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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- Paul Meier : «Réflexions sur la langue anglaise à la lumière des enseignements staliniens», La pensée, n° 53, janv-fév. 1954, p. 75-91.

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        Depuis la publication de l’ouvrage de Staline A propos du Marxisme en Linguistique, un effort considérable a été fait, en particulier en U.R.S.S., pour mieux comprendre le rôle et la signification du langage, et il est certain que la contribution de Staline a été pour les linguistes de tous pays d’une aide incomparable. Les linguistes soviétiques ont déjà dépassé ce premier stade, celui de l’étude approfondie de la théorie générale du langage, et, si nous nous référons aux riches tables des matières des bulletins de l’Académie des Sciences de l’U.R.S.S., nous constatons que nombre d’entre eux, dans des articles malheureusement non traduits, s’efforcent à. présent, à la lumière des enseignements staliniens, d’étudier le développement et les caractères des nombreuses langues nationales de l’Union Soviétique.
        Il semble que dans nos pays occidentaux se manifeste plus de timidité. A notre connaissance, presque tout reste encore à faire en ce qui concerne la mise à jour, à l’aide de la science marxiste, des données classiques relatives à l’étude des langues de nos pays. La tâche est sans conteste immense et difficile, mais ne conviendrait-il pas de l’aborder ?
        Dans les quelques réflexions qui suivent, nous voudrions essayer de montrer, à propos de la langue anglaise, à quel point l’enseignement de Staline peut nous être utile et pourrait être le point de départ de recherches fécondes, et comment aussi il nous permet de nous débarrasser de certaines idées toutes faites qui se révèlent fausses à l’examen. Qu’on ne s’attende pas à des découvertes. Nous connaissons nos limites, et elles sont grandes. Il s’agit ici de premières approximations générales, voire simplement de questions, et des erreurs ou des ignorances risquent fort d’entacher ce premier effort. Notre seule ambition est de poser quelques problèmes, de susciter à leur sujet intérêt et réflexion et d’inciter les spécialistes à une recherche collective et plus approfondie.

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        Pourquoi la langue anglaise mérite-t-elle un examen particulièrement attentif ? Avant tout, croyons-nous, parce que des notions historiques absolument fausses ont encore cours aujourd’hui dans l’enseignement officiel sur les origines st la formation de l’anglais moderne après la conquête normande. La vieille légende subsiste encore d’une aristocratie normande qui pendant des centaines d’années ignora l’anglais et continua de parler français, vivant en vase clos, sans
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contact direct avec la population anglaise. Et, nous semble-t-il, c’est sur la base de cette légende qu’a été bâtie cette «théorie du croisement», cette idée de la fusion de deux langues pour en former une troisième, dont on a prétendu que l’anglais moderne fournissait la plus parfaite illustration. De cette légende comme de cette théorie, Staline a fait justement litière, et il est indispensable de se référer à lui dès le départ.
        Examinons d’abord cette légende. Il est assez piquant de constater que de pseudo-marxistes s’en étaient emparés pour bâtir, eux, une théorie selon laquelle il existe des langues de classe.

        On se réfère, écrit Staline, au fait qu’à une époque donnée, en Angleterre, les féodaux anglais ont parlé le français «durant des siècles», alors que le peuple anglais parlait la langue anglaise, et l’on voudrait en faire un argument en faveur du «caractère de classe» de la langue et contre la nécessité d’une langue commune à tout le peuple. Mais ce n’est point là un argument, c’est plutôt une anecdote. Premièrement, à cette époque, tous les féodaux ne parlaient pas le français, mais seulement un nombre insignifiant de grands féodaux anglais à la cour du roi et dans les comtés. Deuxièmement, ils ne parlaient pas une «langue de classe» quelconque, mais la langue française ordinaire, commune à tout le peuple français. Troisièmement, on sait que cet engouement de ceux qui s'amusaient à parler la langue française a disparu ensuite sans laisser de trace, faisant place à la langue anglaise commune à tout le peuple. Est-il possible de penser que les féodaux anglais et le peuple anglais se sont «durant des siècles.» expliqués au moyen d’interprètes, que les féodaux ne se servaient pas de la langue anglaise, qu’il n’existait pas alors de langue anglaise commune à tout le peuple, que la langue française était alors, en Angleterre quelque chose de plus qu’une langue de salon, uniquement employée dans le cercle étroit de la haute aristocratie anglaise? Comment peut-on, sur la base de tels «arguments» anecdotiques, nier l'existence et la nécessité d’une langue commune à tout le peuple[1] ?


        Le fait est, pourtant, que cette légende a la vie dure. Nous n’en voulons pour preuve que sa survivance jusque dans l’ouvrage, si remarquable par sa méthode et par la qualité nuancée de ses analyses, qu’a publié M. Fernand Mossé sous le titre d'Esquisse d’une Histoire de la Langue Anglaise. «Pendant deux siècles, écrit-il, le français demeura la langue des classes supérieures» [2], alors que quelques lignes plus loin, il énumère lui-même nombre de faits qui contredisent cette affirmation.

Cent onze ans après la conquête [c’est nous qui soulignons. P. M.], écrit-il, un témoin pouvait écrire que, par suite des mariages, les deux nations se sont si bien mêlées que, parlant d’hommes libres, il est presque impossible de dire si quelqu’un est d’origine anglaise ou normande (Dialogus de Scaccario, dans Stubbs, Select Charters (1881), p. 168).[3]

        Et nous ne pouvons nous empêcher de supposer que les «classes supérieures» doivent plus ou moins s’identifier avec ces «hommes libres».
        Il ne semble même pas indispensable de se baser sur des témoignages aussi tardifs que ce dernier pour se convaincre de l’absurdité de cette légende. Il convient évidemment de se reporter aux quelques documents qui subsistent de la période immédiatement consécutive à la Conquête. Certes, ils sont peu nombreux et leur nature appelle certaines réserves critiques que nous serons amenés à formuler. Il est remarquable que cette période assez mystérieuse, mais pourtant si importante, ait été si peu l’objet d’études scientifiques et impartiales. Il n’existe, à notre connaissance, qu’un seul ouvrage de ce genre, et il semble que, par esprit de routine, parce que ce livre contredisait manifestement les théories offi-
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cielles, on ne lui ait pas accordé toute la publicité et toute l’autorité qu’il mérite.[4] Il s’agit d’une thèse présentée en 1921 devant l’Université de Pensylvanie par Percy Yan Dyke Shelly sous le titre : English and French in England, 1066-1100.
        Parce que cette thèse repose sur un examen minutieux des faits connus et des témoignages, et parce qu’elle témoigne d’un effort scientifique de compréhension, elle s’élève à un niveau idéologique tel qu’elle illustre de façon étonnante certaines des idées importantes de Staline. Nous croyons utile, non seulement pour en finir avec cette légende, mais aussi parce que certains passages ont une grande importance pour la suite de cet exposé, de traduire à peu près in extenso la conclusion que Percy Yan Dyke Shelly donne à son excellent ouvrage :

