Accueil | Cours | Recherche | Textes | Liens

Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Patrick SERIOT : «la glottogénèse dans la linguistique historiciste en URSS  (d'une linguistique du mot à une linguistique du nom)», Travaux du Cercle linguistique d’Aix-en-Provence, n°4, 1986, p. 147-177.

[147]

L’exposé que je vais présenter est extrait d'un travail en cours sur l'idéologie du nom et de la transparence référentielle dans la linguistique soviétique. Il s'agit là de premiers repérages à l’'intérieur d'une question complexe, touchant l’ensemble épistémologique de la linguistique soviétique.
La linguistique soviétique a tendance à se présenter elle-même (dans les manuels universitaires[1], dans les programmes et les bilans des plans quinquennaux[2], dans les grandes revues de linguistique ou des ouvrages généraux ... bref, dans toute situation institutionnelle) , comme
• 1) marxiste-léniniste,
• 2) sociale,
• 3) historique.
(les deux derniers points étant une conséquence du premier).
Cette conception est si prégnante qu'elle en vient à s'appliquer à la "linguistique contemporaine" dans son ensemble :
[148]

"Le lien de l'histoire de la langue à l'histoire de la société est un axiome de la linguistique contemporaine."
[Encyclopédie du jeune philologue, art. "Langage et société"]

Or, de quelle "linguistique contemporaine", au juste, parle-t-on ?
Un discours sur la langue qui me semble fort répandu, sinon dominant, en URSS, repose sur un maître-mot : l'Histoire.  Voici, à titre d'illustration, une citation :

"L'historisme (istorizm] a toujours[3] été un des principes dominants de la linguistique soviétique."
[Neroznak, 1981 , p. 90]

Comment interpréter cette affirmation, quelle conception de la langue y est à l'œuvre, quelle notion du temps recouvre ce "toujours"? Voilà les questions que je voudrais aborder aujourd'hui.
Remarquons avant tout que le rapport de la langue à l'histoire est présente comme étant d'ordre essentiellement épistémologique : le principe historique est une condition de scientificité de la linguistique :

"C'est grâce au principe de l'évolution que la grammaire devient scientifique."
[Čikobava, 1980, p. 4.]

D'autre part, les références théoriques de la linguistique historiciste sont explicitement prises dans le XIXe siècle. Ainsi Budagov [1983, p. 62] cite H. Paul, le linguiste allemand néo-grammairien (1846-1921), selon qui

"La seule étude scientifique du langage est la méthode historique."

ou Abaev [1970, p. 233] s'appuie sur une citation de Engels pour affirmer que

"Connaître la genèse d'un phénomène est le pas le plus important pour connaître l’essence de ce phénomène."

Je voudrais donc savoir dans quelle mesure ces affirmations, maintes fois répétées, peuvent servir à déterminer la spécificité de la problématique linguistique en URSS, mais également quel est le lien en-
[149]
tre la linguistique que j'appellerai "historiciste" et les divers modèles historicistes du XIXe siècle.
J'ai donc comme projet immédiat de déterminer les stratégies d'un discours qui me semble institutionnellement dominant dans la linguistique soviétique : le discours historiciste. Comment s'articule l’ensemble de la linguistique soviétique à ce modèle dominant, quelles en sont les failles et les contradictions, quel rapport la pratique linguistique en Union Soviétique entretient-elle avec cette conception de la scientificité ? Et comme projet plus lointain d'étudier le rapport de dépendance, de détermination ou d'écart entre la linguistique soviétique et ce qu'on peut appeler l'idéologie dominante en URSS, ou du moins le discours théorique dominant.
Je dois rappeler, en préliminaire à cet exposé, que la linguistique soviétique n'a rien d'un tout constitué et homogène. Je ne m'intéresse ici qu'au discours dominant, au discours institutionnel de la linguistique historiciste (LSH), en indiquant quelques tendances de cette linguistique "officielle".
Je définirai donc la LSH, ou linguistique dominante, comme celle qui se dénomme elle-même "linguistique soviétique", celle qui revendique clairement un enracinement et une spécificité nationale, une "tradition nationale"[4], qui s'oppose non pas à ce qui a précédé, mais à ce qui lui coexiste à l'extérieur de l'URSS.

1. L'HISTORICISME ET SES FORMES

1.1.  La glottogénèse, ou les récits sur l’origine

II est un lieu commun, dans toute réflexion sur la genèse du langage, de rappeler que la S.L.P. avait inscrit dans ses statuts fondateurs, en 1866, l’interdiction de traiter des problèmes d'origine du
[150]
langage. Il est néanmoins important de s'appuyer sur ce fait bien connu pour souligner qu'une telle interdiction ne touche nullement la LSH actuelle qui, au contraire, étudie de façon parfaitement explicite la genèse du langage, comme ramification d'un domaine plus large : l'anthropogénèse.[5]
A l’heure actuelle, des problèmes comme l’origine du langage ou le rapport du langage et de la pensée sont considérés en Occident comme philosophiques, ou même franchement métaphysiques. C'est la position, notamment, de G. Mounin [Mounin 1972, p. 233]. Dans la LSH, en revanche, ces questions sont internes à la linguistique, elles en sont partie intégrante.  Il y a donc une autre façon, en URSS, d'envisager l’objet de la linguistique, et une répartition différente du propre de la langue et de ce qui lui est extérieur.
Ainsi Abaev accuse la linguistique bourgeoise de masquer l’essentiel, l’origine du langage :

"Aucune théorie générale du langage ne peut être considérée comme complète et achevée si elle n'inclut pas une conception de l’origine du langage."
[Abaev, 1970, p. 234]

De même Berezin [1984] précise qu'il s'agit d'un problème concret, véritable et incontournable, et que si la linguistique bourgeoise ne l’aborde pas, cela prouve seulement qu'elle n'est pas scientifique.
Voici quelques exemples de récits des origines, au caractère fortement spéculatif, car reposant sur des hypothèses moins linguistiques que philosophiques, propres à l’anthropologie soviétique; cf. cette déclaration :

"Seule la conception marxiste de la nature et de la société a permis d'appréhender correctement le problème de l’origine du langage, de la pensée, et celui du rôle du travail."
[Šermuxamedov, 1980, p. 13]

A.A. Leont'ev [1963, p. 46, 57, 66] reprend a son compte, comme d'ailleurs le fait Plekhanov [1949], la théorie de Noiré sur l’origine du langage dans les onomatopées ho-ye-yo, découvertes dans les cris ou mouvements respiratoires et buccaux d'hommes travaillant ensemble[6].
[151]
Abaev [1970] réfute cette théorie en déclarant que si ces "cris de travail" avaient un quelconque caractère psychophysiologique, ils auraient été identiques pour toutes les hordes primitives connaissant les mêmes processus de travail. Il affirme au contraire que chez les hommes primitifs c'est la collectivité, vue dans son opposition aux autres collectivités, qui a fait l’objet de la première prise de conscience.  Or, le premier objet de conscience a dû être le premier objet de nomination (narečenie), donc "les premiers mots étaient seulement les noms des groupes socio-productifs : avant d'être les symboles des choses, ils étaient les symboles des collectivités nommantes (narekajuščie)." [p. 235].  Ces "premiers mots" étaient donc les désignations de "nous" et "notre", bien avant d'être "moi" ou "mon" [p. 239].  Le sujet de la connaissance n'était pas l'individu mais la collectivité. Par conséquent, au début, la fonction communicative n'était pas essentielle. L'important était de "trouver une expression à la conscience naissante de la personnalité collective" [p. 241]. Il en conclut que l'apparition des premiers mots en tant que symboles sociaux suppose comme condition fondamentale des contacts permanents de deux ou plusieurs collectivités (en opposition ou conflit)  et que le langage ne peut pas exister dans un groupe humain isolé. Le langage est donc apparu au paléolithique supérieur [p. 243].
Il est intéressant de remarquer qu'on sort ici du terrain cratylique : les formes lexicales sont aléatoires (non motivées), et n'ont donc aucun sens en elles-mêmes. L'origine du langage n'est ni conventionnelle ni naturelle, mais sociale : la prise de conscience de soi par la collectivité a précédé celle de l'individu. De la même façon, on insiste beaucoup sur le rôle du travail en oommun dans l’apparition du langage [Encyclopédie philosophique, 1983, art. "Langage"], en un discours moral répétant que la collectivité passe avant l'individu [Encyclopédie du jeune philologue, 1984, art. "Origine du langage"].

