- 16 h 30 Jean-Jacques COURTINE (Paris) La police des mots : une dictature linguistique sans dictateurs
- 17 h Pierre CAUSSAT (Paris) Langue d'autorité et autorité de langue: relations croisées entre pratiques officielles (académiques) et théorisation linguistique (grammaticale)
vendredi 3 octobre
- 9 h 30 Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne) Le statut des langues en Iran : dispositions légales et pratiques linguistiques
- 10 h Gabrielle KLEIN DOSSOU (Perouge) De la langue ‘unitaire’ à la langue ‘autarcique’: le discours sur la langue pendant le fascisme en Italie
- 10 h 30 Pause
- 11 h Patrick SERIOT (Lausanne) L'impossible équation entre langue de classe et langue nationale dans la linguistique soviétique des années 1920-1930.
- 11 h 30 Katja VELMEZOVA (Lausanne) Nikolaj Marr et Josef Staline
- 12 h Repas
- 14 h 30 Alexandra GOUJON (Paris) Le discours sur les langues en Biélorussie à l'aune du populisme autoritaire du président Loukachenka
- 15 h Anatol LENTA (Chisinau) L'invention du moldave à l'époque soviétique
- 15 h 30 Mico SAMARA (Tirana) Sur la politique linguistique et le travail des linguistes albanais pendant le régime autoritaire (1945-1990)
- 16 h Pause
- 16 h 30 Michel DUBUISSON (Liège) Le pouvoir et la langue : le cas du latin 'classique'
- 17 h John JOSEPH (Edimbourg) Langue et contrôle de la pensée selon Orwell et Chomsky
samedi 4 octobre
- 9 h 30 Noura TIGZIRI (Tizi Ouzou) Les langues d'Algérie dans les constitutions algériennes
- 10 h Mehmet UZMAN (Ankara) The Sun-Language Theory : the Utopia of an Old Soldier
- 10 h 30 Pause
- 11 h Rabah KAHLOUCHE (Tizi Ouzou) Le berbère vu par le pouvoir algérien
- 11 h 30 Pierre LARCHER (Aix-en-Provence) Théologie et philologie dans l'islam médiéval : une relecture d'un texte célèbre de Ibn Faaris (Xe siècle)
- 12 h Repas
- 14 h 30 Discussion générale





RESUMES


— Pierre CAUSSAT (Paris) : Langue d'autorité et autorité de la langue : relations croisées entre pratique officielle (académique) et théorisation linguistique
L'hypothèse de départ sera celle d'une complicité tacite entre une pratique de la parole autoritaire (institutionnelle, émanant de celui qui a autorité pour la prendre et la proférer) et une théorie de la parole autorisée (établissement codifié des normes de la langue officielle, "nationale" – grammaires et dictionnaires). Il pourrait s'agir d'une même pulsion en deux versants complémentaires, se renforçant de cette division même. Cette hypothèse se laisse sans doute vérifier dans le cas paradigmatique de l'homo academicus combinant et unifiant en lui les deux faces : du théoricien et du praticien. L'academicus serait la figure emblématique de celui qui s'autorise de l'empire qu'il exerce sur sa langue pour imposer et justifier des normes langagières. Avec un bénéfice secondaire : la mise en question de la neutralité proclamée de la théorie "pure".

Jean-Jacques COURTINE (Paris) : La police des mots : une dictature linguistique sans dictateurs
Ne dites pas "gros", mais "lourd". Remplacez le mot "nain" par l'expression "personne de petite taille". Substituez à "l'homme de Cro-Magnon" "la personne de Cro-Magnon". Evitez, pour les mêmes raisons, le "bonhomme" de neige, du fait de ses connotations sexistes, les termes de "hutte" ou de "case", bien trop ethnocentriques, qu'il vaut mieux appeler "petites demeures". Veillez à ne faire aucune mention à l'existence des dinosaures: ceux qui ne croient pas à la théorie de l'évolution pourraient en prendre ombrage. Supprimez également la chouette, oiseau tabou pour les Indiens (pardon!... pour les américains d'origine...) Navajos. Et veuillez réécrire l'histoire intitulée "A Perfect Day for Ice Cream", puisque l'Etat de Californie interdit toute mention ou représentation de "junk food" dans sa littérature scolaire.
On pourrait penser qu'il s'agit-là d'un exercice d'inspiration oulipienne. Nullement. Cet ensemble de recommandations fait partie des standards désormais imposés aux éditeurs de manuels scolaires américains par les "comités sur les préjugés et les sensibilités" qui conseillent les autorités éducatives de chaque Etat. Ceux-ci s'empressent de les suivre, craignant les menaces de boycott des groupes de pression, de droite ou de gauche, qui promeuvent de telles normes. On s'interrogera à partir de là sur les origines, l'extension et les effets discursifs de la pensée dite "politiquement correcte" aux Etats-Unis, et plus généralement sur l'existence de dictatures linguistiques sans dictateurs.

