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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- DILAÇAR A. : « Les bases bio-psychologiques de la théorie güneş-dil», Türk-dili, Türkçe-Francızca Belleten (Bulletin publié par la Société linguistique turque), n° 21-22, février 1937, p. 80-92.

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        L'énoncé de la théorie Güneş-DiI, dit qu'elle «est issue de l'étude des questions philosophiques, psychologiques, et sociologiques se rapportant au langage.»
        Or, je tâcherais d'exposer seulement le côté bio-psychologique du langage. Le terme bio-psychologique employé ici ne vise pas exclusivement la psychologie de langues historiques d'après la conception de l'école classique, mais embrasse le domaine du langage préhistorique, c'est-à-dire la glottogonie.

I/ La Langue-Mère

        La première question qui, naïvement pourrait se poser de prime abord est: «Où, quand, et par quelle race le langage primitif a-t-il été crée?.»
        Et puis, qu'entend t-on par Langue-mère? Le monogénisme est-il indispensable à cette conception? Pour répondre à ces questions j'aurai recours à trois théories :

1. — L'Ologénisme de Daniele Rosa et de G. Montandon:
        La (ou les) races ont évolué par voie de dichotomie dont la partie précoce a acquis sa forme définitive en peu de temps tandis que la partie tardive évoluant plus lentement a atteint ainsi une forme plus parfaite.

2. — Le principe de «Kulturkreisen» de W. Schmidt et autres:
        II faut admettre l'existence d'une «ethnie» englobant le «soma» (facteurs physiques) aussi bien que le «noos» (facteurs linguistico-culturels). Les cultures, telles que boomerang, totémique, matriarcale et nomades ont fortement influencé la phonétique, la morphologie et la syntaxe des langues comprises dans leur cycle.

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3. — La Japhetidologie de Marr :
        Dans les temps préhistoriques il existait plusieurs langues identiques au point de vue de typologie et de sémantique, qui tendaient à fusionner. Du croisement de ces langues-embryons ont surgi les langues métisses et hybrides.
        De ces trois théories il ressort que: Au début existaient des cycles culturels primitifs ainsi que plusieurs langues-embryons tendant à s'entre-croiser. De celles-ci, les langues précoces et caduques se sont éteintes ou bien on été assimilées par d'autres, tandis que les plus fortes, en se croisant, par voisinage et migrations ont produit les langues métisses et hybrides. Au cours de cette évolution les langues ont subi des influences réciproques. De par leur nature, hérédité, climat et milieu les langues de culture supérieure ont prévalu sur celles de culture primitive, laissant à peine un vestige rudimentaire de ces dernières. Partant : «Langue-mère» signifie «Langue Dominante». Les concordances qu'on remarque entre les langues des temps historiques sont dues aux éléments et à l'influence de la «Langue Dominante», tandis que les divergences ne sont que les résidus des langues primitives locales.
        La question se condense donc en une recherche de la race et de la culture (conséquemment, la langue) dominante et de leur patrie originelle.

Preuves géographiques:

D'après la théorie du géophysicien A. Wegener (Kontinentalverschiebung) les cinq continents actuels formaient au début un seul bloc. Le climatologue E. Brückner en retraçant les changements climatériques et des migrations humaines prend comme centre l'Asie Centrale. L'anthropologue Giuffrida-Ruggeri, tout en présentant aussi tous les continents comme un bloc unique, place en Asie Centrale le berceau des «pro-hominidi».

Preuves culturelles:

D'après Sir John Marshall, E. Mackay, Pumpelly, V. Gordon Childe, G. R. Hunter etc., les cultures de l'Indus, d'Elam et de Sumer sont liées, via Iran, Afganistan et la Mer Caspienne, au Turkestan et à l'Asie Centrale. Des savants comme G. de Mortillet, J. de Morgan, Ujfalvy Sergi, Boule, Feist, Haddon, Gordon Childe, G. Poisson et autres admettent que la culture européenne est venue de l'Est aux temps néolithiques. Le berceau de l'orge et du blé sauvages, et du mouton, est l'Asie Centrale (d'après H. Peake, Antonius).
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Il ressort également des théories admises par Haddon, J. de Morgan et autres que les métaux ont été en premier lieu employés par la race alpine ce qui a contribué à les civiliser. Gordon Childe cite également que le cheval et la roue ont été introduits par les Sumériens alpins à la civilisation occidentale. Evans, Elliot Smith, G. Glotz, Brunton et Caton-Thompson ajoutent que les civilisations égyptienne et égéenne sont entrées dans une phase éclatante de développement par l'arrivée des alpins.