La présente étude des rapports entre les peuples français et anglais et entre leurs langues dans l’Angleterre de 1066 à 1100, étude fondée sur un nouvel examen des sources, a eu, nous l’espérons, pour résultat essentiel de placer notre connaissance de ces rapports sur une base historique légèrement plus précise. Presque tout ce qu’on a écrit jusqu’ici sur ce sujet ne commence à étudier les choses qu’à partir du milieu du XIIème siècle et éclaire l'état de la société anglaise et l’importance du français après que le pays eut subi une nouvelle influence française grâce à l’avènement de Henri II et d’Eléonore d’Aquitaine. Quant à la période antérieure, où les effets de la conquête elle-même sont plus clairement visibles, force nous a été dans le passé de dépendre surtout des spéculations sur ce que les faits linguistiques ont dû être [c’est l’auteur qui souligne] plutôt que sur les faits réels. Notre but a été de rassembler les témoignages spécifiques sur les conditions propres à la période antérieure, et, bien qu’il faille avouer que nous ayons encore à faire en gros à des probabilités plutôt qu’à des certitudes, il semble légitime de tirer les conclusions suivantes :
        1° Dans l’Angleterre du XIème siècle il n’y avait pas d’unité nationale ni de sentiment national suffisamment développés pour qu’une barrière rigide et ferme séparât les indigènes des étrangers ou entravât la liberté des relations entre les deux peuples.
        2° En aucune période consécutive à la conquête, il n’y eut de haine générale des Anglais à l’égard des Normands. Les affirmations de chroniqueurs qui ont donné créance à une hostilité largement répandue de la part des Anglais ont un caractère surtout rhétorique et sont démenties par d’autres témoignages contemporains. Les écrivains modernes ont beaucoup exagéré le sentiment qui pouvait exister et ont utilisé quelques arguments usés, tels que celui tiré de la «Malédiction d’Urse», d’une façon absolument erronée. Un grand nombre d’Anglais, dès 1066, ont accepté avec empressement les conditions nouvelles et ont aidé le roi et sa suite à réprimer les troubles et même les révoltes, à constituer un gouvernement efficace, à codifier et à appliquer la loi, et à réaliser la réforme ecclésiastique.
        3° Il n'existait aucun sentiment général de mépris de la part des Normands à l’égard du pays ou du peuple qu’ils avaient vaincu. Les remarques éparses de caractère injurieux qu’émirent quelques Normands pris individuellement sont largement compensées par la manière dont les Normands, dès le début, s’identifièrent au nouveau pays, à son histoire, à ses traditions, à sa vie, et se considérèrent comme des Anglais possédant des terres anglaises, occupant des fonctions anglaises, portant des titres anglais, épousant des femmes anglaises et élevant une nouvelle génération de descendance mixte qui, semble-t-il, apprit souvent l’anglais comme langue maternelle.
        4° Malgré ce qu’il a pu exister de haine de la part des Anglais et de mépris de la part des Normands, des contacts et des relations de caractère souvent intime et cordial ont existé entre les deux peuples, dès 1066, dans l’armée, à la cour royale, dans les tribunaux, dans les cours seigneuriales, dans la vie ecclésiastique et monastique de l’époque, dans la vie commerciale des villes, et même dans la vie domestique. La fusion des deux races ne commença pas «dès le début du XIIème siècle, à l’accession au trône de Henri Ier», mais dès 1066. On pourrait même prouver qu’elle avait commencé sous le règne d’Edouard le Confesseur.
        5° Dès le début, Anglais et Normands se comprirent, comme ce fut le cas à l’Abbaye de Westminster, lors du couronnement de Guillaume 1er. Les multiples façons dont des individus des deux nationalités entrèrent en contact étroit impliquent l’existence en Angleterre, dès 1066, de nombreuses personnes qui devaient être plus ou moins bilingues. Les circonstances exigeaient et favorisaient l’étude du français par les Anglais et de l’anglais par les Normands... Aucun témoignage ne permet de dire que les Normands trouvaient barbare la langue anglaise ou «se contentaient de la mépriser». Le cas d’Orderic semble démontrer que des enfants de pères normands apprirent d’abord l’anglais comme langue maternelle, non pas à la fin du XIIème siècle, mais dès 1075. Et le fait qu’il
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y ait eu, de toute nécessité, un grand nombre de personnes bilingues, nous oblige à modifier, sinon à abandonner complètement la vieille théorie selon laquelle «deux langues totalement distinctes étaient en usage dans le même pays, l’une étant celle du conquérant étranger, l’autre celle des indigènes vaincus». En dernier lieu, en tant que langue écrite durant cette période, l’anglais est plus important que le français, et le résultat de la conquête fut d’accroître l’usage du latin, par opposition au français autant qu’à l’anglais, comme langue du droit, de l'histoire et de la religion.[5]

        Voilà donc une illustration scientifique de la justesse des enseignements staliniens sur la nécessité d’une langue commune à tout le peuple, et il nous paraît utile que soit détruite la légende sans fondement dont on avait principalement prétendu tirer argument contre Staline.

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        Il est fort probable que cette légende de la longue coexistence des deux langues après la conquête a largement favorisé la croyance à l’apparition d’une nouvelle langue issue des deux autres. Cette croyance imprègne toute la formulation de notre enseignement officiel, et nous verrons que son irréalisme nuit à la compréhension des faits.
        Staline en fait justice avec une magistrale lucidité :

Il serait absolument faux de croire que le croisement de deux langues, par exemple, en produit une nouvelle, une troisième, qui ne ressemble à aucune des langues croisées et se distingue qualitativement de chacune d’elles. En réalité, l’une des langues sort généralement victorieuse du croisement, conserve son système grammatical, conserve le fonds essentiel de son vocabulaire et continue d’évoluer suivant les lois internes de son développement, tandis que l'autre langue perd peu à peu sa qualité et s’éteint graduellement.
        Par conséquent, le croisement ne produit pas une langue nouvelle, une troisième langue, mais conserve l’une des langues, son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire, et lui permet donc d’évoluer, suivant les lois internes de son développement.
        Il est vrai qu’il se produit alors un certain enrichissement du vocabulaire de la langue victorieuse aux dépens de la langue vaincue, mais cela, loin de l’affaiblir, la fortifie.[6]

        L’étude de la langue anglaise depuis la conquête normande justifie pleinement cette définition. L’anglais n’a jamais cessé d’être la langue nationale de l'Angleterre.

