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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Sévine UZUN

Bakou et vie quotidienne

Salut les jeunes,              

 Alors s’il y a bien un exercice difficile, dans le metier, soyons fou, de rapporteur de vie bakinoise, c’est peut-etre bien de reprendre la plume.

En effet, quand tout n’est plus nouveau, tout est tout de suite moins marrant, moins surprenant, moins etonnant...Quoique, tout reste tres souvent deconcertant... 

Alors back dans les bacs, comme on dit chez nous. Enfin, comme ils disaient là-bas...Parce que oui, pour beaucoup, dès le moment où la distance avec l’Europe se chiffre en base 1000, les francophones deviennent tous frères. Alors si on s’étonne toujours du fait que je ne connaisse pas forcément le dernier film de..., ni par coeur les tubes des Béruriers Noirs, malgre tout, je suis consideree par mes congeneres francophones comme l’une des leurs et ce, meme si j’ai vraiment beaucoup de peine avec le rugby. Enfin, tout ca pour dire que les francais appliquent le principe de fraternité à la francophonie entière. Langue, donc culture, donc une nation...Pour le débat philosophique quant à la teneur du contrat social et de la définition romantique de la nation, vous ne m’en voudrez pas, mais je garde ça pour plus tard...

J’entends deja les mauvaises langues medire sur le fait que je passe mes samedis soirs avec des francais. Soit, c’est pas comme ca que je maitriserai les conditionnelles en turc. Quoiqu’on sait jamais. En fait, la raison est tres simple, c’est qu’il ne faut pas trop attendre d’un azerbaidjanais qu’il se transforme en roi de la fete. A moins qu’on organise un mariage chaque week-end...Mais en l’occurence, les mariages, c’est generalement le mercredi...Donc, c’est un peu raide. Apres oui, je pourrais sortir avec des ecossais et tenter par tous les moyens d’improver mon english...Certes...Pourquoi pas ?

Soit. Donc de retour à Bakou. Un retour un peu mitigé. Et c’est certainement tout ce qu’il y a de plus normal. Parce que oui, au premier jet, Bakou était une surprise totale, comme quoi, il faudrait peut-etre toujours partir, comme si les allers sans retours etaient plus sains, plus funs, plus marrants. D’ailleurs, je me suis bien gardee d’acheter un billet de retour...Mais ca, c’est une autre histoire. Bakou, en septembre, c’etait assez facile. Il suffisait de se dire qu’ils seraient tous des monstres sanguinaires pour que la realite apparaisse tout de suite plus douce. Or, voila, cette fois-ci, je savais que l’eau chaude n’existe pas dans mon appart, pour ne citer qu’un exemple. Une fois l’effet de surprise passé, on est plus enclin à la déception....Sans sombrer dans la tragédie voltairienne non plus, n’en déplaise à Maître Racine...

Enfin, là, je palabre, venons-en aux faits, autrement dit, les sujets qui fâchent ou les coups de gueule comme disent nos voisins au paysage géométrique, a savoir hexagonal.

Tout d’abord, l’arrivée. Une fois qu’on a éprouvé la chaleur et l’hospitalité azerbaïdjanaise, on s’en défait difficilement. Soit, il semblerait que pour eux aussi, l’effet de surprise était passé. En effet, le petit Metin, mon mini-colloc de 17 ans, ne pipa mot dans la voiture. A sa décharge, il était passé 4h00 du matin, lorsqu’on me ramenait de l’aéroport...Quant à la babushka, elle n’eut pas même l’idée de me proposer un verre d’eau, alors que la tradition voudrait qu’il y ait au moins un samovar de the et quelques confitures de figues... Ainsi, c’était donc ça, de passer du statut d’Invitée, avec un tapis rouge déployé un peu trop somptueusement, à celui de locataire qui donne pas même du fric. Et là, je n’avais encore rien vu. Car dès le moment où j’allais commencer à sortir, j’allais être à même de savoir qui est l’ennemi. En d’autres termes, moi. En quelques soirs, ou je n’etais meme pas rentree tard, je devenais en quelques sortes la femme a abattre, dans ma propre maison, qui d’ailleurs, comme on le soulignait, n’etait pas du tout a moi.  

Alors oui, terminée, les grandes discussions sur le sens de la vie à Varonej, terminés les thés à rallonge, quand on refait cuire de l’eau, terminé le fait qu’on propose un linge pour aller me doucher...Desormais, on coupe le gaz, quand je me leve, on cuit des oignons sous mon linge qui seche (oui, alors un peu d’imagination pour visualiser une corde a linge dans une cuisine, s’il vous plait) et la, je ne vous dis que les meilleurs moments de mobbing, version collocation.