Françoise DOUAY (Aix-en-Provence) : La rationalisation du langage pendant la Révolution française
La Grande-Bretagne non moins que la France unifie son système des poids et mesures à la fin du XVIIIe siècle et, pour les nouvelles nécessités du marché, l'impose au pays tout entier ; mais elle se contente de fixer la valeur désormais unique des mesures anciennes -pouce, pied, once ou pinte- et de stabiliser leurs rapports traditionnels, 12, 16, 18 ou 20. La France révolutionnaire connaît, elle aussi, ces deux gestes modernisateurs qu'elle appelle "uniformer" (réduire la variation, établir une nouvelle norme) et "universaliser" (imposer la généralisation de cette norme nouvelle) ; mais elle y joint en l'occurrence une troisième exigence : "régénérer" complètement le système en le fondant sur une nouvelle mesure, tirée non de la sphère humaine mais de la Nature, le mètre ( dix millionième partie du quart du méridien terrestre), qui sert de base au calcul, entièrement décimal, de toutes les unités de longueur, de volume et de poids (kilomètre, hectomètre, decamètre, mètre, decimètre, centimètre, millimètre ; 1 decimètre cube = 1 litre ; un litre d'eau pèse un kilog, etc...).
Les études consacrées à la politique linguistique de la Révolution française ont porté surtout -de Ferdinand Brunot à Renée Balibar et Brigitte Schlieben-Lange- sur l'uniformisation de la langue française (réduction des irrégularités et des variantes, explicitation d'une norme élémentaire) et sur son universalisation (généralisation de son usage en France au détriment des "patois"), en reprenant après l'abbé Grégoire le principe politique qui les justifie : que chaque citoyen ait concrètement accès à l'intelligence de la Loi et puisse participer à son élaboration, indirectement comme électeur ou directement comme élu. Replaçant les décrets et les projets touchant le langage en France -formes linguistiques et usages de la parole- dans l'ensemble des mesures culturelles prises, de 1791 à 1798, par le Comité d'Instruction Publique (également en charge des poids et mesures, calendrier et fêtes, bibliothèques et musées, système scolaire et instituts de recherche), je m'attacherai de préférence au troisième geste : fonder les nouvelles normes linguistiques sur de nouvelles bases, plus "naturelles" et plus "raisonnées".
Or parmi les trois grands points de vue théoriques sur le langage qui se trouvent alors en concurrence : modèle conflictuel voltairien, modèle fusionnel rousseauiste, modèle naturel-et-rationnel condillacien, il s'agira pour l'essentiel de ce dernier, et de son idéal du grammairien législateur, ordonnant une "langue bien faite". Nous en étudierons les effets à partir de quelques notions linguistiques précises très discutées à l'époque, comme "analogie", "acception", "détermination", "ordre naturel", "style laconique"... Assurément, elles confèrent aux énoncés l'énergique précision d'un verdict ou d'un mot d'ordre ; mais en mettant hors-la-loi le réel arbitraire de la langue et la liberté de parole.

— Michel DUBUISSON (Liège) : Le pouvoir et la langue : le cas du latin «classique»
La formation du latin dit classique, langue artificielle entre toutes, est un cas particulièrement clair d'étroite interaction entre langue et pouvoir. A partir du début du IIe s. av. n. è., la classe dominante romaine exerce sur la langue une action réfléchie et déterminante à la fois du point de vue externe et du point de vue interne. Du point de vue externe, le bilinguisme gréco-latin, encore généralisé dans la Rome de Plaute, sera désormais contrôlé de près et une forte pression sociale (à défaut d'une politique linguistique proprement dite) limitera l'emploi du grec à certains registres et à certaines circonstances. Du point de vue interne, l'évolution naturelle de la langue sera canalisée (mise en place, par exemple, d'une syntaxe rigide où le rôle du subjonctif devient déterminant) voire stoppée (consolidation du système morphologique, dont le déclin est momentanément suspendu). Il est amusant de constater que si le César homme politique met fin à la domination de l'oligarchie sénatoriale et ouvre la voie à un système largement nouveau, le César scriptor elegantissimus, autorité en matière de correction de la langue et de pureté du style et auteur d'un traité de grammaire, poursuit, lui, de plus belle les efforts de contrôle de la langue. Non content de s'ériger en censeur de l'usage (dans le De analogia), il prêche d'exemple en appauvrissant volontairement son vocabulaire et en accentuant la rigidité de la syntaxe (les fameux discours indirects du Bellum Gallicum). Il instaure ainsi une confusion des genres, entre autorité en matière linguistique et autorité politico-militaire, qui trouve encore des échos plus de deux cents ans après, chez les érudits et les grammairiens.

— Alexandra GOUJON (Paris) : Le discours sur les langues en Biélorussie à l'aune du populisme autoritaire du président Loukachenka
La fin de l'URSS et l'accès de la Biélorussie à l'indépendance ont permis l'émergence d'une nouvelle orientation en matière de politique linguistique à partir d'une loi sur les langues votée en 1990 qui assurait la promotion de la langue biélorussienne dans la société. Cette nouvelle orientation, chère aux intellectuels du pays, fut faiblement soutenue par les responsables du pouvoir exécutif issus principalement de l'ancienne nomenklatura communiste. Cette faible volonté politique conduit à une mise en application disparate et souvent arbitraire de la loi notamment dans les établissements d'enseignement et de recherche. L'élection d'Alexandre Loukachenka, député et directeur de sovkhoze, à la présidence de Biélorussie en 1994 conduit à l'abandon progressif d'une biélorussianisation difficile mais stimulée par quelques personnalités. L'exposé cherchera à analyser les raisons invoquées et les arguments utilisés par le président pour justifier cette nouvelle direction qui se traduit dès 1995 par l'instauration d'un bilinguisme officiel (accès de la langue russe au statut de langue d'Etat parallèlement au biélorussien) puis par la promotion de la langue russe au détriment de la langue biélorussienne. Le régime politique instauré par Loukachenka en Biélorussie est, en effet, animé par un populisme autoritaire qui s'appuie sur un discours russophile et slavophile hérité de la période soviétique (la supériorité de la langue russe par rapport à la langue biélorussienne ; la langue russe est la langue suprême des Slaves) et qui utilise l'idée de choix du peuple (référendum ; modes de scolarisation) et les pratiques linguistiques (données du recensement sur "la langue parlée") pour justifier la politique présidentielle. L'autoritarisme permet aussi de conforter l'image d'une langue biélorussienne assimilée à l'opposition, qui fait figure d'ennemi intérieur, et donc de montrer que son emploi peut être source de désordre social et de violence.

