Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Maya Chollet à Bishkek

Kirghizstan : destination inconnue…

 

Visites aux grands-mamans vivant dans la misère

Les valises sont défaites, il est temps de faire une rétrospective de mon extraordinaire expérience de six semaines en Asie centrale…Mais par quoi commencer ? Par les rencontres parce qu’elles sont peut être les plus représentatives des souvenirs que je vais conserver. De prime à bord, les kirghizes, (comme les russes d’ailleurs) se sont montrés méfiants et réservés mais il n’a pas fallu longtemps pour voir apparaître des sourires malicieux sur le coin de leurs yeux bridés à l’orientale. Je me suis alors laissée entrainer dans leur monde de bazars, de légendes et de croyances (surtout astrologiques), de couleurs et par-dessus tout de mélanges. Oui, je garderai surtout de ce pays un goût de panaché et de forts contrastes entre, d’un côté, le capitalisme dominant, les natels et les photos de top-modèles et de l’autre, la réalité des rues, dans sans-abris et de la malnutrition.

Bichkek, capitale du Kirghizstan, est une ville à deux faces et j’ai eu l’occasion de côtoyer aussi bien l’une que l’autre. Mon travail avec les orphelins ainsi que nos visites des grands-mamans vivant en-dessous du seuil de pauvreté, pour leur distribuer les dons d’une ONG, m’ont montré la cruauté de la vie où le système social n’en est qu’à ses débuts et où l’on vit encore de corruptions et de magouilles. Tout s’achète, du permis de conduire au diplôme de médecin en passant par le titre universitaire ou la clémence d’un policier.

Mais j’ai également parcouru dans tous les sens cette ville en damier dessinée (puis façonnée) par les européens, découvrant le « beau » côté des choses. J’ai été au karaoké, au fitness, aux supermarchés reluisants, au cinéma pour voir le dernier « Astérix », à l’opéra, (La Traviata en russe n’est pas mal du tout !), j’ai même essayé le ski. J’ai rencontré des jeunes dont les parents possédaient une voiture, symbole, là-bas, de richesse et de réussite sociale (ou de corruption…).

Contraste également… lorsque je voyais le bonheur simple des enfants de l’orphelinat, heureux comme des rois pour un bonbon, et l’indifférence des hommes d’affaire pressés…lorsque je voyais des mendiants sortir des bouches d’égouts par -15 degrés et des femmes en manteaux de fourrure choisir leur joailleries.

Et quel choc en visitant leurs hôpitaux publics, de vieilles bâtissent désaffectées aux vitres brisées, balayés par des courants d’air où il n y arien d’autres dans les chambres que quatre lits de camp. Imaginez qu’à 500m, vous pouvez aller au centre commercial (construits par de riches privés, souvent d’origine turque) où les toilettes sont nettoyées tous les quarts d’heure et où on vous vend du Vuitton dans des vitrines.

Quant à l’atmosphère ? Le premier mot me venant à l’esprit et « froid » ! Le jour de mon arrivée, le thermomètre indiquait – 20…J’ai cru que je prenais le premier avion pour retourner retrouver notre chaud petit Léman…Mais on s’habitue et on s’équipe à la kirghize : il suffit de ne pas craindre la technique de la « poupée russe » : on additionne les couches…Trois pantalons, deux paires de gants et chaussettes, six pulls, on s’enduit le visage d’huile et c’est parti ! Et dire qu’en été, selon la population locale, il peut faire jusqu’à 40 degrés et la ville est inondée par les jets d’eau !

A cause du climat, les rues de Bichkek sont comme des patinoires recouvertes de plus de 10cm de couche de glace, il faut donc aussi adapter son pas à cette surface plutôt instable. Combien de fois croyez-vous que je sois tombée ? Et comment parler des routes sans mentionner les marchroutkas (itinaire en russe)? Ces espèces de petits bus à numéros qui s’arrêtent quand on leur fait signe (tout un art pour qu’elles ne vous passent pas sous le nez et pour choisir la bonne !) et qui quadrillent toute la ville. Dedans, on est forcément écrasé contre quelque chose ou quelqu’un, on se tient courbé, on ne sait pas où on va et on peut être jusqu’à 30 (alors qu’il y a 14 places assises). On tend les 15 centimes que coutent la course folle directement au chauffeur, qui jongle entre les billets, les arrêts et le klaxon. Inutile de préciser que les accidents ne sont pas rares…un coup d’œil à travers le pare-brise morcelé suffit à nous le rappeler.