[152]

1.2.) La carte devient le territoire

1.2.1.  Qu'est-ce que le perfectionnement de la langue ?[7]

•   Spécialisation lexicale : une linguistique du mot

Une partie importante des thèses de la LSH repose sur l'idůe de progrès et de perfectionnement de la langue.
Budagov, par exemple, considère l'histoire d'une langue comme un perfectionnement continu, un "mouvement graduel vers l’avant" [Budagov, 1983, p. 65], faisant de cette théorie du progrès continu une "thèse marxiste" [p. 77]. La thèse du perfectionnement des langues est fondée sur l'idée de l’autonomisation progressive du mot dans l'histoire : dans les "langues anciennes" les mots dépendaient beaucoup plus du contexte que dans les langues modernes [p. 212, 216]. Budagov en donne comme illustration la "Révolution scientifique et technique, (qui) crée les conditions favorables pour un développement large et rapide de la terminologie, c'est-à-dire des mots isolés" [p. 217]. Le "perfectionnement" est ainsi pour Budagov une transparence référentielle de plus en plus grande, une disparition de la langue derrière le monde à nommer.  Ce perfectionnement est quantitatif : à Benveniste, pour qui le russe était resté le même après 1917 [Benveniste, 1974, p. 92], Budagov répond qu'il suffit de comparer l'actuel dictionnaire d'Ušakov avec n'importe quel dictionnaire d'avant la Révolution pour se persuader du contraire [p. 76].  Ou bien il fait le décompte des "nouveaux mots" enregistrůs en russe : 1.500 en 1977, 2.300 en 1978.  La langue, pour Budagov, est la somme des mots qui la composent. De la même façon Abaev [1970, p. 236] parle du progrès en langue comme d'"une différenciation constante, un accroissement et un enrichissement du lexique".
Le progrès en langue est donc assimilé à un mouvement continu vers la monosémie, avec l'idée de "spécialisation" de plus en plus grande du lexique, spécialisation, de surcroît, quantifiable.
A la base de ces formulations se trouve, me semble-t-il, une conception fort classique de la langue comme reflet du monde.  Le per-
[153]
fectionnement est un reflet de plus en plus précis et exact, qui revient à une disparition de la médiation de la langue dans le rapport du langage et du monde.  Budagov [1975, p. 26] sous-tend cette conception par des allusions à des linguistes russes du XIXe siècle comme, par exemple, Kruševskij (1851-1887) :

"N.V. Kruševskij avait pleinement raison lorsqu'il a formulé la loi fondamentale de la langue comme loi de correspondance du monde des mots au monde des idées. Plus la langue évolue et se développe, et plus elle se rapproche de cet idéal."

Cet idéal qui, rappelons-le, était déjà celui de Leibniz, est l’idéal classique de transparence totale des mots aux choses, c'est-à-dire une disparition de la langue et de son ordre propre derrière l’ordre des choses. La carte ainsi finira par se fondre dans le territoire, et la meilleure des langues serait alors la non-langue.
Il est inutile d'insister ici sur ce que cette conception ignore : le problème de la polysémie comme condition nécessaire de l’implicite et de la métaphore, le problème de l’autonomie relative du signifiant, c'est-à-dire la problématique de Freud, et surtout de Lacan. Il me semble plus important de souligner que cet idéal de transparence, par adéquation progressive des mots aux choses, est le but assigné, dans la LSH, à la connaissance scientifique, qui est nomination adéquate des choses. La science se doit donc de trouver le lien qui unit le dire et le savoir, et par conséquent l'avoir.

•  Une linguistique du nom : l’adéquation

Dans la LSH la langue, reflet et nomination du monde, se meut dans un processus gnoséologique, assimilé au progrès de "la" science. Le perfectionnement de la langue est donc envisagé dans une problématique d'adéquation, du nom à l'objet, de la connaissance au monde à connaître.
Ce qui est désigné par Althusser, notamment, comme "processus de production des connaissances" est remplacé ici par une nomination de plus en plus adéquate du réel. Il me semble qu'on est ici au cœur de
[154]
la métaphysique occidentale du signe comme adéquation et reflet, comme substitution de l'impropre au propre, qui remonte à Platon et s'oppose aux théories, par exemple, de grammairiens indiens comme Panini. Abaev [1970] expose cette théorie de l’adéquation progressive de façon très explicite :

"Surmontant graduellement leur immaturité et leurs limites, les généralisations du langage humain se rapprochent de plus en plus des relations objectives, réelles entre les choses, c'est-à-dire deviennent scientifiques."
[p. 256]

De même :

"Avec le progrès économique, social et culturel, les sélections, abstractions et classifications réalisées dans la langue correspondent de plus en plus aux relations objectives du monde réel, et le filet posé sur la réalité objective par la langue se rapproche du filet de la connaissance scientifique."
[p. 260]

On voit dans ces affirmations d'une part que le réel est déjà structuré avant que la langue n'y organise un découpage conceptuel, et d'autre part que la langue est un stock de noms qui s'appliquent à ce réel. Dans la LSH la langue est ainsi une nomenclature.
Nous sommes donc dans une linguistique de la représentation tout autant, sinon plus, que dans une linguistique de la communication. Tout cela ressemble bien aux spéculations du XVIIIe siècle sur la langue parfaite avec, en outre, une perspective nettement finaliste.
Mais en même temps, et chez les mêmes auteurs, on trouve une conception de l’inégalité du développement des langues proche de celle du romantisme allemand.

1.2.2. L'inégalité des langues

II y a un lien étroit, dans la LSH, entre, d'une part, l'idée du progrès des langues vers l'adéquation de la représentation et, d'autre part, l’inégalité des langues.
Au nom du matérialisme, Budagov pose que :

[155]
"La langue est directement et indissolublement liée à la société. C'est pourquoi un degré différent de développement de la société conditionne un degré différent de développement de la langue. Les linguistes matérialistes ne peuvent en douter."
[Budagov, 1981, p. 31]

II faut souligner l’équation générale société = peuple dans la LSH, ce qui explique le rapport contradictoire à Humboldt, Humboldt à qui dans le manuel d'histoire de la linguistique de Berezin, par exemple, est consacré un chapitre entier.
Budagov justifie les conceptions de Humboldt, qui "idéaliste en philosophie, défendait néanmoins une conception antiautonome de la langue, reliant la langue à la culture d'une société, à la pensée des hommes d'une époque donnée" [Budagov, 1983, p. 32]. Comme chez Humboldt, on trouve dans la LSH l'idée de la langue liée au peuple qui la parle, de la langue comme représentation de la pensée, du lien entre peuple évolué et langue évoluée, et l’opposition langue primitive/langue développée.
L'histoire différente des peuples a produit, selon Budagov, des degrés divers de développement des langues. S'appuyant sur une citation de Marx :

"Bien que les langues les plus évoluées aient des lois et des déterminations communes avec les langues les moins développées, c'est néanmoins la différence avec ce fonds commun qui constitue leur avance."
[Œuvres complètes, éd. sov., 12, p. 711]

Budagov propose l’exemple suivant : les langues anciennes avaient des pronoms démonstratifs plus nombreux que les langues modernes. Un système à trois pronoms est donc plus ancien qu'un système à deux pronoms. Les langues "plus intensivement développées" ont, par conséquent, un système à deux pronoms (exemple : le français), alors que les langues "moins développées" ont un système à trois pronoms (exemple : l’espagnol et le portugais) [1983, p. 107]. Contre "les déclarations démagogiques sur l'égalité totale de toutes les langues dans tous les temps et chez tous les peuples", Budagov affirme "le degré divers de dévelop-
[156]
pement des différentes langues, car chaque langue est liée à toute la culture de son peuple, culture dont le niveau est toujours déterminé historiquement" [p. 66].  Et il ajoute un peu plus loin à ce propos :

"Cette thèse est le fondement de la linguistique historique marxiste." [p. 99]. 

