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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- Nina GOURFINKEL : «Les nouvelles méthodes d'histoire littéraire en Russie», Le monde slave, fév. 1929, p. 234-263.

 

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I/

        Au cours des quinze dernières années, la question de méthode dans l'histoire de la littérature a été en Russie un des sujets de discussion les plus brûlants. Bien que les travaux effectués dans ce domaine appartiennent plus que jamais aux spécialistes en littérature, les principes de ces recherches se sont propagés parmi le grand public et ont soulevé de vives objections. Même les grondements de la révolution n'ont pas réussi à les étouffer, parce que ces théories, loin de se borner à un rôle auxiliaire limité au système scientifique dont il est question, occupent en outre une place considérable dans l'évolution de la pensée russe.
        Jusqu'à ces derniers temps, l'histoire de la littérature en Russie se confondait presqu'entièrement avec l'histoire de la société; je dirais même plus : l'histoire littéraire représentait une arène de lutte pour les idées sociales. Chez les critiques les plus éminents, de Bêlinskij à Pisarev et Dobroljubov, de M. Ovsjaniko-Kulikovskij jusqu'aux plus récents, il est difficile de dire où finit l'historien et où commence le plubliciste. Comment arriver à tracer, dans leurs écrits, une ligne de démarcation entre l'histoire de la littérature et l'histoire de la civilisation?
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        Les schémas de Pypin qui ont servi si longtemps à l'instruction de la jeunesse russe, présentent un exemple classique de ce mélange. Un des ouvrages les plus considérables de Pypin porte le titre de Caractéristiques des opinions littéraires des années 1820 à 1850. Rien de plus trompeur que ce titre. Tandis que l'étudiant russe moderne entend par «opinions littéraires» des mouvements d'art bien déterminés et la lutte des formules esthétiques, Pypin, lui, ne pensait à rien moins qu'aux facteurs de l'évolution artistique proprement dite. Pour lui, la littérature «se rattache directement aux manifestations de la vie publique et se constitue leur écho, tant dans les œuvres poétiques que dans les écrits des publicistes[1]». C'est ainsi que s'efface la limite entre l'œuvre d'art et l'ouvrage d'un publiciste. Le progrès de la littérature se mesure à l'approfondissement de la conscience sociale, et l'évolution littéraire est considérée comme «successivement progressive, en ce sens que les formes étrangères et les motifs empruntés finissent par disparaître, et que la littérature se rattache de plus en plus étroitement à la vie, si bien qu'à chaque nouveau degré, elle devient plus séreuse et plus profonde[2]».
        Par conséquent, le schéma historique de la littérature russe est dépeint comme un progrès incessant; à ce point de vue, «progresser», c'est surmonter le romantisme, cette école poétisante, «cette forme érangère au fond presqu'entièrement éranger», et se rapprocher de plus en plus du «réalisme», des thèmes de la vie actuelle, bien entendu humains et libéraux. Sur cette voie réaliste, l'œuvre de Pusˇkin se dresse comme un obstacle. Le plus grand des poètes russes subit une éclipse temporaire, mais ensuite son œuvre s'affirme en dépit de ses «défauts» idéologiques, comme l'inspirateur du XIXe siècle, ayant rompu avec le «pseudo-classicisme» du XVIIIe. Mais ce puissant animateur reste au bas de l'échelle sur laquelle se produit l'ascension de la littérature des vertus civiques. On oppose à son esprit conservateur,
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à sa réconciliation opportuniste avec le régime monarchique, le moral élevé et l'exaspération civique d'un Nekrasov. Le passage à la prose, effectué dans les années 1830, l'inauguration des thèmes «réels», politiques et sociaux, produite par l'école «naturelle» sont considérées comme un progrès. Bêlinskij élabore pour cette école une base idéologique; au nom de l'idéal humanitaire, il condamne le plus pur des poètes pour s'être retiré dans le monde «de l'inspiration, des prières et des douces mélodies». Et pourtant Bêlinskij aime Pusˇkin de cet amour d'apôtre pour son Dieu, pour lequel tant de fautes sont pardonnées, de cet amour dont le jeune Sainte-Beuve aimait le jeune Hugo. Ce parallèle seul fait concevoir toute la différence entre les buts purement artistiques du cénacle hugolien et les visées idéologiques des littérateurs russes. L'humour de Gogol est considéré exclusivement comme satire sociale. La littérature s'élance toujours plus haut, du partiel au général, du russe à l'humain, vers Dostoevskij, «le prophète de la révolution», vers Tolstoï, le prédicateur moraliste. L'épanouissement de la poésie russe dans l'œuvre de Fet, Tjutcˇev etc. reste à l'ombre.
        Tel était le schéma général de l'histoire de la littérature russe, telle que la dépeignaient les travaux les plus importants et les plus populaires, et telle que l'assimilait la jeunesse scolaire; telle en était la «loi inédite», silencieusement acceptée par le consentement de tous. C'est à ce schéma que nous opposerons dans la présente étude la nouvelle construction de l'histoire de la littérature russe. C'est le résultat de plus de dix années de travail de la jeune école des critiques littéraires dits «formalistes», qui appliquent à la littérature russe des méthodes nouvelles.

II/

        Le premier quart de notre siècle a vu surgir en Russie de nouvelles théories littéraires, à la suite d'impulsions reçues dans des milieux divers : du haut des chaires philologiques aussi bien que dans les cénacles des poètes symbolistes.
        Alexandre Veselovskij pose les fondements scientifiques de la poétique historique. Les trois premiers chapitres
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d'un de ses ouvrages inachevés sont consacrés à la description du syncrétisme de la poésie populaire cultuelle et à la différenciation de l'unité chorique primitive. Il pose la question de la naissance et de l'évolution des différents genres litéraires. Sa Poétique des sujets (Poetika sjužetov), sa Contribution à l'histoire de l'épithète (Iz istorii epiteta), son Parallélisme psychologique dans les chants populaires (Psikhologičeskij parallelizm v narodnoj pêsnê) etc. inaugurent une façon toute nouvelle et strictement scientifique d'approcher les œuvres littéraires du côté de leurs particularités formelles. C'est lui que l'hymne plaisant des jeunes agrégés «formalistes» de Pétersbourg, aux abords de 1917, proclamera leur «grand-père». Le successeur méthodologique de Veselovskij fut le professeur Peretz[3]; ses cours et ses travaux pratiques traitant de l'histoire de la littérature russe furent une école sévère tendant à séparer rigoureusement les méthodes philologques des théories arbitraires esthétiques, psychologiques, politiques, publicistes, impressionnistes, etc.
        Potebnja[4] fit naître l'idée féconde du rapprochement entre la poétique et la linguistique, idée dont les formalistes, tout en contestant les autres points de sa doctrine, profitèrent largement pour en extraire toutes les possibilités latentes.
        D'autre part, la fin du siècle inaugura en Russie l'avènement du symbolisme et le triomphe de la poésie pure. Réagissant contre la poésie civique surchargée d'idées, les poètes Valérij Brjusov, Konstantin Balmont, Andrej Bely, Alexandre Blok, Vjacˇeslav Ivanov, proclamèrent le mot d'ordre de «l'art pour l'art» et se tournèrent vers la matière même du vers — les mots, les sons, les rimes et les rythmes. A partir de ce moment, les poètes russes allaient répétant avec le poète français : «Et tout le reste est littérature»… ce qui, au fond, signifiait que tout le reste n'était rien moins que de la littérature.
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La philologie classique vient aider leurs recherches théoriques. Partant de la poésie vers la philologie, ils rencontrèrent en route les philologues-poètes. C'étaient les professeurs de philologie classique Innokentij Annenskij, traducteur d'Euripide, auteur d'une remarquable tragédie symbolique et classique Thamira le Citharède qui se place à côté des tentatives de Hoffmansthal et de Leconte de Lisle; et Thadeuš Zelinskij, traducteur et commentateur des chefs-d'œuvre antiques qui exerça (et continue d'exercer) une influence féconde sur plus d'une génération d'universitaires. On vit paraître dans le milieu poétique une série d'importantes études sur le vers russe; on posa et l'on examina de nouveau les questions relatives au rythme, à la structure phonique, à la métrique[5]; on proclama la magie du mot pur et indépendant[6].
        Quels que fussent ses efforts pour proclamer la prédominance au côté musical du vers et afarnchir le mot de son «sens», l'élite intelectuelle à laquelle appartenaient les poètes symbolistes ne renonça jamais à la signification de la parole et à ses associations abstraites et logiques. Les futuristes, eux, s'y décidèrent. Ils proclamèrent dans leur manifeste le droit du poète «à enrichir le vocabulaire par des mots arbitraires et dérivés, à détester ardemment la langue qui existait avant eux[7]». Un des plus importants d'entre eux, Vélémir Khlebnikov lança la devise du mot «se suffisant à lui-même» (samobytnoe slovo)[8]. Cete devise, saisie au vol par un groupe de jeunes théoriciens, reçut, grâce à leur interprétation, une signification nouvelle et féconde.