— Christofer HUTTON (Hong Kong) : Linguistics and race theory in Nazi Germany: contradictory or complementary 'sciences'?
A conventional picture of Nazi ideology views race theory as the dominant paradigm for understanding the nature and policies of the regime. While it is undeniable that ideologies of race were central to Nazism, the exact nature of the racial theories propounded in the Nazi era has been neglected in general academic discussions. This has led to a serious misrepresentation of the relationship of race science to Nazi practice, and to an oversimplification of the ideological basis of Nazism. In spite of the huge academic literature on Nazism, Nazi race theory remains ill-understood.
This paper investigates the relationship between theories of identity based on language and those based on race. Its point of departure is the categorical denial within academic race theory in the Nazi period of the existence of an Aryan race. Whilst the term ‘Aryan’ had wide currency as a racial category, for Nazi intellectuals, and in general within official discourse, it was emphasized that the term ‘Aryan’ referred to a language family and was not a racial category at all. Similarly, the German Volk was united by language and a shared historical mission, rather than sharing a single racial identity, though race was clearly relevant in defining the normative boundaries of the Volk.
In one sense, therefore, for Nazi theorists, categories of race and language were incommensurable. The racial hybridity of the German people led to anxieties about the possibility of intra-German racism, with some individuals identified as more ‘Nordic’ than others. Races arguably did not have coherent histories, nor did they form contemporary communities. Peoples or Völker by contrast had historical trajectories and missions, either benign or malevolent. On this model, the Jewish people constituted a Volk not a single race, but unlike the Germans, Jews lacked a mother-tongue, and thus formed an ‘unnatural’ community tied neither to territory nor language.
This paper aims to show how the notions of Volk and Rasse were reconciled in part within Nazi ideology as part of a discourse of superiority and historical mission; further, it argues that a focus on race theory alone cannot account for the genocidal policies of the Nazi state.

— John JOSEPH (Edinbourg) : Langue et contrôle de la pensée selon Orwell et Chomsky
Between the wars a widespread anxiety arose that governments were trying to control the minds of citizens through propaganda. This was a time when Freud’s notion of an unconscious mind was being diffused through popular culture, and also the time when radio began beaming disembodied voices into people’s homes. Many began to worry — as they still do — that the thought processes of ordinary people were being manipulated, particularly in countries like Britain where radio was a state monopoly. Proposed solutions were aimed at controlling linguistic output, usually through a combination of vocabulary reduction (as in Ogden & Richards’ Basic English) and elimination of abstractions (as in Korzybski’s General Semantics), so that the capacity of language to function as a tool of deception would be undone, or at least limited.
George Orwell, although initially attracted to such programmes, came to believe that they were fundamentally misguided. In Politics and the English Language (1946) he warns that if we refuse to deal with abstractions because their meaning is slippery, we lose our ability to recognise the danger of abstract ideologies like fascism. Moreover, if English were pared down to the form proposed by Ogden and Richards, far from making it impossible for governments to control the minds of their citizens, it would actually make it much easier. People would lack the vocabulary needed to think through what they are told, to put it into different words, to formulate arguments in opposition. (Orwell considers Standard English already to be a dangerous step in this direction.)
This insight became the basis for his creation of Newspeak, the re-engineered English of Nineteen Eighty-Four (1949). Its aim is ‘to make all other modes of thought impossible’. The hero of the novel, Winston Smith, comes to realise that the only hope for the future of humanity lies, not with the middle classes, whose minds are controlled by Newspeak, but with the Proles, who continue to use Oldspeak in all its unfettered slipperiness. That slipperiness is what makes freedom of thought possible, the freedom that makes and keeps us human and gives us such protection as we have from the control of Big Brother.
Although Noam Chomsky claims Orwell as one of his principal intellectual influences (along with Freud; see Barsky 1998), his own approach to linguistic mind control, as manifested in his voluminous writings on propaganda and ‘manufacturing consent’, is resolutely pre-Orwellian. The reason for this can be traced directly to his theory of language, in which interpretation is not an active cognitive undertaking, except in deviant cases. In Chomsky (1962), remembered mainly for its claim that speakers of a language possess infinite linguistic creativity, the point is made that grammatically well-formed sentences are ones which interpret themselves — the interpretation is generated by the grammar. The grammar can also identify ‘deviant’ sentences (like the famous Colorless green ideas sleep furiously) but cannot assign an interpretation to them; a hearer can only ‘impose’ an interpretation on such a sentence.
Linguistic creativity, in other words, lies exclusively on the production end of language; there is no room for creativity (in Chomsky’s sense) in interpretation. Language, as Chomsky conceives it, functions in exactly the way the Party aimed to have Newspeak work. Whatever one may think of this as a model of human language, it is, as Orwell realised, grossly impoverished as a basis for understanding how linguistic propaganda functions and how ordinary people resist it.

— Rabah KAHLOUCHE (Tizi Ouzou) : Le berbère vu par le pouvoir algérien
L'attitude des pouvoirs publics algériens à l'égard de la langue berbère a connu trois grandes étapes : la négation absolue, la folklorisation puis récemment sa reconnaissance en tant que langue nationale.
Cet exposé fera ressortir le lien entre la pression politique exercée par les militants de la cause, l'ouverture démocratique engagée à partir de 1988 et l'infléchissement de la politique linguistique nationale en faveur du berbère.

