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Colloque "Le paradoxe du sujet. Les constructions impersonnelles dans les langues slaves et romanes"
(IXème Karolakiade)


Lausanne, 11-13 juin 1998
Présentation


Actes : Table des matières

«Il va encore pleuvoir, le con!» (Coluche)


Le thème de la «construction impersonnelle» est vaste, il a fait couler beaucoup d'encre depuis longtemps. L'enjeu de ce colloque ne se réduit pas à présenter des descriptions de constructions impersonnelles dans telle ou telle langue, mais bien plutôt à examiner quel modèle de structure de la proposition semble le plus apte à rendre compte de ce phénomène complexe. On peut penser, par exemple, à l'opposition entre une grammaire de constituants immédiats et une grammaire de dépendance. On insistera particulièrement sur l'étude historique des théories sur la question (on peut s'interroger, par exemple, sur le succès du schéma aristotélicien Sujet / Prédicat et sa survivance dans de nombreuses grammaires soviétiques). On peut penser enfin à la grande charge de présupposés de la notion de «personne» en grammaire.
Ces questions rassembleront à Lausanne des linguistes de plusieurs pays, d'Europe occidentale, centrale et orientale, pour comparer leurs approches de ce problème universel à partir du matériau des langues slaves et romanes. Ce colloque prend la suite des «Karolakiades» qui se déroulent depuis une quinzaine d'années dans différents pays d'Europe à l'initiative de Stanislas Karolak, Professeur de linguistique romane à l'Ecole normale supérieure de Cracovie, en signe d'hommage et d'amitié.

Patrick SERIOT, Université de Lausanne
Alain BERRENDONNER, Université de Fribourg

Programme

Jeudi 11 juin (Palais de Rumine, salle du Sénat)
. Matin : Président de séance : Michel Maillard

— 9 h Accueil des participants
— 9 h 15 Allocution de bienvenue de Rémi JOLIVET, Vice-Doyen de la Faculté des Lettres et présentation des enjeux du Colloque par les organisateurs
— 9 h 30 René AMACKER (Genève) : L'explication «pragmatique» de l'impersonnel chez les grammairiens latins
— 10 h 00 Francesca GIUSTI-FICI (Florence) : Effacement / absence du sujet et fonctions du genre neutre. Quelques observations à partir des idées de A. Potebnja et de M.A. Peshkovskij
— 10 h 30 pause
— 11 h 00 Stanislas KAROLAK (Cracovie) : De l'énoncé impersonnel au syntagme nominal
— 11 h 30 Jacqueline FONTAINE (Paris) : L'impersonnel et le personnel défini, en particulier dans les phrases infinitives du russe contemporain
— 12 h 15 repas

. Après-midi : Président de séance : Alain Berrendonner

— 14 h 30 Lucyna GEBERT (Rome) : Les descriptions des propositions infinitives avec le nom au datif dans les langues slaves
— 15 h 00 Daniel WEISS (Zurich) : Le groupe prépositionnel ‘u + NPgén.’ en russe contemporain : une carrière remarquable
— 15 h 30 pause
— 16 h 00 Teresa MURYN (Cracovie) : L'impersonnel, la modalité et le SN
— 16 h 30 Nunzio LA FAUCI (Zurich) : Impersonnel et syntaxe non-linéaire: constructions existentielles romanes
— 17 h fin de la séance de l'après-midi


Vendredi 12 juin (Palais de Rumine, salle du Sénat)

. Matin : Présidente de séance : Dusanka Tocanac

— 9 h 30 André ROUSSEAU (Lille) : Les avatars du sujet dans les constructions impersonnelles (langues indo-européennes)
— 10 h 00 Irina VILKOU (Paris) : Impersonnel et repérages énonciatifs en roumain
— 10 h 30 pause
— 11 h 00 Gaston GROSS (Paris) : Un complément circonstanciel peut-il devenir sujet ?
— 11 h 30 Dusanka TOCANAC (Novi Sad) : Des verbes avalents aux constructions sans prime actant. Etude sur des exemples serbo-croates et leurs équivalents français.
— 12 h 15 repas

