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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Sévine UZUN

La valise qui roulait sur ses roulettes

 

La fête du Ramadan a ses bons et ses mauvais côtés, pour l’étrangère que je suis. D’une part, j’aurais rêve ne jamais voir des peaux de mouton ensanglantées traînant dans la rue…D’autre part, le week-end prolongé, pour cause de festivités, était un bienfait non négligeable. Congé du lundi au vendredi…Alors j’ai voulu tenté une experience: vérifier si ma valise à  roulettes avait une âme de glob-trotter….

 

Avec ma copine Zeinab, talentueuse journaliste bakinoise, nous avions décidé de partir à Sheki, célèbre village, souvent surnommé “ Suisse miniature” par des autochtones qui n’ont vu de la Suisse que des cartes postales…Le site est sis dans au pied du Grand Caucase, non loin des frontières russes et géorgiennes, à environ 325km de notre chère Bakou.

 

Pour ce voyage, Zeinab m’a tout de suite dit qu’il nous fallait trouver des hommes pour nous accompagner…L’idee m’enchantait guère, parce que j’ai tout ce qu’il faut à la maison. Comprenant ma non motivation a chercher l’âme soeur à Bakou, elle m’a dit qu’une de ses amies, Gulay, une aventurière, nous accompagnerait. Celle-ci connaissait l’Azerbaïdjan comme sa poche, pour l’avoir visité, silloné et parcouru plus d’une fois.

 

Jeudi soir, donc, je préparais la valise à roulettes et peinait a m’endormir, tellement j’etais excitée des jours a venir…

 

Vendredi au réveil, j’apprenais par sms, un message d’au moins dix-huit pages que Gulay, la baroudeuse  s’était désistée pour cause de questions féminines. Le petit frère de Zeinab l’ayant appris avait décidé de prendre la situation en main. Il en fit part a l’autorité parentale qui régit la vie de ma journaliste…Celle-ci décréta que les “régions sont trop dangereuses” et donc ben ma Zeinab, du haut de ses trente ans se voyaient confinée chez elle, obligée d’abdiquer devant son père et son cadet.

 

Je jetai un coup d’oeil à ma valise, elle me fit signe qu’elle était prête, qu’elle avait sorti les roulettes de compèt’ et donc, nous décidâmes de partir que nous deux, coût que coûte. Advienne que pourra. Ma valise hormis les routes mal pavées qui handicapent un peu les roulettes…

 

Mais bon, en même temps, ces tracas avant le départ m’avait quand même un peu refroidie...Rien de mieux qu’un peu de musique pour relancer tout ça...Merci Joe Strummer et Tim Armstrong. Et me voilà qui dévalait l’escalier de notre « bloc », la valise dans les bras...On peut même dire que c’était un engouement sans précédent. 4 jours de vacances, une destination inconnue...Et je n’en étais pas encore sûre, mais je savais que je ne serai pas déçue...

 

Première étape, gare d’autobus du 20 janvier. C’est de là que parte les « grands bus » pour les régions.  

Là, les premiers “dangers” commencent. Déjà, il faut savoir que dans tous pays, sauf le nôtre, les marchés et les gares d’autobus sont souvent aussi animés que nos boîte de nuit. Pardonnez l’expression, mais c’est un joyeux bordel...En plus, week-end de fête oblige, je ne suis pas la seule à vouloir prendre le large. Du coup, ben on m’annonce que le bus est plein. Ça, c’était bien le danger dont on n’avait oublié de me mettre en garde.

Mais bon, quiconque à déjà tenté de trouver son bonheur dans une gare d’autobus digne de ce nom sait qu’il n’y a pas plus corruptible qu’un chauffeur de bus. Quand j’ai dit que je n’avais pas besoin d’un fauteuil pour aller à Sheki, ben la valise à roulettes a roulé jusqu’à la soute à bagage, pour se faire une place parmi les sacs en plastique et les pommes, tandis que moi, j’élisais domicile sur un escabot en plastique pour les six prochaines heures...

 

Et puis, j’ai misé sur la galanterie des azerbaidjanais…Celle-ci n’a pas fait défaut. On avait pas encore quitté Bakou qu’ils étaient six à me proposer leur siège, mais aussi leur numéro de téléphone. Alors j’ai pris les deux, sait-on jamais…Par contre, mon numéro à moi, je l’ignore et mon portable est toujours “momentanement en dérangement”…

 

6 heures de trajet, ça permet de se faire des “potes” et de collecter quelques infos utiles...Ce qui n’est pas négligeable quand on est sur le point de debarquer dans une ville finalement inconnue, qu’on m’a présentée comme dangereuse…

Ben mes nouveaux amis ne m’ont pas déçues. La technologie moderne (les portables) et la gentillesse azerbaidjanaise ont eu pour résultat qu’à peine arrivé, le pote d’un pote nous emmenait en lada, au pensionnat, ou une chambre avait été négociée  pour moi. Merci la vie. De la soute, ma valise atterissait dans un coffre, puis était portée et pas par mes frêles épaules, jusqu’à une chambre, ma foi un peu minable.

