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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- A. MEILLET : « Compte rendu de Franz Nikolaus FINCK. – Die Aufgabe und Gliederung der Sprachwissenschaft », Année sociologique 1905-1906, p. 663-664.

 

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Franz Nikolaus FINCK. — Die Aufgabe und Gliederung der Sprachwissenschaft, Halle, a.d.S., 1905, VIII-55 p. in-8°

Parler est l'acte d'un groupe d'individus; et cet acte procède de l'esprit de ces individus; il ne faut donc pas étudier les langues comme des choses, mais comme des actes  qui traduisent l'esprit des peuples; la psychologie moderne qui ne reconnaît aucune réalité aux représentations montre que c'est une illusion de traiter les langues comme des réalités. Sans contester en un certain sens la légitimité de la grammaire descriptive et de la grammaire historique, M. Finck leur dénie donc une valeur scientifique véritable ; la classification généalogique des langues à laquelle conduit la grammaire historique n'a pas de valeur profonde, et il faut la remplacer par une
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classification fondée sur la manière dont les langues expriment les rapports entre les choses.

Tel est, semble-t-il, l'essentiel des idées de M. Finck; c'est, on le voit, une critique de toute la linguistique actuelle, aussi mesurée dans la forme que radicalement négative dans le fond. II est permis de ne pas souscrire à cette négation. Tout d'abord, une langue est évidemment une réalité; le linguiste n'a pas à se soucier de la nature des réalités psychiques il constate que certains sujets ont la capacité d'émettre certains sons associés à certains objets, et de comprendre des sons pareils émis par d'autres et associés aux mêmes objets; il ne lui faut pas plus pour affirmer que les centres nerveux de ces sujets présentent des particularités définies; c'est affaire aux psychologues de déterminer la nature de ces particularités; les sons émis et entendus sont le seul objet de l'étude du linguiste, qui se borne à déterminer les relations de coexistence et de succession entre ces phénomènes. Et il s'agit là de réalités sociales, puisque les individus d'un même groupe doivent parler d'une même manière pour être compris, que le système linguistique leur est imposé par la communauté et qu'aucun sujet n’a le droit ni le moyen de le modifier arbitrairement.

Dire que l'on ne peut expliquer une langue que par l'esprit du peuple qui la parle, c'est se payer de mots car cet esprit ne peut être saisi que dans la langue même et dans les autres institutions du peuple étudié; ceci revient donc à dire qu'il faudrait étudier les rapports entre la langue et les autres institutions du peuple; assurément, il serait précieux de marquer des rapports définis de ce genre, et M. Finck rendrait un grand service en montrant de pareils faits mais tant qu'il ne donnera pas d'exemples précis, il sera malaisé de savoir même ce qu'il entend par là. Enfin, s'il est vrai que les langues expriment de manières très diverses les rapports entre les choses, suit-il de là que les hommes qui parlent ces langues conçoivent pour cela les choses de manière très différente ? Le latin dit Pétri liber, le français, livre de Pierre ce sont là deux groupements différents; y a-t-il deux manières différents de concevoir les rapports d'appartenance en latin et en français ? Un classement des langues au point de vue où se place M. Finck aurait un intérêt linguistique; il est permis de se demander si la psychologie des peuples en tirerait de grandes lumières.

 

A.M.