Preuves Anthropologiques:

        Nous acceptons la «Sozialanthropologie» d'Otto Ammon et le principe du «sélectionisme social». D'après nous la race qui forme naturellement et socialement l'élite humaine c'est la race brachycéphale dite alpine ou désignée sous diverses appellations. Haddon et Eickstedt répartissent toutes les races humaines en trois groupes, tandis que Roland Dixon et Robert Broom, dans leur dernière analyse ne laisssent subsister que la différence entre brachycéphales et dolichocéphales. De Ripley à G. Montandon, l'Asie a été reconnue comme le berceau de brachycéphales. Dudiey Buxton ne voit aucune distinction essentielle entre les Alpins turcs et les Alpins européens. Haddon qui trace la race cymotrique d'Europe avec la race léiotrique d'Asie à la même origine, déclare en dernier lieu, au sujet de la classification des races : «Ces groupes principaux pour autant qu'ils sont des stocks purs, sont sortis indépendamment d'un stock non spécialisé ou différencié commune, qui selon moi, s'est formé à une époque très réculée dans l'Asie occidentale». Et sur sa carte géographique, replace le centre de dispersement de la race Alpine dans le foyer turc même en Asie Cetrale.

Supériorité de la race brachycéphale:

Robert Broom et H. F. Osborne confirment la supériorité évolutive de la Brachycéphalie envers la Dolichocéphalie. Les observations de H. F. Osborne sur le Palaeosyops démontrent que ceci s'applique même à l'espèce animale. Robert Broom explique la brachycéphalisation par le changement de nutrition. Un aliment d'un genre nouveau, en forçant les muscles divers effectuant la mastication aurait brachycéphalisé le crâne, augmentant ainsi le volume du cerveau et par conséquent l'intelligence du sujet.
        Virchow souligne le fait qu'avec le progrès de la civilisation on remarque une diminution de la dolichocéphalie. Broom, tout en affirmant
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la supériorité de la race alpine explique ce fait par les influences climatériques entraînants une plus grande activité intellectuelle et par l'elimination de ceux qui sont inaptes aux efforts et luttes, ajoutant que la race alpine s'est propagée sur une grande étandue où elle domine la race nordique. La Paléontologie humaine aussi confirme ce point de vue. Sir Arthur Keith et R. Broom tracent les origines de la race alpine brachycéphale aux «Sinanthropus pekinensis» ayant vécu au pléistocène inférieur. Cette race fossile avait façonné des outils en pierre et découvert l'emploi du feu, cette clef de la civilisation.
        En ne citant qu'une minime partie des innombrables preuves géophysiques, climatologiques, ethnologiques, préhistoriques et paléontologiques, nous nous trouvons avoir quand même établi le fait que les alpins brachycéphales issus de l'Asie Centrale constituent la «Race Dominante» tant au point de vue culturelle que linguistique.
        V. Christian constate dans la langue sumérienne les caractéristiques suivantes : Similitude de grammaire avec les langues caucasiennes; similitude des mots et de leur morphologie avec les langues Chamito-Sémitiques; similitude phonétique avec les langues Tibeto-Birmans, Ouralo-Altaïques et Soudanaises. Pourquoi ces concordances et ces similitudes sur une étendue si vaste? La langue sumérienne ressemble sans doute à toutes les langues, car elle est l'héritière la plus proche de la langue-mère de la race alpine de l'Asie Centrale et des Ata-Türks (les Prototurcs Palaealpins), de même que parmi toutes, elle représente la «langue dominante».
        En plus des langues Sumérienne et du groupe Ouralo-altaïque, la langue turque a été apparentée aux langues suivantes: Indo-européenne, Indo-aryenne, grecque, gauloise, allemande, arménienne, scythique, dravidienne, élamite, hittite, étrusque, basque, égyptienne, bantoue, amérindienne, c'est-à -dire toutes les langues du monde. Je chercherai l'explication de ce phénomène dans les thèses historique et linguistique turques. La thèse historique dit: «La patrie originelle turque est le premier berceau au monde de la haute culture, tout comme les Turcs sont les fondateurs et les propagateurs de cette culture dans le monde entier». (Prof. Afet, Conférence inaugurale à la Faculté d'Histoire, de Langues et de Géographie). La thèse linguistique turque conclut ainsi: «II est tout naturel qu'une nation ayant établi en Asie Centrale une culture, qu'elle a ensuite propagée aux cinq continents, y apporte aussi les noms des produits de cette culture par elle créée, ainsi que les modes de penser y afférents, et les propage parmi les nations chez qui
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elle a pénétré». (Saffet Arıkan, Ministre de l'Instruction Publique, Discours inaugural de la Faculté d'Histoire, de Langues et de Géographie).
        La théorie Güneş-DiI donne naissance au principe de la prédominance de la langue turque dans la culture mondiale, principe dont nous venons de donner les bases anthropologiques.