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        En dépit de toutes les affirmations en sens contraire, le système grammatical de la langue n’a pas subi d’altération fondamentale. Certes, la vieille déclinaison germanique a disparu dans l’anglais moderne. Mais cela n’est pas un argument très convaincant. Il est, en effet, généralement admis aujourd’hui par tous, les historiens de la langue qu’elle avait pratiquement disparu plusieurs décades avant la conquête. Ce dépérissement précoce est la traduction linguistique de l’état d’anarchie, de chaos, de recul général de la culture, qui caractérise la société anglaise dans la première moitié du XIème siècle. Il est d’ailleurs remarquable que les inflexions aient subsisté plus longtemps dans les dialectes du sud, plus évolués. Ce phénomène de chute des inflexions n’est-il pas observable dans toutes les sociétés en voie de décomposition, et l’exemple du latin de la décadence n’est-
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il pas suffisamment probant ? Le fait demeure que cette transformation était accomplie ayant toute pénétration française.
        Peut-on dire maintenant, une fois ce premier argument écarté, que la grammaire française se soit substituée à la grammaire: anglaise oui se soit combinée avec elle ? Certes, l’ordre direct (sujet, verbe, complément) s’est imposé dans la phrase, mais il était la conséquence logique de la chute des inflexions, phénomène antérieur à la conquête. Cela non plus n’a rien de convaincant.
        Par contre, une étude même sommaire révèle l’abondance de constructions germaniques qui n’ont cessé d’exister dans la langue anglaise et qui, nous n’hésitons pas à le dire, portent intensément en elles la mémoire sous-jacente des inflexions. Que l’on songe à la construction si banale des verbes à double objet (The master gave the boy a book), où, malgré la disparition de l’inflexion, le premier complément a toute la force d’un datif. Que l’on songe aux pronoms personnels et démonstratifs qui continuent, eux, à se décliner. Et que l’on songe aussi à toutes ces formes, telles que certains passifs de verbes intransitifs, qui sont intraduisibles littéralement en français. N’est-il pas vrai que l’étudiant français qui étudie l’anglais a beaucoup de mal, à ses débuts, à s’assimiler la structure idiomatique de la langue, difficulté qu’il n’éprouve pas dans l’étude d’une autre langue romane ? C’est tout simplement que la grammaire anglaise, loin d’avoir été qualitativement modifiée par la grammaire française, est restée spécifiquement anglaise.

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        Mais, prétend-on, il s’agit bien d’une troisième langue, née de la fusion des deux langues en présence, puisqu’elle est un mélange, à parties presque égales de vocabulaire normand et de vocabulaire saxon.[7]
        C’est là ne pas tenir compte de la distinction lucide et fondamentale que Staline a établie entre l’ensemble du vocabulaire et son fonds essentiel, et c’est, par suite, s’interdire de comprendre quoi que ce soit à l’histoire de la langue et d’en dégager le caractère national.
        Le fonds essentiel de la langue, c’est tout ce qui exprime la réalité essentielle à notre existence et l’action de l’homme sur cette réalité. Il n’est pas niable que le fonds essentiel de la langue anglaise moderne soit resté saxon. Si nous prenons un récit d’avant la conquête, sa modernisation peut conserver sans difficulté la plus grande partie du vocabulaire employé. N’est-il pas caractéristique que, dans n’importe quel roman anglais, tout effort de description concrète a pour conséquence un usage particulièrement abondant de mots saxons ?
        Il ne nous paraît donc pas niable que les faits révèlent la justesse de l’enseignement stalinien sur la nécessité d’une langue commune à tout le peuple et sur la victoire d’une langue sur l’autre lors de la fusion de deux peuples, la langue victorieuse conservant son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire.

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        Jusqu’à présent, et grâce aux définitions génialement claires de Staline, nous avons pu sans difficulté faire litière des fausses conceptions qui nous empêchaient
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encore d’avoir une vue exacte des caractères fondamentaux de la langue anglaise. Il nous reste à présent à étudier cet extraordinaire enrichissement de la langue par le vocabulaire français; et c’est là que notre tâche devient plus délicate. Le terrain a été peu défriché par la critique marxiste, et il nous arrivera de risquer peut-être imprudemment des hypothèses que seule une longue et patiente étude pourrait vérifier.
        Le vocabulaire est, en effet, la partie la plus variable et la plus sensible du langage. Nous éprouvons un sentiment de stabilité relative quand nous considérons le système grammatical et le fonds essentiel, mais l’évolution rapide ou lente du vocabulaire envisagée dans son ensemble pose fatalement des problèmes liés à l’évolution historique elle-même.

... On ne peut comprendre la langue, écrit Staline, et les lois de son développement que si l’on étudie la langue en relation étroite avec l’histoire de la société, avec l’histoire du peuple auquel appartient la langue étudiée et qui en est le créateur et le porteur. [8]
        ... La langue, écrit-il aussi, plus précisément son vocabulaire, est dans un  état de changement à peu près ininterrompu. La croissance ininterrompue de l’industrie et de l’agriculture, du commerce et des transports, de la technique et de la science, exige de la langue qu’elle enrichisse son vocabulaire de nouveaux mots et de nouvelles expressions nécessaires à cet essor[9].

        Le linguiste soviétique Serebrennikov, étudiant à la lumière des travaux théoriques de Staline certaines applications trop mécaniques de la méthode historico-comparative, mettait en garde contre une liaison trop schématique entre les faits historiques, d'une part, et les phénomènes phonétiques et morphologiques, d’autre part. Mais, ajoutait-il,

...l'étude du lexique, par contre, admet la possibilité d'une liaison immédiate avec l’histoire des peuples. Dans ce domaine, une chronologie exacte est possible.[10]

        Il est donc évident que, lorsque nous en venons à étudier ce vaste enrichissement de la langue anglaise par le vocabulaire français après la conquête de 1066, le recours aux explications historiques devient indispensable.

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        La plus grave difficulté réside dans le fait que nous ne possédons pratiquement aucun témoignage sur le processus même de cet enrichissement. L’excellent ouvrage de Percy Van Dylke Shelly, dont nous avons cité l’importante conclusion, ne mentionne que les rapports de nation à nation dans l’Angleterre conquise. Bien plus, les rapports qu’il étudie sont socialement limités de par la nature même des témoignages qui les révèlent. Il n’est guère question que du comportement des classes dirigeantes, féodaux et gens d’Eglise. Deux éléments d’information nous font à peu près défaut. Le premier, c’est le comportement des classes populaires anglaises à l’égard des conquérants normands. Le second, c’est la composition numérique et sociale des vagues successives probables d’immigration normande.
        Le premier point doit retenir notre attention. Nous devons nous garder de comparaisons trop tentantes entre le XIème siècle et la période moderne, comparai-
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sons largement entretenues par toute une littérature depuis Walter Scott. Nous venons d’indiquer que ces relations cordiales entre Anglais et Normands, dont Percy Van Dyke Shelly nous apporte la preuve, étaient le fait des classes dirigeantes. La tentation est forte de se demander s’il ne s’agit pas là d’un phénomène de «collaboration» propre à ces classes et si, par contre, il n’a pas existé une «résistance» populaire. Répondre catégoriquement par la négative paraît hasardeux. Il ne semble pourtant pas qu’un phénomène important de ce genre se soit produit. La légende de Robin Hood ne paraît devoir être considérée que comme une légende et, ainsi que le souligne M. Fernand Mossé :

il est piquant de remarquer que le héros qui symbolisera dans l’imagination populaire la révolte saxonne contre l’envahisseur normand porte lui-même le nom français de Robin (Hood), de même que celle qu’il aime s'appelle Marianne.[11]

