Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2009 Sévine UZUN à Tbilissi
Taxi Drivers


J’ai une tendresse particulière pour ces types aux drôles de manières…Ils ont le don d’ubiquité, celui de la rapidité. Toujours une blague ou un bon mot. Dans les bouchons, c’est mes héros. Ils vous allument votre cigarette tout en faisant une pirouette. Ils connaissent l’usage du klaxon, s’autorisent de jolis jurons. Ils s’en excusent, mais recommencent, ça les amusent si je m’offense. Ils ont toujours une théorie sur la politique ou la vie. Ils ralentiront la cadence, selon que le sujet est dense.
Ils vous parleront de leurs enfants et s’inquiéteront de vos parents. Ils raconteront avec fierté l’institut qu’ils ont terminé. Ils poseront toutes sortes de questions sur mon pays, ma profession. Me demanderont mes préférences. Plutôt Géorgie, plutôt France. J’essaierai alors d’expliquer, ils me laisseront pas terminer. Trop occupés à me montrer une statue, une jolie rue. La conversation déviera et le paysage défilera. Les avenues au nom de poètes et les ruelles sans queues ni têtes…
Et ils mettront un point d’honneur à ce que je puisse arriver à l’heure. Quitte à défier le code de la route, la voiture passera coûte que coûte. Ils m’expliqueront que c’est dangereux, cette ville est un vivier de mafieux. Ils auront peur que je rentre tard, c’est vraiment malfamé le soir. Ils iront se parquer dans le coin, en m’attendant si j’en ai besoin. On échangera nos numéros, on est pas amis pour de faux. On se quittera sur une poignée de mains avec la promesse d’un lendemain…
Je n’ai jamais vu d’escroquerie, les bons moments n’ont pas de prix. Une fois arrivés à bon port, pour la somme, ils n’avaient pas tort. Si le siège était confortable, la conduite pas très raisonnable, mais le monsieur était galant, il m’a laissé m’asseoir devant. A l’heure où tous les chats sont gris, ils négocient des virages, ils sillonent le tout Tbilissi, une belle image vue du taxi… L’autoradio chante sa musique et on triomphe des sens uniques. On se perd dans les giratoires, ces messieurs travaillent tous les soirs.
Quelques lignes pour leur dire merci, à eux les rois du raccourci. Leur job n’est pas une sinécure et j’attache toujours ma ceinture. Ils rient un peu de ma méfiance, avec eux j’aurai de la chance, si leur pare-brise est éclaté, c’est pas eux qu’on a amendés. Je n’en oublierai aucun, Shota, Vakhtang ou Otari, ce sont les seigneurs des chemins, des itinéraires inédits. Je garde toutes nos conversations qu’on ne terminera jamais, pour une prochaine occasion, en reliant point A et B.