Gabrielle Brigitte KLEIN DOSSOU (Perugia) : De la langue ‘unitaire’ à la langue ‘autarcique’: le discours sur la langue pendant le fascisme en Italie
Pendant l’époque fasciste en Italie (1923-1943) le discours sur la langue se déroule essentiellement autour de trois questions liées entre elles:
1. comment créer une langue italienne ‘unitaire’ (unie ou unifiée)
2. comment obtenir une identification entre ‘langue – peuple – nation’
3. comment purifier la langue italienne des influences étrangères pour aboutir à une langue ‘autarcique’.
Ces trois questions sont considérées fondamentales par le régime fasciste pour réaliser sa politique de l’union nationale jusqu’à aboutir à l’autarcie.
La langue peut sans doute constituer un moyen puissant pour promouvoir une unification nationale, particulièrement en passant à travers l’expansion d’une même langue pour tous les citoyens. Comme, à l’époque, l‘Italie linguistique est encore assez fractionnée en différents dialectes et langues minoritaires, linguistes et personnages de culture (écrivains, politiciens, etc.) s’engagent dans des discussions essentiellement stériles et souvent contradictoires pour établir une norme linguistique qui puisse ainsi créer une langue unifiée, une langue unie (lingua unitaria).
Cette idée est développée dès les années 20, et sert au régime comme base pour justifier des interventions politiques d’abord contre les dialectes en général et contre les dialectismes dans la langue italienne.
Spécialement à partir des années 30 ce débat s’intensifie contre les langues minoritaires pour obtenir, ainsi, non seulement une unification linguistique mais aussi et surtout une identification entre langue, peuple et nation.
Cette idée de l’identité – historiquement non prouvable – entre langue, peuple et nation rejoint son apogée vers la fin des années 30 en se développant, au début des années 40, dans des interventions soutenues et financées par le gouvernement fasciste contre les mots étrangers (les soi-disants ‘exotismes’) dans un esprit d’autarcie linguistique.
En général, l’équation ‘peuple = nation = langue’ devait être assurée et vers l’intérieur et vers l’extérieur: vers l’intérieur contre l’usage, dans les situations publiques, en particulier des dialectes mais aussi du jargon et d’une soi-disante ‘langue moyenne collective’ (lingua media collettiva) et, finalement, contre les langues minoritaires existantes sur le territoire italien; vers l’extérieur contre les influences de langues étrangères.
En cela, les représentants culturels (linguistes et autres) ont massivement contribué a inventer des raisons pseudo-scientifiques pour définir une norme linguistique au soutien des raisons politiques du régime.

— Pierre LARCHER (Aix-en-Provence) : Théologie et philologie dans l'islam médiéval: une relecture d'un texte célèbre de Ibn Faaris (Xe siècle)
Le monde musulman médiéval est un univers dogmatique: on ne peut y penser ceci ou cela, on doit au contraire y penser ceci et non cela. Mais, comme dans les univers totalitaires modernes, ceux qui font profession de penser ne sont pas sans trouver des accommodements avec le dogme. C'est en ce sens que nous proposerons une relecture d'un texte célèbre, extrait du Kitaab al-Saahibii fii fiqh al-lugha du théologien et philologue Ibn Faaris (m. 395 de l'Hégire = 1004 de notre ère). Dans ce texte, Ibn Faaris donne la formulation définitive de la thèse théologique sur la langue coranique. Cette thèse se résume par une double équation : l'arabe du Coran = l'arabe du Hedjaaz (ou de Quraysh, tribu de Mahomet, natif de La Mecque, au Hedjaaz) = l'arabe le plus pur (al-lugha al-fushaa, nom arabe de ce que les arabisants appellent "arabe classique"). La première équation découle du texte coranique lui-meme, la seconde de la conception islamique du Coran comme "parole (éternelle) d'Allah". Elle ne reçoit pas d'autre justification chez Ibn Faaris que purement dogmatique (thème de l'"élection" d'un Qurayshite par Allah). Mais, aussitot après, Ibn Faaris explique que si la langue de Quraysh est la meilleure, c'est parce que, La Mecque étant un centre de pélerinage intertribal dès avant l'islam, les Quraysh ont pris le meilleur de chaque parler arabe ! Autrement dit, il voit dans la langue de Quraysh (et donc du Coran) ce que l'on appellerait aujourd'hui une interlangue. Ce qui n'est pas sans rapprocher, objectivement, la thèse du philologue médiéval de l'hypothèse la plus répandue chez les arabisants de la langue coranique comme une koinè.

Anatol LENTA (Chisinau) : L'invention du moldave à l'époque soviétique
Si l'on prend en considération la situation géo-politique a l'Est du Nistru (Dniestt) depuis 1924 jusqu'à nos jours, et aussi la portée de la pensée linguistique de cette époque, il est possible de diviser l'histoire de la langue roumaine (moldave) parlée dans cette région en trois grandes périodes :
I. Le moldave (roumain) de la République Autonome Soviétique Socialiste Moldave (RASSM).
La nouvelle République devait avoir sa langue à elle, différente du roumain.
a) l'alphabet russe à la base de la langue moldave.
b) la notion d'orthographe démocratique (L. Chior).
c) Ia. Cusmaunsa, L. Madan, P. Chior, leurs grammaires et essais d'orthographe.
d) Le roumain est la langue des bourgeois et des exploiteurs et n'exprime pas les aspirations du peuple qui construit une nouvelle société. Le moldave doit être la langue des larges masses laborieuses, donc, simple, accessible à tous, elle doit être l'expression de la nation moldave.
e) certains problèmes posés aux créateurs de la nouvelle orthographe : comment réunir en une seule forme d'expression écrite les variantes dialectales : linghii, limbii, lindjii, lindii ? Et la palatalisation, quelles formes écrites lui trouver ?
Le principe étymologique de l'orthographe et les chroniqueurs roumains Ion Neculce, Miron Costin, Grigore Ureche.
La nouvelle langue moldave ne devait pas aller trop loin de la langue des Moldaves de la rive droite du Nistru : l'alphabet latin (1932) et la politique expansionniste de l'URSS.
II. La langue roumaine dans la République Soviétique Socialiste Moldave (les années 1940 – 1990)
Les œuvres linguistiques de I. D. Ceban.
Quelques couches sont à déceler dans le vocabulaire de la langue roumaine parlée sur ce territoire :
1. Des soviétismes et des russismes : putiovca, staroste, dejurne, utrenic, comandirovca, etc.
Quelques exemples tires des dictionnaires russe-moldave et russe-roumain (parus à Moscou en 1954) :
Russe moldave roumain
kinobudka kinobutca cabina de cinema
buxgalterija buhalterie contabilitate
scripka scripca vioara
2. les calques du russe :
vsesojuznyj totunional
serednjak nijlocas
vseobschij totdeobste