        On peut se demander si l’imagination populaire fut même jamais à tel point excitée, et si l’on ne s'obstine pas à déformer les faits à travers les fictions romantiques de Walter Scott.
        Ajoutons, pour éclaircir ce point, qu’il existe une autre soi-disant «révolte nationale saxonne» contre Guillaume le Conquérant sur laquelle nous sommes mieux fixés : c’est celle de Hereward the Wake. Nous constatons que dans cette petite guerre, il y avait des combattants normands et saxons dans chaque camp, que Hereward devint après sa défaite un compagnon d'armes de Guillaume et qu’il s’agissait encore moins même d’une révolte que d’une opération de piraterie. Quant à la résistance nationale, on ne saurait vraiment en trouver trace dans cette aventure.[12]
        Mais le fait le plus frappant n’est-il pas qu’il ait suffi de la petite bataille de Hastings, qui ne semble pas avoir été bien féroce, pour que toute l’Angleterre fût soumise immédiatement au pouvoir de Guillaume ? Tout semble confirmer qu’aucune barrière nationale n’a entravé la bonne intelligence entre vainqueurs et vaincus à aucun échelon de la société, et que rien ne s’opposait donc à l'enrichissement de la langue anglaise par le vocabulaire d’un envahisseur qui de bonne heure se déclara lui-même anglais.
        C’est, croyons-nous, le grand mérite de Percy Van Dyke Shelly, dépourvu pourtant de toute formation marxiste, d’avoir su trouver dans les faits eux- mêmes et d’avoir su dégager l’explication théorique de cette possibilité. Il s’est courageusement libéré de tout le poids des légendes officielles, et, après une patiente révision des sources et des documents, il a constaté que, dans l’Angleterre du XIème siècle, il n'existait aucun sentiment national, aucune unité nationale qui pût dresser des barrières entre les deux populations. Voilà le fait essentiel, à partir duquel tout devient plus clair, à condition de le confronter avec l’explication générale que nous apportent les maîtres du matérialisme historique. Staline, une fois de plus, sera notre guide lumineux :

La nation n’est pas seulement une catégorie historique, mais une catégorie historique d’une époque déterminée, de l’époque du capitalisme ascendant. Le processus de liquidation du féodalisme et de développement du capitalisme est en même temps le processus de constitution des hommes en nations. Il en va ainsi, par exemple, en Europe Occidentale. Les Anglais, les Français, les
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Allemands, les Italiens, etc., se sont constitués en nations, alors que s’effectuait la marche victorieuse du capitalisme qui triomphait du morcellement féodal.[13]

        Il va de soi qu’aucune bourgeoisie, en tant que classe constituée, n’existait dans l’Angleterre du XIème siècle, et par suite, aucune revendication d’un marché national unifié (« Le marché est la première école où la bourgeoisie apprend le nationalisme», nous rappelle Staline[14]). L’idée de nation, le sentiment même de nation ne pouvaient avoir alors que peu de force. Et ce n’est que dans de telles conditions que l’absorption par la langue des vaincus d’une portion aussi abondante du vocabulaire des vainqueurs peut devenir pour nous parfaitement compréhensible et normale.[15]

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        Après avoir essayé de comprendre pourquoi la langue des vaincus avait manifesté une telle pénétrabilité au vocabulaire des vainqueurs, nous voudrions tenter de définir la nature de cet apport et aussi de l’expliquer. C’est encore Staline qui nous fournira une base de recherche et un critère d’explication :

        

