Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO)

Encyclopédie des linguistes russes et soviétiques, et d'Europe centrale et orientale


---------------------


LURIA Aleksandr Romanovič // ЛУРИЯ Александр Романович

1902-1977

Psychologue et psycho-linguiste soviétique, non-pavlovien, spécialiste en neuropsychologie clinique, psychologie expérimentale.

 - 1918-1921 Etudes de sociologie à Kazan, sa ville natale. Ses intérêts scientifiques de cette période concernent la psychologie sociale pour expliquer le comportement de l’homme réel dans l’environnement.

 Spécialisation en médecine et en psychologie à l'Institut pédagogique et à l'hôpital psychiatrique de Kazan.

 - 1921 Fonde l’Association psychanalytique de Kazan. Entre en correspondance avec S.Freud en personne et obtient de l’Association psychanalytique internationale la reconnaissance du cercle de Kazan.

 - 1922Termine l’Université. Ecrit un livre Osnovy realnoj psixologii [Fondements de psychologie réelle] qui n’a pas été publié.

- 1922 Ecrit et publie un livre Psixoanaliz v svete tendencij sovremennoj psixologii [La psychanalyse à la lumière des tendances de la psychologie contemporaine].

 - 1922 Entreprend la publication de la revue Psixofiziologija truda et invite Bexterev à devenir un des rédacteurs. Bexterev accepte à condition que le titre inclue le mot «réflexologie». En conséquence la revue Psixofiziologija i reflexologija truda a été créée mais il n’y a eu  que 2 numéros.

-1923 Abandonne ses études de médecine et devient assistant au laboratoire de l'organisation scientifique du travail à l'Univ. de Kazan.

- 1923 Chercheur à l'Inst. de psychologie de l'Univ. de Moscou sous la direction de N.K. Kornilov. Etudie les effets du stress émotionnel sur les réactions motrices de l'organisme humain. A déjà ses propres élèves,  parmi lesquels il y a A.N.Leontjev, futur psychologue «officiel» de l’URSS.

- 1923 Devient le secrétaire scientifique de l’Association psychanalytique de Moscou et de l’Institut psychanalytique d’Etat. A l’Institut il est chargé de fonctions bibliographiques (préparation de revue bibliographique «Le système psychologique de la psychanalyse»). 

- 1923 Directeur du Département de psychologie à l’Académie d’éducation communiste (Зав.кафедрой в Академии коммунистического воспитания им. Крупской)

- 1924 Au IIe congrès psycho-neurologique fait la connaissance de L.S. Vygotskij, qui étudiait l'influence des maladies nerveuses sur le fonctionnement de l'intellect.

Devient interne à l'Inst. de neuropsychologie de Moscou. Il y développe son approche particulière des lésions locales du cerveau.

Dirige le laboratoire de psychologie expérimentale à la clinique de neurologie de l'Inst. de médecine expérimentale de Moscou.

Met au point le détecteur de mensonge sur la commande du Procureur général des Procès de Moscou. Cette application criminalistique est issue de ses recherches sur des réactions affectives et leurs mécanismes.

- 1925 Rédige en collaboration avec L.Vygotski la préface pour l’édition russe du livre de S.Freud Au-delà du principe de plaisir. Les auteurs constatent qu’en Russie il existe une tentative pour créer un nouveau mouvement de psychanalyse qui réaliserait la synthèse du marxisme et de psychanalyse à la base de la théorie des réflexes.

-1925 Max Wertheimer publie les résultats des recherches de A.R.Luria sur le détecteur dans la revue internationale Psychologische Forschungen. Cette publication a ouvert la voie à la reconnaissance mondiale du psychologue soviétique.

- 1926 Publication des résultats des recherches sur les réactions affectives et leur application criminalistique (détecteur de mensonge) dans les revues Sovetskoe pravo et Naucˇnoe slovo.

- 1932 Publication aux Etats-Unis de son livre The nature of human conflict. Ce livre a été réédité en Amérique 3 fois, en Russie n’a jamais été publié en intégralité.

- 1936 doctorat en sciences pédagogiques.

Pendant la guerre il travaille comme médecin, s'occupe des traumatismes cervicaux. Travaille à l'Inst. de neurochirurgie de Moscou.

- 1943 doctorat en médecine (Univ. de Moscou)

- professeur au département de psychophysiologie et de neurophysiologie de l'Université de Moscou.

- 1945 directeur de ce département.

- 1945-1977 Doyen de la Faculté de neuropsychologie de l'Univ. de Moscou

- 1947 élu membre de l’Académie des sciences de l’éducation de la RSFSR.