III/

        En 1916 se forme à Pétersbourg un cercle de jeunes
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théoriciens de la littérature sous le titre de Société d'étude du langage poétique (abrégé : Opojaz). La même année ils font paraître un mince Recueil de la théorie du langage poétique (Sbornik po teorii poetičeskogo jazyka) contenant une série de brèves études. Rien de plus significatif que les titres de ces articles : Le langage extra-intelligent et la poésie (Zaumnyj jazyk i poezyja). — Des sons du langage poétique (O zvukax stikhotvornogo jazyka). — A propos des gestes phoniques de la langue japonaise (Po povodu zvukovykh žestov japonskogo jazyka) etc. En outre ils y insérèrent, sur le son et sa portée en tant que moyen d'expression, des passages traduits de Grammont et de Nyrop. En 1917 suit un deuxième fascicule consacré aux mêmes questions; en 1919 un troisième recueil groupe d'une façon plus systématique ce qu'il y a de marquant dans les deux premiers, en y ajoutant de nouveaux développements, entre autres, la première application des nouveaux principes à une œuvre précise. Mais ces principes, quels sont-ils?
        C'est, avant tout, la révision de la poétique toute entière à commencer par les axiomes élémentaires. Le premier recueil débute, en guise de manifeste,par larticle de Victor Sˇklovskij :  Du langage extra-intelligent (O zaumnom jazyke) qui pose de front le problème de la forme et du fond ou contenu (soderžanie). La notion du langage extra-intelligent (terme créé par le futuriste Kručenykh dans sa Déclaration du mot comme tel[9] donne au nouvel instigateur le point de départ grâce auquel il peut se libérer du fardeau pseant du «contenu», consciemment rejeté par le poète. Mais le poète, en renonçant à agir sur l'intellect du lecteur (ou plutôt, de l'auditeur) affirme d'autant plus sa puissance d'agir sur ses émotions. Etant donné l'absence complète de sens, c'est la partie phonique qui prend toute la place; les sons restent les seuls porteurs d'émotion; de cette façon, la poésie «extra-intelligente» se trouve être la poésie quintessenciée ou poésie pure. «Un temps viendra où les poètes, dans leurs vers, ne s'intéresseront qu'aux sons». Šklovskij cite à l'appui de sa thèse ce mot du poète po-
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lonais Slowacki[10]. Šklovskij souligne le côté émotif des mots absurdes et le rôle joué par les phénomènes d'articulation. En général, la plus grande partie des recueils est consacrée à l'analyse de l'organisation phonique du lanage poétique (zvukoreč). La poésie entière paraît une «création de combinaisons nouvelles de sons[11]». Dans le langage poétique, ces combinaisons ont une valeur en elles-mêmes — c'est en cela qu'il diffère du langage ordinaire. Les sons créent des émotions, qui entraînent à leur suite «une certaine dépendance entre le «contenu» et les sons de la poésie»[12] renversant ainsi les rapports ordinaires entre le son et le sens du mot.
        L'article d'Ossip Brik Des répétitions phoniques (O zvukovykh povtorakh) étudie l'organisation phonique du vers. Les assonnances, disposées dans différentes parties des lignes, s'harmonisent en configurations diverses, qui relient intérieurement le vers et en forment la véritable charpente.
        De cette façon, c'est leur liaison avec les futuristes qui a été le point d'où sont partis les auteurs du recueil. La poésie futuriste présentait les matériaux les plus commodes pour ceux qui approchaient des œuvres littéraires comme des produits de l'art pur, en dehors de toutes les superstructures psychologiques et autres, déterminées par le «sens». La proclamationdu mot «se suffisant à lui-même» offrait une devise opportune aux théoriciens désireux de s'unir, elle leur permettait d'opposer une formule nette à la théorie du mot-symbole et du mot-image de Potebnja. Renonçant à résoudre les problèmes vagues et compliqués mi-philosophiques, mi-psychologiques, et à interpréter le sens de la poésie, les auteurs des recueils bornent consciemment leur attention à ce qu'ils appellent la «palpabilité matérielle des mots». «Ce n'est pas dans l'image que gît la différence entre le langage poétique et la prose. Le langage poétique diffère de la prose en la palpabilité de sa construction. C'est le coté
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acoustique, ou prononçable, ou sémaciologique du mot qui peut être palpable[13]».
        De même que sous le rapport phonique, l'œuvre est organisée sous le rapport thématique. Comme là il s'agissait de la «composition des sons», ici il s'agit de la «composition des thèmes» (Sjužetosloženie). Là encore, la théorie de Potebnja sur l'image poétique sert de repoussoir. Mais ce n'est pas l'image qui est le trait distinctif de la poésie. Dans l'histoire de la littérature, les images ne sont que peu variables et peu mobiles. «Tout le travail des écoles poétiques se réduit à accumuler et à produire de nouveaux procédés pour combiner les mots, et en particulier pour disposer des images plutôt que pour en créer[14]». Le but de ces nouveaux procédés est d'obliger à concevoir les choses artistiquement. C'est l'habitude des choses qui les tue, c'est l'automatisme qui leur est fatal. «C'est pour rendre la sensation de la vie, pour faire sentir les choses, pour faire de la pierre — une pierre, qu'existe ce qu'on appelle l'art. Le but de l'art est de donner la sensation d'une chose comme vision et non comme connaissance; le procédé d'art est celui qui rend les objets étranges, celui qui complique la forme, qui augmente la durée et la difficulté de la perception, parce qu'en art le phénomène de perception vaut par lui-même et doit être prolongé; l'art est le moyen de vivre la formation de la chose; la chose faite, en art, n'a pas d'importance[15]
        De cette façon, l'œuvre apparaît régie par le procédé (priem), acte conscient d'organisation créatrice ayant pour but un effet artistique bien défini. Les plus importants des procédés généraux sont : le procédé servant à rendre l'objet étrange et neuf (priem ostranenja); le procédé de la forme difficile (priem zatrudnennoj formy), rendue plus compliquée et par conséquent plus sensible[16]. Donc,
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dans la mesure où l'acte créateur fondamental est un acte de composition (složenie) il faut éclaircir et définir les unités faisant partie de cette composition. Il s'ensuit une révision de toutes les conceptions liminares; le motif (motiv), unité narrative la plus simple; le sujet (sjužet), produit de la combinaison des thèmes, conception d'ordre dynamique, opposée à l'affabulation; tandis que cette dernière résume le déroulement logique et chronologique de l'action, le «sujet», lui, représente l'enchaînement successif des situations, à mesure que les introduit l'auteur. Šklovskij cherche à formuler certaines lois de la composition des «sujets» (sjužetosloženie) en étudiant les combinaisons des motifs; il prend ses matériaux n'importe où, à commencer par des chansons populaires, et à finir par Tolstoï, sans se préoccuper de l'individualité des genres. Il s'agit de formuler les lois générales dont dépend la création artistique. Ces lois sont les mêmes en littérature qu'en art : organisation consciente des matériaux (dans le cas de la littérature, ces matériaux son t les mots) en vue de rendre l'objet nouveau, étrange et par là artistiquement efficace; on obtient ce résultat tout d'abord en attribuant le plus d'importance à l'expression (s ustanovkoj na vyraženie).
        Le recuel La poétique se termine sur une étude de Boris Eikhenbaum, une des premières qui applique les nouveaux principes à une œuvre d'art définie. Son titre même est un programme : Comment est faite la nouvelle de Gogol «Le pardessus» ( Šinel)? Eikhenbaum souligne le procédé de narration[17] caractéristique de l'humour de Gogol et démontre que le comique en estdéterminé non pas par les situations, mais par la manière de l'auteur. L'essentiel, chez Gogol, c'est le langage, le mot-pantomime. Le calembour faisant place au pathétique, la mimique du rire cédant à la mimique de la douleur, créent un style grotesque tout particuklier. De cette façon, non seulement
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Eikhenbaum consacre toute sonh attention au côté purement formel de l'œuvre, non seulement il paraît ignorer la signification idéologique et humanitaire de cette histoire d'un pauvre employé, dont on a tant parlé et tant écrit, mais encore, horribile dictu, il réduit cette idéologie au rôle de simple fonction du procédé stylistique.
        Il ne s'agit donc plus simplement du perfectionnement des méthodes de l'analyse esthétique, mais de la réévaluation de toutes les valeurs morales; et qui sait, peut-être de la reconstruction de tout le schéma de la littérature russe.
        De ces recueils de langage poétique se dégageait par conséquent tout un système — on serait tenté de dire toute une philosophie, n'eût été l'horruer profonde des novateurs pour toute espèce de spéculation abstraite. C'est alors qu'intervint le grand public, lecteurs aussi bien que professionnels, hommes de lettres et pédagogues. Dès 1916, au congrès des professeurs de langue et de littérature russes, on sentit passer le souffle des idées nouvelles. Il y eut unconflit violent entre les partisans de la méthode d'enseignement historique et culturelle, et ceux qui adoptaient un point de vue esthétique sur la littérature. Avec le temps, le conflit ne fit que saggraver: plus les novateuzrs formulaient nettement leurs théories, plus leurs adversaires mettaient d'acharnement à lutter contre elles. Le reproche courant adressé aux méthodologues était de s'adonner à la «vivisection» sur le corps vivant de la littérature et de composer avec les fleurs fraîches de la poésie un «herbier» sec et pédant. C'est au cours de cette bataille que fut forgé le nom de «formalistes» par lequel on cherchait à stigmatiser l'attention fervente consacrée à la forme de l'œuvre. Ce mot acquit droit de cité, bien que les formalistes eux-mêmes ne l'emploient qu'entre guillemets. A tort peut-être, car il est facile et commode. Evidemment, il n'exprime que d'une façon superficielle et unilatérale l'effort et les aspirations de la nouvelle école, mais tel est le sort de la plupart de ces noms de guerre : romantiques, impressionnsites, décadents, impassibles — autant de sobriquets persifleurs devenus tôt ou tard des titres de gloire.