J’étais passée d’invitée à colloc qu’on voulait pas forcément. Etonnamment, par contre,mes hôtes avaient pensé à acheter du papier de toilette et je dois dire que ça valait bien un ou deux samovars...

Si la vie domestique promettait d’être un enfer tout relatif, quoique pas forcément des plus funky, de mon côté, je prenais la ferme décision de me lancer à corps perdu dans divers travaux. Quitte à ne plus nourrir mon corps de qutab (crèpes) à la courge et à la grenade, je remplirai mon âme de tout ce qu’on voudrait bien lui donner.

Rapidement, il fallut se rendre à l’évidence, si les petits pains et le café trop sucré (les trois en un de nescafé) se chargeait de faire de mon ventre une sorte de bouée de sauvetage, ma pauvre tête ne tarderait pas à déperir. En effet, je ne donne plus que deux heures de cours et 60% de mes élèves désertent. Dire le chiffre en pourcent laisse augurer qu’ils sont nombreux, hein ?

Quant à mes cours en tant qu’étudiante...Je ne sais même pas si j’ose en parler. Mais le niveau de l’université est effarant. Ça, je m’en doutais et je crois l’avoir deja dit. Car, oui, j’ai déjà passé quatre mois ici. Alors je sais pas, aurais-je tellement progressé, que désormais je saisis toute la teneur en absurdité des cours de russe ? Ou peut-être suis-je trop exigeante....Quoiqu’il en soit, je ne pense pas que le fait de nous décrire ce qu’est un dictionnaire et son utilité soit vraiment un enseignement qui ait sa place, là où se retrouve l’élite (et quelle élite !) d’un pays. Mais c’est là un avis qui ne regarde que moi et mes attentes. Après tout, ici, le taux d’échec s’élève à peu près à zéro, ce qui permet à tout le monde de s’enorgueillir.

Tout ça pour dire que j’ai rapidement saisi que je n’allais pas tarder à sombrer. Et cette sensation, quand on est que dans la première semaine, c’est franchement pas encourageant pour la suite. Alors bien que je sois devenue la femme à abattre dans l’appart où je vis, il s’avère qu’on ne m’abat pas si aisément. Du moins, c’est ce que je m’obstine a croire...

Donc action, donc réaction. « Mens sana in corpore sano », qu’ils disaient. Si mon intelligence allait sombrer, je pouvais toujours essayer de reprendre le sport et l’un dans l’autre, corps et âme, finiraient bien par retrouver les voies de la sagesse.
Pour ce faire, passage obligé par l’aquapark. J’avais par ailleurs négocié en décembre qu’on reporte les deux semaines qu’il restait sur mon abonnement au mois de février, que le dit abonnement soit valable dès le 9, pour être exacte. Bien sûr, ce qui était possible sans aucun problème ne l’était plus...Pas si grave. Je m’y attendais un peu. Je repaie....Parce que le sport, c’est sain, ça donne tout de suite un sens à la journée, pour ma part, je me sens moins inefficace si j’ai fait quelques longueurs....Bref. Le sport c’est bien. Et puis c’est drôle de voir les papis du matin courir en tong sur un tapis roulant, le vieux à la moustache qui ne sait toujours pas plonger, les mères qui aident leur fille de douze ans à s’habiller dans le vestiaire, les femmes de ménage qui nettoient, récurent et balancent ensuite leurs cigarettes sur le sol...

Or, l’Azerjoban est un pays plein de surprises. L’inédit peut surgir de n’importe quelle banalité.

Et oui.

Quelle ne fut pas ma surprise, samedi matin - il faut dire que la salle de sport est avant tout ma salle de bain, donc, oui, le samedi et le dimanche aussi, quand il y a moyen, ça me plaît bien de prendre ma douche- lorsque qu’un gardien ne voulait pas me laisser entrer. Je demande une explication. Lui, limité par son mauvais russe tente vainement de m’expliquer : « piscine, incendie ». Moi, bloquée par ma non compréhension du jobanais, je décide de braver le barrage, parce qu’à ce moment là, ce n’est plus l’envie d’une douche qui guide mes pas, mais bel et bien une soif de logique... Une piscine qui brûle...Enfin, quoique, il y a une telle pollution, et il faut bien le dire, une telle salete, c’est finalement peut-etre mon droit a l’hygiene que j’essayais de sauver, sur le coup...Bref. Je m’en vais donc à la réception. Et oui.... « piscine, incendie »...Certes.