- 1950 Il est révoqué de ses fonctions pour des raisons idéologiques, puis réhabilité. Il travaille ensuite à l'Inst. de neurochirurgie jusqu'à sa mort.

- 1968 élu membre de l’Académie des sciences de l’éducation de l'URSS.

- 1969-1972 Vice-président de l'Association internationale de psychologie.

 

A.R. Luria a commencé sa longue carrière dans la psychologie soviétique en tant que secrétaire scientifique de la Société psychanalytique russe. Les vue de Luria, de Vygotski et de leur entourage se formèrent au contact essentiel de Sabina Spielrein  qui a apporté à Moscou les traditions vivantes des écoles viennoise, zurichoise et genevoise.

A l’âge de 19 ans A.Luria a fondé l’Association psychanalytique à Kazan et a obtenu la reconnaissance de ce cercle par S.Freud et l’Association internationale de psychanalyse.

Il se peut que les anciennes relations amicales de Freud et de Darškevič, qui était le fondateur de l’école des neuropathologues  de Kazan et dont les élèves étaient les médecins du cercle psychanalytique, ait influencé les activités du cercle et entraîné sa reconnaissance par Association internationale.

A l’encontre de Kazan, l’Association moscovite a dû demander plusieurs fois la reconnaissance par l’Association internationale de psychanalyse. Freud a accepté les revendications de la société russe de la psychanalyse  à condition que la société de Kazan (les « groupes locaux ») puisse être admise à un rang égal. Intrigués, les représentants moscovites ont préféré résoudre le problème en transférant tout simplement Luria et ses hommes à Moscou, ce qui mettait fin au conflit en même temps qu’au cercle de Kazan. Il faut noter enfin que dans ses rapports d’activité ultérieurs, Luria, secrétaire de la Société russe, préférant sans doute oublier cet épisode, affirmait qu’elle avait été reconnue sans difficulté par l’Association internationale.

A.Luria a joué un rôle important dans l’émergence du freudo-marxisme en Russie. La question de freudo-marxisme a été soulevé pour la première fois par le cercle de Kazan. Le procès verbal d’une de ses réunions de 1922 avance une hypothèse d’une parenté entre la méthode de Marx et celle de Freud :

1.     « elles sont toutes deux entièrement analytiques » ;

2.     « toutes deux ont affaire à l’inconscient » ;

3.     « l’objet de l’une comme de l’autre est la personnalité dans sa définition sociale et historique » ;

4.     « toutes deux étudient une dynamique »[1].

 

A partir de 1923, les rapports entre la psychanalyse et le marxisme n’ont plus quitté les ordres du jour des réunions des analystes moscovites et les colonnes des revues où ils publiaient leurs travaux.

En 1925 Luria écrit un article consacré à la synthèse de marxisme et de psychanalyse dans un recueil Psychologie et marxisme. Luria interprète la psychanalyse comme «un système de psychologie moniste». Plus tard Luria a tenté d’attirer Sabina Spielrein pour la collaboration au second volume de ce recueil, mais il semble qu’il a échoué (on trouve le brouillon de la table des matières  de ce second volume resté inédit dans les archives privés de Luria. Il est de sa main).

Bien que Luria ait travaillé beaucoup à la suite avec L.Vygotsky, ce dernier a critiqué irréconciliablement  ses travaux de cette période. «Aucune revue de psychanalyse ne publierait évidemment  des articles de Luria ou de Fridman», écrivait-il dans un texte qui datait de 1927, mais qui n’a été publié que cinquante ans plus tard[2]. A.Luria a été accusé d’éclectisme méthodologique, d’avoir déclaré Freud et son école monistes, matérialistes, dialecticiens ou héritiers du matérialisme historique.

Après s'être intéressé aux théories de S. Freud, A. Adler et K. Jung, Luria s'en écarte et donne la préférence aux méthodes expérimentales.

C’est à ce moment que A.R.Luria commence à travailler avec L.Vygotski et A.Leontiev sur la «théorie culturelle et historique de l’activité». Cette théorie avait la perspective de montrer comment change la pensée (мышление) des gens dans le milieu social. Dans cette théorie non seulement la culture et l’histoire avaient une place importante dans le développement du psychique mais aussi le développement des opérations avec des signes. Pour prouver les fondements théoriques de cette conception historico-culturelle, formulés par L.Vygotsky, A.Luria entreprend en 1931 et 1932  deux expéditions en Asie Centrale.