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IV/

        Les premiers jalons étaient posés, les premières étapes parcourues. Pourtant, ce n'était encore là qu'une série d'efforts isolés. Le titre du troisième recueil, Poétique était une devise plutôt qu'une réalisation. Mais un fait capital survint, qui prêta son appui au groupe des novateurs et l'aida à afformer sa vitalité. En 1920 fut adopté le projet d'adjoindre à l'Institut pour l'histoire des arts (ancien Institut du comte Zubov, inauguré en 1912) comprenant déjà trois sections — la section d'histoire des beaux-arts, la section d'histoire de la musique et la section d'histoire du théâtre — une quatrième section, celle d'histoire des belles-lettres, ou plutôt de l'art littéraire[18]. Philologues de la lignée de Veselovskij et Peretz, hommes de lettres et poètes,devaient y assumer, en contact étroit, des tâches scientifiques autant que pédagogiques. C'est là, chez ces hommes de science et de métier, que le «formalisme» trouve un appui solide. Le Mémoire relatif à l'inauguration de cette nouvelle section, rédigé par une commission de spécialistes, dénonce la faiblesse et l'éclectisme des méthodes pratiquées jusqu'ici dans l'histoire de la littérature. On ne faisait qu'empiéter sur l'œuvre d'art par des considérations psychologiques, biographiques, culturelles ou religiuses, étrangères à sonessence littéraire. Il s'ensuivait une confusion des méthodes; les limites de l'histoire littéraire, en tant que discipline scientifique, restaient incertaines et vagues. On y lit ceci : «De récents ouvrages méthodologiques ont démontré que, conformément au caractère particulier de l'œuvre littéraire en tant qu'objet esthétique, la méthode d'histoire littéraire doit être une méthode historique et esthétique; c'est-à-dire que l'histoire de la littérature doit évoluer selon les principes des autres catégories de l'histoire des arts. la particularité de la poésie en tant qu'art est déterminée pas sa matière; la matière de la poésie
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est le mot. Par conséquent l'histoire de la poésie, comme histoire de l'art des mots, fait partie du système des autres sciences relatives à l'art…
        «L'achèvement du système des sciences, enseignées et étudiées à l'Institut pour l'histoire des arts, exige qu'on introduise dans le programme la catégorie des études littéraires; intéressantes par les matériaux employés et les méthodes appliquées, elles n'ont pas encore été jusqu'ici suffisamment approfondies du point de vue esthétique et formel…»
        Partant des théories d'Alexandre Veselovskij, qui avait posé le problème de l'histoire littéraire considérée comme poétique historique, les fondateurs de la nouvelle section définissent nettement leurs buts :
        «La nouvelle Faculté de l'Institut pour l'histoire des arts, par l'objet de ses études, par ses tâches et par ses méthodes, ne doit en aucun sens doubler la section philologique de la Faculté des sciences sociales[19] de l'Université. La base du travailscientifique à l'Université était et doit etre l'étude philologique du document littéraire, c'est-à-dire l'examen et la critique de son texte, la date, l'interprétation, l'histoire intérieure du document même. A ces tâches philologiques viennent s'ajouter des tâches historiques : la littérature est considérée comme un des faits de la vie historique dans le rang des autres disciplines historiques et culturelles, en rapport avec les autres faits de la culture spirituelle et matérielle (religieux, philosophiques, politiques, économiques, sociaux). L'Institut pour l'histoire des arts, conformément à son but spécial, doit considérer la littérature comme l'art des mots. Ici, l'étude a pour objet , comme aux autres Facultés de l'Institut, les procédés artistiques (dans notre cas, poétiques), leur évolution historique et l'histoire du style artistique (poétique) comme unité achevée ou comme système de procédés esthétiques[20].
        A côté des cours d'histoire de la poésie antique, euro-
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péenne, orientale et russe, oncréa une nouvelle catégorie de cours : la théorie de la poésie: «la nouvelle construction de faits littéraires devant se fonder sur l'étude de faits théoriques et exigeant une analyse systématique des conceptions esthétiques essentielles[21]». Ces disciplines théoriques sont,d'une art, la théorie de la versification, la théorie du «sujet» (action), la stylistique, etc.; de l'autre, l'étude du langage considéré comme matière de l'art littéraire. Disposées selon des catégories esthétiques, ces études ne se moulent pas sur l'histoire et sur l'histoire de la civilisation. C'est-à-dire que les cours et les travaux pratiques, au lieu d'avoir pour sujet quelque époque historique dans son ensemble, s'occupent de l'histoire d'un genre ou d'un style.
        Tels sont les principes fondamentaux de la nouvelle institution. Les recherches scientifiques devaient y marcher de pair avec l'enseignement. La véritable «école formaliste» se trouvait formée. Son caractère particulier est parachevé par cette liaison étroite entre l'enseignement et les recherches scientifiques. Les élèves ne s'assimilent pas des axiomes rebattus, mais frayent de nouvelles voies à la suite de leurs maîtres. Ceux-ci créent de nouveaux manuels d'enseignement conformes aux nouvelles exigences. La plupart des ouvrages parus dans la série des Questions de poétique sontdes essais de systématisation des matières littéraires; ils ont pour but de pousser les étudiants vers des vérités immuables. Tels sont, par exemple, les ouvrages de M. Tomaševskij sur la métrique ou encore son grand manuel La théorie de la littérature, comprenant trois parties essentielles : 1° Les éléments du style (le lexique, la sémantique, la syntaxe poétique, l'euphonie, la forme graphique); 2° La métrique comparée; 3° La thématique (les thèmes,les sujets, les motifs, les héros, les procédés, la théorie des genres). Le tout illustré d'exemples et accompagné d'exposés historiques des questions élucidées.
        A partir de 1923 la section littéraire s'adjoignit un «Cabinet d'études du langage artistique» (directeur
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M.S. Bernsˇtein) qui poursuit ses recherches sur la base d'observation sphonétiques, et qui possède déjà une importante collection de notations phonographiques. D'autre part, des travaux de grande envergure ont été confiés aux plus jeunes collaborateurs de l'Institut : travaux bibliographiques concernant les revues russes de la première moitié du XIXe siècle, rédaction du vocabulaire poétique de tel poète russe, catalogue systématique des formes métriques employées par les poètes russes du XVIIIe et XIXe siècles, etc., travaux dont l'exécution partielle est déjà en bonne voie.
        Un nombre imposantde conférences etde rapports a lieu auy séances de l'Institut; souvent les auteurs y viennent présenter leurs œuvres. Etant donné les difficultés matérielles que rencontre l'édition des livres en Russie, la plupart des travaux des membres de l'Institut ne sont pas imprimés et n'exercent une action immédiate que sur les étudiants et les collaborateurs. Néanmoins, les recueils La poétique et la série non périodique éditée par la section d'histoire de l'art littéraire sous le titre de Questions de poétique (éd. Academia) contiennent les plus marquants de ces ouvrages.
        Passons maintenant à l'examen des principes essentiels de la méthodologie formaliste.

