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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Séminaire du CRECLECO, aud. 5093, 17h15-18h45h

-- 19 octobre 2010 exposé de Sébastien MORET (UNIL-CRECLECO ) : «
Théories linguistiques et demandes sociales : langue et linguistique dans l’Europe de Versailles et en URSS»


En 1967, dans sa petite Histoire de la linguistique, Georges Mounin convenait qu’un histoirien de la linguistique ne devait pas se borner à ne faire qu’une « histoire des sources, des influences, des généalogies intellectuelles » (p. 9). Au contraire, il souhaitait voir l’histoire de la linguistique devenir « une histoire causale plus complète et plus profonde » qui tiendrait «  un plus large compte de l’influence des structures sociales sur les besoins de la connaissance linguistique, ou sur les directions de la curiosité linguistique » (p. 10). Cette volonté d’histoire causale est encore présent de nos jours, notamment sous la plume des auteurs de la récente Histoire des idées sur le langage et les langues, qui écrivent qu’il est « légitime d’attendre de l’historien [de la linguistique] qu’il dépasse la simple description du changement [théorique] et qu’il propose une analyse des causalités du changement » (p. 15).

Nous allons essayer de nous inscrire dans cette histoire causale de la linguistique en partant du principe défendu entre autres par Daniel Baggioni dans sa thèse, selon lequel la linguistique, comme toutes les sciences humaines, n’échappe pas « à un lien avec la pratique sociale, à une sorte de détermination par les demandes du mouvement des sociétés » (p. 18). Alors que Baggioni craignait qu’il fût très difficile de fournir des exemples pour illustrer cette idée, nous pensons en avoir trouvé un.

Au début du XXe siècle, la reconstruction de l’Europe après la Première Guerre mondiale et la révolution bolchevique de 1917 se trouvent réunies par la même volonté de recréer un monde. Pour ce faire, dans les deux cas, l’on fit appel à la langue. Par contre, ces deux événements se distinguent résolument si on les aborde du point de vue de l’ambiance idéologique qui les caractérisait. Alors que l’URSS des débuts se déclarait internationaliste et cosmopolite, l’Europe de Versailles fut celle d’un retour des idées qui faisaient de la langue un des signes essentiels et nécessaires de la nation. En partant de ces deux exemples, nous pourrons donc comparer les différentes conceptions de la langue et de la linguistique dans ces deux «airs du lieu» totalement opposés, et nous pourrons voir si ces ambiances différentes ont pu influer sur ce que Mounin appelle la curiosité linguistique d’une époque.