Les années 1931-1932  ont commencé une campagne contre la théorie culturelle et historique de l’activité et par conséquent contre l’école de L.Vygotski. A.R.Luria a souffert de cette campagne mais sans conséquences importantes pour sa vie et sa carrière scientifique. La preuve est le fait que A.R.Luria était le seul psychologue soviétique qui avait la permission d’être publié à l’étranger. Il s’agit de la publication des articles et des ouvrages monographiques. En fait, avant 1962, quand le livre de L.Vygotskij Мышлениe и речь a été publié en anglais, A.R.Luria était le seul représentant de la psychologie soviétique en Occident.

Les observations de A.R.Luria ont porté principalement sur les fonctions supérieurses du système nerveux central, sur la pathologie corticale, sur la mémoire, sur les aphasies.

Continuateur de Pavlov et de Vygotskij, Luria reprend la théorie des deux systèmes de signalisation (liaisons conditionnelles, significations verbales) et développe l’idée d’une prédominance progressive du second système dans le contrôle du comportement humain. À partir d’observations comportementales, pathologiques, neurologiques, il a étudié le fonctionnement du second système et mis en évidence les structures nerveuses impliquées dans ce fonctionnement.

Le langage, pour Luria, a essentiellement trois fonctions :

- une fonction de signalisation dans la perception (la désignation verbale a pour effet d’orienter l’attention vers les indices utiles et de renforcer ces derniers) ;

- une fonction de commande de l’action (le langage peut compenser la déficience des liaisons du premier système, qui sont en dépendance des indices sensoriels) ;

- une fonction d’organisation de l’action (le langage permet le développement de programmes complexes d’action).

Le développement génétique est caractérisé par le type de fonction mis en œuvre, à tel ou tel stade, pour assurer le langage : la fonction de signalisation apparaît la première, puis vient la fonction de commande de l’action et, enfin, la fonction d’organisation. Par de nombreuses observations pathologiques, Luria a mis en évidence une documentation fonctionnelle des deux systèmes et a fourni des arguments de poids en faveur de la théorie d’un double système de commande de l’action.

 

Œuvres :

 

- 1925. «Психоанализ как система монистической психологии», в кн.: Психология и марксизм. Под ред. К.Н.Корнилова. Л., 1925, cтр. 47-80.

- 1930. (avec L.S. Vygotskij) : Etjudy po istorii povedenija, Moskva-Leningrad.

- 1962. Vysšie korkovye funkcii čeloveka i ix narušenija pri lokal'nyx poraženijax mozga. Moskva, 432 p.

- 1962. Mozg čeloveka i psixičeskie processy, Moskva, 88 p.

- 1970. Kurs obščej psixologii (Psixologija pamjati). Moskva, 166 p.

- 1974. Nejropsixologija pamjati (2 T.), Moskva.

- 1974. Ob istoričeskom razvitii poznavatel'nyx processov. Eksperimental'no-psixologičeskoe issledovanie, Moskva, 172 p.

- 1975. Materialy k kursu lekcij po obščej psixologii (vyp. 1-IV), Moskva.

- 1975. Osnovnye problemy nejrolingvistiki, Moskva.

- 1979. Jazyk i soznanie, Moskva, 335 p.

- 1993 (avec L.S. Vygotskij) : Etjudy po istorii povedenija. Obez'jana. Primitiv. Rebenok. Moskva-Leningrad.

- 1994 Malen'kaja knižka o bol'shoj pamjati : Um mnemonista. Moskva, 96 p.

 

 

Commentaires :

 

- Etkind A.: Histoire de la psychanalyse en Russie. Paris, 1994.

-Frumkina R.M. : Kulturno-istoričeskaja psixologija Vygotskogo-Luria // http://vivovoco.rsl.ru/VV/PAPERS/MEN/LURIA.HTM

- Levitin A.R. : Ličnost'ju ne roždajutsja, Moskva, 1990.

- A.R. Lurija i sovremennaja psixologija. Moskva, 1982.

- Lurija E.A.: Moj otec A.R. Lurija, Moskva, 1994.



[1] Cité d’après : Marti J. « La psychanalyse en Russie et en Union Soviétique de 1909 à 1930 », in Critique,  346 (mars 1976)  p. 230.

[2] L.S.Vygotski, « Istoricˇeskij smysl psixologicˇeskogo krizisa » (Le sens historique de la crise psychologique), Sobranije socˇinenij (Œuvres), vol. 1, Moscou, 1982, p.331.




Retour à la page d'accueil de l'Encyclopédie