II Le Langage et l'Intelligence

Passons à présent à la nature véritable du langage préhistorique :
        C'est la lutte pour l'existence, principe primordial et ultime universel qui fait ressortir la nature et la fonction véritables du langage. De même, le langage qui constitue une des manifestations de la vie, tout en étant actuellement une institution psychologique et sociologique, est quant à son origine, assujetie directement à ce principe. D'après William Mc Dougall, psychologue américain tous les vivants sont «hormic» ou «pur-posivistic», c'est-à-dire qu'ils tendent vers un but, un objet. Le langage est une institution téléologique poursuivant une finalité.
        La théorie Güneş-DiI, tout en admettant que le langage est subordonné aux lois psychologiques et sociologiques étudiées depuis Wundt, ne fait pas du langage une institution psychocentrique et sociocentrique, comme supposent la plupart les adeptes de Durkheim et de Saussure. Albert Séchehaye, en analysant les éléments individuel et social du langage, fait ressortir que celui-ci a été créé par l'effort personnel de l'individu pour parer aux exigences sociales.
        D'après P. Janet: «Le langage n'est pas uniquement un instrument de communication sociale ; on a en général exagéré ce caractère en disant que les hommes parlent pour se comprendre les uns les autres. D'abord il n'est pas certain que les hommes aient grand besoin de se comprendre les uns les autres, ni même qu'ils y parviennent par le langage. Les relations sociales et même les collaborations sociales existaient depuis longtemps dans des sociétés animales qui n'avaient pas de langage. La vie sociale à elle seule n'aurait pas amené le langage».
        Le pédologue J. Piaget, en citant le fait que des groupes d'enfants s'adonnent à des monologues collectifs à haute voix sans s'adresser à personne en particulier, et sans penser à être écoutés ni compris, prouve que chez les enfants le langage loin d'être uniquement un besoin social est plutôt un phénomène égocentrique. Même chez les adultes, dit Victor
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Egger, «à tout instant l'âme parle intérieurement sa pensée. Cette parole est intérieure, silencieuse, secrète que nous entendons seuls».
        En éloignant un peu l'origine du langage de l'axe psychosociologique il faut le contempler d'un angle egocentrique et héliocentrique, car la lutte pour l'existence envisage avant tout l'ego, et a besoin, pour exister du «helios» plutôt que du «socius». Charles Bally souligne la fonction biologique du langage en disant que: «Nous ne vivons pas pour penser, nous vivons pour vivre. Le langage est au service de la vie». Ce qui confirme encore une fois que la vie psychique est subordonnée aux conditions biologiques et aux principes de la lutte pour l'existence.
        La théorie Güneş-DiI énonçant que «la fonction du langage consiste à exprimer la faim, démontrer la force, exprimer la jouissance et l'instinct de sauvegarde de l'«ego» de tous sentiments néfastes de tous périls menaçant la vie», se trouve avoir ramené la nature du langage à la vérité ultime et téléologique de l'univers: la lutte pour l'existence.
        En nous basant sur ce principe biologique nous pouvons distinguer deux caractéristiques du langage du point de vue psychologique. Le langage est le miroir de l'existence intérieure et extérieure (ésotérique et exotérique). Il forme l'axe des sentiments et de l'intelligence vers lequel convergent toutes les impressions et expressions. L'homme primitif en lutte avec l'existence, en tant que dépendant du monde extérieur d'une façon générale, était obligé de définir toutes influences et impressions reçues de ce monde, car il lui était impérieusement nécessaire d'interpréter ces impressions du point de vue biologique et de s'y conformer ou d'être dirigé par eux. Donc la fonction principale du langage était de différencier les nuances subtiles de ces impressions et l'histoire du langage primitif est composée des phases successives de ces efforts. Le langage a une existence active. Et l'énoncé de la théorie Güneş-DiI exprime exactement cette idée, à savoir: «Les détails les plus minutieux de la vie intellectuelle se manifestent sous forme d'images émanant du monde extérieur ou des courants psychiques intérieurs. L'homme parvient à définir ceux-ci au moyen du langage. Le langage consiste en un effort tendant à différencier jusque dans ses plus minutieux détails les indications représentant le monde extérieur et nous le signalant».
