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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Encyclopédie des linguistes russes et soviétiques, et d'Europe centrale et orientale


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ЧЕРНЫШЕВСКИЙ Николай Гаврилович // ČERNYŠEVSKIJ Nikolaj Gavrilovič

(1828-1889)

Essayiste, écrivain, critique littéraire, historien, philosophe. Il se destinait au études de philologie avant de se lancer dans l'essayisme politique. Parmi son œuvre abondante on trouve quelques écrits concernant le problème langue/pensée et langue/psychologie du peuple.

Œuvres :

- 1888. «О классификации людей по языку».

Commentaires :

La vie et l’œuvre

Nikolaj Gavrilovič Černyševskij est un écrivain, un critique littéraire, un philosophe et un publiciste démocrate révolutionnaire. Il est né à Saratov le 12 juillet 1828 dans une famille d’un prêtre qui lui a appris le grec, le latin et le français. En 1842 il est entré au séminaire ecclésiastique de Saratov. Sans avoir terminé son programme d’études au séminaire il part en 1846 à St. Pétersbourg pour entrer à la faculté d’histoire et des Lettres de l’Université de la capitale.
        Pendant les années d’études il fait connaissance avec les théories socialistes et les idées de Hegel ainsi qu’avec les travaux du philosophe matérialiste allemand Ludwig Feuerbach. Ce dernier ainsi que les travaux de Belinskij et de Herzen le convertissent progressivement en matérialiste.
        Après l’Université il devient professeur au lycée de Saratov où il reste pendant deux ans. Ensuite il revient à St.Pétersbourg où il passe l’examen de Doctorat (en littérature russe) et entreprend d’écrire une thèse sur « les relations entre l’esthétique et la réalité ». La soutenance a eu lieu devant un vaste jury public et le jury en était satisfait mais le titre n’a été confirmé par le ministre que trois ans plus tard.
        En 1853 Černyševskij collabore à deux grandes revues de l’époque : le Contemporain et les Annales de la Nation. Ses articles étendus sur huit années rempliront onze volumes. Il devient rapidement le chef du radicalisme et du socialisme russes. C’est à ce moment qu’il rédige ses fameux essais critiques publiés sous le titre Essais sur la période gogolienne de la littérature russe (la première édition était posthume, 1892)  ainsi qu’un grand article philosophique Le principe anthropologique en philosophie. [peux-tu donner tous les titres en russe également ?]
        En 1862 Le Contemporain est interdit et Černyševskij est arrêté puisque tout le monde l’estimait être chef et inspirateur du mouvement révolutionnaire. Il est condamné aux travaux forcés pour avoir composé des proclamations aux paysans. Le verdict provoque l’impression la plus pénible même dans les cercles conservateurs sans parler de la jeunesse radicale. ČernyŠevskij est exilé en Sibérie. Ce n’est qu’en 1883 qu’il est autorisé  à revenir dans la partie européenne de la Russie. Il vient d’abord à Astraxan’ puis six ans plus tard à Saratov, sa ville natale où il meurt en octobre 1889.

Le contexte historique

        Černyševskij est un penseur d’une génération qui a suivi celle des slavophiles et des occidentalistes. Cette génération des années 1860 a été profondément imprégnée par l’événement du 19 février 1861 : l’abolition du servage et la libération de l’individu. C’était le moment de la lutte pour une grande réforme sociale. Les intellectuels de cette époque se posaient la question suivante : la peuple est libre mais est-il heureux ? C’est la raison pour laquelle les discussions de la deuxième moitié du XIXe siècle se déroulent autour des questions de la liberté économique du peuple (les paysans ont obtenu une liberté physique mais ils se sont retrouvés dans l’esclavage économique), de ses intérêts et de son bonheur. Dans ces débats la plupart des intellectuels se mettent sous les drapeaux du socialisme. Le point de discorde entre la partie socialiste et non socialiste (socialisme en tant que courant de pensée) de l’intelligentsia des années 1860 était le dilemme suivant, formulée pour la première fois par Černyševskij dans la revue Le Contemporain (1857, n°6) : la richesse nationale ou le bien-être du peuple [nacional’noe bogatstvo ili narodnoe blagosostojanie] ? (Une question qui n’a pas beaucoup de sens pour un intellectuel francophone). C’étaient deux différents façons de comprendre la liberté économique, deux diverses méthodes de lutter pour le « bonheur du peuple », l’objectif que tous les intellectuels s’étaient fixé.