. Après-midi : Président de séance : Gaston Gross

— 14 h 30 Patrick SERIOT (Lausanne) : Structure de la proposition ou vision du monde? (Les descriptions du «sujet absent» dans les grammaires russes)
— 15 h 00 Tomás HOSKOVEC (Prague / Brno) : Constructions impersonnelles et constructions dépersonnalisées du point de vue de l'actantialité
— 15 h 30 pause
— 16 h 00 Alain BERRENDONNER (Fribourg) : Les passifs impersonnels en français : y reste-t-il des actants?
— 16 h 30 fin de la séance de l'après-midi

soirée : fête sur le Lac

Samedi 13 juin (Université, Dorigny, BFSH2, s. 2024)

. Matin : Président de séance : Stanislas Karolak

— 9 h 30 Alina KREISBERG (Pescara) : De la voix passive en polonais et en italien. Un essai de classification
— 10 h 00 Katja VELMEZOVA (Moscou) : La place de l'impersonnel dans la théorie stadialiste de N. Marr
— 10 h 30 pause
— 11 h 00 Michel MAILLARD et Elisete ALMEIDA (Funchal - Madère) : Quel(s) modèle(s) pour une description cohérente de l'impersonnel en français et en portugais? Approche synchronique et diachronique du problème
— 12 h 00 repas


. Après-midi : Présidente de séance : Francesca Giusti-Fici

— 14 h 00 Barbara WYDRO (Cracovie) : Les expressions avec la construction il y a
— 14 h 30 Marie-José BEGUELIN (Neuchâtel-Fribourg) : Classification des constructions en il y a
— 15 h fin de la séance de l'après-midi, bilan du colloque et discussion générale



Résumés des interventions

René AMACKER (Genève) : Y a-t-il quelqu’un dans la phrase ?
L’explication pragmatique de l’impersonnel chez les grammairiens latins
Contrairement aux Grecs, les Latins ont reconnu l’existence, dans leur langue, d’une forme verbale à la fois conjuguée et néanmoins dépourvue de valence (type curritur ‘il y a course’). Identifiant par ailleurs souvent les termes qui occupent les valences d’un verbe aux entités non linguistiques auxquelles ces termes renvoient, et les ‘personnes’ verbales aux individus déterminés qui sont impliqués dans l’acte de communication, les grammairiens latins ont désigné comme ‘impersonnelles’ aussi bien les formes non conjuguées (qui ne connaissent pas intrinsèquement la catégorie de la ‘personne’), tels les infinitifs ou les gérondifs, que les formes conjuguées dépourvues de valence (mais qui ont des désinences de ‘troisième personne’). C’est par là qu’on débouche sur la catégorie logiquement contradictoire d’‘impersonnel à la troisième personne’. Par-dessus le marché, l’extension de l’analyse dans trois directions nouvelles ajoute bien entendu à la confusion qui règne, chez les Latins, dans la matière considérée. Les trois nouveaux domaines sont les suivants : (i) la considération d’autres verbes ou d’autres emplois des verbes, notamment de ceux qui n’ont pas de valence au nominatif (c.à.d. correspondant au premier actant), tel pudet ; (ii) le recours à d’autres critères d’analyse, en particulier à l’exigence que le premier actant soit une personne réelle, ou du moins une entité considérée comme capable d’agir (qui conduit les grammairiens à considérer fit ut ‘il arrive que’ comme impersonnel) ; (iii) la ‘personnalisation’ syntaxique des impersonnels par un agent animé, par exemple curritur a me ‘il y a course de ma part’, ‘je cours’ (ce qui résulte d’une sorte de refus implicite de l’impersonnel). Dans tous les cas, les considérations pragmatiques (au sens large de ‘concernant l’acte et la situation de communication’) interfèrent avec les données grammaticales qu’elles sont censées expliquer. Tenter de tirer au clair les explications des Anciens devrait nous amener à prendre conscience de l’obscurité moderne de catégories telles justement que la personne.

