260509Samain

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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Séminaire de 3e cycle pour doctorants et mémorants, aud. 5093, 17h-19h

-- 26 mai 2009 exposé de
Didier Samain (Paris-VII) :

Fabre d’Olivet. De la langue d’oc à la langue hébraïque


 

Tel qu’il est incarné par le mythe de Babel, le thème de la différence des langues est récurrent en Europe, mais on considère qu’il ne reçoit une interprétation empirique qu’à partir de la Renaissance, c’est-à-dire avec le début de la grammatisation des vernaculaires et des langues exotiques. Il est d’usage de situer au 19ème siècle l’étape suivante, qui correspond à la « linguistique » stricto sensu, c’est-à-dire au développement de la grammaire historique et comparée. S’il n’y a pas lieu de remettre en cause ces grandes divisions, il reste qu’elles ne saisissent que les articulations de la science normale, mais non les apparitions ou résurgences de mythologies linguistiques qui font fi du savoir documentaire et méthodologique acquis à l’époque moderne. Et qu’elles ne permettent pas non plus de rendre suffisamment compte du rôle joué par des facteurs externes, par exemple politiques. On songe par exemple à la fabrication des langues dites « nationales ».

C’est ce qu’on se propose d’illustrer en abordant l’œuvre du littérateur et philologue Antoine Fabre d’Olivet (1767-1825), considéré comme l’un des précurseurs du mouvement félibrige initié plus tard par Mistral, mais auteur notamment d’une monumentale Langue Hébraïque Restituée (1816), en fait une traduction des dix premiers chapitres du Sepher accompagnée d’une grammaire hébraïque et d’un dictionnaire de racines. Cette double référence à la langue maternelle occitane d’une part, et à une langue originaire fantasmée part, est difficilement compréhensible si on la dissocie du contexte d’époque, à savoir la relation entre « langue française » et « patois », tel que l’a définie en l’an II le fameux rapport de l’Abbé Grégoire et de Barrère sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française.

L’exposé analysera certains des aspects les plus significatifs du travail de Fabre : l’interprétation qu’il propose des racines hébraïques, le statut de la phonologie et notamment des consonnes, ainsi que son activité plus générale de traducteur ou prétendu tel. L’impression qui en résulte est celle d’une dénégation de la différence des langues assortie d’une quête éperdue de l’origine perdue. Autant d’aspects qui justifient le classement de Fabre parmi les « fous du langage », mais témoignent aussi d’une résistance têtue à la normalisation linguistique qui allait être l’œuvre du 19ème siècle. Cette résistance est bien sûr celle, désespérée, des patois, mais elle témoigne aussi d’une attention à certaines particularités du fonctionnement verbal, comme la place de l’oralité ou le statut du signifié, qu’il n’a plus été possible de conceptualiser à l’aide des modèles de scientificité qui se sont ensuite imposés.