        Ici, nous arrivons à la question du début de l'intelligence. P. Janet, en étudiant le champ de transition entre l'intelligence animale et l'intelligence humaine, trouve la base de l'existence psychique dans les réflexes. De même, Pavlof avait ramené les débuts de l'intelligence aux
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réflexes conditionnels. Mais qu'est-ce qu'un réflexe? Est- ce l'instinct même ou le «behaviour» ? Jacques Loeb a pu démontrer que l'intelligence primitive est régie par les tropismes. Les organismes dépendent des attractions cosmiques venant de l'extérieur plutôt que de l'instinct intérieur. L'une des plus fortes de ces attractions est le phototropisme. Cette conception dynamique qui embrasse l'héliotropisme et le chromotropisme, démontre que l'intelligence primitive est issue de la lumière, ce facteur le plus puissant du milieu cosmique. Les assertions: «La lumière a engendré l'intelligence» et «Le soleil a engendré le langage» constituent deux vérités parallèles. D'après G. Bohn l'intelligence animale est une intelligence visuelle, qui constitue aussi la base de l'intelligence humaine photo-sensible. Maurice Blondel qualifie la pensée de lumière intérieur. Homère s'est servi du mot «phos = lumière» pour désigner l'homme. Platon considère l'œil comme un feu divin placé en nous, qui reflète sans se consumer. L'union des lumières intérieures et extérieures créent la sensation et la connaissance. Le mot «veda» signifie «connaître» en Sanscrit; le mot «video» de la même racine signifie «voir» en Latin. Donc voir c'est savoir, et savoir c'est voir.
        Ainsi, l'énoncé de la théorie Güneş-DiI: «L'homme primitif a commencé par la concept du soleil pour en arriver à la création du langage» est démontré par la théorie de phototropisme et la corrélation entre «l'intelligence et la lumière».
        Dans son ouvrage intitulé : «Le Langage et la Pensée», Henri Delacroix ne s'occupe pas de l'origine du langage. Quant au «Nouveau Traité de Psychologie» de Georges Dumas, on peut en conclure que le langage est le résultat d'évolutions psychiques, et que la vie psychique commençant par l'irritabilité, les instincts engendrés par les besoins naturels, les états affectifs issus des sensations, lorsqu'il a fallu les exprimer par la mimique motrice et vocale, ont engendré le langage. Le langage qui constitue un développement de la psychomécanique ne peut se séparer de la lumière et de la vision, ces facteurs des plus puissants de la psycho-physique.
        Quels ont été maintenant, les premières entendements psychiques de l'homme primitif dont l'intelligence dépendait de la lumière et de la vision? D'après la théorie de «Umweltforschung» de Uexküll, pour tout animal le milieu extérieur est un «Wirkraum» et la vie intérieure un «Merkraum». Les objets se trouvant dans le «Wirkraum» produisent des effets différents selon l'animal; l'angle de vision diffère. Les objets considérés différemment par certains animaux exercent le même «Wirk-
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ton» sur d'autres. Il existe une grande différence entre le «Merkraum» de l'homme primitif et le nôtre. Le soleil était un «Werkbild» tout autre pour l'homme primitif dont la conception du soleil était toute différente. La relativité de «Merk» et de «Werkbild» confirment cet énoncé de la théorie Güneş-DiI: «Le soleil était pour l'homme primitif l'objet considéré supérieure par excellence; pour lui il était tout!»
        Le philosophe Ernst Cassirer, en classifiant les objets du monde extérieur, place en tête le monde purement imaginaire et abstrait et descend graduellement aux mondes social, de «toi», du «moi» personnel pour aboutir au monde des «simples choses». La raison d'être du langage n'est pas la communication, mais la représentation, «Vorstellung» et sa fonction la plus fondamentale est de désigner les objets et les choses. Les observations de Stern et Bühler démontrent que la vraie cause des interminables questions posées par les enfants provient du besoin d'apprendre les noms d'objets. C'est par le nom que l'objet se matérialise et que l'image verbal et l'image visuel s'unissent.