         La langue, écrit-il, est liée directement à l'activité productrice de l’homme, et pas seulement à l’activité productrice, mais à toutes, les autres activités de l'homme dans toutes les sphères de son travail, depuis la production jusqu'à la base, depuis la base, jusqu’à la superstructure.[16]
        C’est donc, nous semble-t-il, le caractère spécifique original de l’activité de chaque apport de population qui a favorisé sa contribution propre au patrimoine commun du vocabulaire.
        Nous sommes peu renseignés, la remarque en a été faite, précédemment, sut la composition des vagues successives d’immigration normande. Un fait est certain, toutefois : c’est que cette population nouvelle ne comprenait pas exclusivement des soldats, féodaux ou mercenaires. Nombre de ces derniers devinrent fermiers, et il vint aussi de Normandie jusqu’à des paysans. Mais la production essentielle de l’Angleterre du XIème siècle était justement agricole, et la population paysanne, Ia classe sociale Ia plus largement productrice, dut rester longtemps saxonne dans sa masse. Il est probable que les nouveaux paysans normands, quel qu’ait été leur nombre, ont été les plus prompts à se fondre dans la population indigène et à parler sa langue. Ils n'apportaient, en effet, rien de neuf à désigner, ni instruments de production, ni produits nouveaux, ni méthodes nouvelles. Aujourd’hui encore, le vocabulaire de la campagne est resté fondamentalement germanique. Nous irons même jusqu’à prétendre que c’est parce que le gros de la population saxonne s’adonnait à l’activité productrice principale que l’anglais a sans doute triomphé du français et maintenu son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire. Et tout le vocabulaire saxon porte la marque de la vie quotidienne et du travail ; il exprime l’action de l’homme sur les choses, il est concret et admirablement descriptif.
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        Mais il serait faux d'établir des catégories absolues. S'il est vrai que le vocabulaire de la terre et du travail paysan, principale activité productrice à l’époque, s’est peu enrichi ou renouvelé au contact des Normands, pour la simple raison que ces derniers n’ont rien introduit de nouveau dans la production agricole, il n’en est pas de même dans d’autres domaines.
        Les conquérants, maîtres du sol anglais, s’y installèrent solidement. Féodaux séculiers et féodaux ecclésiastiques furent de grands bâtisseurs de châteaux, d’églises, de monastères, d’écoles, voire de bourgs entiers. Les réalisations saxonnes dans l’art de la construction avaient été assez primitives, et le chaos politique d’avant la conquête n’avait guère favorisé cet art. Les seigneurs français firent venir de Normandie un grand nombre de maçons et de charpentiers, et l’on peut dire que l’apport de ces hommes dans la production anglaise était quelque chose de neuf et d’exemplaire. Il n’est donc pas surprenant qu’une grande partie du vocabulaire de l’architecture, de la construction, de la charpente soit un vocabulaire d’importation française (par exemple, entre beaucoup d’autres, les mots mason, carpentev, trowel, mortar, foundations, basement, to design, etc.). Toutes sortes d’autres artisans, venus de Normandie, joailliers, fourreurs, cuisiniers, barbiers, forestiers, veneurs, bouchers[17], etc., apportèrent, avec l’enrichissement d’une civilisation plus évoluée, celui d’un vocabulaire indispensable pour décrire des métiers encore primitifs.
        Et avec eux vinrent des marchands, beaucoup de marchands[18] qui s’établirent dans les villes et dont le rôle fut considérable, non seulement parce qu’ils imprimèrent à l’économie anglaise une marque nouvelle et décisive pour l’avenir, mais aussi parce que leur activité presque neuve dans un tel pays introduisit dans la langue tout un vocabulaire nécessaire et nouveau. Ils constituèrent très probablement, de par leur métier même, un ferment d’assimilation rapide entre les deux populations. On ne peut que déplorer l’absence de documents qui pourraient nous faire mesurer toute l’importance de leur rôle social et linguistique. Retenons le fait que le mot trade, mot normand par son origine, s’est phonétiquement si vite naturalisé dans la langue anglaise, qu’il est entré dans le fonds essentiel[19].
        Mais la classe dominante après la conquête était la féodalité normande. Si, comme nous l’avons vu, et contrairement à certaine légende, elle apprit assez vite la langue des vaincus, si elle contracta assez vite des mariages dans le pays même, si elle se montra fort conciliante avec l’ancienne noblesse saxonne, elle n’en demeura pas moins l’élément principal de la classe dirigeante, féodale, et, du seul fait qu’elle était la classe dirigeante, ses rapports avec les autres couches sociales de la nation étaient des rapports antagonistes. La monarchie saxonne était peu
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solide au début du XIème siècle, et la situation politique assez anarchique. Guillaume, au contraire, et ses successeurs constituèrent un Etat fortement organisé dans lequel la monarchie joua un rôle plus prépondérant que dans les royaumes féodaux du Continent. Il est donc compréhensible que le nouvel appareil d’Etat impressionnât la population, et que le vocabulaire qui le décrivait dans la langue des conquérants s’introduisît massivement dans la langue anglaise. Presque tout le vocabulaire de l’administration et des institutions juridiques et politiques est normand. Ce pouvoir était fondé sur la force militaire, et un nombre croissant de termes du vocabulaire de l’armée ont une origine française. Pas tous cependant, et une étude fort utile mériterait d’être faite sur la question de savoir pourquoi, par exemple, certains noms d’armes (spear, sword, sheath, bow, etc.) sont demeurés saxons au milieu de tant d’autres noms introduits par la chevalerie française. Une telle étude éclairerait, nous en sommes sûrs, d’un jour curieux la stratégie médiévale, la composition sociale successive des armées et la nature des rapports entre l’ancienne féodalité saxonne et la nouvelle féodalité normande. Non moins important. fut l’apport du vocabulaire décrivant la vie quotidienne de la classe dominante, mobilier, costume, fêtes, chasse, cuisine, etc., et cela est aisément compréhensible, puisqu’il introduisait l’expression de réalités nouvelles correspondant au niveau d’une civilisation plus évoluée.
        Enfin et surtout peut-être, il convient de considérer l’apport déterminant de vocabulaire normand dans le langage de la culture intellectuelle. Cet apport nous semble s’expliquer de deux façons qui ne sont pas absolument distinctes. D’une part, en effet, le clergé normand, organisé féodalement, s’empara, aussi bien sur le plan temporel que sur le plan spirituel, de l’église anglaise existante, qui sombrait dans l’ignorance et l’anarchie, à de rares exceptions près. Tout en vivant côte à côte en fort bonne intelligence avec l’ancien clergé anglais, il le domina sans peine et introduisit une vaste réforme religieuse qui redonna vie à la puissance ecclésiastique. Il avait donc entre les mains les instruments de l’enseignement et de la culture, et il est donc normal que la langue littéraire anglaise soit encore aujourd’hui tout imprégnée de vocabulaire normand et de latinismes. D’autre part, seule la classe dirigeante, la classe des féodaux, avait, avec le clergé, accès à la culture, et jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, qui l’insularisa définitivement en la dépouillant de ses possessions continentales, la féodalité anglaise fut profondément influencée par la culture française. La masse du peuple était ignorante, et lorsqu’une bourgeoisie s’en dégagea et accéda à son tour aux choses de l’esprit et aux idées générales, elle trouva un instrument d’expression, anglais certes par le système grammatical et le fonds essentiel, mais émaillé d’un nombre extraordinaire de termes abstraits et d’expressions savantes directement calqués sur les mots français, et dont la plupart ont subsisté jusqu’à nos jours, s’imposant de plus en plus à la langue de tout le peuple à mesure que la culture se répandait. Sans vouloir anticiper sur la suite de cet exposé,-nous voudrions attirer l’attention sur un fait important que remarquait Engels, il y a un siècle, avec beaucoup de perspicacité[20]. C’est que la bourgeoisie anglaise au pouvoir, jusqu’en plein XIXème siècle, eut tendance à considérer la culture comme un luxe aristocratique réservé respectueusement à la noblesse. Nous pouvons donc aller jusqu’à dire que tout ce vocabulaire normand d’usage littéraire est fortement marqué, dès l’origine, par l’aristocratie féodale, par la classe des propriétaires fonciers.
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        Qu’on nous entende bien ; il ne s’agit nullement ici d'une «langue de classe», mais d’un apport à la langue commune d’un vocabulaire dont l’origine nationale se confond avec le caractère de classe dans une large mesure. C’est un phénomène que Staline a décrit avec clarté :

... Les hommes, les divers groupes sociaux et les classes sont loin d’être indifférents envers la langue. Ils s’attachent à l’utiliser dans leur intérêt, à lui imposer leur vocabulaire particulier, leurs termes particuliers, leurs expressions particulières. Sous ce rapport, se distinguent particulièrement les couches supérieures des classes possédantes qui se sont détachées du peuple et qui le haïssent : l’aristocratie nobiliaire et les couches supérieures de la bourgeoisie [21].