Pour Budagov il s'agit donc d'une position matérialiste qui part du principe de base que la langue dépend de la société. Mais les nombreuses références qui sont faites à Herder et aux linguistes romantiques allemands permettent d'assimiler la société (c'est-à-dire une "formation sociale" dans la terminologie marxiste) au peuple envisagé de la façon la plus vitaliste, et de faire ainsi des jugements de valeur sur les différents états de langue en relation avec des développements inégaux de la pensée de chaque peuple.

1.3  L'historicisme, ou l’histoire niée

1.3.1.  Evolution de la science et science nationale

Althusser, après Bachelard, a introduit la notion de "coupure épistémologique" dans la constitution d'une science. Il s'agit du "point de non-retour" à partir duquel une science commence [Pêcheux-Fichant, 1969, p. 8], du "moment où une science se coupe de sa préhistoire et de son environnement idéologique et prend conscience de son objet, de ses principes et ses méthodes par une série de négations radicales, souvent contre l'époque et le milieu" [Mounin, 1972, p. 228].
De coupure épistémologique, on n'en trouvera point dans la LSH.  Bien au contraire, le continuisme y est explicitement déclaré, avec la notion de preemstvennost' (continuité, succession). La LSH refuse toute idée de rupture, de discontinuité, toutes notions dont M. Foucault (en particulier dans L'archéologie du savoir) a montré l'importance.
Dans l’introduction de son manuel d'histoire de la linguistique, Bérézin [1984, p. 4] écrit : 

[157]
"Le principe historique présuppose l'idée de continuité [preemstvennost'], le lien du passé et du présent, car ce qui est nouveau dans la science n'est pas la négation du passé mais seulement sa transformation, son approfondissement et sa généralisation en correspondance avec l'état présent de la science."

L'histoire d'une science (ici la linguistique) est donc vue comme une simple évolution, prise dans une conception linéaire du progrès, thèse parfaitement positiviste, et non dans une problématique de la discontinuité, comme dans l'épistémologie postbachelardienne.  L'histoire de la formation et de la production des concepts de la linguistique, l’histoire de la délimitation réciproque des disciplines dans les sciences humaines, l'histoire des modèles dominants en linguistique et de leurs déterminations, tout cela est remplacé par le continuisme de l'idée de progrès dans la science, science linguistique qui était "déjà" toute formée dès le départ, comme si son objet, en tant qu'objet théorique, préexistait empiriquement à toute investigation. C'est ainsi qu'on parle de la linguistique grecque (avec Diogène) ou de la linguistique romaine (avec Lucrèce). C'est donc bien de la même science qu'il s'agit, qui étudie toujours, avec plus ou moins de bonheur, le même objet.
La dialectique du même et de l'autre sera au centre de cet exposé sur la genèse dans la LSH : qu'est-ce qui change, dans l’évolution de la langue ou dans l'histoire des idées sur la langue ?
Il semble important de souligner que les seuls clivages qu'on reconnaît à la linguistique sont des clivages nationaux. Il existe ainsi une "tradition linguistique nationale russe et soviétique".
L'idée de tradition nationale en science est, quant à elle, étrangère au positivisme, mais loin d'expliquer la causalité du changement en science par ses déterminations socio-historiques, elle s'apparente plutôt à une vision romantique du peuple : la science est l’expression de la culture du peuple.
La LSH part donc à la recherche de ses origines nationales et des précurseurs. Elle ne peut donc pas éviter le finalisme dans l'his-
[158]
toire de la linguistique : il faut découvrir dans la "tradition russe" des textes "matérialistes" avant les autres. On fait donc appel aux écrits de V.N. Tatiščev (1686-1750) ou de M.V. Lomonosov (1711-1765) pour y trouver les premières traces authentiques d'une vision matérialiste de la langue. La "linguistique soviétique", pour la LSH, est donc une discipline à part entière, définie moins par son objet que par sa spécificité nationale, tout comme d'ailleurs la linguistique occidentale est une autre branche du savoir.  Par exemple Budagov [1983, p. 129] note que : 

"La tradition philologique russe et soviétique dans son ensemble a toujours eu pour caractéristique d'envisager la grammaire comme l’unité organique des significations grammaticales et de leur expression dans la langue, alors que la linguistique américaine, également dans son ensemble, se caractérise par la négation des significations grammaticales et une interprétation purement formaliste des fonctions grammaticales."

Dans un autre passage de son livre [p. 37], il rapporte que "le remarquable philologue russe N.V. Kruševskij en 1883 remarquait le "scepticisme" de la linguistique occidentale, qui croit peu en la base réelle de la langue." (il s'agissait d'une critique de Delbrück). Et il ajoute : "C'est d'une façon très différente que le lien de la langue à la réalité a été interprété dans la science russe puis soviétique du langage."
Une autre illustration intéressante de cette thèse de la tradition nationale est la "redécouverte" des théories slavophiles du XIXe siècle. Selon V.V. Kolesov [1984, p. 175], "ce n'est que maintenant que les conceptions de Gilferding commencent à être prises en considération." A.F. Gilferding (1831-1872, historien et folkloriste, expliquait que les dialectes slaves soient restés longtemps peu différenciés et donc intercompréhensibles (à la différence de l'éclatement précoce des dialectes romans ou germaniques) par le fait que chez les Slaves le sentiment communautaire était plus fort que le sentiment individuel, à l’inverse de la dominance individualiste en Europe occidentale au Moyen Age.

[159]
1.3 Le changement dans la langue

Le grand débat qui a traversé le XIXe siècle sur la nature de la linguistique comme science naturelle ou science historique n'est plus, dans la LSH, posé en termes d'affrontement entre deux positions inconciliables. En effet, paradoxalement, la langue, phénomène maintes fois déclaré historique, a une évolution de nature nettement organiciste. C'est la spécificité du modele organique dans la LSH que je vais aborder maintenant.
Le modèle organique dans la LSH est certes différent de ce qu'il était à l'intérieur de l’épistêmè du XIXe siècle[8]. Le thème romantique qu'on trouve fréquemment chez Schlegel, par exemple, de dégénérescence des langues (des langues mères parfaites aux rejetons corrompus), avec une période préhistorique de développement et une période historique de déclin, est totalement absent. D'autre part, l'idée de "l’intervention consciente et active" des linguistes sur la langue est incompatible avec un organicisme au sens strict, qui impliquerait, comme chez Bopp et Schleicher, que la langue est un organisme naturel, soumis à un processus de développement propre, interne, biologique et non historique (cf. Hegel, "la nature n'a pas d'histoire").
Si l'on peut parler de modèle organique, c'est dans l'idée de continuité de la matière de la langue à travers son évolution dans le temps. Certes, la causalité des changements linguistiques est ramenée essentiellement aux facteurs externes (sociaux), c'est-à-dire tout autant au mode de production qu'à la "vie du peuple". Abaev [1970] s'oppose à l'évolutionnisme naturaliste du XIXe siècle : il ne reconnaît pas comme cause déterminante de l’évolution de la langue "le développement du cerveau et de l’intelligence en dehors de tout lien avec une organisation socio-productive" [p. 237], il récuse une "conception de l'apparition du langage comme résultat d'une évolution biologique naturelle [ibid.). Pour lui, le processus d'hominisation de l'animal est le passage du biologique au social.
[160]
Et pourtant la langue, dans ses changements, est décrite comme une matière vivante, ayant des potentialités propres qui se développent plus ou moins selon le milieu dans lequel elle évolue. On reconnaît là l’influence du darwinisme, qui joue un rôle considérable dans les spéculations historico-génétiques de la LSH actuelle.
Abaev [1970, p. 243] écrit que la seule méthode valable en linguistique consiste à étudier ...