        La théorie Güneş-DiI, en énonçant que l'homme primitif s'efforçait «à définir les objets du monde extérieur» nous donne en même temps ce principe de la psychologie linguistique.
        L'homme primitif, qu'a-t-il défini dans le monde extérieur? En plus des objets, son entendement comprenait l'idée de distance et de proportion.  P. Janet confirme que l'intelligence primitive possédait la faculté de définir la «position», les «divers points de l'espace» et le «point de vue». Le fait que dans la partie des affixes de la théorie Güneş-DiI l'idée de zones rapprochée et éloignée joue un grand rôle démontre que chez l'homme primitif !e sens de zone, de distance, de relation et de proportion était plus fort et que la conception de l'espace constituait la base du génie du langage et de sa constitution.
        La question se pose encore une fois: L'homme primitif qu'a-t-il défini dans le monde extérieur? Selon la théorie de «Gestalt» l'homme conçoit les réalités synoptiquement et chaque perception forme partie d'une entité. Dans le domaine de la linguistique, comme le dit A. Trombetti, l'homme a toujours pensé et s'est exprimé en phrases (proposition), c'est à dire qu'il a conçu et exprimé ses phrases sans se préoccuper des parties du discours. «L'holophrase» est l'expression complexe d'une impression ou d'une conception tout aussi complexe et exprime par un mot tout un courant psychique et toute une histoire. La conception synoptique, d'après les Gestaltistes, et l'holophrase d'après les linguistes, démontrent qu'un seul mot peut contenir toute une histoire dont le sens
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peut différer selon les circonstances et qu'un seul mot peut avoir plusieurs sens, ce qui explique la polysémie.
        Dans son «Sumerisches Lexikon», Deimel (tome III, p. 722-41) assigne 475 valeurs phonétiques et sémantiques à la racine «U» «Ug˘» dont le pictographe est le soleil levant. Ceci est à l'appui de l'énoncé suivant de la théorie Güneş-DiI: «L'homme primitif, en observant le soleil a tiré de ses qualités, de ses caractéristiques et de ses mouvements, des idées, d'abord matérielles puis abstraites.» Les phénomènes d'association et de dissociation et la polarité ont sans doute joué un grand rôle dans la polysémie primitive. Les «rythmes vitaux» abondent en phénomènes de polarité et d'antithèse dont Trombetti et Borinski soulignent l'importance. L'énoncé de la théorie Güneş-DiI, que l'homme primitif pouvait définir les dimensions et éclats relatifs des objets du monde extérieur, les différences entre leurs positions spatiales, leurs relations entre eux et avec lui-même, voilà le principe de relativité, de différence et de différenciation que l'intelligence primitive a su saisir.
        Toutes les conceptions, objet, sujet et conscience du moi sont les produits de la méthode de polarité poursuivie par l'intelligence primitive. Comme Hegel, en prenant une réalité informe, en a extrait des réalités spéciales, puis obtenu une réalité universelle et formelle, en les réunissant par voie de thèse, antithèse et synthèse, le «moi» primitif a de même surgi de contrastes entre «ego», «non-ego» et «alter-ego». L'objet et le sujet étaient une question d'analyse et de synthèse dans la conception de l'homme primitif. Dans le psychisme de l'homme primitif qui considérait le soleil non pas en spectateur oisif, mais de l'œil d'un observateur attentif, il s'est formé une polarité dont un des pôles constituait l'objet et l'autre le conscient. C. Lloyd Morgan, dans la phrase: «II existe un objet dans le conscient de l'homme» a signalé le côté objectif, et dans cette autre: «L'homme primitif est conscient de l'objet», il a souligné le côte subjectif du même phénomène. Nous voyons donc que la différence entre objectif et subjectif est le résultat d'une polarité ou d'une antithèse née de la différence des points de vue. Bertrand Russell définit le «moi» comme: «Un sujet pensant et conscient de l'objet». Borinski trouve les bases du conscient, de la perception et de l'abstraction de l'homme primitif en: «la relation des objets et du moi, et la pénétration du moi dans les objets». Ainsi, l'énoncé de la théorie Güneş-DiI: «L'homme a réalisé son ‘moi’ lorsqu'il a atteint de la définition des choses dans le monde extérieur» se trouve confirmé dans tous les domaines.