Jacqueline FONTAINE (Paris) : L'impersonnel et le personnel défini, en particulier dans les phrases infinitives du russe contemporain
Définition de la phrase infinitive : c'est une proposition où l'infinitif est à lui seul prédicat.
C'est dans le cadre de ces phrases, plus particulièrement, que l'on tentera d'étudier les relations étroites qu'entretiennent, dans l'implicite, la notion d'impersonnel et celle de personnel indéfini, à une place syntaxiquement marquée. mais sémantiquement aléatoire.
La notion de personnel englobe celle de possessif.
A quelles conditions peut-on alors parler de propositions impersonnelles?

Lucyna GEBERT (Rome) : Les descriptions des propositions infinitives avec le nom au datif dans les langues slaves
Bien que les organisateurs désirent que «l'enjeu du colloque ne se réduise pas à présenter des descriptions de constructions impersonnelles dans telle et telle langue» je trouve utile d'analyser la structure des proposition infinitives avec le nom au datif en russe ancien et moderne (productive également dans d'autres langues slaves) et de confronter les description existantes dont la plupart sont tout à fait insatisfaisantes.
On va voir que les descriptions récentes fondées uniquement sur la structure superficielle de ces propositions n'arrivent pas à rendre compte de leur valeur sémantique. Ce n'est qu'en faisant appel à leur structure sous-jacente ( SN datif + (être)+ Vinf) que l'on arrive à l'expliquer puisque la séquence : SN datif + être peut être reconduite à une construction possessive. Comme il est bien connu, plusieurs langues différentes expriment la modalité à l'aide des expressions possessives; le passage de la possession à la modalité se vérifie à travers des étapes de déplacements sémantiques graduels.

Francesca GIUSTI-FICI (Florence) : Effacement / absence du sujet et fonctions du genre neutre. Quelques observations a partir des idées de A. Potebnja et de A.M. Peshkovskij
Etant donné que la pensée organisée est en soi-même discours (v. Humboldt, Potebnja), et que chaque catégorie de la pensée trouve dans la langue sa propre réalisation, Peshkovskij propose une discussion sur l'essence et les traits principaux des constructions impersonnelles, comme manifestations de la pensée non orientée sur l'agent, qui se réalisent dans l'impossibilité d'avoir un actant sujet en dépendance grammaticale du prédicat. Les arguments principaux de la discussion, sur lesquels insiste Peshkovskij, sont les suivants: 1. Relation entre constructions et verbes impersonnels; 2. Les constructions impersonnelles sont-elles le résultat d'un procès logique, qui porte à privilégier l'événement sur l'actant sujet, ou bien sont-ils des constructions nées comme impersonnelles? 3. Quels sont les limites à la formation des constructions impersonnelles?
Sur la base des observations de Peshkovskij, qui concernent la langue russe, je propose une réflexion sur l'universalité de sa conception.

Tomás HOSKOVEC (Prague / Brno) : Impersonnel et dépersonnalisation (potentialité slave, systématisation lituanienne)
Le cadre choisi est la grammaire de dépendance. Un système d'actants est présenté. L'impersonnel est un syntagme dont le verbe fini manque d'actant agentif. Ce verbe peut bien ne point avoir d'agentif dans son cadre de valence (ce qui est rare), ou bien la case de l'agentif reste vide. Si ce vide est compensé par la présence d'autres compléments facultatifs, on peut parler de dépersonnalisation. La dépersonnalisation peut concerner certains verbes seulement (exemples slaves, notamment tchèques) ou bien peut être systématiséàe en des schémas syntaxiques productifs (exemples lituaniens).

Stanislas KAROLAK (Cracovie) : De l'énoncé impersonnel au SN impersonnel
L'énoncé impersonnel s'interprète comme celui dont la structure formelle est adaptée au fait que le blocage superficiel d'une position le rend indisponible. Il s'agit de la position sujet considérée comme position thématique (au moins virtuellement) à laquelle il faut substituer une autre position avec fonction thématique.
Le SN équivalent à l'énoncé impersonnel ne marque pas l'impersonnalité par une transformation de structure. Le seul trait que l'on peut interpréter comme une trace de blocage de position, c'est l'utilisation de l'article indéfini. L'article indéfini marque effectivement un blocage ou une résorption de position. Comp. : On a menti -> un mensonge; On a violé une mineure -> un viol de mineure; On a volé des icônes -> un vol d'icône.
Mais il n'y a qu'une coïncidence partielle, sinon accidentelle, entre l'impersonnalité d'un énoncé et l'impersonnalité d'un SN, puisque l'article indéfini réagit à toute incomplétude conceptuelle d'une proposition (au sens logique du terme), et l'énoncé impersonnel en est un cas parmi d'autres.