"... de quelle manière dans le maigre inventaire des premiers mots se sont trouvées enracinées les puissantes potentialités de développement et d'épanouissement du langage humain, dans toute la richesse et la complexité de son organisation, dans toute la diversité de ses réalisations. En bref, c'est dans les sources mêmes du langage qu'une théorie glottogonique optimale doit découvrir les forces motrices de tout le développement de la langue."

Il faut remarquer ici la métaphore implicite du germe : le tout organique est donné d'emblée, la langue est un organisme vivant possédant des potentialités, qui se développent avec plus ou moins de bonheur selon le milieu humain, lequel milieu va actualiser des potentialités déjà inscrites au départ.  Ces potentialités en germination gardent le mystère de la première graine, du noyau initial qui se développe. Abaev [1970, p. 256] note la grande puissance d'abstraction des peuples primitifs qui ont, par exemple, un nom pour désigner la force magique qui imprègne les êtres vivants et les éléments naturels.  Il écrit :

"Ces idées n'expriment pas uniquement une faiblesse de la capacité cognitive.  Elles traduisent aussi sa force, la grande force généralisante dont dès le départ le langage humain (čelovečeskoe slovo) a été doté. Dans ces idées, comme dans un germe (kak v zarodysˇe) étaient déjà visibles les premières lueurs des futures généralisations scientifiques. Elles ont été le gage du développement illimité des capacités cognitives de l'homme, de l’immense progrès de la connaissance humaine."

L'organicisme latent de la LSH est tempéré par le rôle déterminant du milieu humain. On trouve en effet dans la LSH une variante particulière du thème vitaliste : c'est l’image de la fécondation. Il s'agit de la métaphore de la greffe, sur un organisme sauvage et peu "développé", d'un élément sélectionné et élaboré.
[161]
Ainsi, par exemple, Gamzatov [1983, p. 346], à propos de l‘"influence" du russe sur les langues du Daghestan, parle de "la stimulation de leurs ressources et de leurs potentialités internes, (du) développement de leurs structures, (du) perfectionnement de leurs normes phonétiques, morphologiques et syntaxiques, (du) développement de leur système stylistique" (sous l’influence du russe).
De même Dešeriev [1980, p. 138], à propos du bilinguisme russo-ukrainien en Ukraine, parle de "la stimulation des traits de développement commun aux langues en interaction, (du) développement des potentialités du mot dans les langues en interaction".
Il faut noter clairement que le rôle du milieu (milieu humain ou contact de langues) ne peut être que de faire avancer plus ou moins vite un développement déjà inscrit potentiellement dans une perspective continuiste et linéaire. Par exemple, pour Budagov [1981, p. 3l],

"... dans la conception marxiste de la langue tout est lié. Il est tout particulièrement important de souligner la différence qui existe entre le concept de totale égalité de toutes les langues naturelles par leur nature et le concept d'inégalité des langues par leur niveau de développement socio-historique (langues moins développées et langues plus développées). Dans ce second cas, il n'y a rien d'"offensant" pour les langues moins développées : il suffit de créer pour elles des conditions favorables, et ces langues acquièrent alors la possibilité de se perfectionner constamment."

On justifie ainsi une sorte de thèse du développement séparé, et une politique lexicale volontariste doit suffire à combler ce retard.  Budagov [1977, p. 71] constate ainsi ...

"... l'enrichissement du lexique des langues qui, en leur temps, n'ont pas bénéficié des conditions favorables pour leur développement, et qui de nos jours croissent grâce à l'apport de mots courants venus d'autres langues."

Cette idée générale du progrès continu (de la langue, de la pensée, de la science et de la technique) dans un temps linéaire est une conception ëvolutionniste de l'Histoire, d'une Histoire continue, non contradictoire, envisagée comme simple chronologie, c'est-à-dire une genèse. Le "progrès" dans la langue est parallèle au progrès de
[162]
l'humanité en général : le temps, dans le changement linguistique, est, pour la LSH, l'accumulation du travail des générations successives d'un peuple sur sa langue.
Ainsi Kostomarov [1975, p. 167] écrit :

"Les générations de Russes, en utilisant leur langue, en l’enrichissant et en la perfectionnant, ont introduit dans ses formes, ont reflété dans ses mots et groupes de mots leur nature, leur histoire, leur poésie et leur philosophie."

On trouve ce thème du travail des générations successives sur la langue par exemple chez Whitney, mais il me semble plus juste de le faire remonter à la philosophie de Hegel, pour qui "la langue est le dépôt de la pensée".
L'Histoire comme genèse, voilà quel pourrait être le thème général de cet exposé. Certes, on parle souvent, dans la LSH, de stadialité (stadial'nost'), comme chez Marr, et la LSH est même parfois considérée en France comme "néo-marriste". Or, il me semble qu'il ne faut pas s'arrêter aux apparences, et que la stadialité telle qu'elle est présentée à l'heure actuelle n'à plus grand rapport avec la théorie marriste. Budagov [1983, p. 94], en effet, définit la stadialité comme

"... la régularité du développement de la langue en liaison avec le développement de la pensée, avec le niveau de développement de la culture (au sens large) d'un peuple, d'une société."

On n'a là aucune démonstration d'une quelconque théorie des stades, remplacée maintenant par l'idée du développement continu de la culture du peuple.  L'historicisme militant de la LSH est ainsi passé d'une vision fortement discontinuiste chez Marr à une vision continuiste. Budagov, par exemple, parle de périodisation à propos de I‘histoire du russe, et il emploie le mot de tournant, période-charnière (perelom). Un de ces tournants a été pour le russe la période 1800-1820, grâce au travail de Pouchkine sur la langue. Mais ici, outre qu'on confond la langue et le style d'un écrivain, l'influence du milieu humain est réduite à celle des grands hommes, qui améliorent et perfectionnent la langue. On est extrêmement loin des recherches typologi-
[163]
que de Meščaninov, qui étudiait dans le passage d'un système ergatif à un système nominatif le reflet de transformations socio-économiques.
Je dirai en conclusion de cette permière partie que l'historicisme de la LSH, pour confus qu'il soit, doit être rapporté à une conception propre à la première moitié du XIXe siècle. Caractéristique, par exemple, est le fait que Budagov cite Herder comme étant "le premier linguiste à avoir une conception du devenir historique comme processus soumis à des lois", Herder, cité très positivement par Berezin [1984, p. 24-25], Herder, celui-là même qui a fait le premier l’adéquation langue = peuple.[9]
La causalité des changements linguistiques est donc à la fois externe (le régime socio-politique, ou le peuple comme un tout) et interne (organicisme, germination). Mais le conflit n'est qu'apparent entre le sociologisme et un êvolutionnisme assimilé au perfectionnement. On est plus près de Meillet que de Marx.
Ce qu'il faut remarquer, à mon avis, est que ce qui change, ce qui évolue, c'est le mot, considéré comme une matière. Ce sera mon deuxième point : le substantialisme.