V.

        Les articles des doyens des quatre Facultés de l'Institut pour l'Histoire des Arts, qui composent un recueil spécial de l'Institut, constituent une sorte de programme et déterminent les buts et les méthodes de leurs sections. La section littéraire est représentée par M. Victor Zˇirmunskij, qui donne à son article le titre suivant : Les buts de la poétique[22]». A côté des articles-programmes qui définissent l'étude des beaux-arts, de la musique et du théâtre, toujours au point de vue de l'évolution des formes et des styles et de la réalisation palpable en lignes, en couleurs, en sons, en décors scéniques, la conception
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analogue de la littérature gagne en précision. Il s'agit de délimiter nettement l'histoire de la littérature et la critique littéraire. La «poétique» n'est ni l'un ni l'autre : c'est la science de la littérature (literaturovedenie)[23]. Cette dernière étant considérée comme art, la science qui s'en occupe traite avant tout de la technique de cet art. Avant d'arriver aux vastes synthèses historiques, il s'agit d'apprendre à analyser et à interpréter les faits littéraires en eux-mêmes. Il faut donc savoir les distinguer dans la masse de la production, trouver leurs qualités spécifiques et inaliénables, leur caractère artistique immanent. C'est pourquoi l'analyse cède le pas à la théorie. De cette théorie M. Zˇirmunskij cherche à préciser les contours encore fuyants. Il expose la portée de ses parties principales : la stylistique (comprenant l'euphonie, la lexicologie historique, la syntaxe poétique et la sémantique), la thématique et la composition.
        Donc, le premier point acquis est la formation d'une science de la littérature. Ses méthodes sont déduites des particularités spécifiques de l'œuvre littéraire. C'est pourquoi dans la première phase de l'examen des matériaux , l'attention se porte de préférence sur la forme. Les formalistes ne se lassent pas d'insister sur le fait que leur intérêt pour la forme découle logiquement de la nouvelle façon de poser le problème de la littérature en tant qu'art concret, n'ayant que faire de toutes les superstructures morales, psychologiques, sociologiques, idéologiques, etc. Les conditions historiques se trouvent exclues, les formalistes prennent leurs sujets d'observation où ils les trouvent; tout leur est bon : les chefs-d'œuvre de la littérature universelle et les dictions populaires, pourvu qu'ils portent le cachet de la forme. Mais leurs préférences vont à la littérature moderne, qui agit sur le lecteur directement et d'autant plus sûrement que le sentiment du langage de notre époque nous est plus sûrement proche.
        C'est l'objet même de la science de la littérature qui détermine l'attention soutenue consacrée désormais à la
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forme de l'œuvre d'art[24]. Jadis on se représentait volontiers la forme comme un vase que pouvait emplir n'importe quel contenu. Mais les formalistes, réfutant ce dualisme simpliste, ont démontré l'unité indissoluble de l'œuvre d'art. Tout en elle, le choix des mots, cette matière première de la littérature, aussi bien que le choix des thèmes (le caractère des héros ne représentant qu'un thème comme un autre) tend à l'effet artistique. Cet effet étant obtenu grâce aux moyens de l'auteur, la forme n'est que le contenu rendu sensible[25] et l'œuvre d'artne représente qu'une somme de procédés stylistiques.
        La conception du procédé (priem) comme nous avons pu le voir, est d'une importance essentielle pour le système formaliste. Du moment que l'effet artistique est dû non pas à l'inspiration ou aux idées abstraites du créateur, mais qu'il dépend de sa forme de réalisation, du moment que l'art est une suite d'actes éminemment conscients et prémédités[26], ce qui importe le plus, c'est l'artifice, et sa mise en œuvre. Comme l'a démontré Šklovskij, le but de tout art est de régénérer l'objet aux yeux du lecteur (éventuellement du spectateur); le procédé qui correspond à ce but est celui qui rend l'objet étrange, qui le dépouille de sa routine et de son accoutumance (ostranenie). A ce point de vue, l'étude de la production en masse s'impose, car les procédés, en se propageant, deviennent caractéristiques d'une école entière. Le renouvellement des procédés est un facteur primordial de l'évolution littéraire car le dynamisme est inhérent aux phénomènes artistiques. Ce remplacement des procédés les uns par les autres s'explique par des
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raisons d’évolution artistique, en dehors de toute influence d’ordre historique et culturel. «La nouvelle forme apparaît non pas pour exprimer un nouveau contenu, mais pour remplacer une ancienne forme ayant perdu son influence artistique» telle est la formule donnée par Sˇklovskij de l’évolution littéraire. Quant au mécanisme de cette évolution, il est dû à un phénomène qu’on pourrait appeler la canonisation des genres[27]. Selon lui, à une même époque coexistent plusieurs écoles littéraires, dont une représente «le sommet canonisé». Par la suite, on voit s’élever à la surface les genres inférieurs qui sont canonisés à leur tour. C’est ainsi que Dostoevskij fit canoniser certains éléments du roman-feuilleton, Nekrasov — le vaudevile et la polémique journalistique, Blok — la romance tsigane, etc. La force motrice, ici, c’est la nécessité de surmonter les pratiques routinières en leur opposant du nouveau. Nous verrons tout à l’heure les objections qu’opposent à ce schéma par trop simple et commode des savants plus circonspects.
        En passant à la théorie de la prose, signalons en premier lieu les travaux de Victor Sˇklovskij, le spirituel animateur de la méthode formelle. C’est lui qui en a forgé le vocabulaire technique, c’est lui qui a procédé à la révision des conceptions fondamentales. En particulier, il s’est consacré aux questions de la composition; cette dernière détermine non seulement la disposition, mais le choix des éléments constructifs. Les motifs psychologiques,eux aussi, ne sont que des éléments constructifs pareils aux autres, introduits non pas en raison de leur signification «idéologique» indépendante, mais comme mobiles dynamiques nécessaires au fondement de l’action et au «développement du sujet» (Razvertyvanie sjužeta)[28] L’analyse formelle est plus facile et plus évi-
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dente, appliquée à celles des œuvres littéraires où l’auteur ne dissimule pas sa technique, mais où, au contraire, il «dénude le procédé». De là l’intérêt exceptionnel manifesté par les formalistes envers un écrivain tel que Sterne (Tristam Shandy), dont l’art principal consiste à «jouer avec le procédé»[29]. C’est pour la même raison que s’explique l’intérêt des formalistes pour la «prose ornementale»[30] et pour des époques entières qui consacrèrent une attention spéciale aux questions de la forme. C’est ainsi qu’ils découvrirent l’époque de 1830, d’une importance exceptionnelle dans la littérature russe ; ils révélèrent la lutte entre la poésie et la prose à cette époque ; ils expliquèrent le triomphe de la prose qui avait conduit à l’effacement temporaire de Puškin. Ils remirent ainsi sur le tapis les questions fondamentales de la prose russe, soulevées par la formation de l’«école naturelle». Les ouvrages de M. Victor Vinogradov sur Gogol et la littérature de son temps en peuvent servir d’exemple frappant.[31]
        Il commence par l’examen des motifs traditionnels préférés des auteurs de l’école naturelle (ce pour quoi il compulse les revues russes des années 1820-1850), puis il passe aux procédés caractéristiques spécifiquement «naturels», démontre la différence entre ces procédés (en particulier de la manière de Gogol) et ce qu’il est convenu d’appeler «réalisme», et donne, à la base de ces matériaux immenses fournis par la production en masse, une description synthétique du style gogolien[32]. Dans
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ses Etudes sur le style de Gogol, c’est sa manière même qui est intéressante. Il prend pour point de départ les parodies[33] découvertes par lui dans les revues du temps de Gogol, compare leurs données à celles qu’il possède déjà,et s’appuyant sur leur conception particulière de l’étrange et du nouveau, il en conclut à la nouveauté de Gogol et de l’école naturelle. En somme, tout le livre n’est qu’un commentaire historique, linguistique et littéraire des parodies. Les nouveaux motifs architectoniques — l’entrelacement de la ligne du sujet avec les épisodes secondaires, les procédés de narration, la lutte contre l’idéalisation, le vocabulaire trivial, l’humour des mots, les hors-d^œuvre lyriques et pathétiques, la «cacophonie» et la «cacopsychie», — Vinogradov passe par tous ces points et apr bien d’autres encore pour arriver à la conclusion que l’école «naturelle» est due à un besoin de renouvellement stylistique, et que l’introduction d’une nouvelle «psychologie» littéraire est une conséquence de la réforme stylistique.