Alina KREISBERG (Pescara) : De la voix passive en polonais et en italien. Un essai de classification
Si, d'après J.VEYRENC (1980), «La diathèse est une propriété syntaxique de l'énoncé: elle désigne la disposition du schéma actantiel qui caractérise un verbe donné dans un emploi donné (...), la voix se définit au plan de la morphologie: la voix est la diathèse grammaticalement marquée dans le verbe». Dans mon approche, la passivation est une transformation opérée sur le lexème verbal qui entraîne la permutation obligatoire de ses arguments, c.à.d. de la prédication causative (l'activité de l'agent) et de l'état résultant de l'objet (patient). La prédication causative, dont l'agent est l'argument premier, est reléguée aux présuppositions de l'état prédiqué et ne peut être repérée, en tant qu'élément périphérique, qu'à certaines conditions.
Or, parmi les langues slaves et romanes, le polonais et l'italien sont les seules qui disposent d'un riche répertoire d'auxiliaires passifs (byc//zostac : une espèce de couple aspectuel supplétif pour le polonais et essere, venire, restare/rimanere, andare, finire en italien) dont le choix est subordonné au caractère de la prédication effacée (ou reléguée à la position périphérique). A son tour, le choix de l'auxiliaire offre ou bloque la possibilité du repérage de la prédication causative.
L'objet de la communication est un essai de classification sémantique de structures passives polonaises et italiennes en fonction de la combinabilité du verbe avec des auxiliaires donnés.
-> J. VEYRENC (1980), «Diathèse et constructions pronominales», in: Etudes sur le verbe russe. Paris, Institut d'Etudes Slaves, p. 223-4.

Nunzio LA FAUCI (Zürich) : Impersonnel et syntaxe non-linéaire: constructions existentielles romanes
Le sujet de ma communication est la construction existentielle romane, telle qu'elle est exemplifiée par les propositions:
[1] a. Cè una soluzione (it.)
b. Il y a une solution (fr.)
Du point de vue de la syntaxe non-linéaire, la construction existentielle est un cas particulier de Nominal Union. Elle est la projection d'un noyau nominal, dont la fonction grammaticale est en même temps de prédicat et d'argument (en particulier, d'objet direct). En ce qui concerne spécifiquement les langues romanes, l'élément nominal ne peut pas figurer en tant que prédicat final d'un proposition finie, du fait de ne pas disposer d'une morphologie appropriée. Il reçoit donc un auxiliaire. Cet auxiliaire est considéré traditionnellement comme «le prédicat existentiel». Il n'en est rien. Dans les différentes variétés, son choix est déterminé syntaxiquement et obéit aux mêmes conditions syntaxiques du choix de l'auxiliaire perfectif. Parmi ces conditions, la nature impersonnelle de la structure propositionnelle joue un rôle très important, comme on peut le remarquer à l'aide de variétés romanes où le contraste entre construction personnelle et construction impersonnelle permet des observations morphosyntaxiques fines.