2.  CAUSE ET CONSEQUENCE DE L'HISTORICISME : LE SUBSTANTIALISME

2.1 La langue est une nomenclature

On peut montrer que la pratique de la LSH est cohérente à partir d'une certaine conception de la langue. Si les recherches sur l'origine peuvent ne pas être considérées comme une question métaphysique par la LSH, c'est que ces recherches s'inscrivent dans une vision de la langue (et non seulement du langage) comme substance.
Dans la LSH la langue est une nomenclature, elle est la nomination d'un réel dont le découpage conceptuel préexiste à l’opération
[164]
de nomination.  Le réel est donc structuré en soi, en dehors de toute dicibilité.
La conception matérialiste de la langue que prône un auteur comme Budagov me semble proche d'un réalisme substantialiste : partant de la "thèse marxiste indiscutable de l’existence objective de la langue" [1983, p. 193], Budagov attribue à chaque mot un sens propre, "fondamental" [p. 202], qu'on peut reconnaître au fait que ce sens est donné en premier dans les dictionnaires unilingues [ibid., p. 191, 194]. Il s'oppose ainsi à toute une tradition issue de Wittgenstein, selon laquelle le sens d'un mot est dans son emploi et, plus encore, explicitement, à la théorie de Saussure, selon lequel le sens d'un mot est sa valeur référentielle (la langue comme système de rapports négatifs et non comme nomenclature). La théorie saussurienne de la valeur est interprêtée par Budagov comme un "relativisme absolu" et assimilée au solipsisme de Berkeley [Ibid., p. 55].
Considérant la langue comme un stock de mots, Budagov transpose, me semble-t-il, la "thèse marxiste de l'existence objective des sens fondamentaux" [p. 208] en une conception atomistique de la signification, assimilée à la désignation transparente pure et simple de l’objet par le mot, ce qui, paradoxalement, rappelle fortement l’analyse de Russel ou les théories du langage issues du platonisme.
La conception substantialiste qu'a Budagov de la langue s'apparente selon moi à une ontologie vitaliste de la langue, analogue à certains courants du XIXe siècle (de Humboldt à Schleicher).[10] Il écrit notamment [1983, p. 56] :

"Dans la mesure où la langue maternelle de chaque individu existe en dehors de sa conscience, la langue elle-même se présente comme une substance déterminée. Les gens naissent et meurent, mais leur langue maternelle, passant de génération en génération, continue à vivre, conservant sa substance."

Il faut insister sur le fait que cette théorie substantialiste se fonde sur la philosophie matérialiste.  Berezin [1977, p. 17] déclare :

"Les linguistes soviétiques sont guidés par la conception matérialiste dialectique de la nature de la langue et de ses
[165]
fonctions sociales, par la reconnaissance de la primauté de la substance de la langue sur les relations existant dans la langue."

Si l'on peut, dans la LSH, se poser des questions comme celle de l'origine du langage, c'est parce que l'histoire de la langue est une histoire des mots, du lexique, qui forme la matière même de la langue. Il en découle cette conséquence que le lexique est plus important que la "grammaire" (par "grammaire" il faut entendre ici, me semble-t-il, la morpho-syntaxe).
Abaev [1970, p. 235] écrit :

"En parlant de l'origine du langage, nous avons toujours à l’esprit l'origine des mots, du lexique de désignation concrète (predmetno-znacˇimyj), et non de la grammaire. Le lexique et la grammaire sont des choses différentes, génétiquement et fonctionnellement. Le lexique de désignation concrète est entièrement en relation avec la réalité objective, la grammaire n'y est liée que par certains de ses éléments (par exemple les classifications nominales, si elles ont une expression morphologique). Dans le lexique, c'est l'aspect cognitif de la langue qui est au premier plan, dans la grammaire, c'est l'aspect technique communicationnel. Le lexique c'est le mode de vie (byt) appréhendé par la conscience sociale. La grammaire, ce sont des procédés socialement déterminés d'organisation du matériau linguistique en vue de la communication. Dans la mesure où cette élaboration s'est déroulée progressivement, sur la base d'un matériau lexical déjà existant, le lexique précède chronologiquement la grammaire. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de théorie de l'origine du langage qui expliquerait simultanément l'origine du lexique et celle de la grammaire."

On peut alors revenir à la question déjà posée : qu'est-ce qui change dans le changement linguistique ? Pour Abaev la réponse est claire : l’invariant du changement est la matière linguistique, seules les formes de chaque mot changent. On a ainsi une théorie de la conservation de la matière à travers ses métamorphoses, analogue à ce qui se passe en chimie. Le russe moderne serait ainsi consubstantiel au vieux-russe.
Voici comment Abaev présente cette idée [1970, p. 242] :

[166]
"Bien que les mots que nous employons aujourd'hui ne le cèdent en rien par leur âge aux outils en pierre de l’époque préhistorique, quelle différence colossale, néanmoins ! Nous trouvons la hache de pierre presque dans l'état ou elle est sortie des mains de l’artisan qui l'a créée; les mots de notre langue, avant d'acquérir l’enveloppe sonore et le sens dans lesquels nous les employons maintenant, ont subi pendant des dizaines de milliers d'années tant de transformations et de métamorphoses phonétiques, dérivationnelles et sémantiques, qu'il est aussi impensable de reconstituer la façon dont ils étaient prononcés et ce qu'ils signifiaient dans la bouche des hommes de l'âge de pierre que de déterminer par la forme et l’aspect de nos meubles quelle était l’apparence des arbres dont ils sont faits."

Il me semble que l’analogie avec les meubles est éclairante : c'est bien de la même matière que sont faits les meubles et les arbres, comme ce sont les mêmes mots qui ont évolué en se déformant au cours du temps, et nullement un système de rapports.
Enfin, une conséquence du substantialisme est l'idée, fondamentale dans la LSH, d'"intervention active des linguistes dans la langue". Pour Saussure la matérialité formelle de la langue s'oppose à sa maîtrise par les locuteurs; s'il s'agit en revanche d'une matérialité empirique et substantialiste, alors on peut intervenir sur cette matière et sur son devenir.

2.2.  L'intervention active

Dans un récent numéro de la Revue des études slaves[11], un article présentait l'idée d'intervention sur la langue comme une utopie pure et simple, à la limite de l'aberration. Il me semble qu'il est plus important de montrer comment une certaine conception de la langue détermine un certain travail sur la langue.
Ainsi pour Budagov [1983, p. 5] "le caractère objectif de l’existence de la langue n'empêche pas le peuple (et avant tout ses plus éminents représentants) d'exercer une action sur sa langue maternelle". Cette position fonde toute la possibilité d'une politique linguistique (c'était déjà la position de Jakubinskij contre Saussure[12]).
[167]
Un point me semble être à souligner : l’intervention active des locuteurs sur la langue est réalisée par le peuple tout entier, en tant que tout homogène, et surtout conscient : il s'agit d'un peuple parlant, comme on dit le sujet parlant.  Abaev [1970, p. 241] le dit explicitement : "le sujet de la connaissance n'est pas l'individu, mais la collectivité". Le peuple est sujet, comme l'est la nation chez Meillet, comme entité dotée d'une capacité de raisonnement conscient sur la langue, extérieure à la langue.  Budagov [1983, p. 127] écrit

"La linguistique historique s'efforce de rendre compte de ce qui se passe dans la langue. Cependant il faut se souvenir qu'il ne s'agit pas là de la cause première de tous les changements linguistiques. Une telle cause première n'existe pas, si ce n'est la plus générale : l'aspiration des gens à faire de la langue un moyen plus adéquat pour transmettre leurs pensées et leurs sentiments."