L’ambiance dans les villes est elle aussi fortement contrastée de celle des campagnes. Lors d’un week-end, j’ai quitté la civilisation stressée et le monde des feux rouges et des sacs plastiques pour aller vivre avec une famille traditionnelle à Kochkor (150km de Bishkek). Comme dans les autres villages, les gens sont occupés à élever des chèvres et des vaches et pratiquent une sorte de troc. En hiver ils vivent en plaine et en été au pâturage dans les fameuses yourtes. Les femmes tissent encore la laine pour fabriquer des Cherdaks (sortes de tapis). Moi je pensais à la vie ouvrière et moderne de Bichkek et mesurait le fossé entre ces gens, incapables d’utiliser internet et n’ayant pas tous le téléphone. La majorité des familles sont d’origine kirghize, avec tout cela que signifie : mariage à 17 ou 18 ans, peu d’éducation pour les filles et toujours beaucoup de soumission et de travail. Mais alors quelle solidarité, quelle complicité entre ces gens ! Ils m’ont réservé un accueil incroyable, préparés des plats ancestraux et appris l’art de la couture des tapis. (je n’étais pas très douée). A la fin de la semaine je repartais les bras pleins de cadeaux, un collier porte-bonheur pendait à mon cou et ils m’appelaient « nacha dotchka » (notre fille).

Après les gens et l’atmosphère, allons faire un tour du côté de la langue...Comme dans beaucoup de pays d’ex-URSS si la langue officielle est bel et bien le russe, le pays a une deuxième langue nationale: le kirghize. Les deux alphabets ne différent que de quelques lettres, par contre les mots sont complètement différent. En fait le kirghize s’approche plus du turc que du russe !  C’est la langue des bazars et des villages. J’étais au Kirghizstan pour deux raisons : le bénévolat auprès des démunis et l’apprentissage du russe. A coup de trois heures de cours de langue privés par jours, j’ai réussi à décrocher un certificat, apprivoisant de plus en plus ce langage que l’on croit inabordable. Il est merveilleux : plein de ressources, de mélodies et de structures. Mon seul regret était de ne pas avoir pu rester assez longtemps pour le parler couramment. Et du kirghize, je ne peux vous dire que « Rachmat » (merci).

Et puis parlons pêle-mêle de quelques traditions culinaires et autres spécialités kirghizes…Dans les bazars, on achète les brochettes de chèvres grillées par douzaines, ou de la salade préparée (parfois d’aspect suspect) et marinée que l’on vous déverse par gobelets dans des cornets en plastique. Il est impossible de visiter le Kirghizstan sans croiser au moins une fois les « ripiochkas », des pains-galettes cuits contre le rebord des fours de terre cuite dès 9h du matin. Souvent dans les rues, on croise des passants avec d’énormes bouquets de fleurs : les kirghizes aiment les apporter pour toutes les occasions accompagnées d’une énorme carte de vœux colorée. Si vous voyez quelqu’un avec un carton « haute forme » surmonté de ficelle en guise de ruban, c’est qu’il vient d’acheter une des spongieuses tourtes à la crème que chaque petit kiosque rouge (ayant la forme et la taille d’un container) propose. Parfois, il est difficile de dire depuis combien de temps elle trône dans la vitre… Une autre spécialité du Kirghizstan c’est le « trou dans la route »…ne riez pas ! De nuit c’est très dangereux ! (surtout vu le faible éclairage public). L’origine de ces trous ? En fait, les pauvres volent les couvercles des bouches d’égout pour le prix du métal. Enfin le tableau ne serait pas complet si je ne mentionnais pas le thé, je dois en avoir bu 100 litres, il coute 10 centimes au restaurant et on vous le sert soit vert soit noir avec un grand bol de sucre.