        En passant à la théorie de la poésie, nous constaterons que c’est le domaine où les formalistes ont acquis les résultats les plus probants. On peut dire sans exagération qu’avant l’école formelle, la nature du vers russe n’a été connue que grâce à des tâtonnements, parfois à des divinations telles que le Symbolique d’André Bêlyj (1910), mais qu’il lui manquait jusqu’aux premiers principes de l’analyse scientifique. M.Tomaševskij, auteur de bon nombre d’ouvrages analytiques se rapportant à la prosodie russe (surtout à Puškin) essaie, dans sa Versification russe[34], de systématiser les procédés de classe-
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ment et de description des vers russes.Il fait une part léonine aurythme dans ses rapports avec le mètre, la césure, le langage parlé, la rime, la composition strophique, etc. M. Victor Zˇirmunskij, par contre, aborde dans son Introduction à la métrique. La théorie du vers[35], les questions purement métriques. Représentant de la méthode de la littérature comparée en Russie, disposant d’une érudition immense, M. Zˇirmunskij ne se borne pas à examiner les problèmes du vers russe en connexion avec les problèmes généraux de la versification. Il donne de vastes commentaires et cite de nombreux exemples, dont l’ensemble forme un aperçu historique de l’évolution duvers russe à partir du XVIIIe siècle jusqu’à l’époque contemporaine.
        Le livre de M. Gukovskij La poésie russe au XVIIIe siècle[36] représente une contribution des plus précieuses à l’histoire du vers russe, bien qu’elle dépasse de beaucoup les limites de la versification proprement dite. Elle fournit de nouveaux matériaux à l’histoire de la lutte des systèmes poétiques de Lomonosov et Sumarokov, qui aboutit à l’avènement de Deržavin. Ce livre, aride à force de contenir trop de matériaux inconnus et méconnus, est désormais indispensable à quiconque veut comprendre les voies de la poésie russe, et en particulier les liens rattachant Puškin au XVIIIe siècle.
        M. Zˇirmunskij a consacré un volume imposant au problème particulier de la rime : La rime, son histoire et sa théorie[37]. L’exposé, toujours selon les principes de la littérature comparée, parcourt la longue voie qui mène à la canonisation de la rime et de là, à travers la tourmente symboliste, au «rithmoïde» (rifmoïd) moderne. Un autre ouvrage de M. Žirmunskij La composition de la poésie lyrique[38] a pour objet l’analyse des rapports étroits existant entre le rythme et la syntaxe, et de la structure qui résulte de leur corrélation.
        J’ai mentionné ci-dessus les premiers travaux impor-
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tants des formaistes relatifs à la valeur phonique des vers. Leurs recherches dans cette direction sont étroitement liées à la linguistique[39]. En partant de l’école allemande de l’Ohrenphilologie, M. Eichenbaum a cherché à analyser le principe qui relie la phrase poétique au vers proprement dit, à sa structure et à son intonation. A ce point de vue, il établit dans son livre Ila mélodique du vers lyrique russe[40], trois styles de poésie lyrique, à savoir : le style déclamatoire, le style chantant et le style parlé; il étudie plus particulièrement le style chantant, caractéristque de l’école romantique et symboliste. Dans un autre livre, consacré à la poétesse Anna Akhmatova[41], M. Eichenbaum observe dans son œuvre les correspondances entre le lexique, la syntaxe, le rythme et l’intonation.
        Notons d’autre part les travaux de M. Bernstein, qui se base sur des notations phonographiques des voix de poètes vivants pour en déduire différents types mélodiques[42].
        La question de sémaciologie poétique est posée par M. Tynjanov dans son Problème du langage poétique[43]. L’auteur note les multiples modifications que subit le sens des mots introduits dans un vers. Il analyse l’influence de la construction du vers, dont le facteur dominant est le rythme (portée de l’accent, enjambement, etc.) sur le sens du mot; dès qu’il fait partie du vers, le mot devient membre d’une unité rythmique et se trouve,par là, intensifié et dynamisé. (En passant, M. Tynjanov aborde certaines questions peu explorées, entre autres, celle des «équivalents» du texte poétique. C’est ainsi qu’il explique d’une façon frappante la question jusqu’ici non élucidée des «strophes omises» dans les poèmes de Pusˇkin ; il considère cette omission comme un procédé poétique efficace).
        Avec M. Tynjanov, nous passons au problème du style
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propreent dit. Nous avons déjà parlé sous l’article de la théorie de la prose des travaux de M. Vinogradov sur le style de Gogol et de l‘«école naturelle». Ajoutons-y, avec l’étude de M. Eichenbaum sur Le pardessus, celle de M. Slonimskij : La technique du comique chez Gogol[44]. Elle porte, en sa plus grande partie, sur les procédés de langage stylisés, sur la construction des répliques et des discours alogiques, absurdes et par là irréconciliablement comiques. Une large part est consacrée au mot, au caractère qu’il revêt dans le drame, par M.S. Balukhatyj : Les problèmes de l’analyse dramatique[45]. Il ne s’agit point ici de la théorie du genre dramatique, mais de sa technique,de la coordination de ses divers éléments et de la nature du mot dramatisé. Dans le drame, le mot chargé d’émotion est un élément dynamique qui se rattache à la forme mono-dialogique, au geste, à la mimique et qui est déterminé par tous ces facteurs. L’auteur donne comme illustration l’analyse du théâtre de Cˇekhov, et de son apport scénique au point de vue composition, caractères, action, plan dramatique, mise en scène, etc. 
        En poésie, les recherches stylistiques traitent également de la portée des mots en tant que thèmes poétiques, en tant que symboles individuels de l’œuvre du poète. Une étude de M. Vinogradov classe en groupes sémantiques les mots-symboles d‘Anna Akhmatova[46]: oiseau, chant, prière, amour — c’est dans ces limites étroites que tient, selon lui, l’œuvre de ce poète, l’un des plus grands de la Russie moderne.
        M. Zˇirmunskij se sert de cette méthode sur une plus large échelle. Son ouvrageintitulé La poésie dAlexandre Blok[47]partant de l’analyse des mots-thèmes poétiques de ce poète, ne se borne point à une caractéristque individuelle. Ayant noté son goût pour les métaphores, le mécanisme compliqué de la collusion entre les métaphores appartenant à de différentes catégories, les néologismes, le symbolisme mystique du vocabulaire, la ca-
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tachrèse, le lien qui rattache Blok aux romantiques allemands, à Hugo et à Shelley, en un mot, la transfiguration de l’action comme qualité maîtresse, M. Zˇirmunskij en conclut à la «nature romantique» de la métaphore; à cette dernière, il oppose l’emploi de la métonymie, dont la nature modérée,logique, rationnelle et sciemment  conventionnelle correspond au style classique, de Voltaire et Delille à Pusˇkin. M. Zˇirmunskij aborde une fois de plus ce sujet dans Valerij Brjusov et l’héritage de Puškin[48], essai d’analyse comparée. Il y oppose le style de Brjusov, poète de l’émotion musicale, étroitement lié à la poétique romantique et symboliste, au style de Puškin,poète du mot exact et de la syntaxe logique, sobre, net , précis, avare de moyens d’expression.Il s’ensuit une mise au point importante : c’est à faux qu’on a considéré Brjusov comme l’héritier et le gardien du trésor pouchkinien. La parenté n’est que toute extérieure : l’essence de leur œuvre, leur style, est entièrement opposée. M. Žirmunskij envient à tracer une nouvelle lignée de succession poétique dans la littérature russe : il rapproche Puškin du XVIIIe siècle et il fait remonter l’évolution de la poésie du XIXe siècle à Žukovskij. Revenant toujours vers Puškin,   transporte le problème sur le terrain de la littérature comparée. Dans un ouvrage d’une maîtrise achevée — Byron et Puškin (Contribution à l’histoire du poème romantique)[49] il use des meilleures armes de l’arsenal formaliste. C’est une analyse minutiueuse des poèmes du Midi de Puškin, dits «byroniens». M. Žirmunskij commence par une révision de «l’influence littéraire» qu’il réduit à un problème stylistique concret (au sens le plus large du mot style)[50]. Il passe en revue les procédés des deux poètes, sujets, composition, manière, choix des thèmes, affabulation, héros, descriptions de la nature, motifs psychologiques, etc. Cete comparaison a pour résultat de prouver clairement que le byronisme,
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une fois assimilé par Pusˇkin subissait une transformation réelle, et que le romantisme outré du poète anglais se soumettait à l’harmonie classique du Russe. L’influence va toujours s’afaiblissant, et Pusˇkin finit par la surmonter dans Poltava, ou, s’échappant du cercle du poème romantique,trop étroit pour lui, il trouve une issue au large du poème historique.
        Le savant, à son tour, suit l’exemple du poète. Byron et Puškin doit être considéré comme le premier ouvrage formaliste sortant du cercle de l’analyse statistique au grand jour de l’histoire de la littérature.Il ne s’agit pls d’une constatationde fait : c’est l’évolution d’un poète, qui, à travers l’influence d’un système poétique étranger, marche à la découverte de son propre génie. La théorie de la littérature trouve un débouché dans son histoire.