On justifie donc l’intervention consciente de la collectivité des locuteur» (de ce que j'ai appelé le "peuple parlant") au nom de l'adéquation des mots et du monde à dire. On est loin ici de Wittgenstein et Lacan et de l’impossibilité du métalangage : pour Budagov la prise de conscience du rapport langue/réel est extra-linguistique.
Comment cette intervention consciente et active se réalise-t-elle en URSS d'après les textes de la LSH ? Il y a, bien sûr, le travail créateur des grands écrivains, mais il s'agit en fait essentiellement du travail de normalisation de la langue par les linguistes : les linguistes dirigent l’évolution de la langue, donnent des recommandations dans des revues spécialisées (par exemple Russkaja reč') et peuvent par conséquent faire des prévisions sur le cours de révolution de la langue. Kostomarov [1975, p. 46] écrit, à propos de la situation des langues en URSS :

"Dans la situation actuelle de bilinguisme et de contacts approfondis entre les langues, les langues ne s'enrichissent plus mutuellement par un effet spontané, mais par une intervention consciemment maîtrisée. Les linguistes, par exemple, contrôlent attentivement l’avancée des emprunts lexicaux, l'évolution du fonds termine logique commun de toutes les langues de l'URSS."

[168]
De même Béloded [1977, p. 12] écrit :

"La science linguistique doit intervenir dans la vie du mot en littérature, car elle en est responsable, en théorie et en pratique, comme elle est responsable de tout l’ensemble de la langue normative parlée par le peuple tout entier. La science linguistique doit intervenir dans la vie de la langue normative (literaturnyj jazyk) et élaborer des recommandations, en se fondant à la fois sur les réalisations de la science, l'expérience sociale, la pratique linguistique normative, et sur les richesses linguistiques orales du génie linguistique créateur du peuple."

3. UN OBJET DE SCIENCE INSAISISSABLE

3.1.    Le réel de la langue

Chez Marx, Engels uu Lénine le problème de la langue n'est pas encore un enjeu fondamental dans la lutte idéologique.
En URSS, à la différence de ce qui se passe en Occident, la linguistique n'est pas le modèle théorique dominant pour les sciences humaines. Ce rôle de modèle théorique dominant est rempli par l'historicisme, comme explication causale de tout phénomène, mais sous une forme qui me semble non dégagée de ce que M. Foucault appelait "l'épistémè" du XIXe siècle. Il s'ensuit une série de paradoxes.
La LSH est tout entière dominée par un thème central : l'antisaussurisme, au nom du matérialisme historique qui, selon les linguistes que j'ai cités, pose que la langue est une substance réelle, et que les relations entre les éléments ne sont que secondaires par rapport à ces éléments qui sont, eux, premiers. La thèse que je voudrais défendre maintenant est que cette position antisaussurienne n'est autre qu'un refus de l'objet théorique de la linguistique, qu'un refus de l’autonomie de la linguistique comme science.
La LSH se caractérise, dans son refus du système, par un empirisme déclaré, un refus de la spécificité de l'objet de connaissance
[169]
et de la constitution d'un objet théorique. (Je rappelle l’opposition que fait Althusser entre l'objet réel,:comme objet empirique concret, préexistant à toute investigation, et l’objet de connaissance, qui résulte de l'adoption d'un point de vue sur le réel, qu'il permet de s'approprier sur le mode de la connaissance. En outre, ces deux objets ne sont pas extérieurs l'un à l'autre, mais entrent dans un rapport contradictoire.)
Il est notable, par exemple, qu'on cite, dans la LSH, plus souvent Meillet que Saussure, en y approuvant son culte du fait : dans ce système de valeurs, l’abstraction est quelque chose de négatif, le "fait", en revanche, est valorisé.
Quand je parle d'empirisme déclaré de la LSH, je veux dire que l'objet de la linguistique n'est pas construit à l’intérieur d'une théorie, mais déjà donné dans la transparence d'une approche empirique. Autrement dit, la LSH refuse l'idée que le point de vue crée l'objet.
Le mode d'appropriation scientifique du réel se réalise donc en une vision substantialiste de l'objet d'étude et une méthode atomiste, c'est-à-dire une négation absolue de la théorie saussurienne de la valeur.Je prendrai un exemple dans la théorie du phonème avancée par Ščerba.  Pour lui et l’"Ecole de Leningrad"[13] le phonème est un "son fondamental", un son minimal, l’invariant des variantes de prononciation, une sorte de plus petit dénominateur commun, en tout cas une substance phonique. Le phonème est mis en évidence par une méthode inductive : on établit des généralisations à partir de faits empiriquement constatés. Le phonème, par conséquent, est un son, fait de la même matière que les autres sons, mais cette matière phonique est porteuse de sens. Voici la définition, par exemple, qu'en donne Isaev [1977, p. 4] : "les phonèmes sont les sons fondamentaux qui permettent une différence de sens".
La LSH refuse donc d'envisager une matérialité d'ordre formel, différentiel, le matérialisme qu'elle prône ne lui permet de reconnaître qu'un mode réaliste d'existence de l'objet de science.
[170]
Il semble que deux problèmes soient alors confondus : le réel dans la langue et l'ontologie de la langue. Budagov [1983, p. 40] s'intéresse au "fonds réel de la linguistique, (à) la réalité des catégories dont s'occupent les linguistes". On en vient ainsi à une conception réaliste des catégories grammaticales : Budagov [ibid., p. 47] déplore que "nous ne savons pas encore combien de sous-catégories possède l’instrumental dans les langues slaves". Ces catégories sont donc censées exister en tant que telles avant toute investigation, attendant d'être découvertes. L'objet de connaissance est ainsi assimilé à l’objet réel.

3.2  Synchronie/diachronie

Le refus de la matérialité formelle différentielle de la langue implique une non théorisation de l’opposition synchronie/diachronie qui provient sans doute d'une lecture très réductrice de Saussure, à travers un structuralisme classique vu comme un refus de l'histoire. Or, pour Saussure, semble-t-il, la synchronie ne peut s'interpréter que dans son opposition à la diachronie, et non isolément.
La LSH se fonde sur une citation de Engels, qui dit qu'on ne connaît bien un fait que si on en connaît l'histoire, c'est-à-dire la genèse. Tout "fait" étant historique, il ne peut alors pas y avoir d'opposition entre synchronie et diachronie, c'est-à-dire que cette opposition n'est pas pensable.
Pour Saussure, le système constitue le préalable pour envisager les problèmes liés au changement linguistique. Sa théorie de la valeur rend impossible l'histoire de la langue comme histoire d'une substance : ce qui change ce sont des rapports, non des choses. Les changements ne peuvent donc pas être pensés sur le modèle de l’organisme, ce qui implique de reconnaître l’autonomie radicale de chaque système linguistique.
[171]
Il me semble alors intéressant de constater que dans la LSH il ne peut pas y avoir de reconnaissance de l’autonomie des systèmes. Cf. Budagov [1983, p. 32] :

"Le problème ne fut posé de façon scientifique qu'au XIXe siècle.  Il s'agit de la méthode comparativo-historique : qu'est-ce que la parenté et la non-parenté des langues ?"

La LSH, par l'accent qu'elle met sur l'étude de la parenté et de l'évolution des langues, des croisements, des influences, etc., en vient ainsi à l'idée qu'il y a quelque chose de la substance d'une langue dans la substance d'une autre langue : les mêmes éléments évoluent et se mêlent, par osmose.
Le matérialisme substantialiste est ainsi fondamentalement lié à la quête de l'origine (on l'a vu avec Abaev). Certains linguistes remettent même à l’honneur un très ancien problème, celui de l’existence en tant que telle de la langue mère indo-européenne. Cf. Mel'ničuk [1983, p. 201] :

"Les tendances formalistes se manifestent dans les travaux de certains comparativistes : elles apparaissent dans la négation de la correspondance des protoformes reconstruites avec des réalités linguistiques préhistoriques."

