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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(automne 2007, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Языковое строительство в СССР, 1917-1933. Теории и действительность. / L’édification linguistique en URSS : l’imaginaire et le choc du réel

Prof. Patrick Sériot, avec la participation d’Elena Simonato, Ekaterina Velmezova, et Tatjana Zarubina

 2 octobre 2007. Искусственные и всемирные языки. Межрабсвязь и пролетарское эсперанто.

Compte-rendu, par Mladen Uhlik
 

Esperanto

 L'espéranto est une langue construite, crée par Ludwik Lejzer Zamenhof (1859-1917). Celui-ci, connu sous le pseudonyme de « Doktoro Esperanto » était un médecin d’origine juive, né à Bialystok (Est de la Pologne), où vivaient de nombreuses communautés linguistiques (les langues parlées à Bialystok étaient le russe, le polonais, l’allemand et le yiddish).

 Zamenhof pensait que le malheur humain est causé par la diversité des langues. Pour faciliter la communication entre les personnes de langues différentes, il se donne pour tâche de transcender ce malheur en créant une langue universelle.

 Pour saisir son projet, mentionnons deux interprétations de la diversité culturelle et nationale :

 

1.            Joseph de Maistre (1753-1821), écrivain moraliste et diplomate français qui après avoir quitté la France à cause de la Révolution française, devient le grand défenseur du conservatisme et du relativisme culturel. La célèbre citation de Maistre est :

  Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes. Je sais même grâce à Montesquieu qu’on peut être Persan ; mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu (Œuvres, I, p. 75, cité, sans indication de date, dans Finkielkraut, 1992, p. 28).

Son point de départ est le refus de l’universalisme des philosophes des Lumières, il pense que l’homme est ancré dans la langue et la culture de sa nation (en cela, il est proche des Romantiques allemands)

2. Bien que Zamenhof ne rejette pas l’idée de l’ancrage de l’individu dans une culture nationale, il pense que le relativisme culturel est la source du malheur.

Pour le dépasser, il crée en écrivant en cachette une langue universelle qu’il essaye de mettre  en pratique. La langue apparaît pour la première fois dans une brochure publiée en 1887. Soulignons que l’ambition de Zamenhof n’est pas de supprimer les langues, mais plutôt d’offrir une langue auxiliaire. A la fin du 19e siècle l’espéranto s’est répandu grâce aux commerçants et la classe moyenne.

 

Structure de l’espéranto

Au niveau de la structure, l’espéranto est conçue comme une langue agglutinante.

La notion de l’agglutination provient de la classification des langues qui fut proposée par les frères Schlegel en début du 19e siècle. Reprenons cette classification qui fut reprise par Wilhelm Von Humboldt.

Langues isolantes : langues sans morphologie où seule l’ordre de mots donne la signification (chinois) ;


Langues agglutinantes : langues dans lesquelles les mots sont formés en « collant » au radical des affixes de telle sorte que les frontières entre les morphèmes restent bien nettes et que chaque morphème corresponde à un seul trait sémantique ou fonctionnel (turc, finnois) ;


Langues flexionnelles : langues où les mots changent de forme selon leur rapport grammatical aux autres mots. Dans ces langues, les mots subissent le jeu de la flexion et l'ensemble des formes différentes d'un même mot fléchi forme son paradigme. Les langues flexionnelles possèdent des paradigmes nombreux. Elles sont riches en irrégularités, ce qui leur donne, aux yeux des philologues romantiques du 19e siècle, l’apparence de fonctionner comme des organismes vivants. A titre d’exemple de langue flexionnelle, prenons le latin :

Domina ancillam rogat.

La terminaison -AM exprime trois significations: (singulier, genre féminin, accusatif)

Les philologues romantiques pensent que l’avantage des langues flexionnelles consiste dans le fait qu’une forme peut porter plusieurs informations.

Au contraire, les espérantistes et Nikolaj S. Trubeckoj (fondateur de la phonologie) privilégient les langues agglutinantes  sur les langues flexionnelles puisque dans ces langues chaque morphème ne représentent qu’une information.