Les mots roumains etaient bannis de l'usage, ils devaient être remplacés par des mots moldaves, les derniers «sont nouveaux et meilleurs» «sint noui si mai buni» : exemple / aratari ; sufragerie / mancatorie ; binefacere / ghinifacatorie ; unghi / ungher ; cravata / gitlegau.
III. La langue roumaine apres la chute de l'URSS.
L'indépendance de la Moldova et le passage à l'alphabet latin ont donné beaucoup de vigueur à la langue roumaine. Les mots «Roumain», «langue roumaine» ne font plus peur. La langue roumaine a vu élargir considérablement ses sphères d emploi. Petit à petit s'impose le concept de culture linguistique. Parler roumain signifie employer une langue soignée, c'est parler correctement sans russismes, régionalismes, c'est rendre sa pensée plus claire et plus nuancée.
Moins il y a d'arguments de nature linguistique a l'appui de la dite «langue moldave», plus acharnés sont ses animateurs à parler de son existence et plus irréelle devient cette invention soviétique de langue moldave différente de la langue roumaine.

— Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne) : Le statut des langues en Iran : dispositions légales et pratiques linguistiques
A part l’article constitutionnel proclamant le persan comme langue officielle, peu de textes de loi sont consacrés au statut des langues. Cependant tous les idiomes n’ont pas les mêmes latitudes et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes dans les instances de la vie sociale : presse écrite, radio, télévision, école, et ce, en raison des facteurs historiques : revendications linguistiques, situations acquises, etc.
Les notions de langue et nation étant étroitement liées, il en découle que d’une part, les revendications linguistiques sont inévitablement perçues comme menées indépendantistes ; et que d’autre part, la situation d’un idiome minoritaire est tributaire du traitement réservé à la communauté qui le pratique
Parmi les textes de loi, on considérera les bases légales de l’Académie de langue et lettres persanes dont l’un des objectifs est la persanisation du vocabulaire naissant (en sciences et techniques, notamment). Sous cet aspect, les rapports entre l’évolution du lexique et les changements dans les orientations et impératifs politiques semblent d’un intérêt particulier.

— Hélène MERLIN-KAJMAN (Paris-III) : La langue française sous la monarchie absolue
On explique d’ordinaire que, dès l’Ordonnance de Villers-Cotterets (1547) puis la création de l’Académie français (1634),  l’Etat français a fait abusivement de la langue l’instrument de son pouvoir. Mais pour arriver à une telle conclusion, il faut négliger un grand nombre de particularités de la configuration politique propre au XVIIe siècle. Sans doute la monarchie absolue est-elle un régime autoritaire: encore convient-il de préciser dans quelles limites doit s’entendre, ici, un tel adjectif. Sous sa version puriste et académique, la langue – théorie et pratique – n’a pas été une initiative de l’Etat, et les anti-puristes ne sont pas exactement des figures de l’émancipation: bien plus que leurs adversaires, on peut certainement les caractériser par ce terme d’«autoritarisme». L’usage-bon usage apparaît plutôt comme un foyer de liberté toléré par le pouvoir royal et la matrice probable de la société civile du XVIIIe siècle et de la future nation souveraine de la Révolution française.

— Carolina RODRIGUEZ (Campinas, Brésil) : La construction imaginaire de la nation paraguayenne par le discours sur le guarani langue nationale
L'objectif de ce travail est de présenter une analyse des discours sur la langue guarani pendant les dictatures militaires au Paraguay à partir des années 1940, en insistant particulièrement sur la dictature du général Alfredo Stroessner (1954-1989). Au cours de cette période on voit réapparaître certains discours de revendication nationaliste sur la langue, constitués à partir des premières décennies du 20e siècle dans le contexte des mouvements indigénistes latino-américains. Ces discours ont soutendu les formes institutionnelles de «promotion» du guarani, clairement opposées aux politiques officielles antérieures, qui avaient exclu la langue des institutions publiques et avaient toujours eu pour but de l'éradiquer, y compris de son usage informel et privé. On peut citer, entre autres, la fondation de l'Académie de langue et culture guarani, en 1942, et de l'Association des écrivains guarani, en 1950; l'introduction graduelle du guarani dans les écoles et les universités à partir de 1956; l'appui officiel à diverses publications qui promouvaient l'«acceptation» du guarani, comme par exemple la revue Aca'ê (1956-1961); la reconnaissance légale du guarani comme langue nationale dans la Constitution de 1967.
A partir des années 1950, la situation du guarani a fait l'objet de diverses analyses dans le domaine du bilinguisme, principalement en ce qui concerne les «attitudes sociolinguistiques». Il y a trois travaux classiques, qui font jusqu'à aujourd'hui référence sur le guarani : The Urbanization of Guarani Language. A Problem of Language and Culture (P. Garvin & M. Mathiot, 1956); The Social and Culture Status of Guarani Language in Paraguay (Jose Pedro Rona, 1966); National Bilingualism in Paraguay (J. Rubin, 1968). Dans ces travaux, les discours nationalistes sur la langue sont caractérisés comme l'expression d'une «attitude positive», qui indiquerait la fin du «préjugé classiste et colonialiste» à l'encontre des langues indigènes. Cette qualification s'étend aux politiques officielles dont ces discours font l'éloge, politiques présentées comme une reconnaissance de «volonté populaire».
Notre analyse a pour but de mettre en question cette façon de voir les choses. D'un côté nous montrerons que le nationalisme de ces discours sur la langue contient des éléments qui, constitués dans la tradition romantique, ont servi de support aux formulations dogmatiques, racistes et xénophobes de la seconde moitié du 19e siècle, matrice des nationalismes totalitaires ultérieurs. De l'autre, nous verrons que les travaux de sociolinguistique qui ont été effectués reproduisent de manière a-critique ce nationalisme, et, dans certains cas, le discours du parti politique qui soutenait la dictature du général Stroessner. Notre hypothèse est que ce problème trouve son origine dans le dispositif théorique qui est à la base de ces travaux, lui-même compromis avec le même nationalisme présent dans les discours analysés. C'est le cas d'un certain nombre de concepts élaborés par des auteurs commne Joshua Fishman, Uriel Weinreich et Paul Garvin, qui ont été utilisés dans les travaux sur le guarani pour légitimer, en dernière instance, les politiques de la dictature militaire.