        Il convient, d'ailleurs, dans cet énorme apport de vocabulaire normand, d’être extrêmement nuancé dans l'appréciation. Le critère de cette appréciation doit, nous semble-t-il, résider dans le souvenir constant que le fonds essentiel de la langue est saxon. La vitalité de ces mots normands, dans la langue commune à tout le peuple, est variable en fonction de leur adaptation phonétique à ce fonds essentiel ; et cette adaptation phonétique, cette naturalisation, est fonction elle-même de leur usage plus ou moins fréquent dans l’expression de la réalité quotidienne. Il est évident que des mots tout imprégnés de réalité féodale, banner, mansion, sovereign, etc., ne se situent pas sur le même plan que des mots comme to rob, nice, chair, pen, que l'usage quotidien et l’évolution phonétique a anglicisés au point de les assimiler au fonds essentiel. Sur un autre plan encore se situe l’énorme apport de mots abstraits et de termes savants qu’ont introduit les classes dirigeantes, aussi bien après la conquête que dans l’ivresse humaniste de la Renaissance, et qui s’est imposé à la pensée anglaise de façon si totale, si exclusive qu’un grand nombre de mots abstraits saxons ont de bonne heure définitivement disparu pour céder le pas à leurs équivalents normands ou classiques. C’est ainsi, pour donner un exemple, qu’un deadliness a été balayé par immortality. Certes, le phénomène n'est pas général ni absolu, et de nombreux doublets subsistent. Mais il est remarquable que dans ce dernier cas, le mot normand ou classique a un caractère plus abstrait ou plus savant que le mot saxon. Comparons heaviness et ponderousness, coldness et frigidity, etc.
        Nous sommes donc amenés à effectuer une distinction nette entre les mots normands qui se sont saxonnisés au point d’être devenus presque inséparables du fonds essentiel et tout le vocabulaire qui, pour des raisons sociales ou culturelles conserve dans la langue anglaise son aspect spécifiquement normand ou classique.
        La question se pose maintenant de savoir s’il n’y a pas eu dans l’histoire de la langue une différence d’évolution entre les deux masses principales de vocabulaire, et de chercher à cette différence des raisons historiques[22].
        Or cette différence d’évolution existe. Si les deux vocabulaires continuent à subsister côte à côte, et en liaison étroite, dans l’anglais moderne, il apparaît néanmoins que le vocabulaire normand ou classique tend à devenir légèrement archaïque et figé, et qu’il n’évolue plus, qu’il n’a pas la vigueur et la vitalité du vocabulaire saxon. Pourquoi ?
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        Quel est, en d’autres termes, le fait essentiel qui a maintenu et renforcé, malgré l’abondance envahissante du vocabulaire normand, le caractère saxon du fonds essentiel de la langue et sa prééminence constante ?
        Ce fait essentiel, c’est l’apparition du sentiment national, ayant pour base l’essor précoce de la bourgeoisie anglaise.
        Dès le XIVème siècle, l’exportation massive de la laine vers le marché flamand favorise en Angleterre la constitution d’une classe marchande prospère, remuante et ambitieuse. De puissantes guildes se constituent. Ce sont elles qui, dès cette époque, élisent le Maire de Londres. La mise au pas relativement rapide des grands féodaux par la monarchie anglaise crée un climat de paix intérieure favorable aux affaires et permet à cette bourgeoisie de prendre un tel essor que le marché et l’industrie des Flandres (sans cesse déchirées par les conflits sociaux et politiques) sont rapidement à sa merci. Bien plus, les difficultés dues à la Guerre de Cent Ans provoquent en Angleterre la naissance d’une industrie lainière vite exportatrice et bientôt prédominante. De nouvelles techniques surgissent. N’oublions pas que, dès le XVème siècle, les mines de charbon sont exploitées.
        L’appui que les marchands accordèrent à la couronne contre toutes les tentatives des barons leur permit d’introduire de bonne heure dans les institutions des formes parlementaires qui furent le cadre politique de leur aspiration au pouvoir. Et dès la première moitié du XVIIème siècle, alors que dans toute l’Europe les diverses bourgeoisies, moins évoluées, se pliaient au joug des monarchies absolues, la bourgeoisie anglaise s’apprêtait à abattre le pouvoir royal, son allié d’hier devenu le dernier obstacle à son accession à la suprématie politique.
        Mais la bourgeoisie ne pouvait y accéder par ses seuls moyens, même intimement alliée, comme elle l’était, à la new gentry, cette petite noblesse campagnarde qui commercialisait sa production agricole. Par l’intermédiaire de cette dernière, elle s’assura les bras et les armes de la paysannerie libre (les yeomen); et elle souleva derrière elle-même la masse populaire des artisans. Divers facteurs facilitèrent cette alliance. Tout d’abord, certes, une haine économique commune, pour des raisons diverses, des privilèges de l’aristocratie foncière et de l’Eglise féodale. D’autre part, en cette période d’industrie prospère, mais de caractère encore artisanal ou tout au plus manufacturier, la coupure était encore peu profonde entre bourgeoisie et peuple. Tous deux vivaient côte à côte, ils parlaient la même langue populaire et non le langage affecté de l’aristocratie royale. L’historien soviétique Kosminski, spécialiste de l’économie agraire anglaise au Moyen Age, dans un remarquable article sur la Formation de la Nation anglaise[23], insiste à juste titre sur ce point :

On peut parler d'une communauté de culture à cette époque. La bourgeoisie et la new gentry qui était son alliée n'avaient pas rompu leurs liens avec le milieu populaire dont ils étaient issus depuis si peu de temps. L’esprit révolutionnaire qui leur avait permis de devenir les classes dirigeantes de la révolution bourgeoise n’était pas encore éteint. Les grandes œuvres de la culture nationale de, cette époque tirent leur force d’une source authentiquement populaire.
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        Mais cet esprit révolutionnaire lui-même, pour devenir une force matérielle, pour pénétrer les masses, devait prendre une forme idéologique et (passionnelle qui soulevât la nation. Or, pour des raisons aussi bien économiques que nationales et politiques, communes à la majorité de la population, toute lutte contre le féodalisme devait à l’époque revêtir un déguisement religieux et être dirigée en premier lieu contre l'Eglise[24].

        La bourgeoisie anglaise sut exprimer ses aspirations révolutionnaires sous une forme idéologique originale et profondément populaire qui devait laisser des traces ineffaçables dans l‘histoire comme dans la langue de l’Angleterre : le puritanisme. Cet élan religieux calviniste, qui traduisait de vieilles passions nationales du peuple anglais, tendait à donner une constitution démocratique à la foi, à la religion et à la nation elle-même. C’est à la faveur de cette communion idéologique et émotionnelle que la bourgeoisie entraîna les masses et assura sa victoire.
        Or, depuis des générations, un livre alimentait cette ardeur révolutionnaire, un livre dont les publications successives étaient elles-mêmes des actes politiques. Ce livre, c’était la traduction anglaise de la Bible, dont la plus importante, celle de 1611, a marqué la langue anglaise d’un caractère indélébile. Ce livre, écrit dans la langue populaire, cette épopée d’un peuple élu et d’un Dieu national, ce livre qui pendant plusieurs siècles a été le plus lu en Angleterre, le plus médité, le plus aimé, le plus cité, ce livre le plus authentiquement issu de la nation, témoigne de la vitalité triomphante du vocabulaire saxon, du vocabulaire qui exprime l’action de l’homme sur les choses, l’action de la classe montante qui s’assure la maîtrise de la production.
        Il semble que le caractère national, sur le plan culturel et même linguistique, de la révolution puritaine ne soit pas resté tout à fait inconscient. Dans un manifeste des Diggers, secte apparentée aux fameux Niveleurs, nous voyons revendiquer la restitution de la terre au peuple anglais; et cette revendication s’appuyait sur le fait que «Guillaume le Conquérant avait ravi aux Anglais leur droit d’aînesse et les avait réduits au service de sa personne et de ses soldats normands» [25]; Es considéraient donc la guerre civile et la prise du pouvoir par la bourgeoisie comme une reconquête nationale de l’Angleterre[26].
        Il convient, certes, de se garder de toute outrance systématique. Si la Bible de 1611 est, sur le plan littéraire et linguistique, un moment culminant de la culture anglaise la plus purement nationale, si elle a confirmé, en fixant la langue[27], la , prééminence robuste du vocabulaire saxon, elle n’hésite jamais à recourir à toute la richesse d’expression des mots normands, toutes les fois qu’ils sont nécessaires; et ce dosage harmonieux renforce le caractère national de ce grand livre.[28]
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        Comment pourrait-il en être autrement ? Nous avons vu comment, pour des raisons historiques et économiques, il s’était produit une sorte de spécialisation des deux vocabulaires. Même dans l’expression de certaines activités concrètes, les mots normands ont de bonne heure constitué un acquis irremplaçable, et le long monopole culturel de la féodalité rend ces mots encore plus irremplaçables dès qu’il s’agit de manier des idées générales. Mais entre les cas extrêmes où il n’existe qu’un seul mot, soit saxon, soit normand, pour exprimer une chose, la langue anglaise présente une richesse extraordinaire de doublets. La plupart ont subsisté avec ténacité. Mais dès la révolution bourgeoise qui a fixé les tendances nationales de la langue, on peut observer une différenciation croissante entre les termes jumeaux. Les nuances de sens et d’usage deviennent plus nettes, et le terme normand tend de plus en plus à revêtir une acception soit plus abstraite[29], soit plus littéraire, et de ce fait très souvent plus proche du sens étymologique latin [30]. Ce sont là ces «faux amis» que nos élèves trouvent si redoutables. Ces mots n’évoluent plus et se contentent de survivre, avec persistance, d'ailleurs [31].
        Et c’est ce double caractère de cette masse particulière du vocabulaire normand qui est très frappant : un arrêt de l’évolution à mi-chemin de l’archaïsme, et une persistance traditionnelle et tenace. Le sort de ce vocabulaire ressemble étrangement à celui de l’aristocratie foncière britannique. Engels remarquait avec humour que

la loi anglaise continue à exprimer les relations économiques de la société capitaliste dans cette langue barbare de la féodalité qui correspond à la chose à exprimer comme l’orthographe anglaise correspond à la prononciation anglaise.[32]        