Sur les sources de sa pensée

        Parmi les penseurs qui ont fortement influencé l’œuvre de ce penseur la première place est occupée par le philosophe allemand L.Feuerbach à qui Černyševskij prend son matérialisme. Mais il faut dire tout de suite que le matérialisme de Cˇernysˇevskij représente un matérialisme vulgaire qui n’a pas beaucoup de choses en commun avec celui de Feuerbach.
        Une question intéressante est celle des sources positivistes chez Černyševskij. D’une part, il trouvait que la « formule d’Auguste Comte sur trois états de la pensée est une formule complètement idiote » mais d’autre part, le fait que son œuvre est fortement positiviste est hors de doute.
        Il faut reconnaître que les sources de ses opinions se retrouvent dans toute la littérature   scientifico-philosophique de son temps, et d’abord dans le scientisme, caractéristique du XIXe siècle. Černyševskij (de même qu’en partie Herzen) était sous l'influence de l’esprit français, source des tendances socialistes qui s’étaient emparées de sa tête comme de son cœur. Certes ses idées sociales et économiques ont une origine éthique très apparente ; la primauté de  l’éthique sur la pensée «pure» détermine toute son attitude spirituelle. Il a une véritable foi dans la science, dans ses possibilités illimitées, dans la puissance de sa connaissance. 
        Mais il serait faux de croire que le romantisme est absent chez ce penseur car cette génération des intellectuels conservait sous le couvert de différents courants un véritable fond romantique.

Sur ses idées philosophiques

        Le Principe anthropologique en philosophie est son article le plus important (publié dans Le Contemporain, 1860, n° 4, 5) dans lequel il développe une théorie du monisme matérialiste considérant que les sensations et la pensée sont des processus du corps humain décomposables en éléments physiologiques et ensuite mécaniques. Cˇernysˇevskij y traite avec mépris non seulement Fichte, mais aussi Schopenhauer. Son assurance, à savoir que la vérité n’existe que dans une doctrine conforme à la sienne, devient du laisser aller; il dénigre tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Ses travaux précédents, sa thèse et les articles réunis en volume sous le titre d'Essais sur la période gogolienne de  la littérature russe contenaient bien plus de respect envers les idées des autres. A présent, il devient intolérant, le ton est doctoral, insupportable.
        Il combat avec feu la théorie « philosophique » de la dualité chez l’homme, de l’opposition de « l’esprit » à la nature. Selon Černyševskij  il faut considérer l'homme comme un être qui n’a qu'une nature, et ne pas scinder la vie humaine en deux parties inégales; et il faut examiner chaque aspect de son activité comme celle de tout son organisme ou en relation avec l’organisme tout entier. Il se prononce contre les penseurs qui continuent à opérer avec l’ancien et «fantastique système du fractionnement anti-naturel de l’homme».
        Défendant l’unité de celui-ci, Černyševskij la conçoit par principe en termes biologiques, mais avec des compléments dans l'esprit du matérialisme proche du matérialisme français du XVIIIe siècle. Au fond, il occupe la position d’un biologisme matéria1iste et non pas proprement du matérialisme. Il estime qu’il n’y a que l’être matériel. Mais il est vrai qu’il reconnait l’autonomie du domaine psychique. Pourtant dans ses lettres de Sibérie il va affirmer que les processus psychiques ne sont que des vibrations physiques.