Miço SAMARA (Tirana) : Sur la politique linguistique et le travail des linguistes albanais pendant le régime autoritaire (1945-1990)
Il n'est pas facile d'analyser et en même temps d'évaluer d'une manière critique dans une communication comme celle-ci toute la politique linguistique ainsi que le travail des linguistes albanais pendant une longue période de près de 50 ans du régime autoritaire en Albanie; c'est pourquoi dans cet' exposé je vais parler principalement sur la politique linguistique de ce temps-là seulement ou en général concernant la standardisation de l'albanais littéraire, en s'efforcant de découvrir la contenance, c'est à dire ses bases théoriques et philosphiques, comment elle s'exprimait et se manifestait ou bien comment cette politique s'appliquait réellement en pratique, quelle était la voie proposée pour résoudre le problème de la standardisation, en présentant brièvement quelques uns des résultats obtenus dans le domaine de la linguistique albanaise à cette époque. Ici je vais mettre en évidence aussi le rôle de E. Hoxha, comme leader du parti au pouvoir et promoteur de cette politique, son attitude personnelle envers la langue, la linguistique et l'édification du socialisme, comment il voulait se servir du résultat de la standardisation de la langue albanaise pour ses intéréts politiques, etc.

— Patrick SERIOT (Lausanne) : L'impossible équation entre langue de classe et langue nationale dans la linguistique soviétique des années 1920-1930
La linguistique soviétique des années 1920-1930 n'est pas un discours autiste, figé, coupé du monde, mais au contraire un vaste champ d'investigations et d'expérimentations, bigarré, contradictoire et paradoxal, où l'un des problèmes clés est celui du rapport de l'individu à la collectivité. Au nom du dépassement de la «crise» de la linguistique, de nombreuses tentatives sont faites pour passer de la «psychologie individuelle» à la «psychologie sociale», dans le cadre d'un sociologisme axiologique : tout ce qui est collectif est valorisé au détriment de ce qui est individuel.
Mais il y a plusieurs façons de construire la collectivité comme objet de discours. Le groupe peut être vertical : la nation toute entière, avec ses différentes classes, parlant de différentes façons la même langue, ou bien horizontal : une immense classe sociale (par exemple les prolétaires du monde entier, sans référence à l'appartenance nationale). Une troisième solution est l'émiettement extrême des groupes (on étudie alors la langue des paysans de tel village, la languedes artisans de telle ville, etc.).
De Marr à Staline, de Voloshinov à Danilov, plusieurs conceptions du rapport langagier de l'individu au groupe s'affrontent, parfois dans des débats violents, parfois dans le silence. Mais cette période crucialedu discours sur la langue en URSS présente l'intérêt de poser des questions fondamentales sur le rapport langue / société, langue / pouvoir politique, pouvoir et institutions linguistiques, et de déboucher ainsi sur une interrogation anthropologique fondamentale : tout groupe ne peut être groupe (et pas une collection d'individus) que par le lien — ténu ou fort, souvent plus hétérogène qu'homogène — d'une pratique : la langue.
Le moindre des paradoxes n'est pas que la dévalorisation de l'individu au profit du groupe dans le discours soviétique sur la langue à l'époque stalinienne ressemble à s'y méprendre à celui des grands intellectuels contre-révolutionnaires français (J. de Maistre, L. de Bonald) sur le même thème.