 

Deux lits, un pour moi, un pour la valise. Une grande armoire, une télé qui grésille et une salle de bain qui, je pense a du être lavée en 1958 pour la dernière fois…Mais bon, le jour où je voudrais du luxe, j’irai passer une semaine à Dubaï….

 

Première soirée vraiment sympathique, avec mes nouveaux amis et les amis de leurs amis, dans le restau où “ils font les meilleurs chachliks du monde”, quoique ce soir-là, y en avait plus! Il a fallu se rabattre sur le Piti. C’est bien sûr mes potes du moment qui ont suggeré ce plat national, réputé et super classe...En entrée, un festival de salade, avec mention spéciale pour la salade de fruits salés qui étaient la plus exotique de toutes celles que j’ai pu voir de ma vie. Concernant le Piti, je vous laisse imaginer. Et puis on sait jamais si l’un d’entre vous venait à Sheki, je préfère qu’il ait la surprise.

 

Après tout ça, les potes des potes de mes nouveaux potes m’ont raccompagnées à mon « hôtel ». J’adore la facilité de contact qu’il y a avec les azerbaïdjanais. En dix secondes, on a plus d’amis avec qui déconner qu’on a su s’en faire pendant une vie en Suisse. Il faut préciser qu’il était pas même dix heures le soir, mais l’amitié, aussi nouvelle soit-elle, a ses limites. J’ai préféré ne pas fêter notre rencontre à la vodka, parce qu’étant une des seules filles de sortie ce soir là, faudrait pas commencer à créer les « dangers des régions » moi-même.

 

La journée du samedi fut simplement superbe. Alors oui, peut-être que ce que je raconte paraît tout simple, sans rien de vraiment extraordinaire, mais finalement, je crois que c’est là la définition du bonheur. Rien de bien palpitant et d’extraordinaire, juste le plaisir de vivre, découvrir et sourire.

 

On peut résumer la chose ainsi, un petit matin arrosé de thé, dans le bistrot du quartier, des bons fous rires à regarder les ivrognes qui se déchiraient la gorge à la vodka avant même 8h30, des litres et des litres du breuvage sucré-citronné...Et puis des kilomètres à pied, avec  une halte tous les dix mètres, parce qu’il fallait absolument que je goûte le Halva de la boutique, ensuite il fallait comparer avec celle d’à côté, puis regoûter pour mieux trancher. Seki, c’est avant gastronomique, mais c’est du lourd...

 

Histoire de digérer cette matinée, petite balade dans les hauteurs de la ville, passage obligé au Caravanserails et au palais de bois d’Hussein Aleyan, histoire d’admirer l’artisanat des fenêtres en croisillons de bois. C’est un peu magique, c’est un enchevêtrement de plaquette de bois qui forment comme une grille. Le tout tieni sans clou. Ça s’appelle Shebeke. C’est ce qu’on voit sur la façade. A l’intérieur, c’est des vitraux. La visite faut le détour rien que pour  le discours du guide qui se résume à peu près à « donc, là c’est des peintures, et là, ben...aussi ». Et sans vouloir faire la maline, moi qui suit zéro en art, j’aurais pu faire une dissert d’à peu près vingt-huit pages sur le détails des fresques qui ornent tous les centimètre carré des lieux...Mais bon, j’aime autant qu’on ne se perde pas dans les détails et que les guides aillent à l’essentiel, parce qu’effectivement, c’est des dessins, qu’on peut voir à l’intérieur.

 

Plus tard, j’ai adoré me perdre dans le bazar de Sheki...Il est étonnament plus foufou que ceux de Bakou. Ca doit être l’air de la campagne. On y trouve à peu près tout, maison de thé bakhlavas, chaussures, farine, légumes et bien sûr, les indispensables Cin/Sim cartes, le propre de tout azerbaïdjanais qui se respecte. Petit bémol sur la viande et les produits frais...Le soucis, c’est justemetn la fraîcheur. A chaque fois ça me fait sourire. Ça me rappelle mes semaines dans un supermarché où ma collègue hurlait en invoquant la « chaîne du froid »...Vous m’aurez comprise. Enfin bon, tant que je suis pas malade, j’essaie de me convaincre que les yeux vitreux d’un poisson était peut-être complétement différent, si j’étais passée quelques minutes plutôt et que je l’avais regardé d’un autre oeil.

 

Le seul « danger » des marchés shekinois, c’est peut-être la monnaie. Ils comptent en Sirvan, l’ancienne monnaie du pays. Et donc, à priori, ça surprend. Parce que si 1 manat vaut 1,40 CHF, le sirvan, lui, comporte encore quelques zéros, qu’en plus, on ne dit pas...Ce qui du coup, rend la négoce plutôt compliquée, même s’il s’agit d’acheter trois bananes...J’aurais peut-être du parler en dollars, comme beaucoup me le proposait.