Une conception de la langue comme substance est une condition nécessaire à la recherche de la langue indo-européenne en tant que langue. Cette question, tout simplement, perd son sens, si on tient que l’objet de connaissance de la linguistique est un système de valeurs différentielles.
Quant à l'idée d'évolution de la matiúre linguistique, elle est liée à la conception de l’histoire comme genèse et non comme discontinuité, genèse qui est à la fois organiciste et sociologiste.

3.3 L'ordre de la langue

La LSH ne reconnaît pas un ordre propre à la langue. La langue, dans cette théorie, a l'ensemble de ses déterminations hors d'elle-
[172]
même. On étudie les lois régulières d'évolution de la langue, mais la détermination du changement est exogène à ce qui change. La LSH, certes, se donne comme objet "la nature de la langue", "l’ontologie de la langue", mais en fait l’essentiel de sa démarche est une recherche aux marges de la langue : langue et pensée, langue et société, langue et histoire. Les déclarations de la LSH sur les recherches des lois universelles d'évolution des langues sont ainsi rendues, à mon avis, sans effet dans la mesure où cette linguistique est privée d'objet théorique propre, où elle est dépendante d'autres secteurs scientifiques qui, d'un point de vue exogène à la langue, étudient les déterminations de celle-ci.  La LSH est une linguistique des marges.
La pratique de la LSH est donc paradoxale. S'appuyant sur une violente dénégation du positivisme, elle en garde néanmoins un certain nombre de traits caractéristiques :
• contre l’abstraction, assimilée à de l'idéalisme, elle s'attache aux "faits" concrets, dont l'accumulation doit, par induction, faire parvenir à la vérité;
• elle s'attache à suivre le progrès de la science, de la pensée, de l'humanité en général, dans un temps continu ou l'Histoire est une genèse, ce dernier point l’assimilant également à du scientisme.
Il faut donc déplacer les dichotomies, et clivages théoriques traditionnels, et il n'est pas sûr qu'il existe encore des catégories adéquates pour caractériser entièrement la LSH.

CONCLUSION

J'ai essayé de montrer que la conception de la langue comme une substance permet d'étudier l'histoire de la langue et l'Histoire dans la langue en faisant l'économie de l'opposition synchronie/diachronie, tout en privant la linguistique de tout objet théorique spécifique.
[173]
Il me semble que les textes que j'ai mentionnés — ils sont tous postérieurs à 1970 — s'inscrivent à l'intérieur de l’épistémè du XIXe siècle, par leur visée anhistorique dans un discours fondé sur un maître mot : l'Histoire, par le mélange du thème vitaliste du développement et positiviste du progrès.
Enfin la langue comme substance, la langue comme stock lexical, stock de noms des choses, voilà ce qui peut servir d'objet empirique à la LSH. En ce sens elle n'est nullement néo-marriste, car pour Marr et Meščaninov la langue était avant tout un certain type d'organisation syntaxique. Il s'agit d'une nouvelle période de la linguistique soviétique en général, qui doit être soigneusement distinguée de la période d'avant la "discussion de 1950".

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

— ABAEV, V.I., 1970, "Otraženie raboty soznanija v leksiko-semantičeskoj sisteme jazyka", dans Leninizm i teoretičeskie problemy jazykoznanija, Moscou (Le reflet du travail de la conscience dans le système lexico-sémantique de la langue).

— AXMANOVA, O.S., ALEKSANDROVA, O.V., 1980, "Nekotorye teoretičeskie problemy sovetskogo jazykoznanija (v svjazi s vyxodom v svet èncyklopedii Russkij jazyk)", dans Voprosy jazykoznanija, N° 6, p. 23-31. (Quelques problèmes théoriques de la linguistique soviétique, à propos de la parution de l'encyclopédie La langue russe).

— BELODED, I.K., 1977, "Naučno-texničeskij progrès i jazyk xudožestvennoj literatury", dans Voprosy jazykoznanija, N° 3, p. 3-12. (Le progrès scientifique et technique et la langue de la littérature).

— BENVENISTE, E., 1974, Problèmes de linguistique générale, t. II, Gallimard. 

— BEREZIN, F.M., 1977, "Sovetskomy jazykoznaniju - 60 let", dans Voprosy jazykoznanija, N° 5, p. 13-26. (La linguistique soviétique a 60 ans).

— BEREZIN, F.M., 1984, Istorija lingvističeskix učenij, Moscou, Vysšaja škola.  (Histoire des théories linguistiques).

— BUDAGOV, R.A., 1975, "Čto takoe obščestvennaja priroda jazyka ?", dans Voprosy jazykoznanija, Ns 3, p. 3-26. (Qu'est-ce que la nature sociale de la langue ?). 

— BUDAGOV, R.A., 1977, Čto takoe razvitie i soveršenstvovanie jazyka ?, Moscou, Nauka. (Qu'est-ce que le développement et le perfectionnement de la langue ?).

— BUDAGOV, R.A., 1981, "K voprosy o meste sovetskogo jazykoznanija v sovremennoj lingvistike", dans Voprosy jazykoznanija, N° 2, p. 22-35. (Le problème de la place de la linguistique soviétique dans la linguistique contemporaine).

— BUDAGOV, R.A., 1983, Jazyk - Real'nost' - Jazyk, Moscou, Nauka. (La langue - La réalité - La langue).

— BUNAK, V.V., 1951, "Proisxoždenie reči po dannym antropologii", dans Proisxoždenie čeloveka i drevnee rasselenie čelovecˇestva, Moscou. (L'origine de la parole d'après les données de l'anthropologie ).

— BUNAK, V.V., 1966, "Reč' i intellekt, stadii ix razvitija v antropogeneze", dans Iskopaemye gominidy i proisxoždenie čeloveka, Moscou. (Les stades de développement de la parole et de l'intelligence dans l'anthropogénèse).

— ČIKOBAVA, A.S.., 1980, "Istorizm i lingvistika", dans Voprosy jazykoznanija, N° 6, p. 3-12.  (Le principe historique et la linguistique).

— DESNICKAJA, A.V., 1981, "V.N. Jarceva (k 75-letiju so dnja roždenija)", dans Izvestija Akademii Nauk (S.L. i Ja.). (Pour le 75e anniversaire de V.N. Jarceva).

— DEŠERIEV, Ju.D., 1980, compte rendu de Beloded I.K., Ižakevicˇ, G.P., Čertoryzˇkaja, T.K., "Russkij jazyk kak istočnik obogaščenija jazykov narodov SSSR", Kiev, 1978, dans Voprosy jazykoznanija, N° 2. (Le russe comme source d'enrichissement des langues des peuples de l'URSS).

Encyklopedičeskij slovar' junogo filologa, Moscou, Pedagogika, 1984. (Encyclopédie du Jeune philologue). 

Engel's i jazykoznanie, Jarceva éd., Moscou, Nauka. (Engels et la linguistique) .

— FILIN, F.P., 1977, "Sovetskoe jazykoznanie : teorija i praktika", dans Voprosy jazykoznanija, N° 5, p. 3-12. (La linguistique soviétique: théorie et pratique).

— FILIN, F.P., 1981, "Ob aktual'nyx zadač sovetskogo jazykoznanija", dans Voprosy jazykoznanija, N° 1, p. 3-6. (De quelques tâches présentes de la linguistique soviétique).

Filosofskij èncyklopedičeskij slovar', Moscou, Sovetskaja èncyklopedija, 1983. (Encyclopédie philosophique).

— FOUCAULT, M., 1969, L'archéologie du savoir, Gallimard.

— GADET, F., 1977, "Théorie linguistique ou réalité langagière ?", dans Langages, N° 46, p. 59-89.

— GADET, F., PECHEUX, M., 1981, La langue introuvable, Paris, Maspero.