— Miguel SIGUAN (Barcelone) : La langue espagnole sous le régime franquiste [exposé annulé]
Bien sur, le régime franquiste avait une politique linguistique? C'était un régime totalitaire et fortement nationaliste qui mettait au premier plan l'unité nationale laquelle impliquait l'unité linguistique sur tout le territoire de la nation. Etant donné qu'en Espagne, depuis le Moyen-Age, existent d'autres langues que le castillan ou espagnol, le premier objectif de la politique linguistique franquiste était, sinon de faire disparaître ces langues, du moins d'interdire leur usage public et étant donné que dans beaucoup de cas un certain usage public de ces langues avait déjà une longue tradition, l'interdiction représentait une véritable persécution. Cette politique très dure des premières années du régime s'est adoucie avec le temps sans arriver à disparaître. Et l'un des changements plus forts qu'a signifié la fin de la dictature et la transition à la démocratie a été justement l'affirmation constitutionnelle du caractère plurilingue de l'Espagne.
Quant à la langue espagnole, la politique officielle au temps de Franco avait un double but, en plus de promouvoir sa connaissance et son usage. D'un coté maintenir sa pureté en luttant contre l'introduction de mots étrangers, et de l'autre maintenir sa correction en luttant contre les vulgarismes, le langage sale … Quant au modèle de langue préférable, on peut noter des tendances différentes. Dans les cercles idéologiques du "mouvement phalangiste", on propose un langage moderne, et précis avec des néologismes et métaphores qui reflètent le "nouveau style", par exemple par la fréquence de mots comme "hiérarchie" ou "vertical". Par contre dans les ambiances conservatrices, la pratique prédominante, on préférait un langage rhétorique et plutôt archaïsant.
Rien de plus facile que de mettre les principaux aspects de cette politique avec des manifestations semblables dans l'Allemagne nazie ou dans l'Italie fasc. Et même en Russie soviétique ; malgré le bilinguisme officiel des Républiques fédérées, on pouvait noter des attitudes chauvines en faveur de la langue russe.
De tout façon, il faut noter que l'identification entre régime totalitaire et imposition de la langue nationale n'est pas toujours vraie. Il y a des états démocratiques avec des politiques dures d'imposition d'une langue nationale unique. Et, en sens inverse, existent, spécialement dans les pays musulmans, des régimes dictatoriaux et totalitaires qui n'ont pas pour objectif l'unité linguistique. Le prestige de l'arabe comme langue de la religion et comme symbole de l'identité collective peut coïncider avec le fait que la population parle une autre langue et même plusieurs langues différentes.

— Alexander SCHWARZ (Lausanne) : La linguistique du roi et du fou du roi (l'Allemagne au 18ème siècle)
En tant que linguiste de l’allemand avec prédilection pour la linguistique textuelle et la linguistique historique, je me suis mis à la recherche du premier monarque allemand dont des propos sur la langue seraient connus. Je suis tombé sur Frédéric II, Friedrich der Große, de 1740 à 1786 Roi de Prusse, y inclus Neuchâtel prussien, qui est l‘auteur d’un pamphlet de 1781, intitulé De la littérature allemande. Reste à resoudre la question de la méthode pour aborder la linguistique d’un roi de l’époque pré-scientifique.
John Austin distingue trois genres de discours sur la langue qu‘il a baptisés locutoire, illocutoire et perlocutoire. Je peux, pour citer son exemple, me refèrer à un énoncé
Tue-la!
en disant de manière locutoire:
Il m‘a dit: „Tue-la!“
ou de manière illocutoire:
Il m’a proposé de la tuer.
ou alors de manière perlocutoire:
Il m’a persuadé de la tuer.

Austin part de l’idée que chaque énoncé peut potentiellement être commenté de ces trois manières, que donc l’objet du méta-, la langue, a ces trois aspects en même temps. Pour mon propos je vais me concentrer sur l‘exclusivité paradigmatique des trois types de méta. Pour ce faire je me base sur deux autres philosophes. Jürgen Habermas a fait distinction entre une manière de parler illocutoire qui favorise la communication, le commun entre les locuteurs, et une manière de parler perlocutoire ou stratégique qui cherche à s’imposer, à gagner le match de conversation. Peter Sloterdijk, quant à lui, n’utilise pas la terminologie d’Austin, mais oppose cynisme et kynisme de telle manière que le cynisme correspond parfaitement au perlocutoire chez Habermas tandis que le kynisme corresponde à une manière d’y répondre qui est ni le perlocutoire de Habermas parce qu’elle sabote le perlocutoire du cynique sans chercher à s’imposer ou à le remplacer, ni l’illocutoire parce qu’elle fait éclater le dialogue au lieu de vouloir convaincre le cynique d’abandonner son attittude perlocutoire. Cette troisième voie ne peut être que le locutoire, la langue locca, folle, la langue des fous.
Sloterdijk dans ses exemples rattache le perlocutoire aux dictateurs, Habermas attribue l’illocutoire utopique aux philosophes comme lui-même. Le sujet du colloque nous demande à nous concentrer sur le méta des dictateurs, mais en bon structuraliste je ne peux pas définir et décrire l‘un d’entre eux sans les autres, ni m’attendre à un fou rien que locutoire, à un philosophe rien qu‘illocutoire ou à un dictateur rien que perlocutoire.
Mon corpus se prête bien à faire valider ces cavéats. Le côté dictateur de Frédéric, pour l’impératrice Marie-Thérèse l’incarnation du Mal, est indéniable. En même temps, on l’a appelé le philosophe sur le trône. Le philosophe ne fait pas seulement partie de notre dictateur, il y avait aussi des vraies philosophes dans son entourage, dont Voltaire. Frédéric était en même temps le dernier monarque à tenir des bouffons ou fous du roi autour de lui, tout en se réservant le droit de les déclarer tels. Parmi eux on trouve des professeurs comme Gundling ou Fassmann, et des spécialistes de l’époque m’ont averti de ne pas oublier d’Argens ou Rousseau dans ce contexte. Les frontières entre dictateur, philosophe et fou sont donc floues. Nous ne pouvons qu‘étudier les textes pour arriver à des distinctions plus fiables.