VI.

        Si jeune que soit l’école formaliste, son premier lustre a déjà vu éclore au sein même du formalisme des divergences d’opinions. Les adeptes les plus modérés se sont mis à faire des réserves, refusant de limiter toute leur attention à l’œuvre d’art immanente. Les réserves formulées par M. Zˇirmunskij dans une préface polémique[51], sont celles d’un historien : il ne suffit pas, selon lui, de considérer l’art comme un procédé. Du moment que l’auteur, outre des considérations artistiques, peut poursuivre des buts moraux, sociaux, etc., et que l’œuvre d’art est la résultante de tous ces éléments complexes, d‘autres points de vue sont aussi légitimes que le point de vue strictement formel. D’autre part, l’hypothèse du procédé ne suffit pas à expliquer l’évolution littéraire. Elle ne motive que le renouvellement des styles, mais le sens de ce renouvellement, la direction que prend l’évolution est déterminée par d’autres forces motrices. On fait à tort prévaloir les éléments de la composition formelle sur les «thèmes». On ne doit point, même à titre d’exemple,
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rapprocher des motifs appartenant à diverses époques et à différents genres. Ce sont là des valeurs hétérogènes. Certains genres (et parmi eux le roman, forme hybride) ne se contentent pas de l’analyse formelle, qui ne peut suffire à les épuiser. Pour tout dire, il faut «tracer une ligne de démarcation enre les buts formels que poursuit la science de la littérature et les principes formalistes de son étude et de son interprétation»[52].
        Il est à noter également que les formalistes, qui cherchent à garder le contact le plus étroit avec la littérature moderne (comme par exemple le groupe moscovite LEF[53]) se tournent toujours davantage vers la critique littéraire, genre qui exige à coup sûr l’intuition, qualité décriée par les formalistes pur sang. Le théoricien et critique de la méthode formelle. M. Engelgardt, qui cherche à en exposer la philosophie dans son ouvrage La méthode formelle dans l’histoire de la littérature[54] caractérise très bien cette évolution comme une retraite du front «esthétique» au front «artistique».
        Evidemment, ce sont là des dissidents. Pourtant, même parmi les plus orthodoxes des formalistes, nous constatons une étrange «hérésie» qu’on pourrait désigner comme la tentation de l’histoire. Sans parler de M. Žirmunskij dont nous avons déjà indiqué la féconde initiative, les derniers travaux de M. Eichenbaum sont très caractéristques sous ce rapport. Son livre Le jeune Tolstoï[55] consacré  la formation littéraire du romancier, comporte une conclusion dont la signification ne sera comprise que plus tard; ce sont les articles récents de M. Eichenbaum, contenant sa nouvelle profession de foi, qui en révèlent toute la portée. Le jeune Tolstoï, œuvre entièrement conforme aux doctrines formalistes, contient une analyse des journaux intimes de l’écrivain, considéré non pas comme document psychologique, mais comme école du métier : «La création artistique est supra- psychologique — son caractère est de surmonter le lyrisme de l’âme. A l’opposé de l’opinion courante selon laquelle
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Tolstoï ne se préoccupait que fort peu de la forme de ses œuvres, M. Eichenbaum prouve que l’introspection n’était pour lui qu’un exercice de style; il montre comment Tolstoï abordait les problèmes du roman et comment il partait en guerre contre le romantisme dans un domaine purement formel, en se préoccupant avant tout de la manière de l’exposé. Mais, en suivant la destinée littéraire de Tolstoï, M. Eichenbaum se heurte à des facteurs d’une tout autre nature, impossibles à éliminer. Il s’agit de l’opposition, se précisant vers 1860, des écrivains isolés; propriétaires fonciers (Tolstoï, Turgenev, Fet) et des professionels roturiers, travaillant à mettre sur pieds le rendement du journalisme et de la production littéraire. Au cours de son travail sur Tolstoï (suite du Jeune Tolstoï) l’auteur se voit obligé de compter toujours plus avec cette opposition et avec tout ce qu’elle comporte de conséquences vitales et littéraires. En des articles très intéressants[56], qui se rattachent étroitement à la vie littéraire moderne en Russie soviétique, avec ses rudes conditions économiques forçant l’auteur soit à dépendre entièrement du public, soit à chercher un second métier, M. Eichenbaum développe le sujet effleuré dans la conclusion du Jeune Tolstoï. Il cherche en quelque sorte à élucider le présent grâce aux exemples du passé; il retrace les étapes de «l’industrialisation» de la production littéraire dans les années 1830-1860. La question de la «façon d’être écrivain» le ramène aux facteurs extra-littéraires. Les problèmes de l’origine et de la genèse des œuvres, dissimulés derrière les problèmes d’évolution, apparaissent de nouveau. L’histoire reprend ses droits.
        Enfin, M. Tynjanov, théoricien s’il en fut, ne se délaisse-t-il pas de ses analyses statiques en faisant des vies romancées pleines de goût et de finesse[57]? Au fond, ces biographies de poètes ne sont-elles pas de l’histoire de la littérature en puissance?
        D’ailleurs, les formalistes eux-mêmes ne se lassent pas
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de répéter que le «formalisme» est loin d’avoir dit son dernier mot. Le mouvement formaliste est toujours en voie d’évolution. Peut-être sommes-nous autorisés, d’ores et déjà, à dire que cette évolution s’effectue dans le sens de l’histoire. L’homme de lettres ou le spécialiste universitaire, s’il n’est pas un linguiste pur, ne pourra jamais exclure entièrement l’histoire de la sphère de ses préoccupations directes. La littérature représente une suite de phénomènes uniques, hétérogènes, ne pouvant se répéter. Sa connaissance ultime ne peut être acquise à l’aide de lois insuffisamment généralisées. Ses méthodes pencheront en dernier lieu vers celles des sciences phénoménologiques, aptes à sauvegarder le charme individuel de l’histoire.

VII.

