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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Sévine UZUN

20 nov. 2007

Petites chroniques d’Azerbaïdjan

 

Dans le long fleuve tranquille de mes péripéties azerbaïdjanaises, nous nous étions arrêtés, cher lecteur passionné, à l’inconfort des toilettes, turques, vous l’aurez compris.

 

Aujourd’hui, je vous propose quelques anecdotes socio-ethno-culturelles tout aussi alléchantes...

 

Quelques banalités sur le peuple

 

Tout d’abord, qu’est-ce qui fait un vrai azerbaïdjanais ? Parce que bien sûr, le rêve, quand on vit quelque part, qui n’est pas chez nous, c’est de se mêler à la foule...Et bien autant dire que c’est impossible de se faire passer pour l’un d’entre eux. Pour le caractère, ce n’est pas dans nos habitudes d’être aussi altruiste. Jamais dans le métro, personne ne m’a proposé de porter mon sac (où il y avait au moins deux Ожегов). Personne non plus ne m’a laissé sa place et il est bien rare qu’on m’accompagne à bon port, en voiture, qui plus est, quand je demande où est exactement l’arrêt de bus. Nous resterons toujours bien plus individualistes et surtout, nous ne « voulons pas déranger ».

Par contre, autant briser le rêve tout de suite, la perfection n’existe pas, du moins pas là. Concernant certaines manières, autant dire qu’ici, on est souvent déconcerté.

Messieurs tout d’abord, pour passer pour un autochtone, il vous faut un costume trop large et trop grand. Que ce soit jour de fête ou non. Des souliers pointus, une barbe si vous voulez aller à la Mosquée. Parler en Shirvan (un peu comme un français qui parlerait en anciens francs), et vous mouchez dans vos doigts. Et surtout, ponpon sur le bonnet, crachez parterre à tout bout de champ, ça sied tellement bien au costume...

Mesdames, votre maquillage doit être encore plus outrageux que ceux des samedis soirs les plus fous. Ensuite, quand dans le Cosmo de ce printemps, on vous parlait « d’une petite touche de léopard », sur un accessoires, comme le sac à main, ici, les plus in se déguiseront en panthère...Et puis bien sûr, vous passerez votre vie perchée sur des hauts talons, peut-être tout simplement parce que ça fait sourir les fesses. Le mouchoir vous est aussi interdit, si rhume il y a...Par contre votre élégance vous fait utiliser vos doigts de manière bien plus discrète...Plus classe quoi...

 

L’uni, quand même

 

Deuxième rubrique, Ô combien intéressante pour les étudiants que nous sommes : L’université. Du fait qu’en Azerbaïdjan, il n’y a pas de lycée, vos camarades de classes ou vos élèves, ont une jolie moyenne d’âge de 17 ans et rares sont ceux qui, à 24 ans traînent encore à l’uni. Alors bon, déjà que j’étais une vieille fille, parce que je suis pas mariée et que je n’attends pas mon quatrième enfant, désormais, je suis aussi une attardée, qui a une peine certaine à finir ses études... Non, en fait, c’est pour ça qu’ils croient tous, malgré mes multiples explications, que je suis en plein doctorat, ou alors que je fais un stage, avant d’aller enseigner le russe dans mon pays. Bien d’autres versions entourent encore le mythe « Sévine, suissesse en Azerbaïdjan », mais ce sera pour plus tard.

Enfin, l’uni. Ce sont des enfants. Des poussins. A qui il faut dire « prenez un stylo, écrivez ». Et moi, je suis la prof la plus hard de tout l’établissement, parce que je « parle » ma leçon de français, je ne la dicte pas. Et quand je dicte, je dicte en français, sans dire toutes les lettres...OUOUOUOUOUHHHHH ! Mais bon, mon équipe d’ânes, après deux mois, commence enfin à différencier le « je » du « tu », je reste donc pleine d’espoir.

