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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- 8 avril 2014
Christian BOTA (Univ. Genève) : «Portée et limites de la philosophie du langage d’Eugenio Coseriu»

Le travail du linguiste roumain Eugenio Coseriu (1921-2002) reste encore à l’heure actuelle mal connu en francophonie, bien qu’il soit – par son envergure et par sa profondeur – l’un des plus importants au 20e siècle. Formé dans l’Italie des années 1940 – en philologie slave et en philosophie de l’art – et ayant développé sa pensée dans le Montevideo des années 1950 – au travers de nombreux enseignements notamment –, Coseriu s’est servi de son parcours atypique et de sa force de travail inouïe pour mettre en œuvre un projet scientifique novateur.

Alors que la linguistique d’après-guerre s’élançait dans le formalisme logico-mathématique et dans le descriptivisme structuraliste, Coseriu s’est proposé d’élaborer une « science intégrale du langage », en renouant avec l’histoire de la philosophie du langage occidentale (de Vico à Humboldt et d’Aristote à Hegel) et, en même temps, avec les projets de fondation des sciences de la culture. Dans ce cadre, la philosophie du langage a joué un double rôle, étant à la fois philosophie de l’objet (philosophie du langage) et philosophie de la science de l’objet (philosophie de la science du langage). Les problématiques qui lui ont été assignées – la définition des universaux du langage comme activité créatrice (energeia), la délimitation du statut fondateur du savoir intuitif (tekhne) de chaque locuteur, la saisie de la nature significative du langage dans son ensemble (logos semantikos), etc. – ont renforcé sa place charnière dans l’architecture de la science conçue par Coseriu, qui n’a jamais fait de la philosophie du langage une discipline “autonome”.

Régie par une certaine exigence méthodologique, cette conception a opéré cependant dans des limites que Coseriu s’est lui-même imposées ; tout en ouvrant la science du langage vers d’autres sciences de l’humain, il n’a pas lui-même exploré ce chemin. La valorisation contemporaine de ses idées – en commençant avec celle d’energeia langagière – implique dès lors un dépassement de ces limites et une mise en débat à partir de projets similaires, qui ont à leur tour tenté de surmonter la séparation entre science du langage, science du social, science du psychisme, etc. Un tel projet est, par exemple, la philosophie du langage de Volochinov.