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III / Le Langage et le Son

En arrivant à la question de la première parole articulée et de la relation entre le son et le sens, nous entrons dans le domaine biologique. Le terme «première parole» peut suggérer à certains le son animal, spécialement celui du singe. Les travaux de L. Boutan, R. L. Garner, R. M. Yerkes sur ce sujet sont bien connus. Le point sur lequel je tiens à attirer tout particulièrement votre attention est que les éléments phonétiques dominants dans le «langage» des chimpanzés sont les consonnes gutturales G, K, H, comme: gak, gahk, etc. etc. qui sont des «cris d'espèce».
        Yerkes trouve seulement 32 vocables ou éléments de mot dans le langage des chimpazés.
        La conviction des savant à ce sujet est la suivante : la faculté d'imitation du chimpanzé n'est pas auditive mais seulement visuelo-motrice. Malgré la similitude des éléments dans la phonétique humaine et celles des chimpanzés, l'expression de cette dernière n'est qu'émotive et subjective et les signes phonétiques de cet animal n'ont aucune valeur objective. Comme le dit Bergson, le signe instinctif est un signe adhérent tandis qu'un signe intelligent est mobile. C'est un symbole qui n'est lié à aucun objet ou fait. C'est pourquoi il y a un monde de différences entre les bégaiements maladroits mais conscients d'un bébé et l'élocution experte mais inconsciente d'un perroquet. Comme l'a si bien dit Diodor : «Le langage est le Rubicon de l'humanité». Il n'est donc pas juste de chercher le phonème initial humain dans le langage du singe en supposant que le langage humain a évolué de celui du singe.
        La théorie Güneş-DiI n'a pas cherché le «son» primitif; mais surtout a cherché et trouvé le premier phonème «ayant un sens». A part cela, tous les éléments de la phonétique préhumaine n'ont pas évolué et franchi les bornes animales. Tous les éléments sont subordonnés à une sélection naturelle. Chaque espèce a développé sa capacité vocale selon sa nature et il n'existe pas de ligne directe entre les langages humain et animal. La parole articulée est le privilège de l'Homme.         Il faut chercher la première parole dans le développement des organes vocaux de l'homme. Haeckel considère l'homme primitif comme «alalus. Boule affirme que «l'Homo Heidelbergensis» possédait une
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expression vocale variant entre l'articulation humaine et le cri animal. D'après le même auteur c'est seulement «Homo Neandertalensis» qui posséda en premier les rudiments du langage articulé. C. Franke a aussi une théorie personnelle : l'articutation libre humaine est subordonnée à la forme pointue du menton. Comme le «musculus genioglossus» ne peut se mouvoir librement dans un menton peu développé, l'homme paléolithique ne possédait pas un langage tout à fait articulé, qui n'a atteint son développement qu'à l'âge néolithique. Selon cet auteur, les phonèmes labiales se sont développées en premier lieu, puis les dentales, et en fin les gutturales et les palatales. De cette théorie il ressort que ce sont les sons gutturaux qui donnent sa forme humaine aux phonations semi-humaines. Van Ginneken, en examinant la biologie de la base d'articulation applique les lois de l'hérédité à la phonologie humaine et établit le principe de l'hybridisation des sons humains. Dans sa classification des voyelles, le son «a» forme la base. De même que Reichenbach considère «l'Uranium» le «Urahn» (ancêtre) de tous les corps simples, la voyelle «a» peut être considérée l'«Urahn» de tous les sons humains. D'ailleurs l'évolution phonétique a formé la base des études de P. Regnaud.