— GAMZATOV, G.G., 1983, "Voprosy dvujazyčija v Dagestane", dans Izvestija Adademii Nauk (S.L. i Ja.), N° 3, p. 123-129. (Les problèmes du bilinguisme ou Daghestan).

— GAYMAN, J.M., 1979, "Lutte des classes et guerre des langues en URSS", dans Les maîtres de la langue, Paris, Maspero.

— ISAEV, M.I., 1977, "Rešenie nacional'no-jazykovyx problem v sovetskuju èpoxu", dans Voprosy jazykoznanija, N° 6, p. 3-12. (La solution du problème linguistico-national dans la période soviétique).

— JAKUBINSKIJ, L.P., 1931, "F. de Sosjur o nevozmožnosti jazykovoj politiki", dans Jazykovedeni'e i materializm, vyp. 2, Moscou. (F. de Saussure sur l'impossibilité d'une politique linguistique).

— KOLESOV, V.V., 1984, "Stanovlenie ideii razvitija v russkom jazykoznanii 1oj poloviny XIX veka", dans Ponimanie istorizma i razvitija v jazykoznanij 1oj poloviny XIX veka, Leningrad, Nauka. (L'émergence de l'idée de développement dans la linguistique russe de la 1ère moitié du XIXe siècle).

— KOSTOMAROV, V.G., 1975, Russkij jazyk sredi drugix jazykov mira, Moscou, Prosveščenie. (Le russe parmi les autres langues du monde).

Leninizm i teoretičeskie problemy jazykoznanija, Filin éd., Moscou, Nauka. (Le léninisme et les problèmes théoriques de la linguistique).

— L'HERMITTE, R., 1984, "Utopie et langage en URSS", dans Revue des études slaves, t. LVI, fasc. 1.

— LEONT'EV, A.A., 1963, Vozniknovenie i pervonačal'noe razvitie jazyka, Moscou, lzd. Ak. Nauk. (L'apparition et le développement premier du langage).

— MEL'NICˇUK, A.S., 1983, "K. Marks i razvitie sovremennogo jazykoznanija" dans Izvestija Akademii Nauk, N° 3, p. 195-204. (K. Marx et le développement de la linguistique contemporaine).

— MOUNIN, G., 1972, La linguistique au XXe siècle, P.U.F.

— NEROZNAK, V.P., 1981, "II vsesojuznaja konferencija po teoretičeskim voprosam jazykoznanija Dialektika razvitija jazyka", dans Izvestija Akademii Nauk, N° 1, p. 89-91. (Deuxième conférence nationale sur les problèmes théoriques de la linguistique : "Dialectique du développement de la langue").

— PÊCHEUX, M., et FICHANT, M., 1969, Sur l'histoire des sciences, Paris, Maspero.

— PLEKHANOV, G., 1949, L'art et la vie sociale, Paris, Ed. E.S.I.

— PROTASENJA, P.F., 1959, Proisxoždenie soznanija i ego osobennosti, Minsk. (L'origine de la conscience et ses particularités).

Sovetskoe jazykoznanie za 50 let, Moscou, 1967. (La linguistique soviétique en 50 ans).

— ŠERMUXAMEDOV, S., 1980, Russkij jazyk - velikoe i mogučee sredstvo obščenija sovetskogo naroda, Moscou, Prosveščenie. (Le russe, grand et puissant moyen de communication du peuple soviétique).

Teoretičeskie problemy sovremennogo sovetskogo jazykoznanija, Moscou, 1964. (Les problèmes théoriques de la linguistique soviétique contemporaine).

Teoretičeskie problemy sovetskogo jazykoznanija, Moscou, 1968. (Les problèmes théoriques de la linguistique soviétique).

— TIX, N.A., 1956, K voprosu o filogeneze čeloveka, Uc. zap. L.G.U., vyp. 9. (Le problème de la philogénèse de l’homme).

— VOJTONIS, N. Ju., 1949, Predystorija intellekta, Moscou-Leningrad. (La préhistoire de l'intelligence).



[1] Cf. Berezin 1984, ch. 14.

[2] Cf. l’ensemble des articles consacrés au 250e anniversaire de l’Académie des Sciences, publiés au long de l’année 1974 dans la revue Voprosy jazykoznanija, ceux consacrés au 60e anniversaire de la linguistique soviétique dans la même revue en 1977; cf. également Filin 1977, Filin 1981, et les ouvrages collectifs Teoretičeskie problemy sovremennogo sovetskogo jazykoznanija, Moscou 1964, et Teoretičeskie problemy sovetskogo jazykoznanija, Moscou 1968, ainsi que Leninizm i teoretičeskie problemy jazykoznanija, Moscou 1970.

[3] Dans toutes les citations de cet article les mots en italiques ont été soulignés par moi.

[4] Cf. DESNICKAJA 1981, p. 551 (à propos de l'Institut de la langue et de la pensée, dirigé par Meščaninov dans les années trente) : "Le rôle de cet institut dans la formation des traditions de la linguistique soviétique, voilà un des thèmes importants de l’histoire de la science soviétique, qui attend encore ses développements." - Un témoignage du caractère institutionnalisé de la spécificité nationale de la linguistique soviétique est, par exemple, l’existence du "Conseil scientifique chargé de l’étude de la théorie de la linguistique soviétique, près l’Académie des Sciences de l'URSS", organisme fondé en 1962, présidé par V.N. Jarceva (cf. la "chronique" dans Izvestija Akademii nauk, 1981, p. 89), et qui organise régulièrement des conférences nationales sur différents thèmes tendant à préciser la spécificité de la linguistique soviétique.

[5] Les thèmes de recherche sur la genèse de l’homme et de l’humanité sont très répandus. On trouve ainsi de très nombreux titres, essentiellement dans des domaines mixtes comme linguistique et ethnologie.  Cf. par exemple : L'origine de la conscience et ses particularités [Protasenja 1959]; L'origine et le développement premier du langage [Leont'ev 1963]; La préhistoire de l’intelligence [Vojtonis 1949]; Problèmes de développement du psychisme [Leont'ev 1965]; L'origine de la parole d'après les données de l’anthropologie [Bunak 1951]; Les stades de développement de la parole et de l’intelligence dans l’anthropogénèse [Bunak 1966]; La question de la philogénèse de l’homme [Tix 1956].

[6] Le "génial Noiré" était déjà considéré par Bogdanov, dans Méthodes de travail et méthodes de connaissance comme un "marxiste en philologie sans le savoir" (cité d'après Gayman 1979, p. 174, et Gadet-Pêcheux 1981, p. 89, sans indication de source).

[7] D'après le titre de l’ouvrage de Budagov 1977.

[8] Au sens de M. Foucault.

[9] Cf. l’introduction au recueil Sovetskoe jazykoznanie za 50 let, éd. Filin, Moscou 1967 : un des traits caractéristiques de la linguistique soviétique y est présenté comme "l’étude historique de la langue en relation avec l’histoire du peuple qui la parle".

[10] Cf. également l’introduction au recueil Engel's i jazykoznanie, Moscou 1972, p. 4 : le XIXe siècle y est présenté comme l’époque où on étudie la substance de la langue, par opposition aux grammaires spéculatives des XVIIe, XVIIIe et XXe siècles.

[11] Cf. R. L'Hermitte 1984.

[12] Cf. Jakubins'kij 1931.

[13] La phonologie de l’"Ecole de Moscou", avec Reformatskij, repose sur des principes théoriques très différents. Les exemples et citations que je donne ne prétendent nullement être "représentatifs" de la "linguistique soviétique" tout entière, mais d'un courant de pensée caractérisé par la dévalorisation de l'idée de valeur au profit de l'idée de substance, censée, elle, représenter la "linguistique soviétique" dans son ensemble.

 


Retour au sommaire