Andrée TABOURET-KELLER (Strasbourg) : Éléments d'une étude comparative des nouages métaphoriques associés aux expressions "langue maternelle", "Muttersprache", "mother tongue", "lingua materna", "rodnoj jazyk".
Les expressions de cette liste se caractérisent par l'attribution du mot mère ou maternel à celui de langue, à l'exception de la dernière expression dans laquelle l'attribut de langue est la naissance, ou la lignée (rod).
L'hypothèse la plus évidente est celle de représentations sémantiques communes. Je me propose de la vérifier en distinguant le point du vue historique qui doit permettre de repérer et éventuellement de distinguer les constitutions sémiotiques et les filiations notionnelles de ces expressions, et le point de vue fonctionnel qui se propose de cerner les spécificités idéologiques actuelles de ces expressions dans les situations et les contextes de leurs emplois.
Les niveaux d'analyse suivant sont mis à profit : étymologique (qu'est-ce qui a été transféré, un signifiant? un signifié ?), sémantique (limitations et extensions éventuelles des acceptions sémantiques), sociolinguistique (formations identitaires, schèmes possibles de la mise en discours particuliers à chaque langue).
L'on remarque que les expressions relevées figurent dans le discours sur la langue tant dans les régimes autoritaires que dans les régimes démocratiques ; une hypothèse est formulée : quel que soit le type de régime, le domaine de la langue est par excellence celui où l'autoritarisme se manifeste, pour un ensemble de raisons institutionnelles liées un idéal, l'unité de l'Etat, unité juridique, administrative, éducative, principalement. Reste alors à préciser pourquoi et comment l'autoritarisme linguistique est exacerbé dans les régimes autoritaires.
NB. Il est possible que je doive me limiter aux trois premières expressions. Dans l'esprit du réseau que les participants devraient pouvoir former, je sollicite des réactions à mon argument.

— Noura TIGZIRI (Tizi Ouzou) : Les langues d'Algérie dans les constitutions algériennes
Il s'agira de parler de la problématique des langues dans les constitutions algériennes. J'essayerai de montrer le lien entre les différentes constitutions et les présidents qui se sont succédés en Algérie et comment un projet de société réfléchi pendant l'occupation française a été projeté en Algérie après l'indépendance sans tenir compte des apirations du peuple algérien. Je ferai aussi un parallèle avec la problématique des langues dans les constitutions marocaine et tunisienne.

Mehmet UZMAN (Ankara) : The Sun-Language Theory : the utopia of an old soldier
This paper is about the Sun-Language Theory, that appeared in the 1930s in Turkey. In the paper, it will be examined in the framework of two questions: What is the Sun-Language Theory, and in what kind of psychological and epistemological conditions it has emerged? The Sun-Language Theory, as a prolongation of Turkish History Thesis, alleged that the Turkish language was the ancestor of all of the languages. Some of those who suggested the theory traced the relations between other language families, such as Indo-European and Semitic, and searched the similarities between the languages of great civilizations, such as Egyptian and Sumerian. They blurred the differences from the great civilizations and highlighted the similarities, as most of the marginalized cultures do. The theory was suggested as a response to the theories of some European historians, anthropologists and ethnographers who described Turks as a yellow race. They tried to change this opinion referring to pre-Ottoman Turkish history, because the Ottoman Empire had collapsed and the Ottoman-Turk identity had lost its legitimacy. To refer to the past history is a common strategy in all of national movements; and so did they by invoking a brilliant history. Because it had emerged in the tensions between periphery and centre, dominant and recessive, prototype and copy, the theory had all the excessivenesses in itself. Because of its reactional nature, it was an exaggerated theory, and remained as uncompleted. The theory will be analysed surround these tensions, too. These tensions can be seen in the works and attitudes of theorists of the Sun-Language : they cooperated but also rivalled, imitated but also created, followed but also resisted.

— Ekaterina VELMEZOVA (Université de Lausanne) : Nikolaj Marr et Josef Staline
A l’heure actuelle, la plupart des historiens de la linguistique ont tendance à expliquer le succès du marrisme en URSS pendant plus de deux décennies par des raisons politiques. Dans les premières années après la révolution de 1917, N.Ja.Marr (1864/65-1934), tout en étant loyal dans ses relations avec le nouveau pouvoir, préférait s’en tenir à distance. En revanche, à la fin des années 1920, ses œuvres convenaient de plus en plus au pouvoir soviétique. Ses travaux écrits entre 1926 et 1928 abondent en citations des classiques du marxisme et en 1930 il prononce un discours devant Staline au XVIème Congrès du Parti communiste.
Tout comme le fameux culte de la personnalité, le « culte » du marrisme continua dans la linguistique soviétique pendant plusieurs décennies. La date cruciale en fut le 20 juin 1950, lorsque Josef Staline décida de participer en personne à la discussion linguistique entamée par le journal Pravda.
Les thèses principales de son intervention, aussi bien que celles de la « nouvelle doctrine du langage » (novoe uchenie ob jazyke) de Marr seront analysées dans une partie de l’exposé dans le but de répondre à trois questions principales :
1. Pourquoi le marrisme avait-il été bien accepté par le pouvoir soviétique dans les années 1920-1950 ? Peut-on expliquer la grande influence de Marr en URSS à cette époque uniquement par ses relations avec le pouvoir ? Il nous semble qu’il y avait d’autres raisons, beaucoup plus profondes que le conformisme politique, liées plutôt au caractère particulier du « paradigme » dominant dans les sciences humaines à cette époque.
2. Quelles pouvaient être les raisons principales de l’intervention stalinienne dans les discussions linguistiques en 1950 ? Plusieurs facteurs de la politique interne et externe sont à analyser.
3. Enfin, pourquoi étudie-t-on si peu le marrisme en Russie actuelle ? En associant un peu trop vite le nom de Marr à celui de Staline, les chercheurs semblent oublier que c’était ce dernier qui a mis fin au « culte de la personnalité » de Marr en linguistique.









Retour à la page "colloques" de la section de langues slaves de l'Université de Lausanne, option linguistique