Michel MAILLARD et Elisete ALMEIDA (Funchal, Madère) : Un modèle nodal pour une description cohérente de l'impersonnel en français et en portugais
Une théorie de l'impersonnel qui se veut cohérente et applicable aux deux langues en question, mais aussi à beaucoup d'autres, présuppose une conception saine de la notion de sujet syntaxique. En philosophie, il n'est pas absurde de poser un sujet ontologique, vu comme support nécessaire des phénomènes — par exemple l'individu humain ou animal appelé ousia par Aristote et substantia par ses épigones latins et cartésiens — mais, en grammaire, on chercherait en vain un tel sujet substantiel. En effet, le sujet syntaxique n'existe pas en tant que substance — sinon par une confusion abusive avec la partie du discours appelée substantif (grec to ousiastikon) ou, pire encore, avec les référents substantiels, notamment humains, associés à cette classe de mots. Il n'y a donc pas lieu d'ériger un terme nominal dit sujet en constituant obligatoire de la phrase canonique, comme font les modèles de constituance en général, car cela n'est pas conforme au fonctionnement effectif des langues et autorise en français une assimilation abusive entre ce constituant mythique et le clitique il, simple flexif antérieur du verbe, incommutable, en toute rigueur, avec un GN, et très souvent dépourvu de contenu nominal.
Ce que recouvre le terme syntaxique de sujet, c'est une relation à deux termes, dont le substantif peut tout au plus figurer comme l'un des pôles. Pour éviter de substantialiser et réifier l'idée de sujet, il vaudrait mieux faire l'économie du mot et parler de relation subjectale entre groupe nominal et groupe verbal. Le premier groupe serait dit assujetti au second, c'est-à-dire sous sa dépendance. En effet, au plan du système, c'est le verbe qui commande. Qu'il soit seul ou lexicalement complémenté dans des constructions plus ou moins figées, c'est le verbe qui appelle ou refuse la relation subjectale et qui, dans le premier cas de figure, sélectionne le type de GN qu'il est à même d'assujettir. C'est seulement à une étape ultérieure que se pose le problème de la rection exercée par le terme assujetti sur le nœud ou groupe verbal dont il dépend et, partant, la question de l'accord du verbe avec ce GN. On voit qu'un modèle de dépendance est plus apte qu'un modèle de constituance à expliquer le fonctionnement des constructions subjectales et asubjectales des verbes, donc à intégrer la question de l'impersonnel.
Cela dit, il est une notion, associée aux modèles de constituance, qu'il ne faut pas abandonner pour autant, comme certains "dépendantistes", notamment Tesnière, ont tenté de le faire : celle de prédicat. Malgré la symétrie formelle du stemma tesniérien, il est clair que son premier actant — l'argument sujet — ne se situe pas sur le même plan structural que le deuxième et le troisième actants. C'est seulement quand le verbe est saturé par une complémentation et constitue un véritable bloc prédicatif qu'il peut exclure ou exiger un argument sujet et qu'il peut aussi, dans ce dernier cas, sélectionner le type de GN propre à assumer la fonction subjectale.
Il faut donc trouver un dispositif qui fasse la synthèse entre les modèles de dépendance et de constituance. On conservera des premiers l'idée d'un terme sujet facultativement subordonné au nœud verbal et des seconds le concept unificateur de prédicat, tout en refusant d'admettre la notion d'implication réciproque entre sujet et prédicat. Cela revient à dire qu'il existe des prédicats asubjectaux, donc validables sur autre chose qu'un sujet — par ex. un contexte situationnel. Il convient de reconnaître la réalité et la légitimité de ces prédicats dans une théorie englobante de la syntaxe, désireuse d'intégrer les processus impersonnels, au lieu de nier ou de minimiser leur spécificité, comme c'est souvent le cas dans les théories dominantes. Nous conviendrons d'appeler nodal le modèle de synthèse que nous proposons.

Teresa MURYN (Cracovie) : L'impersonnel, la modalité et le SN.
Les linguistes distinguent en général deux types de modalités : épistémique et déontique. La modalité épistémique vérifie la valeur d'une proposition selon les critères de vérité, la modalité déontique concerne le rapport entre l'agent et l'action à effectuer, se rapporte donc au prédicat. La première, qui prend un S pour argument, s'exprime par des propositions impersonnelles telles que il est vrai que; il est possible que…, tandis que la seconde est propre à une structure agentive où l'argument propositionnel est coréférent à deux prédicats impliqués. Il est intéressant de voir comment se réalisent les deux types de modalités dans les SN fondés par les noms dérivés à partir d'adjectifs modaux épistémiques et déontiques, d'autant plus que les deux se réalisent par la même forme nominale. Il faut donc se poser la question de savoir comment on peut faire la distinction, dans le SN, entre il est possible que et il a la possibilité de par exemple, et comment le SN rend le caractère impersonnel de la structure à valeur épistémique et le caractère personnel de la structure à valeur modale déontique.