        Pour revenir à la phonétique primitive, tout d'abord prenons le principe d'après lequel la voyelle est plus primitive que la consonne et que la voyelle «a» est la voyelle - mère. En phonologie, existe le principe du "moindre effort,, qui a été considéré comme la base de plusieurs phénomènes phonétiques par Saussure, Meillet, Grammont, Vendryes, Delacroix et autres. Le facteur régissant le moindre effort dans les organes vocaux est le degré d'ouverture et d'occlusion que Saussure et Grammont repartissent sur 7 et 8 degrés respectivement. Au degré d'ouverture maximale se trouve la voyelle «a» qui se prononce avec le «moindre effort». Sievers, Viëtor et tous les autres phonéticiens commencent par «a» leur classification des voyelles. Le monogéniste Trombetti reconnaît «a» comme la voyelle fondamentale de la langue-mère humaine. Meinhof, également, considère l'«a» comme la voyelle essentielle de la langue primitive Proto-Bantu. Je tiens à citer encore textuellement Ginneken: «II me suffira de rappeler à ceux qui trouvent trop hardie l'hypothèse glottogonique d'une voyelle unique, qu'il y a encore aujourd'hui des langues qui n'ont qu'une seule voyelle pour commencer le mot ou pour le finir».
        Si ce phonème «a» tend à l'occlusion en s'allongeant en a+a+a, sans astreindre la langue, les dents, les lèvres et le palais et le nez, cette voyelle rallongée se convertit à la gutturalle (g˘) à occlusion degré
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1. Elle ne change pas en «K», car ce phonème est à occlusion degré 0, et n'est pas duratif tandis que «g˘» peut être aussi duratif que «a». Meinhof a trouvé ce phonème «g˘» dans le système phonétique primitif de Proto-Bantu.
        L'analyse de Van Ginneken prouve que le phonème «g˘» forme la base des langues des races brachycéphales. A ce propos il dit: «Ce sont les races brachycéphales eurasianiques, c'est-à-dire la race alpine, la race dinarienne et la race asiatique (anatolienne), qui ont développé un grand complexe laryngal accouplé, lié à leur orthognathie et mésognathie, à leur microdontisme, à leur glotte très développée, à leurs lèvres minces, à la forme brachy-staphylienne et brachy-uranique de leurs palais, à leur léptorhinie et à la petite aperture de leur canal nasal». Donc, la langue-mère de la race brachycéphale est une langue à tendence laryngales dominantes, tandis que chez les dolichocéphales dominent les sons labiales. Ceci se trouve étroitement lié à la forme brachycéphale du crâne du «Sinanthropus Pekinensis» à menton court. Par conséquent, de toutes ces observations biologiques nous concluons que: La voyelle est plus primitive que la consonne. «A» est la voyelle-mère. La consonne que la race turque brachycéphale alpine à menton court peut prononcer le plus naturellement est le «g˘» guttural et laryngal qui est le prolongement de «a». Ceux-ci, en s'unissant, donne le phonème «ag˘». La théorie Güneş-DiI énonce textuellement que : «A» est la première voyelle ayant un sens dans la langue turque; la première consonne est «ğ»; «ğ» est constitué par l'accumulation des «a». Comme c'est la biologie et non la psychologie qui a été le facteur dans cette phonation primitive, la désignation du «soleil» par le sémantème «ağ» est de nature psychologique. Max Muller, en répartissant les