Zamenhof prend comme radicaux des mots des langues européennes les plus répandues. Un mot est formé en ajoutant à un radical des morphèmes invariables dont chacun signifie un trait grammatical précis :

- i : pour les verbes
- o : pour les substantifs
- a : pour les adjectifs
- e : pour les adverbes dérivés

Prenons l’exemple de la racine PAROL-. En ajoutant les différents suffixes, nous obtiendrons :

la parolo = la parole

paroli = parler

parole = par la parole

 mi parolas = je parle

Zamenhof crée une langue avec l’ambition de faire éclater toutes les ambiguïté du sens, d’éliminer la polysémie.

A titre d’exemple prenons le mot français temps qui est indéfinissable hors du contexte (1. le temps qu'il fait ; 2) le temps qui passe).

Pour éliminer l’ambiguïté, Zamenhof introduit deux mots :

vetero (le temps qu'il fait) / tempo (le temps qui passe)

Mais cet idéal de la transparence ne fonctionne pas au niveau syntaxique : on voit apparaître des ambiguïtés auxquelles on a pas pensé.

Ex : fr. la peur des ennemis/lat. timor hostium > en esp : la timo de la malamiko

Dans tous ces cas on ne sait pas si on a peur des ennemis ou ce sont les ennemis qui ont peur.

Zamenhof a conçu l’espéranto comme une langue qui ne connaîtra pas la division aux dialectes.

 

L’histoire de l’espéranto en URSS

Dans les années 1920 l’esperanto connais un vrai épanouissement en URSS. Le contexte dans lequel cette langue construite fleurissait pendant une décennie est particulier :

Beaucoup de théoriciens marxistes soviétiques (particulièrement Lev Trockij) croyaient que la Révolution d’octobre ne connaîtrat pas de succès si elle ne devenait pas une révolution mondiale où le prolétariat arriverait au pouvoir dans d’autres pays d’Europe (cette idée fut abandonnée par Staline dans les années 1930 où ce dernier soutint l’idée du socialisme dans un pays). L’espéranto, conçu comme une langue agglutinante et pour cela simple, fut censée être la langue du prolétariat mondial. Dans les années 1920, ce projet fut soutenu par le gouvernement communiste. Les ouvriers étaient encouragés à correspondre avec des ouvriers d’autres pays en utilisant l’esperanto. Comme argumentation on soutenait que l’esperanto peut même exprimer ce que les langues étrangères ne sont pas capables d’exprimer (en plus il serait plus simple d’apprendre l’espéranto que d’autres langues).

Le chef de file des espérantistes soviétiques fut Ernst Drezen (1892-1937), par son origine un Allemand de la Baltique.

En 1928 il publia « За всеобщим языком, три века исканий ».  Par ses positions, exprimées dans ce travail, il s’inscrit dans une pensée qui caractéristique la linguistique soviétique des années 1920 et 30 : la langue est la superstructure. Comme les conditions économiques (l’économie est la base) sont différentes dans le monde soviétique et dans le monde occidental, Drezen affirme qu’il y a deux langues internationales : un espéranto prolétarien et un espéranto bourgeois. (Sébastien Moret, spécialiste pour l’histoire de l’espéranto en URSS, pense que Drezen a introduit cette division afin de sauver l’espéranto de ses critiques qui ont commencé à imputer à l'espéranto une nature bourgeoise).

La division de l’espéranto de Drezen (qui était impensable pour Zamenhof qui rejetait la séparation de la langues aux dialectes) est basée sur les hypothèses que :

-            l’espéranto bourgeois serait utilisé par les bourgeois et influencé par la pensée bourgeoise et pour cela peu agglutinant, tandis que l’espéranto prolétarien serait utilisé par la classe ouvrière, plus simple et très agglutiné.

Drezen estima donc que la structure agglutinante est typique pour les peuples opprimés.

Cette division en deux espérantos provient de l’idée que la langue est une superstructure (qui fut rejetée par Staline en 1950).