        Quoi qu’il en soit à l’avenir, le formalisme, jusqu’à présent, en tant qu’instrument de travail, s’est avéré d’une efficacité et d’une fécondité prodigieuse. L’enseignement scientifique à l’Institut pour l’histoire des arts, l’élimination du dilettantisme, de l’esthétisme et du psychologisme commence à porter des fruits. Témoin ces recueils d’études des élèves de l’Institut, où la stricte application des principes des maîtres se fait peut être un peu trop sentir, mais d’où se dégagent déjà des vues personnelles. Ainsi dans l’intéressant recueil La prose russe[58] consacré à la seconde moitié du XVIIIe siècle et à la première moitié du XIXe siècle et composé uniquement de travaux des élèves : L. Ginzburg, Vjazemskij homme de lettres (Vjazemskij literator); T. Roboli, La littérature de voyages de l’époque du «sentimentalisme»; B. Bukhsab, Les premiers romans de Veltman; B. Hofman, La narration folkloriste de Dal, etc. Ou bien l’article de L. Ginzburg, Contribution à l’histoire littéraire de Benediktov[59], élucidant sous le rapport d‘idées littéraires la position du poète vis-à-vis de Bêlinskij.
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        Une fois envolée l’exagération propre aux jeunes, ces disciples des maîtres de l’école formelle donneront une génération de critiques, et, disons-le hardiment, d’historiens de la littérature, nets, précis, aguerris, conscients de leurs méthodes et bons connaisseurs de textes. Une autre conséquences s’impose : tous ces jeunes, ne l’oublions pas, ont fait leur apprentissage, à l’opposé des étudiants d’avant-guerre, sur des matériaux du XVIIIe et des premières décades du XIXe siècle, jusqu’ici méprisés comme ne représentant aucun intérêt idéologique ; ainsi, à leurs yeux, les faits de la littérature russe ont acquis une nouvelle valeur, le plus souvent ne s’accordant point avec les appréciations antérieures. Presque tous les travaux cités au cours de la présente étude établissent des points de vue nouveaux; et bien que souvent leurs auteurs ne considèrent l’esprit des œuvres qu’en fonction de leur forme[60], leurs analyses statiques unissent — avec beaucoup de lacunes encore — leurs anneaux en une seule chaîne historique.
        Par suite, le schéma d’évolution de la littérature russe apparaît comme essentiellement modifié. Tout d’abord cette pierre de touche, la position de Pusˇkin. Il n’est plus considéré comme un chantre divin tombé des cieux, révélant une poésie totalement inconnue avant lui. Il est l’achèvement suprême d’une époque, le fruit mûr d’un arbre dont les racines tiennent profondément au XVIIIe siècle. Ce siècle «réhabilité» se révèle non pas en imitateur aveugle de l’étranger, mais en classique conscient et national. Le classicisme de Puškin fait place à la lignée romantique et musicale qui va de Žukovskij à Fet et aux symbolistes, tandis que les modernes, les «akméistes», avec Gumilev, Akhnmatova, Kuzmin, remontent aux sources
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classiques. La véritable nature de l’œuvre des poètes nous est révélée.
        D’autre part, ces critiques ont ainsi creusé les problèes de l’«école naturelle», démontré le grotesque voulu du style de Gogol,ce style qui n’est rien moins que «réaliste» ; ils ont découvert les liens existant entre Gogol et Dostoevskij et arraché à l’oubli toute une série de prosateurs intéressants, de Marlinskij à Dal (la réhabilitation de Leskov ayant déjà commencé plus tôt). Ils ont élucidé un grand nombre de questions littéraires, comme celle de Nekrasov, poète divinisé par les idéologues, rejeté par la génération de la poésie-pure, et rendu actuellement à la haute poésie ; comme celle de l’école archaïsante et de sa répercussion dans l’œuvre de Tjutcˇev ; comme tant d’autres encore, sans parler de l’incorporation de la production moderne dans l’évolution littéraire générale.

VIII.

        L’apport du «formalisme» est indéniable. Maintenant que nous avons parcouru sa carrière récente, mais féconde, nous pouvons mieux nous rendre compte de l’effervescence qu’il a provoquée. En bouleversant le schéma courant de la littérature russe, en révolutionnant les méthodes et l’esprit même de l’enseignement, et aussi par sa façon de traiter les produits littéraires comme étant uniquement des œuvres d’art, comme par leur refus d’en extraire tout élément d’ordre moral, le «formalisme» paraissait étranger et hostile à la génération d’avant-guerre. Cette «querelle des méthodes» est d’une portée qui dépasse les limites de la controverse scientifique. C’est un chapitre caractéristique de l’histoire de la pensée russe, une collision entre deux poétiques, deux styles, deux idéologies, ou plutôt entre une idéologie et le désir furieux de s’en débarrasser. C’est pourquoi la méthode marxiste, qui décrète en littérature le point de vue de classe et qui traite les œuvres littéraires en résultantes des conditions éconimiques, est particulièrement hostile au formalisme. Pendant une brève période le marxisme a cru trouver en lui un allié contre les anciennes méthodes
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mais ce n’était qu’une alliance en vue d’un ennemi commun. Tandis que la formalisme s’efforçait de détruire toute «idéologie littéraire» pour atteindre à l’art pur, le marxisme, lui, ne visait qu’à remplacer les conceptions «bourgeoises» par des conceptions «prolétariennes». Le nom changé, le fond restait le même. C’est ce qu’a compris Trockij dans sa tentative, qui a d’ailleurs échoué, de réconcilier les deux méthodes.
        L’histoire nous présente un parallèle frappant d’un conflit de ce genre. Il est infiniment instructif d’analyser de ce point de vue les «Grenouilles» d’Aristophane, où l’on voit combattre non seulement deux méthodes de critique employées par ces poètes. Tandis qu’Eschyle critique chez Euripide surtout le fond, et démontre son manque de morale, de patriotisme, en un mot d’«idéologie», ce dernier s’en prend à la forme du vieux maître. C’est pour mesurer et peser se smots ronflants qu’il apporte sa balance et tous ces instruments de précision dont l’emploi, vingt-trois siècles plus tard, fera taxer de «vivisecteurs» ses frères en méthodologie. L’analogie est approfondie et soulignée par le fait que l’idéologue Eschyle est le repèrésentant de la génération aînée, tandis que le subtil Euripide, ami et disciple des sophistes, formaliste du IVe siècle d’avant J.-C., est ultra-moderne. Ne serait-ce pas là, après tout, en dépit des critiques infligées aux jeunes de Grèce et de Russie, la preuve que les véritables révolutions artistiques commencent inévitablement par le problème de la forme ?



[1] Pypin, Kharakteristika literaturnykh mnênij ot 20-kh do 50-kh godov. Saint-Péresbourg 1906, 3e éd., p. 1.

[2] Ib., p. 474.

[3] Extraits de cours sur la méthodologie de lhistoire russe (13 lekcij po metodologii istorii russkij literatury) Kiev 1914. — Exposé succint de la méthodologie de l'histoire de la littérature russe (Kratkij očerk metodologii istorii russkoj literatury). Ed. «Academia», Pétersbourg, 1922.

[4] Surtout Extraits des notes sur la théorie de la littérature (Iz zapisok po teorii slovêsnosti) Kharkov, 1905.

[5] Surtout : A. Bêly, Le symbolisme, Moscou 1910. — Valerij Brjusov, La science du vers (Nauka o stikhê), Moscou 1919, et quantité d'études, dont particulièrement importantes ses études consacrées à Pusˇkin. — Travaux de Bobrov, Cˇudovskij, etc.

[6] K. Balmont, Le sortilège de la poésie (Poezija kak volšebstvo).

[7] Une gifle au goût du public (Poščečina obščestvennomu vkusu), 1912.

[8] R. Jakobson, La nouvelle poésie russe (Novejšaja russkaja poezija), Prague 1921.

[9] Deklaracija slova kak takovogo, 1913.

[10] La Poétique (Poetika) Pétrograd 1919, p. 26; cf. L. Jakubinskij, Des sons du langage poétique (O zvukakh stikhotvornogo jazyka).

[11] L. Jakubinskij, De la combinaison poétique des glossèmes (O poetičeskom glossemosočetanii). La Poétique, p. 12.

[12] L. Jakubinskij, Des sons du langage poétique (O zvukakh stikhotvornogo jazyka), ib., p. 49.

[13] V. Šklovskij, Potebnja, La Poétique, p. 4.

[14] V. Šklovskij, L'art considéré comme procédé (Iskusstvo kak priem), La Poétique, p. 102.

[15] Ib., p. 105.

[16] Šklovskij cite à l'appui de sa thèse des exemples de Tolstoï, qui aime dépeindre les objets endehors de l'aperception, les rendant ainsi nouveaux et incompréhensibles. Par exemple la description du spectacle dans «Guerre et paix». Il remarque très finement que c'est précisément ce moyen, appliqué dans la suite par Tolstoï à la description des dogmes et des rites, cette façon de les rendre étranges en remplaçant leur signification religieuse par leur portée réelle, qui produit une impression de sacrilège monstrueux (ib., p. 109).

[17] Der Vortrag, la manière même du débit, soit que l'auteur fasse discourir tel personnage au parler caractéristique, soit que lui-même choisisse un procédé de narration étrange et original.

[18] Razrjad istorii slovesnykh iskusstv.

[19] C'est ainsi que se dénomme à présent la Faculté des Lettres.

[20] Institut russe pour l'histoire des arts (devenu Institut d'Etat). Les buts et les méthodes de l'étude des arts (Zadači i metody izučenija iskusstv). Rapport sur l'activité de l'Institut, p. 219 s. éd. «Academia», Pétersbourg, 1924.

