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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Sévine UZUN

Variation sur Marilou

Petites pensees eparses, ou a force d’avoir trop ecouter Gainsbourg…

A flâner dans cette ville, les étudiants fauchés et les rois du pétrole…Süleyman Tagizade, Neriman Nerimanov, Niyazi, Nizami…Des rues, des poètes, des héros.

Des visages, des figures…

C’est la ville qui défile, les nuits sont noires. On ne voit que le Philarmonique un vrai feu d’artifice. Et les marchands de lumière, aux lampes complétement folles, éclairent les avenues de jungles boréales.

Mango, Joop, Nafnaf, et Max, Mara, ça va de soi, côtoient les marchés millénaires aux vieilles emmitouflées. Des tas de tissus, des bidons de citrons…C’est encore la saison ? On ne distingue rien. Dépasse des lainages, un oeil, un bout de peau, qui brûlé par l’été vient braver les bourrasques et vendre sa mélasse.

La jeunesse alentours porte ses plus beaux atours, cuissardes, peau de renard et min de velours…

Aux détours des rues chics, Bakou est magistrale…Paris, Moscou, Berlin…Mais rien n’est jamais loin. Il faut se perdre un peu sur Mustapha Sübi. On découvre un village, assiégé par la ville et sa modernité.

L’urbaniste de Bakou est certainement un fou, architecte dyslexique. Les ruelles les plus belles sont masquées par des tours au charme un peu trop lourd.


Ici ou là, tu peux voir. Le monde est à vous. Tu t’échappes des troupeaux d’aiguilles où sont perchées les filles, pour attérir dans la cour d’une vieille église. La coupole orthodoxe est venue des campagnes. Ça te dit quelque chose…Mais tu ne te souviens plus.

Et toi qui est venu dans cette ville dans l’espoir de la croquer sous toutes ses coutures, en apprendre la langue, découvrir sa culture…Il faut bien avouer qu’à force de t’y promener, tu t’y es embourbé…Bakou t’a absorbé, te voilà machouillé.

Je te dis tu, car « je est un autre », surtout ici. Les figures, les visages, les bouches de métro…Où tu achètes tes clopes et parfois tes chaussettes…Fresques à Nizami, c’est Hercule qui tue. Peinture pour se souvenir de ce qui s’est passé un triste 20 janvier. C’est à chaque fois très beau, surtout qu’il y fait chaud.

C’est dans le vieux quartier, le coeur de la cité, que tout a commencé…Qu’on s’était égaré…Le labyrinthe des ruelles, les chats errant…Shirvanshah est là, quelque part, tapis dans les murs, qui narrent son histoire…

Mosquée de tous les jours, portes imposantes et sculptées. Du haut de l’allée…Metbuat Prospekt, j’ai vue sur la ville. Kiz-Galasi, maison de Ronald, Cudo Peska et tours de verre. Et le truc orange, vif, cuivré, scintillant…Un temple de l’argent. Paraît que c’est le centre…Parce qu’il y avait un cercle, un plan… ?

Je me suis fait bouffé…Je ne veux plus rentrer. Rentrer pour aller où ? Je suis d’ici, chez nous. C’est la terre des ancêtres…Berceau d’humanité…

Bakou la magicienne m’a ensorcelé de son chant de sirène…Sirènes de police, pompiers, ambulance, voiture musicale et alarmes en tout genre…Après trois mois de bruits, l’identité se trouble, la raison s’égrène…Démence ou silence ? Bakou n’arrête jamais.

T’habite la banlieue des voleurs…Je suis de Yasamal, mais tu n’es pas d’ici. Etes-vous américaine ? mon accent russe peine…Peut-être une polonaise ? commence à être à l’aise…Puis les heures passent…Alors je mêle les mots aux phrases…Peut-être suis-je d’Istanbul, discrète parmi la foule.

Je ne peux pas être suisse, si je parle français, mon passeport est faux, mais mon pays est beau.

Passent les voitures. Hummers à l’assaut. Azadliq Prospekt, et ladas poussiéreuses, dans les ruelles terreuses.

Le vent fait voler les oiseaux. Je traverse suicidaire, sans attendre le feu vert. Les oiseaux battent leurs ailes…Mais c’est à reculons.

Cette ville n’a pas de règles, on conduit au klaxon.

On dégaine nos portables dans les restaurants chics, à l’image des dessous qui hantent les vitrines. Contrairement aux copines, qui superposent les bas, les couches de maquillage. On profite des toilette, pour se faire une beauté…A côtoyer les rats. Ceux-là sont bien nourris. Ils sont gras et dodus… Ils se gavent de beignets des étudiants surfaits qui les ont fait tomber du haut de l’escalier.

Ça fait rougir les poules de Süleyman Rüstem. Un jardin sans mûret, voilà leur poulailler. Les poules citadines se nourrissent de déchets, de notre déraison. De plastique et de cendres…Apchéron terre de feu…Pour mieux nous le rappeler, on brûle les ordures pas trop loin des fleuristes, et tout près des saucisses.

Toi, t’as voulu comprendre, alors tu as marché, à faire crever tes pieds. Le jour, la nuit. Avec les russes, les turcs, les azéris, les kurdes…Avec le monde entier, berceau d’humanité…Le jour pour mieux voir, la nuit pour mieux saisir…Mais tu n’as rien trouvé qu’un miroir et ta geule. Cette ville, ce pays, ton reflet, ta folie.

Si je suis soeur des uns, cousines des autres…Je fume comme un garçon, aux longs cheveux de filles…Je deviens quelqu’un d’autre, j’ai de nouvelles lubies.

A la nuit tombée, quand la rue s’est vidée, Bakou m’a aliénée…Entre les taxis, un cheval qui galope, des moutons un berger…C’est un rêve éveillé ?

Cette ville est une chanson, étranges variations. Une Marilou sans neige, toujours un peu reggae…Oh ma Lou, Ah Marilou…

Tu t’emballes un ptit peu, toi l’âme qui m’accompagne. Tu es comme une pomme…Un fruit sensible. Qu’il ne faut pas lâcher…Parce qu’une pomme écrasée, c’est vraiment très très laid.

A vouloir te trouver, ben tu t’es bien paumée. Un bus pris au hasard. Tu sais plus où tu es ? Grises maisons sans peintures, village de grisaille. Et le bus est parti. De là, tu vois les tours…Au loin. Mon Dieu comme c’est pourri, cet endroit, ce Dadjich !

Colline balayée par un vent glacial…Séparée de la ville par la plaine éléctrique…Y a là où ça se passe, là où y a les palaces…Et puis les coins immondes, les trous de ce bas-monde.

Perdue dans ma tête, dans la plaine, j’attends. Je parle avec mes pieds, les veaux. Tous sont écorchés. Des trachées jonchent le sol.

Mais on ne se perd jamais puisqu’il est toujours là.

Le bus 47 suivra la route jalonnée de portraits…Ce doux Heydar…Ou le grand mégalo, comme l’appelle tes pensées…

Peut-être que lui aussi, à force de vivre ici, s’est un peu égaré, dans ce drôle de pays…C’est ptêt pour se souvenir, pour ne pas s’oublier qu’il a donné son nom aux parcs, rues, écoles…

Des visages des figures, moi, je m’y suis mêlée…Lui, il a préféré se faire photographier. Vendre son image, et faire dans l’affichage. Des visages, des figures, plutôt que d’y plonger, il a tout mis en oeuvre, pour qu’à chaque coin de rue, il puisse se rencontrer, en double géant, fait de papier glacé.