 

 

 

Un bref détour encore par la monnaie : là-bas, on paie en soms, par liasse de billets (les pièces n’existent pas). 100 soms valent environ 3.-. Les retraités touchent environ 20 soms par jour…pour vivre. C’est le prix d’un pain. Ils sont donc obligés de travailler pour joindre les deux bouts. Par contre pour un européen, le prix des choses paraît dérisoire, surtout celui des activités culturelles, pour que la population puisse tout de même y avoir accès. Mes séances de cinéma me coutaient 3.-, l’opéra au premier rang ? 2,50.- ! Et le plat de riz au restaurant n’atteint même pas 1.-. Pour acheter, ce n’est pas difficile, les magasins ne ferment jamais. La vie prend un rythme bien différent du nôtre…

Je ne peux pas continuer à décrire tout ce que j’ai vu et fait, il y en aurait pour bien des pages. Je voulais simplement en guise de conclusion parler de deux rencontres qui m’ont marquées. La première se déroule au milieu du bazar. Un vieil homme handicapé à la longue barbe et d’apparence misérable tendait la main. Je n’avais pas remarqué tout de suite qu’il mendiait et je lui ai demandé poliment si je pouvais le prendre en photo. Il était très content et a accepté sans rien demander de plus. Puis, sur un coup de tête, je l’ai invité à prendre un thé. On a été au restaurant tout près. Je lui ai tendu la carte et dit de choisir ce qu’il voulait, que je l’invitais. Il s’est mis à pleurer, il a dit qu’il en se souvenait pas depuis quand il n’avait pas été au restaurant. Il a mis longtemps à se décider, il ne voulait pas prendre de la viande pour pas que cela ne me coute trop cher ! Pendant qu’il buvait son « borch » (soupe traditionnelle), il m’a dit qu’il avait dû se faire amputer a cause d’un accident. L’opération lui a couté tellement cher qu’il a perdu sa maison et vivait maintenant…il s’est tu mais ses yeux parlaient à sa place. Quand je l’ai quitté, il a mis la main sur son cœur et dit simplement qu’il n’oublierait pas.

La deuxième rencontre est celle d’une petite fille de l’orphelinat, le soir du nouvel an que j’ai fêté avec les enfants. Alina a 8 ans, pas de papiers, pas de parents, pas de passé. En fait elle n’existait aux yeux de personne avant qu’on la ramasse dans la rue. Mais elle a des yeux vifs, elle est très intelligente et elle a toujours le sourire. Quand je l’ai vue dans ses vieux habits en train de nettoyer la cuisine, je n’ai pu m’empêcher d’aller lui offrir mon élastique pour les cheveux qu’elle regardait avec envie. Je n’avais rien de plus. Elle a rayonné de bonheur. Avec les éducateurs on a préparé le repas du nouvel an pour les 25 enfants du centre. Alina a confectionné un dessert avec 12 biscuits et 9 mandarines en imitant la présentation des mets de fête que l’on voit dans les publicités. Elle avait maintenant un avenir et elle savait faire de tout avec « du rien »… J’ai passé en 2008 avec la petite fille sur mes genoux, ses petites mains sur mon visage, sa tête sur mon épaule.

 

 

 

Le plus dur lors des voyages, c’est quand il faut dire au revoir. Les regrets du départ s’accroissent en fonction du nombre de connaissances et de rencontres…J’ai essayé de me souvenir des choses, des gens, des odeurs, des saveurs et des clins d’œil que m’a offert ce pays…Il est temps de fermer mon journal de bord, de réunir les photos et de vous offrir tout ce que j’ai vécu pour qu’à votre tour vous découvriez un peu ce mystérieux pays entre plaines et montagnes, entre joie et larmes, au cœur de l’Asie centrale…

Petit travailleur sur le bazar…