racines monosyllabiques du langage primitif, démontre que la racine primaire consistait en une seule voyelle, et ensuite en une voyelle + une consonne. Le prégrammairien A. Cuny donne au mot «racine» une valeur purement relative. E. Benveniste, dans son dernier ouvrage, s'écarte assez de la conception classique du mot «racine». Jusqu'à présent on a désigné des éléments «non-étymologiques» dans le radical des mots qui passent sous les noms «d'augment, prothèse, désinence, élargissement etc.» Que sont ces éléments? Servent-ils à l'inflation arbitraire des mots comme des corps étrangers. La linguistique classique ne répond pas d'une façon convaincante. Des prégrammairiens comme A. Cuny, P. Persson et H. Möller considèrent ces éléments comme des «mot vides», «reminders», «classificateurs», «déterminatifs» et même leur attribuent des fonctions sémantiques.
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Quant à la relation entre phonème et sémantème c'est une question de symbolisme phonétique. Le poème du symboliste Arthur Rimbaud qui attribue des couleurs aux voyelles, à savoir: «A noir», «E blanc», «I rouge», «U vert», «O bleu» renferme en principe une vérité linguistique. Même dans les temps anciens Platon, dans son «Cratyle» avait reconnu le principe du symbolisme phonétique d'après lequel: U symbolisait l'intérieur, E la longueur, O la rondeur, A la grandeur. Au XIXe siècle, Max Müller avançait qu'il existait un lien mystique entre le son et l'idée, et que chaque objet résonnait d'après sa propre nature et qu'un instinct existant chez l'homme primitif mais maintenant perdu avait pu tirer de ces résonances des valeurs phonétiques et sémantiques. Wundt affirme que les mouvements et les mimiques des organes vocaux (Lautgebärde) ont des valeurs sémantiques. Même, des auteurs plus modernes comme O. Jespersen et M. Grammont ont accepté et expliqué le principe du «sound symbolism» ou «phonétique impressive». A en croire E. Pichon et Damourette, on procède de la parole à la pensée et non de la pensée à la parole, c'est-à-dire que c'est le son qui crée l'idée.
        Sir Richard Paget relie l'évolution du langage humain aux mimiques vocales symbolisant le mouvement, la forme, la direction et les relations spatiales. Selon lui le phonème n'est qu'un geste buccal ayant un sens mimique. Ainsi, de la fusion du son et de l'idée, du phonème et du sémantème sont nés les «phonestèmes». Cette complexité est due, d'après Ernst Hoffman, à la représentation onomatopéïque des choses dans la logique archaïque de l'homme primitif. Le son, c'est une couleur et un pinceau, et comme le disent les Allemands, elle dessine et peint les choses et les idées, (Lautmalen).
        Le symbolisme phonétique c'est la physionomie du langage et du mot.
        Mon sujet ayant un caractère simplement bio-psycholoque je n'entrerai pas dans des détails linguistiques. Ma tâche et mon objet n'étaient que de faire ressortir des principes généraux. La conclusion à laquelle j'arrive en dernier lieu est la suivante : II n'existe pas des racines dans le sens classique. L'élargissement des racines n'est que la suffixation des éléments complémentaires du sens. Ces phonèmes suffixales renferment des symbolismes phonétiques, c'est-à-dire qu'ils sont des phonestèmes. Ceux-là sont, en général, subordonnés à la conception de l'espace, très accentué dans la psychisme de l'homme primitif.
        Comme Jean Deny l'a si bien constaté : «Les mots turcs sont comme des mosaïques».

A. Dilaçar