Les idées sur la langue et la nation

        Les idées de Černyševskij sur le rapport entre la langue et la nation sont contradictoires et ne présentent pas un système tout à fait cohérent.
        Dans son article Sur la classification des gens sur la langue [O klassifikacii ludej po jazyku] il présente ses considérations de façon suivante.
        Il existe des classifications des nations selon la langue que les gens parlent. Mais en même temps, remarque le penseur, il y a des groupes historiquement constitués qui ne sont pas unis par une langue commune (par exemple, la Suisse). Comment une personne, se demande Černyševskij, peut-elle définir son appartenance à un groupe ?  Par son sentiment : «ces gens sont les nôtres». Et le fondement le plus stable de ce sentiment est la langue : «mes gens sont les gens qui parlent ma langue» ou «la personne qui parle notre langue est une des nôtres». Ensuite, dans son article, il analyse l’influence et l’importance de W.Humboldt pour les sciences du langage et la question du rapport entre la langue et la pensée en précisant que, malgré l’introduction de nouvelle méthode de comparaison des langues anciennes, Humboldt n’a pas élaboré son propre point de vue [samostojytel’nyj obraz myslej] sur la langue et la pensée. Il n’a fait que suivre, écrit Černyševskij, les autres philosophes allemands de l’époque (sans préciser de qui il s’agit et en quoi exactement Humboldt les suit et pourquoi on ne peut pas parler de son propre point de vue sur le rapport langue-pensée) pour qui la langue et la pensée sont indissolublement liés, que la langue et la pensée est, en réalité, la même chose : tout ce qu’il y a dans la pensée est exprimé dans la langue et si dans la langue il n’y pas de mots pour exprimer un phénomène, cela signifie que ce phénomène n’existe pas pour la pensée de ce peuple. Les gens appartenant à un peuple, continue le penseur l’exposition du point de vue des philosophes allemands (bien qu’on n’arrive pas vraiment à distinguer s’il s’agit de son propre point de vue ou de celui des philosophes allemands qu’il ne nomme pas ou de Humboldt), appartiennent à leur langue et ne peuvent pas s’exprimer dans une autre.
        Après l’exposition de ces idées Černyševskij ne donne pas son avis, positif ou négatif, de cette façon de voir le rapport entre la langue et la pensée. Lui-même, on en a l’impression, n’a pas son propre point de vue sur la question. Même si dans ces autres articles il parle plus des rapports entre la nation et le peuple, la langue dans cette optique ne prend jamais une place centrale ou prépondérante tout en restant sur les marges de ses réflexions sur ce sujet.
        En parlant du peuple Černyševskij estime que chaque peuple a «son patriotisme» et sa psychologie qui se manifestent dans les actes concrets de ses représentants. Il a beaucoup travaillé sur la question du lien entre le national et le social dans la vie spirituelle des peuples.
        Il pense que chaque peuple est un ensemble, un groupe de personnes qui se ressemblent par rapport au niveau du développement intellectuel et moral. Le caractère national, selon ce penseur, est une sorte de somme totale de différentes qualités des représentants de tel ou tel peuple qui ne sont pas héréditaires mais représentent un résultat du développement historique et des formes de la vie quotidienne. Cˇernysˇevskij inclut dans la structure du caractère national les spécificités intellectuelles et morales des gens qui sont liées à la différence des langues, à la spécificité des coutumes et des convictions théoriques ainsi qu’à l’éducation. Il a décrit les caractéristiques psychologiques des représentants de différents groupes ethniques et a analysé des stéréotypes sur le caractère des peuples.
        Par exemple, dans son article Sur les différences entre les peuples selon le principe national [O različijax meždu narodami po nacional’nomu priznaku] Černyševskij écrit que, malgré le fait que chaque peuple possède sa propre langue et son propre patriotisme national, ces deux choses ne sont pas suffisantes. Chaque peuple en Europe a des groupes professionnels, des classes, etc. (ce qu’il appelle les «compartiments» [otdely]). Ces spécificités de caste, de classe ou de groupes professionnels sont si importantes que chaque compartiment professionnel ou de classe de chaque peuple occidental, à part sa langue et son patriotisme, ressemble peu intellectuellement et moralement à un autre compartiment de son peuple mais beaucoup au même compartiment d’un autre peuple.

On trouve une bibliographie et on peut télécharger des œuvres de Černyševskij ainsi que des travaux critiques et des articles sur le penseur (datant des époques différentes : de 1863 jusqu’au 1980) sur le site : http://az.lib.ru/c/chernyshewskij_n_g/


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