L’autre grand fossé entre leur système scolaire/universitaire et le nôtre, c’est qu’en Azerbaïdjan, on n’ apprend pas à penser par soi-même. On apprend par coeur des livres. Et franchement, il faudrait les voir, réciter quatre ou cinq pages d’un coup...Donc, bon, moi, flemmarde, blaireautte et pleine de mauvaise volonté, j’ai dit que mon cerveau était déjà trop vieux pour me faire quatre pages d’un coup, en turc....Et heureusement, du fait que je suis « vieille », ici, on m’a autorisé à résumer plutôt qu’à réciter ! Enfin, tout ça pour dire que les rares explications de texte que j’ai fait faire à ma classe de français ont été un échec total. Parce que dans une explication de texte, on répond à une question, on ne vomit pas le bouquin....Soit, dorénavant, je leur fait apprendre du voc par coeur, ce sera toujours plus utile qu’un texte qu’ils ne comprennent pas.  

Il faut quand même mentionner, par contre, qu’à la sortie de l’université, le niveau est assez bon. Ceux qui ont appris une langue la parlent, ceux qui ont fait de la littérature, savent tout ce qu’on leur a dit de savoir sur Virgile, Dante ou Homère. Sans aucun recul, mais bon, après tout, ils savent l’essentiel, pour en mettre plein la vue à leur expert, à l’examen, qui de toute façon, n’en sait pas beaucoup plus, du fait que lui aussi sort de l’uni, et que donc, ben voilà !

 

Sinon, je tenais quand même à prévenir les étudiants qui souhaiteraient venir faire un mémoire à Bakou. Alors c’est très sympa, mais c’est pas toujours facile, surtout si vous avez une tendance nerveuse d’ulcère à l’estomac....Le premier conseil que je peux vous donner et de prendre votre propre ordinateur. Le second conseil serait de le faire réviser avant de venir, histoire qu’il ne vous lâche pas, après trois semaines de vie bakinoise. Le traître. Parce que même si les magasins et réparateurs sont légion, dans cette contrée, leur talents semblent inversement proportionnel au nombre d’échopes. En d’autres termes, pour réparer cette sale bête de pc, il aurait fallu que mes amis du « computer center », l’envoient à Perpètes-les-oies, (joli village de l’autre côté de la mer), pour la modique somme de 600.- Alors bon, au prix où sont les laptops à l’heure actuelle, j’ai préféré renvoyé la chose à Rennaz, chez maman, pour le dixième du prix, via la poste exprès et que ma gentille famille s’occupe de faire le nécessaire, avec la garantie.

Enfin, tout ça pour dire que maintenant, ben c’est pas facile tous les jours. Parce que oui, la BSU est superbe. On a de grands moyens à dispo, c’est-à-dire 4 ordis pour tous les étudiants. Enfin, à mon arrivée, il y en avait 6...Je crois que c’est les coupures d’électricité qui tuent les ordinateurs à petit feu. Mais bon, comme je débute encore dans le monde du fusible, je me sens encore un peu timide pour aller faire des théories informatico-électrique au « Commandant Ismaïl », lui intimant de ne plus tout exploser sans prévenir. Ca le ferait rigoler, que moi, vieille fille aux doigts frêles, je tente de réinstaller le courant dans l’étage, histoire de sauver me données...

Enfin, comme il faut toujours positiver, on dira que le bon côté des coupures d’électricité de ces dernières semaines, c’est que ce fut un bon prétexte pour ne pas faire mes devoirs. Parce que oui, ici, comme l’université c’est l’école, et ben on a des devoirs et ils sont contrôlés...Enfin, autant dire que la liberté académique n’existe pas !

Concernant la bibliothèque, je pense que tout le monde a déjà un ami qui est allé dans une bibliothèque nationale, à Moscou ou autre...Ben à Bakou, c’est pareil...Le passeport, les enregistrements, les douze formulaires etc...Et la mini-crise de nerfs (refoulée, bien sûr), quand après de multiples recherches sur le catalogues, comprenez les fiches jaunies dans les tiroirs rouillés, on vous apprend que les lieux vont fermés et que vous, ben il faut bien le dire, vous êtes bredouille.

Ainsi, mes malheureuses recherches de mémorant m’ont un peu donné l’impression que j’étais seule contre l’adversité. « Ma vie, mon combat », un bon titre pour le making off du mémoire... Enfin, il m’aura fallu deux mois pour mettre la main sur le margoulin de l’uni, celui qui sait à quel ami d’ami, on peut demander d’aller chercher des infos ici ou là....Y a des moments, où je me demande sur quoi je travaille. Parce que bon, moi, je voulais des infos officielles sur la population russophone de Bakou et sur le système d’éducation. Et là, du coup, j’ai l’impression de forcer les archives secrètes du KGB.
Enfin maintenant, vous saurez à quoi vous en tenir, ou alors vous aurez tout simplement plus de flaire ou de chance, qui sait...Je le rappelle au cas où : à Bakou, l’eau c’est trois heures par jours et en automne, l’électricité peut parfois se balader un peu avant d’arriver dans le pc.