        Il semble que le sort de toute cette partie si curieuse du vocabulaire normand reflète avec fidélité ce caractère de compromis par lequel se sont toujours traduites les luttes de classes en Angleterre. Si, dès le XVème siècle, beaucoup de marchands sollicitent leur anoblissement (phénomène qui prit une croissante extension sous les Tudors), la Restauration de 1660 et la révolution dynastique de 1688 furent par excellence le compromis entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie marchande. En même temps que les propriétaires fonciers plaçaient de plus en plus leurs revenus dans des entreprises industrielles et commerciales, les négociants et les banquiers s’efforçaient de posséder des domaines qui leur conféraient une dignité sociale consacrée par la tradition. N’est-ce pas un tel compromis que reflète toute cette masse étrange de vocabulaire normand, à la fois figée et vivace? Elle demeure un luxe aussi cher et respectable que les titres nobiliaires et les fastes d’un couronnement. Ajoutons qu’elle survivra dans une large mesure à ces derniers, par suite de la pauvreté, historiquement déterminée et accrue, du vocabulaire saxon en ternies propres à exprimer les idées abstraites.
        L’histoire de la langue et de la littérature montre néanmoins que cette masse de vocabulaire d’origine française et classique, masse qui constitue, nous indique M. Fernand Mossé, les trois cinquièmes du lexique total (il s’agit, bien entendu, de masse et non de fréquence) a toujours été sentie comme un enri-
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chissement, certes précieux, mais ne pouvant en aucun cas se substituer au fonds essentiel. L’histoire du vocabulaire présente une succession de révoltes contre les vagues de gallomanie, révoltes coïncidant toutes avec des mouvements démocratiques et nationaux contre des tentatives réactionnaires. C’est ainsi que la Révolution de 1688 a balayé avec l’absolutisme des Stuarts la gallomanie d'une cour d’émigrés. Une remarque assez curieuse s’imposerait d’ailleurs à ce sujet et mériterait, nous semble-t-il, une étude plus poussée. En 1685, un certain nombre de protestants français, chassés par la révocation de l’Edit de Nantes, passèrent en Angleterre et reçurent un accueil chaleureux de la bourgeoisie anglaise. Leur influence culturelle et même linguistique ne semble pas exclue. La dialectique de l’histoire semble avoir ici suscité un intéressant compromis (à chacun ses Français !).
        C’est cette même dialectique de l’histoire qui a fait du XVIIIème siècle anglais, siècle du compromis parfait entre l’aristocratie foncière et la bourgeoisie des affaires, le siècle de l’équilibre harmonieux des divers éléments du vocabulaire; ce fut l’âge classique.
        La situation change au XIXème siècle. L’équilibre est définitivement rompu. La révolution industrielle a suscité la puissance du capitalisme moderne. Le rejet des Corn Laws, la fin du protectionnisme agraire marquent le déclin économique et politique de l’aristocratie foncière et la relèguent au second plan. La bourgeoisie a le champ libre. Romantisme et réalisme, exprimant ce progrès dans leurs registres très divers, accordent souvent en pleine conscience la prééminence au vocabulaire le plus populaire et le plus national.
        La concentration capitaliste suscite à son tour la formation d’un vaste prolétariat urbain dont l’importance et les luttes n’ont cessé de s’amplifier. Le XXème siècle a vu se constituer un puissant mouvement syndical, un fort parti travailliste et, plus récemment, un jeune Parti communiste, encore bien faible, mais qui porte en lui les forces de l’avenir. Mais cette classe ouvrière, pourtant vaste et agissante, s’est longtemps laissé diviser et affaiblir par cette politique, de l’Etat rentier, parasite du monde, que définissait clairement Lénine. Elle a longtemps accepté de se laisser guider par une aristocratie ouvrière corrompue et opportuniste. Au lieu de s’élever, comme sa puissance le lui permettait, au niveau révolutionnaire, elle s’est embourbée longtemps dans la tradition anglaise du compromis. Déjà en 1858, Engels constatait, non sans amertume :

Le prolétariat anglais devient de plus en plus bourgeois, si bien que cette nation, la plus bourgeoise de toutes, tend à posséder une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois en même temps qu’une bourgeoisie.[33]

        Aussi l’apport littéraire et linguistique du prolétariat anglais n’a-t-il encore rien de caractéristique. Dans la mesure bien réduite encore où la classe ouvrière anglaise intervient dans le roman (nous songeons, par exemple, à D. H. Lawrence) la prédominance du vocabulaire saxon est manifeste.

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        Il est bien téméraire de vouloir préjuger de l’avenir. Nous voudrions néanmoins réagir avec force contre la tentation de croire à la disparition même
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progressive du vocabulaire normand. Aucune langue ne s’appauvrit volontairement, et son intérêt, comme sa tendance naturelle, est, au contraire, de s’enrichir sans cesse. Il convient, d'ailleurs, d’envisager ce développement dans l’avenir sous l’aspect dialectique qu’il semble amené à assumer. Si, d’une part, la classe des producteurs s’élève jusqu’au pouvoir politique et devient la- nation, s’il est normal, alors, que la langue par laquelle elle s’exprime soit vigoureuse et populaire, il n’est pas moins normal, d’autre part, que, accédant dans sa masse à l’instruction et à la culture[34], elle manie les idées générales au moyen du vocabulaire qui les exprime le mieux au regard d’une tradition non moins nationale. Sans doute, bien des termes précieux ou inutiles tomberont en désuétude. Mais il y a tout lieu de supposer que la classe ouvrière anglaise, maîtresse de ses destinées, forgera de nouveaux mots, à mesure que la nécessité s’en fera sentir, les uns, concrets, à partir des radicaux saxons, les autres, abstraits, sur le modèle naturel des anciens termes normands ou classiques.
        Et nous qui, convaincus de la justesse des enseignements staliniens, devons éviter soigneusement de confondre la langue soit avec la base, soit avec la superstructure, nous voudrions trouver la justification de cette thèse dans les créations les plus récentes de la langue elle-même, dans le vocabulaire technique, directement lié à la production. N’est-il pas remarquable que, depuis un siècle, tous les mots concrets nouveaux de la précoce industrie anglaise ont été forgés à partir du fonds essentiel de la langue (bogie, tram, switch, film, shunt, feedback, etc.) avec une vigueur telle que ces mots ont envahi les autres langues, alors qu’au contraire, les termes plus abstraits (television, ionization, induction, etc.) sont de formation classique ?
        Il n’y a donc pas lieu de s’attendre jamais au moindre bouleversement dans la langue, en dehors de ces fluctuations de vocabulaire que nous avons indiquées et dont la détermination extérieure ne contredit jamais les nécessités internes du développement.