Ce qu’il y a de génial, dans tout ça, c’est que le sauna, au sous-sol était comme neuf  et qu’en guise de dédomagement, et oui....Deux jours après, je ne sais toujours pas vraiment ce qu’il s’est passé, mais la piscine est vide, le sauna est à nouveau payant et la salle de fitness utilisable, mais encore pleine de suie...

Malheureusement je n’ose pas me contenter de faire des journées sportives tout en me contentant de quatre heures de cours. Il est vrai que j’en ai un peu plus, mais j’ai décidé d’arrêter les cours de russe, sauf ceux que le doyen me donne à titre privé, et pour les cours de turc, je suis en pleine négociation avec la cancre qui sommeille en moi. Dans les deux cas, je crois que mon niveau, au combien excellent, qu’on n’en doute pas, a dépassé ce que les profs étaient en mesure de m’offrir. Certes, on me dira que pendant le cours, rien ne m’empêche de réviser discrètement mon vocabulaire. Histoire de rester diplomate, de faire bonne figure, de garder la face, en d’autres termes. Or, les rires des enfants me dérangent dans ma concentration, parce que c’est tellement gai, et de plus, la prof de russe vient toujours vérifier si je note bien tout : « l’adjectif s’accorde en genre, cas, et en nombre avec le mot qu’il qualifie... ». Du côté du turc. Moi, j’ai une télé, chez ma famille d’accueil....Et je crois que meme en Suisse, je dois pouvoir capter les chaines stanbouliotes...

D’ailleurs, pour marquer le coup du bon accueil, Hazad, rebaptisé roi des blaireaux, a voulu me prouver combien il s’était saigné aux quatre veines pour me recevoir au mieux. Monsieur a fait venir l’ingénieur, le Maître, et donc, le Câble. Et c’est rien que pour moi que monsieur a installé Cartoon Network et CNN. Puisqu’en Suisse, c’est quand même ce qu’on regarde, m’affirma-t-il fierement. Je tente un « mais ». Il me rappelle son expérience strasbourgeoise. Sévine est battue 1 à 0. Hazad restera ad eternam la définition de l’intelligence. Une sorte d’étalon de mesure.

Evidemment, comme je suis venue ici avant tout pour regarder la télé et parfaire mon anglais, je lui ai fait les remerciements d’usage. J’ai même hésité à m’incliner un peu, puis je me suis dit qu’il se douterait quand même, sait-on jamais, un éclair impromptu d’intelligence, que j’osais me moquer. Je garde donc ma réserve de courbette et mon trop-plein de déférence pour le mois de mai. La diplomatie est ma nouvelle ligne de conduite dans mes relations a autrui...Le cas echeant, je vais finir par pieger le manteau du pauvre homme.

Enfin, tout ce blabla pour en arriver à de grandes décisions. Tout d’abord, je ne compte plus retourner aux cours, enfin, dès le moment où j’aurais paufiner mon plan B et trouver la manière la plus diplomatique (oui, encore) qu’il soit d’en faire part à ceux à qui je ne dois finalement pas grand chose. Trop de risque que je ne contienne pas suffisamment ma déconcertation ou que je fasse une dépression. Du coup, je suis en pleine recherche active, depuis jeudi, d’un job.

Alors j’ai trouvé deux personnes à qui je donne des cours de français au black...Mais comme je veux améliorer mon karma, je cherche moyen d’entrer dans une association ou autres organisations à vocation humanitaire, histoire d’offrir un peu de mon temps à des russophones ou turcophones. Finalement, moi, tout ce que je veux c’est avoir la sensation que ce que je fais est plus intéressant que d’apprendre à décrire un dictionnaire et je vous passse le descriptif des series turques. Des grands moments de television...

Or, travailler gratuitement n’est pas si évident. Pour le moment je patauge. En effet, l’ambassade de France, à qui j’ai demandé des renseignements m’a dit d’aller voir mon propre ambassade, et ceux-ci de répondre de retourner demander aux voisins. Enfin, je crois avoir trouvé une interlocutrice.

Dans un prochain episode, je vous conterai les aventures de Jules Cesar et Gary Potter* a Bes Barmaq et autres aventures sur les routes defoncees d’Azerbaidjan...

Parce qu’avant tout, dans ce pays ou tout fout le camp, l’education, les logeuses et les piscines, si on fait preuve d’un sens du enieme degre suffisant...On rigole quand meme assez souvent.

 Bien à vous, les jeunes

 

*Noms d’emprunt…Tu rigoles!?