— André ROUSSEAU (Lille) : Les avatars du sujet dans les constructions impersonnelles (langues indo-européennes)
L'impersonnel est bien représenté dans les langues indo-européennes anciennes (latin et hittite par exemple). Les langues IE modernes ont en partie seulement éliminé la construction impersonnelle : elle est encore très fréquente en russe, bien attestée en allemand (où l'on peut former de nouveaux impersonnels), assez peu présente en anglais et en français (ou ça lui donne une vigueur nouvelle).
Dans les langues IE anciennes, la construction impersonnelle, qui a sa raison d'être, correspond à 4 types spécifiques d'énoncés. Par la suite, les langues ont entrepris une longue reconquête d'un sujet, y parvenant par différentes voies. L'examen de ces processus variés permet de dégager des constantes à travers plusieurs langues.
Il reste finalement à s'interroger sur les raisons susceptibles d'expliquer pourquoi certains procès résistent au phénomène de la «personnalisation».

Patrick SERIOT (Lausanne) : Structure de la proposition ou vision du monde? (Les descriptions du ‘sujet absent’ dans les grammaires russes).
Il existe toute une lignée de grammairiens russe (Potebnja, Bogorodickij, Peshkovskij) pour lesquels les structures impersonnelles sont dérivées diachroniquement à partir d'une structure personnelle (à deux éléments), voire représentent un progrès par rapport à ces dernières. Il s'agit d'un évolutionnisme linéaire, qui établit un rapport explicite entre langue et pensée.
Au contraire, certains linguistes soviétiques des années 60-80 (Zolotova) s'attachent à montrer que les constructions dites impersonnelles (du type menja znobit, «j'ai des frissons», litt. «me frissonne») sont en réalité des structures personnelles (à deux éléments), où menja est un sujet à l'accusatif. Il s'agit d'un retour à la conception aristotélicienne de la proposition-jugement, du type canonique Sujet / Prédicat.
On comparera ces deux attitudes, en reconstituant leurs fondements épistémologiques, et en se demandant pourquoi les modèles de grammaires de dépendances (du type aRb) n'ont pas été utilisés.

Dusanka TOCANAC (Novi Sad) : Des verbes avalents aux constructions sans prime actant. Etudes sur des exemples serbo-croates et leurs équivalents français
En partant de la théorie de la dépendance de L. Tesnière et de son enseignement sur la valence verbale, seront soumises à redéfinition les constructions sans prime actant de type :
a) Hladno je / Ide se u bioskop - lesquelles se combinent, dans un autre contexte avec un tiers actant : Hladno mi je / Ide mi se u bioskop;
b) Strah me je / Muka mi je - lesquelles sous-entendent obligatoirement, suivant le contexte, un second ou un tiers actant;
c) Danas ima kafe / *Danas je kafa / Juce je bilo kafe - lesquelles, suivant le temps grammatical, se réalisent avec différents auxiliaires : imati / biti.
Il s'agit notamment de mettre en évidence la description des constructions «impersonnelles» en serbo-croate, et à partir d'une approche critique, d'en identifier la structure actancielle et les fonctions qui en découlent.

Katia VELMEZOVA (Moscou - Lausanne) : Les structures impersonnelles dans les théories de N. Marr et I. Meschaninov : de l'évolutionnisme à la typologie
Les structures impersonnelles être considérées comme un ‘miroir du développement’ de la linguistique soviétique dans les années 1920-1940? Marr développe une analyse du point de vue évolutionniste, en ayant recours à des notions telles que ‘préhistoire’, ‘mentalité archaïque’, ‘évolution de la pensée’… C'est une période de changements de paradigmes dans la linguistique, dont l'objet est de plus en plus mis en discussion, alors que la linguistique tend à se rapprocher d'autres sciences, comme par exemple l'anthropologie, autour du problème d'évolution de la pensée.
Pourtant, au début des années 40, le vent tourne : bien que les disciples fidèles de N. Marr (I. Meschaninov avant tout) s'acharnent à travailler dans une perspective évolutionniste, c'est la typologie qui peu à peu gagne du terrain. Meschaninov en vient à interpréter les structures impersonnelles d'un point de vue strictement typologique. Rien d'étonnant à cela : la période de crise en linguistique est passée, le paradigme ancien cède la place à un paradigme nouveau, à l'évolutionnisme et à la diachronie succèdent la synchronie, la typologie, le structuralisme.