 

« Ruslan et Ramilia »

 

Alors bon, hormis l’uni, j’ai une vie à Bakou...Voilà un peu ce qui s’y passe.

Parmi les questions qu’on me pose très souvent, on retrouve : « Vous êtes polonaise ? ». Ce qui est déjà un grand pas en avant, parce qu’à l’époque, les premiers jours, on me demandait si j’étais anglaise. Donc je me « slavise », ce qui est déjà un grand pas en avant. Bon, il reste toujours des gens qui parlent encore plus mal russe que moi et qui croient que je viens de Russie, mais mes profs avec leur « какое плохое произношение !» me ramène rapidement à la réalité. Ensuite, assez rapidement dans la conversation intervient le « t’es musulmane ?». Et pan, je suis rien du tout ! Et oui, mon papa a laissé faire une telle chose....Enfin, la troisième question en général, si c’est pas à propos de mon avis sur le Haut-Karabakh, c’est « t’es mariée ? ». Alors oui, de plus en plus...Parce que les vieux pervers qui me demandent en mariage, à défaut  d’avoir ma main, reçoivent mon mépris...

 

Enfin bon, parlons un peu de cette belle chose qui nous lie à notre prochain pour la vie. Il faut savoir qu’en Azerbaïdjan, le mariage n’est pas toujours d’amour et d’eau fraîche...Les filles sont mariées très jeunes et je crois pas que la sacro-sainte tradition leur laisse vraiment le temps de voir, tester, larguer, réessayer.... Combien de femmes (des gamines) enceintes à l’uni....Il paraît que c’est même un peu un concours entre copines à l’uni...La première qui sera mariée avant ses vingt ans... Youpi. Autant dire que j’ai complétement loosé....

Bien que je n’aie pas assister à mille et un mariage, (un et demi, seulement), je me sens quand même prête à offrir sur la toile un petit résumé. On peut l’intituler « L’histoire de Ramilia » :


La petit Ramilia dix-sept ans, hormones un peu curieuses, rencontre Rustan.  Elle voit en cachette, parce que c’est mal vu d’être vu. Et puis, elle se dit que finalement, il ne lui plaît pas tant que ça. Or, c’est ce jour là précisément que le père de la petite décide de les surprendre. La sentence est sans appel : « tu l’as cherché, tu te maries ». Alors bon, Ramilia se dit que vive la vie, et se console du fait qu’elle aura au moins quatre nouvelles robes de fête, et qu’elle sera une princesse pendant quelques jours. L’or et les bijoux qu’elle va recevoir lui font oublier, du haut de ses 17 ans, qu’elle partira, tout de suite après le mariage, en Géorgie, là où vit la famille de monsieur, que s’en est fini de ses études d’architecture etc...Mais bon, à à cet âge-là, on auraient été nombreuses à fantasmer plutôt sur la robe de mariée que sur des maquettes en allumettes.

 

La deuxième étape, c’est les fiançailles. Grand restau, belles robes, caméra, photographes, échanges des voeux. Ce que je sais pas, c’est si à ce moment là, ils avaient déjà la Z3 pour frimer sur le chemin de la maison au restau...

 