 

Et puis la journée s’est terminée de manière assez classique, pour quiconque vient se balader dans les parages. Je suis allée à Kis. Ce village doit être aux légendes azerbaïdjanaises ce que Döfli est à notre Heidi nationale. A nouveau, les routes sont de terre et de pavés mal posés. Les maisons sont en briques avec une palissade pour cacher leur beauté...Là encore, j’ai à peine eu le temps de visiter l’endroit qu’il a fallu s’installer, discuter, boire un thé. Et comme bien souvent la nourriture est elle aussi à l’honneur, puisqu’il semblerait que dans ce pays, il soit impossible de boire sans manger...Omelette verte et compote (jus de mûre frais).

 

Enfin, avec encore de nouveaux amis, on a improvisé une randonnée en forêt, sur les flancs des impressionantes montagnes. Mi-octobre, c’est encore l’été à Bakou, la chaleur est lourde est étouffante...Mais cette fois en-dessous de la barre des trente. A Seki, il fait plus frais et le Caucase  a revêtu ses plus belles parures automnales. Marcher dans cette forêt, laisser la montagne me toiser par sa grandeur, c’est un peu donner sens à la littérature russe, c’est saisir une partie du mythe caucasien, sans jamais pouvoir vraiment le comprendre, puisque c’est avant tout lui qui nous domine.

 

La route pour redescendre à Sheki est belle aussi...Je me suis laissée entraîné par un troupeau de chèvres et de moutons...J’ai pas mal parlé avec le berger. Du coup, je suis devenue experte en couvre-chef en peau de bête. Mais je suis pas sûre d’avoir tout compris. En effet, mon ami le pasteur n’avait certainement pas les moyens de se faire une bouche pleine d’or, comme beaucoup ici, Joe Starr n’a qu’à aller se rabhiller...Et donc, du fait de ses gencives un peu trop présente dans son appareil articulatoire, ben sa conversation, pour mes oreilles de novices, n’était pas des plus simples.

 

Soirée thé, bien sûr...Comment y échapper ? Le gérant de mon hôtel m’a fait un petit cours de sociologie, dont je vous livre le meilleur passage : la femme occidentale fait fausse route. C’est parce qu’elle a trop de liberté qu’il y a tant de divorce. A bon entendeur.

 

A l’aube, le lendemain, ma valise m’a fait comprendre qu’il était temps. Je savais que les microbus, ceux qui prennent la route des montagnes quittaient le village très tôt. Contrairement au « grands bus », qui partent plus tard et traverse la plaine désertique. Alors, histoire de changer, j’ai opté pour le petit matin. La valise à roulettes est donc sortie de sa cachette, sous le lit et s’en est allée dans la nuit. Les pavés de Sheki l’ont malmenées. Du gravier s’est coincé dans ses roulements, des feuilles entravaient le mécanisme...La valise allait déclarer forfait quand un vieil homme a stoppé sa voiture et a décidé de nous amené à la gare d’autobus. Bien lui en appris, car la vilaine, n’était pas si près que mes souvenirs me le suggéraient.

 

Une fois de plus, l’avtovokzal a rempli son contrat. Animation au rendez-vous...Le chauffeur et son « assistant » faisait la causette avec des amis et bien sûr prenaient un air sérieux et stressé quand je leur demandais si c’était bien mon bus. Ça, c’est la bonne blague, quand on sait combien l’horaire peut être aléatoire....D’ailleurs, on m’a même dit qu’il fallait tout de suite jeté ma cigarette, on a lancé la valise dans le véhicule et on est parti illico. Or, 200 mètres plus loin, on s’arrêtait. Il faut croire que notre chauffeur n’avait pas fait le plein de nicotine, parce qu’après pas même deux minutes sur la route, on faisait un arrêt cigarette.  Moins d’une heure après le départ, on décrétait tous ensemble que le bus était fumeur. Ça nous ferait peut-être gagner du temps sur l’horaire...

 

Le paysage, bien sûr, était incroyable.  Lever de soleil dans dans la plaine lointaine et la montagne flattée qui rougit...

 

Et puis l’ambiance dans le bus était incroyable...L’autoradio diffusait la magnifique musique locale. Elle est facilement reconnaissable, puisqu’on entend à chaque refrain le nom du pays. L’anecdote assez marrante de ce trajet c’est que  mon meilleur du moment a vu mon Ipod. Alors bien sûr, ce féru de technologie s’est empressé de m’exhorter à lui envoyer quelques chansons, par Bluetooth, évidemment....Etonnament, les gens des régions sont donc plus « in », technologiquement parlant, que je ne le serai jamais. Parce qu’entre mon portable 1ère génération et mon Ipod à deux balles, pas de bluetooth...Histoire de sauver la face de mon bout d’occident, je lui ai fait écouté un peu de musique...Noir Désir semble lui avoir beaucoup plu.

 

Quelques heures plus tard, après plus litres de thé...Nous sommes arrivés à Bakou, place du 20 janvier, là où tout avait commencé. Alors on se promettait de se revoir au printemps, quand j’aurai l’occasion de retourner à Sheki...Inch Allah, comme on aime à le dire, dans les environs.

 

La valise à roulettes a donc roulé jusqu’à notre blok...Elle était bien moins fière qu’au départ. C’est peut-être là le danger des régions. Ni asphalte, ni bitume...Alors c’est promis, petite valise, au printemps, je prendrais un sac à dos.