 Irina VILKOU (Paris) : Impersonnel et repérages énonciatives en roumain
Imaginez un article scientifique de 14 pages d'un linguistique assez connu. Divisez cet article en deux parties égales, et comptez les constructions impersonnelles. Voudriez-vous en savoir plus si, comme par hasard, sur les sept premières pages vous en releviez presque sept fois moins d'occurrences?
Cette analyse se propose l'étude de l'impersonnel, en roumain, dans le cadre de l'Analyse de discours, par le biais de la linguistique de l'énonciation.
Dans la passionnante quête du sujet qui caractérise la réflexion des linguistes sur l'impersonnel, on essayera d'observer le sujet omniprésent — le sujet de l'énonciation — et ses tentatives de se «masquer».

Daniel WEISS (Zurich) : Le groupe prépositionnel ‘u + NPgén.’ en russe contemporain : une carrière remarquable
L'étude de l'impersonnel est étroitement liée à la notion du sujet grammatical. Or, comme l'ont montré les études typologiques des années soixante-dix, cette dernière n'est pas également valable pour toutes les langues du monde: à partir des langues avec préférence du sujet («subject prominent languages» d'après Li 1976) s'étend toute une échelle jusqu'aux langues avec préférence nette du thème («topic prominent languages»). Cela exige une approche qui fasse entrer en jeu un nombre considérable de critères hétérogènes caractéristiques pour un sujet, tels (d'après Keenan 1976) des critères d'encodage (cas, accord du prédicat, ordre des mots), de comportement syntaxique (par ex. contrôle des réfléchis ou du participe adverbial) et sémantiques (p.ex. référence, agentivité). En appliquant cette approche au russe contemporain, on constate que, grâce à l'abondance de modèles de propositions dits «impersonnels» celui-ci (surtout ses variantes familières et dialectales) occupe une position plutôt intermédiaire sur l'échelle «sujet — thème» et que le marquage du thème se fait en partie par les mêmes moyens considérés comme typiques pour le sujet grammatical. En outre, il s'avère que dans certaines constructions les critères keenaniens se trouvent dissociés. Tel est le cas des propositions existentielles du type "u X-a - Y" ("X a Y", litt.: "chez X est Y") ou Y peut passer pour sujet selon les critères de cas et d'accord, tandis que X possède au moins un trait syntaxique du sujet (contrôle des réfléchis); dans la proposition négative, cependant, Y perd son statut de sujet, la proposition devenant «impersonnelle». Ensuite, on examinera en détail si (ou plus précisément: dans quel sens) le groupe "u X-a" peut dans d'autres contextes exprimer l'agent, trait qui l'approcherait encore plus au sujet.
L'évidence fournie par les constructions analysées à ce propos (le pseudo-passif avec "u", le passif résultatif (statif), la menace réalisée par "u menja/nas" et, finalement, ce qu'on appelle le parfait possessif dans les dialectes septentrionaux de la Russie européenne) n'est quand même pas convaincante : dans la plupart des cas, l'agentivité du groupe nominal en question est inférée pragmatiquement.

— Barbara WYDRO (Cracovie) : Les expressions avec la construction il y a
La communication a pour objet les constructions en il y a, qui servent à introduire des événements (il y a de l'orage dans l'air; il y a de la bagarre), des états de choses (il y a du vol dans ce magasin; il y a de la volonté chez cet enfant), des propositions génériques (il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celui qu'on aime; il y a du charme à s'instruire) et d'autres.
Nous allons essayer d'interpréter nos exemples selon les principes de la syntaxe sémantique fondée sur le calcul des prédicats. Cette étude sera l'occasion de nous prononcer sur les différentes interprétations de la notion de sujet (sujet réel, sujet logique, sujet psychologique) ainsi que de souligner l'importance de l'analyse en division actuelle (perspective fonctionnelle) de l'énoncé.


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