Troisième étape, un peu longue pour les convives. C’est ce qu’on pourrait appeler l’enterrement de vie de jeune fille. Il s’agit d’une fêtet longue et bizarre. Les filles sont regroupées dans une pièce dans une maison. Tandis que les hommes, qui en fait ne sont pas invités, mais ont conduit les filles, attendent dehors, dans le froid.
Du côté des filles, c’est toutes générations  confondues. D’abord, c’est un peu nullissime. on attend, toutes assises contre les murs de la pièce. Nous ne sommes donc pas en rond, mais en carré. L’ambiance est pas incroyablement festive. En fait, parmi les convives, peu se connaissent, alors que toutes sont de la même famille, mais n’oublions pas qu’on « choisit ses copains, mais rarement sa famille », l’ambiance un peu lourde peut venir de là. Toutes comparent si leur robe est plus belle que l’autre... Et bien sûr, on parle déjà du prochain mariage. Puis, on passe de la musique sur le dvd familial (aaah les traditions). Alors bon, on danse que ce soit de la clarinette orientale ou la macarena. Les vieilles tantes sautillent, la mariée ne veut pas froissé son tailleur de compét, et moi, franchement, c’est typiquement dans ce genre de moment que je suis en proie au Pinsonisme (ceux qui ont lu werber comprendront) et que je me dis : « mais qu’est-ce que je fais là ? ». Enfin, au bout de quelques heures, on nous fait passer dans une autre maison où un repas de fête a été préparé. Il y a deux pièces, une pour les hommes et une pour nous. Faudrait pas qu’ils viennent gâcher la fête, tout de même. Enfin, si chez nous l’ambiance est franchement pas terrible, il semblerait qu’à côté, la vodka aide à faire oublier le fait qu’on est en famille et que cette fête a un sale goût d’obligation. Sur la table, on trouve de tout, même du jus de poire gazeux maison...Des dolmas (c’est à dire « chose farcie », feuille de chou, de vigne, poivron, tomate...), des poulets, des qutab (crêpes grenade/courge, viande/grenade, ou aromate), des fruits (coings, pommes, raisins, hayva, feroa etc...). Enfin, une  fois que plus personne ne peut marcher, tellement les qutab étaient bons, on débarasse tout pour faire place à la cérémonie du henné.

Cette « cérémonie » est assez rigolote, parce qu’en fait, c’est précisément pour ça qu’on est venu, mais personne n’est vraiment apte à expliquer le pourquoi du comment...Ah les traditions ! Un homme entre dans la pièce et il se trouve que c’est L’homme. Il prend place à côté de la demoiselle, derrière une table. On nous refait le coup de la clarinette sur le dvd. On amène des immenses paniers avec des fruits en sucre et en plastique...Très classe, très kitsch. Ensuite, une des tantes qui paraissaient un peu cinglée, au moment des danses vient vers chacune d’entre nous, avec un panier où il y a du henné. C’est à ce moment là qu’on donne de l’argent et qu’on trempe nos chers petit auriculaire dans le henné. On dessine une lettre dans chacune de nos paumes et c’est fini. La vie de jeune fille, c’est dorénavant terminé ! ça, c’est la fête du week-end. Le mariage, lui, aura lieu le mercredi qui suit.

 

Pour ma part, ce fut un grand moment de stress. En effet, la « fête » commençait 17h00, à Zabrat, petit village au nord de Bakou, à environ une heure (métro, minibus), moi, je lâchais mes ânes chéris à 16h10....Donc, bon, je cours, je dévale les rues, saute dans le métro du 28 mai, stress un peu, arrive à ?zizb?yov, cherche mon contact, Teïmur, et nous nous enfilons dans le bus numéro 7. Arrivée  chez la mariée, je cours mettre mon déguisement de fête (c’est-à-dire une robe achetée pour l’occasion). J’ai à peine dix minutes devant moi, qu’il faut tout remballer, et descendre au salon. Les musiciens sont arrivés et donc, les coutumes aussi, par la même occasion...La mariée est plantée au milieu du salon, Monsieur à son bras, elle est filmée, photographiée, sourit à tout bout de champ, du monde, il y en a par tout et la clarinette répond au tambourin, qui sur le coup, se lâche un peu. Une tante amène une lampe à pétrole. On la dépose au milieu de la pièce et le père vient prendre sa fille par le bras. Ensemble, il tourne par trois ou cinq fois, (à force, pour moi, y avait trop de chose, j’ai mal compté) autour de la lampe. Puis re-stress, il faut partir tout de suite au restau. Je remarque qu’il est quand même déjà 17h30, en effet, dépêchons nous. La petite Ramilia au regard fier monte dans la Z3, toise ses copines, sans leur parler...D’ici une heure, elle, elle sera mariée, d’ici cinq heures, elle, elle sera une femme. A cet instant, un mini drame dans la cuisine. En effet, la mère de Ramilia a oublié de préparé le sucre qu’on lance sur la voiture des mariés en cours. Une fois le sucre prêt autre souci. Il faut le lancer sur la voiture, et ensuite casser un verre, or, ce dernier ne se casse pas. Et c’est pas faute de l’avoir jeter sur le sol.