L’histoire, en général, écrit Staline, ne fait rien d’essentiel sans que la nécessité ne s’en impose tout spécialement. On se demande quelle serait la nécessité de ce bouleversement linguistique, lorsqu'il a été prouvé que la langue existante, avec sa structure, est, dans ses grandes lignes, parfaitement apte à satisfaire aux besoins du nouveau régime ! [35]

        En essayant de présenter dans un certain ordre ces quelques réflexions, nous n’avons pas eu la prétention, d’apporter des faits nouveaux. Notre seule ambition a été de reprendre des données générales et élémentaires qu’un enseignement idéaliste ou les tendances trop sectaires de certains déforment parfois. Rien n’est plus indispensable dans la vie d’un chercheur que de faire de temps en temps l'inventaire critique de ses connaissances de base. Nous avons la chance inestimable de pouvoir le faire à la lumière de l’œuvre de ce maître incompa-
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rable du matérialisme dialectique et historique que fut Joseph Staline, et nous n’apprécierons jamais assez les leçons de modestie, de clarté et d’esprit critique qu’il nous donne. Si ce travail élémentaire a pu, grâce à l’apport théorique de Staline, aider nos collègues anglicistes à donner un sens plus clair et une portée plus efficace à leur enseignement, si nous leur avons donné l’envie d’approfondir bien des questions à peine effleurées ici, si à partir de nos erreurs mêmes des vues plus justes se révèlent, ce sera pour nous une justification valable de la présente étude.



[1] Staline: À Propos du Marxisme en Linguistique. Editions de la Nouvelle Critique, p. 23.

[2] P. 60. Ed. I.A.C., 1947.

[3] Op. cit., p, 61.

[4] Nous tenons à rendre à M. Fernand Mossé cette justice qu’il le cite avec éloge dans sa bibliographie.

[5] Pp. 93-95.

[6] Op. cit., p. 35.

[7] Malgré la parfaite impropriété du terme, nous préférons conserver ce mot de «saxon» pour désigner l’élément germanique du vocabulaire, afin d’éviter toute ambiguïté dans l’exposé. Le terme «normand», lui aussi, risque souvent d’être impropre dans la mesure où les mots que nous désignons ainsi sont en réalité d’origine savante et classique.

[8] Op. cit., p. 28.

[9] Op. cit., p. 17.

[10] Cité par René L’Hermitte dans son précieux article paru dans la Pensée (n° 42-45) : «Après la discussion sur la linguistique en U.R.S.S.».

[11] Op. cit., p. 62.

[12] Voir Percy Van Dyke Shelly, op. cit., pp. 23 et 45.

[13] J. Staline, Le Marxisme et la Question Nationale, p. 17 (Edifions en langues étrangères, Moscou, 1946).

[14] Ibid., p. 17.

[15] Au contraire, l’existence d'une nation et d’un sentiment national, tels que les définit Staline, rend le vocabulaire d'une langue peu perméable aux pénétrations étrangères dans des circonstances comparables. L’occupation allemande n'a guère laissé de germanismes dans notre langue et la colonisation américaine n’affecte guère que le jargon marginal d’une fraction cosmopolite de la bourgeoisie.

[16] Staline : A propos du Marxisme en linguistique, p. 17.

[17] Nous voudrions ici hasarder une hypothèse: on se rappelle le fameux chapitre d’Ivanhoé, auquel nous faisons, d’ailleurs, sans cesse, plus au moins allusion, et qui semble avoir influencé la croyance traditionnelle à une opposition durable entre Saxons et Normands. La base de l’argumentation de Walter Scott, c’est le fait que l’animal sur pied, élevé par le serf saxon, porte un nom saxon (ox, calf, sheep, pig), et qu’il prend un nom normand lorsqu'il arrive sous forme de viande sur la table de l’oppresseur normand (beef, veal, mutton, pork). Pourquoi chercher là le signe, d'un antagonisme ? N’y aurait-il pas lieu simplement d’y voir l'influence des bouchers plus experts qui faisaient partie de la retinue des seigneurs normands?

[18] Voir Percy Van Dyke Shelly, op. cit., pp. 68-70.

[19] Un tel phénomène qui, nous le verrons, n’est pas unique, s’était produit dès avant la conquête pour certains mots latins, d’importation, que la nécessité d’un constant usage a vite saxonnisés : cheese, dish, street; wall, tile, etc.

[20] Karl Marx et Friedrich Engels : Etudes Philosophiques, pp. 106-107. Editions Sociales, Paris, 1951.

[21] Staline : À Propos du Marxisme en Linguistique, p. 20.

[22] Peut-être s’étonnera-t-on qu’au cours de cet exposé il ne soit pas fait mention de faits sans doute importants comme la diversité des idiomes français introduits en Angleterre ou la prééminence graduelle de l’anglais de Londres. Mais nous voulons nous limiter, ici aux traits essentiels, qu’il s’agit justement de définir, et non point, dans un travail aussi bref, faire même à vol d'oiseau l’histoire proprement dite de la langue.

[23] Traduit en anglais dans l’Anglo-Soviet Journal, vol XIII, number 2, Summer 1952, p. 22.

[24] Fr. Engels : Etudes Philosophiques, p. 97.                                                                         .

[25] Cité par A.L. Morton : A people’s History of England, p. 259. Lawrence: and Wishart, 1948.

[26] C’est sous le régime de Cromwell que commence dans les Universités l’étude du vieil anglais.

[27] Swift écrivait en 1712 : «Sans la Bible et le Livre de la Prière Commune écrits en langue vulgaire, nous ne pourrions comprendre quoi que ce soit à ce qui a été écrit chez nous il y a un siècle..., car ces livres, qu’on ne cesse de lire dans les églises, se sont révélés être une sorte de modèle (standard) de la langue, surtout pour le peuple.».

[28] M. F. Mossé écrit, op. cit, p. 206 : «On estime que le pourcentage des mots indigènes qui est de 94 % dans la Bible de 1611, de 90 % dans les œuvres de Shakespeare, de 88 % chez Tennyson, ne descend qu’à 72 % pour Johnson et 70 % ,pour Gibbon».

[29] Que l’on compare, par exemple, dark et sombre, white et blank, ripeness et maturity, etc.

[30] Par exemple, infant, to resume, comprehensive; etc...

[31] Il est intéressant de constater que dès le début du XIVème siècle paraissent plusieurs dictionnaires de «mots difficiles». Voir Fernand Mossé : op. cit., pp. 134-135.

[32] Etudes philosophiques, p. 102.

[33] Cité par Morton, op. cit., p. 441, qui attribue par erreur ce texte à Marx. Il s’agit en réalité d’une lettre d’Engels à Marx.

[34] Une récente enquête publiée par le New Statesman and Nation révèle qu’il existe dans la démocratique Angleterre un problème des illettrés. La situation scolaire est au moins aussi désastreuse -que chez nous.

[35] Staline : A Propos du Marxisme en Linguistique, p. 17.