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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) // Université de Lausanne


-- K. E. Ciolkovskij : « Obschij alfavit i jazyk », Obrazovanie Zemli i solnechnyx sistem, Kaluga, 1915, str. 11-13.
(Commentaire)

Konstantin Eduardovich Ciolkovskij (1857-1935) est surtout connu pour être le père de la cosmonautique soviétique et l’auteur de recherches sur la propulsion par réaction. Mais à côté de son travail sur les fusées, il était aussi un espérantiste convaincu, intéressé par la problématique d’une langue internationale, comme va le montrer son petit texte publié en 1915 et intitulé « Alphabet commun et langue commune ». Dans cet article, il va proposer d’introduire à travers le monde, lentement et imperceptiblement, une langue et un alphabet communs.
Si la tradition chrétienne parle d’une origine monolingue brisée suite à l’épisode de la tour de Babel, Ciolkovskij imagine également une unité linguistique primitive, mais envisage l’apparition des différentes langues de façon moins «théologique». Selon lui, la pluralité linguistique du monde est due à la dispersion du genre humain à travers la planète. Avec le temps, à cause des distances et des obstacles naturels séparateurs, la langue commune du début évolua différemment et finalement les hommes finirent par ne plus se comprendre.
Convaincu qu’il n’y a qu’une seule vérité inhérente au genre humain, Ciolkovskij regrette l’existence de différences entre les hommes, telles l’apparence, la religion, les coutumes, les lois, etc., qui éloignent les hommes les uns des autres. Parmi ces différences, la langue est celle «qui érige pour longtemps un obstacle insurmontable au rapprochement et à la compréhension mutuelle» et empêche le partage de la vérité.
Comme il est impossible d’apprendre toutes les langues, il propose l’introduction d’une langue commune, introduction qui devra se faire par étapes, petit à petit, discrètement, presque en cachette. Il est à remarquer que Ciolkovskij ne va pas proposer d’introduire l’espéranto : sans s’expliquer, il se contente de dire que ce serait «risqué».
Ciolkovskij propose tout d’abord de choisir un alphabet qui serait commun à toutes les langues du monde, premier pas vers un rapprochement. Il choisit l’alphabet latin qui est le plus répandu et lui ajoute des lettres pour représenter les sons qui n’existent pas dans les langues qui l’utilisent. L’élaboration de cet alphabet mondial doit se faire en respectant trois règles fondamentales : 1) un son ne doit être transcrit que par une seule lettre (et pas par un groupe de lettres) ; 2) dans toutes les langues, une seule et même lettre doit se prononcer à peu près de la même manière ; 3) il faut écrire comme on parle. Une fois cet alphabet élaboré, Ciolkovskij prévoit de remplacer, pour commencer, dans les livres et les journaux, certaines lettres par celles leur correspondant dans le nouvel alphabet commun ; puis il s’agira d’augmenter la proportion de nouvelles lettres, jusqu’à n’utiliser plus que le nouvel alphabet, tout en conservant la langue d’origine.
La deuxième étape consistera à remplacer, toujours dans les livres et les journaux, quelques mots de la langue d’origine par leurs équivalents dans la langue commune qui aura été choisie (dans l’article, Ciolkovski a choisi le français, mais il appelle de ses vœux la convocation d’un congrès international qui aurait pour but de choisir la future langue commune) ; puis, comme pour l’alphabet, on augmentera petit à petit le nombre de mots de la nouvelle langue jusqu’à n’utiliser plus que la nouvelle langue commune. Cette façon de procéder doit permettre de maîtriser la langue commune sans apprendre de grammaire, sans efforts, presque sans s’en apercevoir…




(Sébastien Moret)


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