Enfin, nous pouvons partir. S’ensuit une course effrenée à travers Bakou et ses banlieues. Les invités veulent être au plus près de la voiture, mais il faut dire que le fiancé conduit comme un fou. Un mariage, c’est quand même un peu dangereux.

 

Une fois arrivé au restaurant, il faut bien le dire, j’en reste bouche bée. C’est un véritable palais, qu’on nous a préparé. Nous sommes 260, et c’est un petit mariage. Tout est déjà dressé. Il y a des fleurs partout. C’est un peu kitsh, un peu trop, mais ça colle assez au rêve de princesse que peut avoir une petite fille.

Ramilia qui était là la première fait languir un peu ses invités, car ce sont les siens, rien qu’à elle. En effet, en Azerbaïdjan, il y a deux mariages, un pour la fille et un pour le garçon.

Elle fait son entrée au son de la clarinette orientale, gravit les marches avec Ruslan. Nous les suivons émerveillés de tout ce faste. Ils s’arrêtent au milieu de la salle, où des garçons s’empressent de ramener une table et une pyramide de verre. En Azerbaïdjan, si tu ne vas pas à la mairie, c’est la mairie qui vient à toi. Là, donc, le monde s’arrête quelques secondes, le temps qu’ils signent les papiers du mariage. Ensuite, échange de bague, on trinque au jus de poire....Et voilà. C’est terminé. Les époux rejoignent une espèce de niche ou de loge, comme vous voulez, au fond de la salle. De là bas, ils surplomberont leur fête, mais n’y participeront qu’à peine...De temps en temps, quelques invités iront les rejoindre pour des photos. Il n’est pas interdit de leur parler, mais c’est tout comme.  Du côté des invités, personne n’a attendu le moindre signal pour commencer à manger les 1001 saveurs qui se trouvent sur la table.

Tout au long de la soirée se succéderont deux chanteuses et un speaker. Celui-ci est là pour parler, évidemment, entre deux chansons. Alors attention, ça n’a rien d’un discours, il ne s’arrête quasiment jamais. Comme les serveurs. C’est un véritable ballet qu’il nous offre toute la soirée. Ils passent de table en table, avec des plateaux remplis de victuailles, portés à bout de bras. La vraie classe, sauf quand ils entassent les nouveaux mets les uns sur les autres. Ca fait quand même un peu désordre.

A 22h00, c’est l’heure du Plov. Le riz, plat national, mais surtout plat de fête. Les lumières se tamisent et une danseuse vient amener du un plat de riz aux époux. Tout une histoire est racontée par la tenue et par les gestes. Puis, nous recevons tous notre plov.
Ce qui est drôle pour nous qui globalement mangeons « salade-viande-dessert », c’est que là, c’était « salade-noix-viandes-poulet-bouilli-mouton-poisson-banane/fruits-pain-brochettes-autre poulet-riz. Le tout avec du jus de cerise, ma foi, assez lourd...

 

Au matin, Ramilia est partie en Géorgie. Elle pense revenir bientôt....

 

L’étape du Tout : Absheron

 

Enfin, pour conclure, un peu de tourisme quand même...Dernièrement, je me suis fait le tour de la péninsule d’Absheron. Alors bon, avis aux écolos, y a du boulot. Le paysage est un peu monotone, soit, mais tellement exotique, pour nous, suisses, chez qui, il faut  bien le dire, tout est beau. En effet, la beauté d’Absheron est unique et malheureusement, pour les gazelles de jadis, très industrielle. D’après mes sources, c’est une des zones les plus polluées de la planète. Soit, mais c’est joli quand même. Hormis la « grande ville » de Bakou, on trouve là des villages ma foi bien sympathiques. Zabrat, où, à part les autochtones et leurs fameuses chachliks, il n’y a que des maisons, mais l’architecture, c’est toujours sympa....Mastaga, là, où j’ai joué à « Martine à la ferme », en assistant à la naissance d’un veau...Parce qu’en Azerbaïdjan, y a pas de saison, Suvalan et son mausolée. Un endroit magnifique, où l’on suit un vrai cours en matière d’histoire des religions. Deux coupoles bleues et une tour ornées des mille et unes figures géométriques possibles...Et puis Suvalan, c’est aussi le village, ou mini-ville, au choix, des abattoirs. Alors ethnologiquement, socialement, culturellement parlant, c’est très intéressant, ma grand-mère paysanne aurait été ravie.