[21] Teorija literatury (Poètika). Ed. d'Etat, Leningrad, 1925.

[22] Zadači poètiki,dans le recueil de l'Institut précité.

[23] Traduit de Literaturwissenschaft, terme intraduisible en français, puisque cette langue oppose les lettres aux sciences — mais l'idée même, bien que sous une autre apparence, se retrouve encore dans l'ébauche de la critique scientifique par Hennequin.

[24] «La notion de la forme commençait à s'identifier pour nous é la notion de la littérature comme telle — à la notiondu fait littéraire» (Eichenbaum La théorie de la méthode formelle — Teorija formal’nogo metoda). V. son recueil La littérature, éd. Priboj, Léningrad, 1927). Mais c'est là une conséquence de la mise au point du problème littéraire, et non pas une opinion préconçue. La méthode ne fait que découler de la façon dont se pose la question . (V. Žirmunskij, Les buts de la poétique). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les novateurs ont pris en grippe leur surnom de «formalistes», préférant appeler leur méthode la méthode «morphologique» (B. Eichenbaum, Le jeune Tolstoï, p. 8).

[25] V. Šklovskij, L'art considéré comme procédé, «La Poétique».

[26] Les formalistes laissent consciemment de côté les régions nébuleuses de la psychologie créatrice.

[27] V. Šklovskij, Rozanov, réimprimé dans son recueil La théorie de la prose (Teorija prozy), Ed. Krug, Moscou-Leningrad, 1925.

[28] Sˇklovskij cite une lettre curieuse de Tolstoï à propos dupersonnage du prince Bolkonskij, un des héros de «La guerre et la paix» :

«Je m’empresse de faire pour vous l’impossible, c’est-à-dire de répondre à votre question. André Bolkonskij n’est personne, comme tout héros d’un romancier, et non pas d’un faiseur de mémoires ou de personnalités. J’aurais honte de me faire imprimer si tout mon travail consistait à faire un portrait, à noter, à fixer. Je tâcherai d‘expliquer qui est mon André. Dans la bataille d’Austerlitz, qui ne viendra que dans la suite, mais par laquelle j’ai commencé le roman, il me fallait faire tuer un brillant jeune homme; dans la suite du roman, je n’avais besoin que du vieux Bolkonskij avec sa fille, mais comme il est gênant de décrire un personnage qui ne se rattache en rien au roman, je décidai de faire du brillant jeune homme le fils du vieux Bolkonskij. Ensuite il m‘intéressa, un rôle se trouva pour lui au cours du roman, et je lui fit grâce en le blessant grièvement au lieu de le tuer. Telle est, princesse, mon explication absolument véridique, et à cause de cela peut-être vague, du personnage de Bolkonskij… (Le 3 mai 1863). (Svjaz priemov sjužetosloženijaobščimi priemami stilja). La Poétique, p. 139.

[29] V. Šklovskij, Le roman parodiste (Parodijnyj roman), Tristam Shandy. Ed. «Opojaz», Pétersbourg, 1921.

[30] Cf. B. Eichenbaum : Leskov et la prose moderne (Leskov i sovremennaja proza), «Literatura», Leningrad, 1927.

[31] L’analyse de ces ouvrages serait, sans doute, plus à sa place à l’article «études de style», mais pour donner une idée plus nette des recherches relatives à la prose russe, je les indique ici.

[32] V. Vinogradov, Le sujet et la composition dans la nouvelle de Gogol «Le nez» (Načala, 1921, 1). — Gogol et Jules Janin (Literaturnaja mysl’,  1924, III). — Le sujet et l’architectonique du roman de Dostoïevski «Les pauvres gens» (Tvorčeskij put’ Dostoevskogo, 1924). — Gogol et l’école naturelle, Ed. Obrazovanie, 1925. — Etudes sur le style de Gogol, «Voprosy poètiki», VIII, éd. Academia, Leningrad, 1926. Pour l’histoire d’un motif important cf. A. Ceitlin,Les contes mettant en scène le fonctionnaire pauvre de Dostoïevski (Povesti o bednom činovnikê Dostoevskogo), 1923.

[33] Cf. Jurij Tynjanov, Dostoevskij i Gogol (Contribution à l athéorie de l aparodie) (K teorii parodii), Ed. Opojaz 1921, où l’auteur démontre, se basant sur une analyse stylistique, que Le village Stepančikovo de Dostoevskij n’est qu’une parodie de Gogol, le moraliste de l’époque de La correspondance avec les amis, mettant en jeu Gogol lui-même sous les traits du célèbre Taruffe russe Foma Opiskin.

[34] Russkoe stikhosloženie. Metrika, «Voprosy Poètiki», éd. Academia, Pétersbourg, 1923.

[35] Vedenie v metriku. Teorija stikha, «Voprosy Poètiki» VI, éd. Academia, Leningrad, 1925.

[36] Russkaja poèzija XVIII-go vek, «Voprosy Poètiki», X, 1927.

[37] Rifma, ee istorija i teorija, «Voprosy Poètiki», III, 1923.

[38] Kompozicija liričeskogo stikhotvorenija, éd. «Opojaz», Pétersbourg, 1921.

[39] Le parler russe (Russkaja reč). Recueil sous la direction de L. Sˇcˇerba, Pétersbourg, 1923.

[40] Melodika russkogo stikha, éd. Opojaz, Pétersbourg, 1922.

[41] Pétersbourg, 1923.

[42] Les voix des poètes (Golosa poetov), «Voprosy poetiki».

[43] Problena stikhotvornogo jazyka, «Voprosy poetiki», V, 1924.

[44] Tekhnika komičeskogo u Gogolja, Voprosy poetiki, I, 1923.

[45] Problemy dramaturgičeskogo analiza, Voprosy poetiki, IX, 1927.

[46] V. Vinogradov, O simvolike A. Akhmatovoj (Literaturnaja mysl, I).

[47] Ed. Kartočnyj domik, Pétersbourg 1921.

[48] Valerij Brjusov i nasledie Puškina. Opyt sravnitelno-stilističeskogo issledovanija.  Ed. Elzévir, Pétersbourg, 1922.

[49] M. Žirmunskij traite du même sujet dans une analyse de deux passages tirés, l’un d’une description romantique de Turgenev, lautre d’une poésie classique de Puškin, étonnante par sa netteté, sa précision et sa sobriété (Article précité : Les buts de la poétique).

[50] Byron i Pusˇkin. Iz istorii romanticˇeskoj  poemy, éd. Academia, Leningrad, 1924.

[51] Traduction russe d’un chapire d’Oskar Walzel : Le problème de la forme en poésie. Avec préface du prof. V. Žirmunskij : A propos de la méthode formaliste. (K voprosu o formalnom metode), éd. Academia, Pétersbourg, 1921.

[52] Ib., p. 20.

[53] Levyj Front.

[54] Formalnyj metod v istorii literatury, Voprosy Poetiki, XI, 1927.

[55] Molodoj Tolstoj, Ed. Gržebin, Pétersbourg-Berlin, 1922.

[56] La littérature et la vie littéraire (Literatura i literaturnyj byt), (Na literaturnom postu, 1927, 3). — La littérature et l’écrivain (Literatura i pisatel) (Zvezda, 1927, 5).

[57] Kjukhla (surnom du décabriste Küchelbecker, ami de Puškin). Ed. Kubuč, Leningrad, 1925.

[58] Russkaja proza. Sous la réd. De B.Eichenbaum et J. Tynjanov, éd. Academia, Leningrad, 1926.

[59] La Poétique (Poetika), II. Vremennik otdela slovesnykh iskustv, Gos. Inst. Iskusstv. Ed. Academia, Leningrad, 1927.

[60] Citons la conclusion très caractéristique de M. Vinogradov dans ses Etudes sur le style de Gogol : selon lui, la nouvelle «naturelle» est le produit de la réforme stylistique : «La révolution du langage une fois affirmée, l’école naturelle adapte la psychologie de l’image artistique aux nouveaux principes de la composition stylistique. Après avoir élaboré la manière de peinture «typique» et créé un système complexe de reproduction des types, elle prend à son service l’idéologie et la sociologie» (P. 204) — Cf. V. Šklovskij : «Le type de Don Quichotte (tel que nous l’interprétons à présent) est la résultante de la composition du roman : en poésie, le mécanisme de l’œuvre crée souvent par lui-même des formes nouvelles». Comment est fait Don Quichotte (Kak sdelan Dn Kikhot, 121) extrait de la Théorie de la prose, 1925.