Drezen s’inscrit alors dans la linguistique soviétique par les idées suivantes :

-            les langues, superstructures, sont des modes de pensée (ce qu’on trouve également chez Humboldt, mais sans l'analyse en termes de superstructure).

-            rejet de la possibilité de l’influence de la structure interne sur la langue.

(Ainsi, il prend la forme neces (signifiant : il est necessaire) comme expression de l’esperanto prolétarien par opposition à la forme « bourgeoise » esta necesas. Il elève que la forme  neces dérive de la forme russe nužno).

-            une confusion entre la langue et le discours (il n’y a pas de contraintes au niveau de la langue système qui seraient communes pour tous les styles).

L’attitude du pouvoir soviétique par rapport à l’espéranto change après 1929.  A cette époque  la politique de Staline se propose de réaliser le «socialisme dans un seul pays».

Dans les années qui ont suivi l’expulsion de Trockij, on commence à reprocher à l’espéranto son origine « bourgeoise » - Zamenhof serait un juif bourgeois. Au début des années 1930 on introduit aussi une opposition qui remonte à l’époque romantique :

- l’espéranto a un côté «mécanique» ; tandis que les langues nationales sont plus naturelles et crées par le génie du peuple. Le nationalisme prend de l’importance et on rejette l’esperanto comme une langue sans tradition et une langue vide. On a plutôt besoin d’une langue qui aurait une fonction de bannière : représenter la nation.

Dans ce nouveau contexte qui est différent de celui des années 1920, les espérantistes furent arrêtés, déportés ou exécutés. Malgré son prestige, Drezen n’échappera pas au même sort.   Il fut accusé d’espionnage et fusillé en 1937.

 

La Tour de Babel est les espérantistes

Revenons aux problèmes de la philosophie du langage dans la « cause espérantiste ».

Les espérantistes s’inscrivent dans une tradition selon laquelle la division est source de souffrance. Il est possible de lier cette tradition au mythe de la tour de Babel. Selon ce mythe, la division des peuples par les langues nous empêche d'atteindre le ciel.

Cependant dans la pensée contemporaine nous trouvons deux interprétations de la division des langues et des cultures :

1.            La tour de Babel est un malheur (les utopistes du Proletkul’t (comme Alexander Bogdanov) et le Docteur Espéranto Zamenhof)

2.            La tour de Babel est un bonheur : la loi de la séparation est la loi de l’existence de l’Etre humain (telle est la position de Nikolaj Trubeckoj (qui prêchait que la diversité humaine est une richesse) et des partisans du relativisme culturel comme Humboldt).

Pour de nombreuses utopies du langage, la deuxième source de la souffrance est la séparation entre les mots et les choses. En fait, ce problème provient de la nature de la langue : lorsqu’on nomme une chose, cette dernière nous échappe. Un nom peut toujours être exposé à l’ambiguïté du sens. L’idéal est donc une langue ou plutôt une non-langue qui serait délivrée de toute division.

Mentionnons un exemple où à travers la langue on voulait supprimer la division des sexes. Dans le roman « Etoile rouge  » de Bogdanov ainsi que dans le cas de l’espéranto nous trouvons le refus du genre grammatical. Cette tendance va de pair avec les essais au début de l’URSS d’introduire des pratiques selon lesquelles les hommes et les femmes auraient les mêmes fonctions. La langue suppose marquer l’égalité des sexes :

1)            on introduit de nouveaux mots pour les professions qui sont à partir de la Révolution exercée aussi par les femmes : traktorist/ traktoristka.

2)            dans les langues utopiques ou construites on refuse le genre grammatical.

 

Conclusion

L’histoire de l’espéranto, conçue comme un moyen de communication et de réunion qui serait résistante aux division aux dialectes, qui fut cependant l’objet des conflits symboliques et politiques nous montre que tous les faits sociaux sont exposés à la division et que ce sont les divisions (et les conflits) qui permettent à une société de vivre et de se reproduire.

 

 




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