A la sortie du mausolée, j’ai décidé de rejoindre la ville suivante, Madryakan, à pied. Mal m’en a pris, c’est à au moins dix bornes. Enfin, quoiqu’il en soit, le fait de n’avoir pas pris le bus, a permis à mon esprit pas très déductif de comprendre comment fonctionnait les abattoirs dans la région. Alors, c’est très différent, vous vous en doutez de ce qu’on peut faire chez Suter Viandes.

 

Pour les âmes sensibles, je pense pas balancer des trucs trop ardu, en matière de bidoche, mais on sait jamais...

 

Au fil des rues, enfin le long de La rue, j’avais remarqué à plusieurs reprises des moutons, un peu entassés, dans des enclos trop petits...Bien encrassés, aussi...Les yeux des pauvres bêtes semblaient chercher les grands espaces entre les parois de ce qu’on pouvait bien appeler une boîte...Moi, toute naïve, je trouvais ça à la fois bizarre et dommage pour la bête. Mais j’imaginais les femmes, derrière les palissades, qui après avoir récolté la laine, la tissait, où je ne sais quoi de poétique...Puis sifflotant, je remarquai les enseignes...Le mot viande apparaissait, puis un autre, que je ne connaissais pas. Enfin, les enclos se succédaient les uns aux autres, avec à chaque fois un ou deux moutons, dont la tête sortait du lot et mordait la poussière de la route... Toujours plus intriguée, je me décidais à entrer dans la boutique suivante, celle attenant à une de ces bergeries presqu’urbaines. Mal m’en a pris. J’étais dans un abattoir. Alors bon, j’ai pas le dégoût facile, mais faut dire que ma candeur ne s’y attendait pas. Là, un homme, parce qu’en Azerbaïdjan, la viande, c’est un travail d’homme, avait attaché la bestiole par les pattes, arrière ou avant, j’ai pas vraiment pris le temps d’analyser, et s’adonnait au dépeçage. Bien sûr, que le WFF se contienne, à ce moment, la bête est morte. Alors bon, mes baskets azerbaïdjanaises n’étant pas étanches, mes pieds baignaient dans le sang...Mon estomac se contenait du mieux qu’il pouvait et moi, je cherchais désespérément un moyen de prendre la poudre d’escampette, parce qu’on sait jamais, des fois que l’hospitalité me permettrait de découper la bête...Enfin, l’homme, très gentil m’expliqua que le principe, ici, à Suvalan, c’est d’acheter la bête vivante, et lui, la découpe de suite. D’un côté, c’est très bien. Je suis complétement pour, parce que c’est hygiénique, sain on ne regarde pas trop l’état de l’abattoir... De l’autre, j’ai pu remarquer que la bête dépecée, l’est parfois à l’avance...A voir le nombre de cadavre qui sèche au soleil, dans les rues...Donc, mezzo, la chaîne du froid.

 

Mais que faire ? Les chachliks sont toujours succulentes, les koftes incroyables et jusqu’à aujourd’hui, j’ai pas encore été malade...Alors j’essaie d’oublier d’où vient la viande, et je me régale....

 

Un peu plus dans la ville, j’ai remarqué une autre habitude, liée à l’art de la boucherie. Quand on a les moyens, enfin, le matos, et qu’on vend une tête d veau, et bien on l’exhibe. C’est ainsi qu’en traversant le marché de Suvalan, j’ai regardé droit dans les yeux, sans vraiment l’avoir souhaité, plusieurs têtes bovines. Les yeux vides, et pourtant, à chaque fois, j’avais quand même l’impression qu’elles me regardaient, les vicieuses. Ce petit tour parmi les têtes de veau m’a fait rencontré un nouvel ami. Dans mon portable, on le retrouve sous le nom de « l’homme qui épluchait les pieds de vaches »....S’il prenait l’idée à quiconque de se payer une vache, ou un boeuf, soyons fou, pour les fêtes, n’hésitez pas...Eplucher une patte ne fait plus peur. C’est vraiment dommage que j’aie pas le nécessaire pour montrer mes jolies photos.

 

Village suivant : Madryagan. Je sais où ça se trouve, mais l’orthographe est encore un peu beaucoup hésitant. Qu’y a-t-il à faire à Madryagan ? Rien, ou presque. J’avais lu dans le « Routard », qu’il y avait une jolie tour, mais qu’on ne pouvait la visiter que si le gardien se trouve dans les parages. Alors au cas où, sa maison est juste à côté. Il adore parler des Shahs Shirvan...Mais du fait qu’il lui manque pas mal de dents, on comprend pas grand chose. Son thé est excellent. Quant à la tour, y monter, c’est un peu risquer sa vie...Les sols des différents étages sont tous troués et l’escalier, si c’était à refaire, ben, je dirai que j’ai plus l’âge pour ces conneries.

 

Enfin, le tour de la péninsule se termine à Pirshagi. Petit village de bord de mer. La plage est modeste, un peu grise, un peu sale. Des espèces de parasols en paillotes sont plantés ça et là, des chiens errants, errent, c’est évident. Bon, faut dire que j’ai choisi ma saison. Mais je voulais voir à quoi ressemble la « plus belle plage de la péninsule »...Ben c’est pas les Maldives...Mais je suis sûre qu’une fois animée, ça sera sympa. Donc, rendez-vous en mai.

 

Deuxième étape, les Montagnes 

 

Ce dernier week-end, histoire de fêter plusieurs événements de ma vie universtitaires, j’ai décidé de partir à la découverte de Guba, au pied du Grand Caucase. J’y suis allée seule. J’ai pas même pris la peine de demander à mes copines de cours...Parce que d’une part, je savais que la moitié aurait ses règles et que l’autre n’avait pas le droit de sortir de Bakou, et d’autre part, parce que voyager seule en Azerbaïdjan permet de faire de belles rencontres.

 

Ainsi, comme une grande, je suis allée à la gare d’autobus du 20 janvier....C’est fou ce que je peux aimer les gares d’autobus. Remarque, j’ai bien aimé l’épisode des pieds de vaches, donc, les gares d’autobus, après tout, c’est presque banal...Enfin, j’aime cette animation un peu fiévreuse, au petit matin, ces gens qui crient des destinations, ces bus vieillot, décrépis, dont on ne sait jamais, a priori, s’ils tiendront le coup, mais qui bon gré mal gré, rouleront encore, quand on sera déjà ailleurs...J’aime voir ces mamis avec leurs douze sacs en plastiques BMW, les vendeurs de simits qui montent dans tous les bus et proposent « Simit, simit, simit », les gadgets, aussi, parce que bien sûr, pour aller à Guba, la chose la plus indispensable qu’il me faut, c’est une toupie à pile...Enfin, à chaque fois que j’ai eu l’occasion de me retrouver dans ce genre d’endroit, j’ai adoré...Chercher un bus, trouver un horaire, jauger, si le véhicule est assez plein, ou si j’ai encore le temps de fumer une clope, acheter de l’eau, discuter un peu avec le chauffeur, déconner avec son sous-fifre, et me faire des « potes de voyage ».

 

Guba, c’est pas très loin. Trois ou quatre heures. La route est belle, parce qu’elle traverse des collines verdoyantes, aux gazons, qui semblent tondus. L’ouvrage des moutons ? Des oies ? du vent ? Du froid ? Je ne saurai certainement jamais.

 

Arrivée à Guba, j’étais un peu désorientée. En effet, on m’avait décrit le coin, comme un immanquable...Et du coup...Ben, déception. Il m’aura fallu un moment, pour me vider l’esprit de ce qu’on avait bien pu me dire, et me faire ma propre idée...

 

En fait, l’épithète magnifique, n’est peut-être pas le plus adéquat, intéressant est peut-être mieux choisi. D’un côté, il y a la ville musulmane. Avec des mosquées qui tuent toutes les idées qu’on peut avoir sur la « mosquée classique ». De vieilles rues, des maisons, toutes mitoyennes, avec ces balcons-vérandas, qui semblent être prêts à s’écrouler d’une minute à l’autre...Le parc Nizami est très sympa, avec ses arbres, son école d’échec...Deux trois magasins, avec encore une nouvelle sorte de pakhlava...Mais il n’y a surtout que des hommes. Les femmes sont à la maison ou au marché...Mais pas dans les rues. Alors bon, j’essaie de faire le mâle, mais les gens sont pas dupes.

Du coup, je décide de traverser la rivière, par l’un des deux ponts, et d’aller voir la deuxième ville...Ville dans la ville, en quelques sortes...Krasnaïa Sloboda. Il s’agit d’une ville entièrement peuplée de juïfs, où le Shalom remplace le Salam. Outre l’architecture qui est assez incroyable, ceux qui habitent là ont réussi leur vie, du moins leur palais qui leur sert de maison, la synagogue et les étoiles de David qu’on retrouve un peu partout...Il n’y a pas de grande différence. Ce côté est aussi très mort, et peuplé que de mâles. Presqu’aussi lourd que ceux de l’autre bord. Enfin, il faut dire que j’ai choisi mon jour, c’est sabat. Quoique, pour en avoir le coeur, que c’était une ville morte, je suis revenue le dimanche...Et Oh ! Surprise ! Dix personnes de plus, au moins, dans les rues !


Enfin, bon, j’aurais pu me dire que ma vie était un échec, du moins mon week-end, mais Non. J’étais venue dans le coin, je trouverais bien quelque chose d’intéressant à voir. C’est pas que l’architecture  me déplaise, mais après deux heures à regarder les maisons, il faut quand même pimenter un peu la chose.

 

Au loin, j’avais vu les montagnes, la neige, je voulais savoir comment on pouvait s’y rendre, ce qu’on pouvait y faire etc...Alors retour à la gare d’autobus, là où fourmillent toujours toutes sortes d’informations.

 

En une demi-heure, j’avais un chauffeur, rudement négocié, une voiture, donc, et un itinéraire...Direction les villages de Rustov, Günasli, Ouam-Ouam (quelque chose comme ça), Tengalti et Afurca, là où il y a la grande chute d’eau, après les gorges.

 

Tout décrire serait impossible, de toute façon, il faut le voir. En quelques mots, Rakim, mon nouveau meilleur ami du moment avait la particularité d’être la première personne avec qui je discutais, capable de dire que le président est un pauvre type et que les conditions de vie du pays sont pourries et qu’il y a des coupables. Alors ça fait plaisir, parce que jusqu’à lors, j’avais eu l’occasion d’entendre des pleurnicheries, mais le fils prodigue restait l’équivalent de Dieu sur terre...Jusqu’à aujourd’hui, seul les arméniens étaient des salauds. Donc, rencontrer quelqu’un qui sait faire preuve d’un tantinet de recul, et bien, ça fait chaud au coeur, surtout qu’il faisait rudement froid.

 

Enfin, Rakim n’est pas seulement un politicien hors pair, c’est aussi un ancien soldat. Alors je vous passe les détails où il m’expliqua comment tuer un afghan, mais je dois dire, sans vouloir me jeter des fleurs, que je félicite ma capacité nouvelle à pouvoir tout entendre...

 

Nous avons traversé des gorges, des villages, vu des femmes avec des bidons rouillés, croisé des vieux sur des ânes, des jeunes à cheval...Puis la voiture est tombée en panne, dans la montée, il a fallu la pousser, trouver de l’eau... On a coupé à travers les troupeaux de dindes, de moutons, de genisses... Les vieux avaient portaient des chapeaux en peau de mouton, et moi, j’avais l’impression d’être quelque part où j’avais toujours rêvé d’aller. Dans une campagne qui avait l’air ancienne, avec ces gens qui prenaient simplement le soleil, d’autres qui coupaient du bois. J’avais l’impression que les choses avaient un sens...

Mon sens à moi, s’est révélé au moment où nous approchions de la cascade, à pied, cette fois-ci, est que j’ai glissé comme une bleusaille pour me retrouver les fesses dans l’eau ma foi, bien froide....


Heureusement, il y a toujours une peau de mouton quelque part, pour étancher tout ça.

 

Le chemin du retour, avec coucher de soleil sur les peupliers jaunes, un délice...Alors si Guba n’est pas l’endroit le plus incroyable du monde, ses environs le sont. Enfin, je crois que tout est histoire de sensibilité.

Gamine, j’avais vu des photos dans un livre, où on voyait un homme avec son âne, son bois, sa peau de mouton en forme de chapeau, le visage brûlé par le soleil, fendu par le froid....Et je sais pas pourquoi, ça m’avait fait rêver. Alors Guba, ses gorges, ses montagnes et surtout les villageois, c’était un peu comme un rêve éveillé.