Novikoff-36

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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- M. NOVIKOFF (Prague) : «L'Homomorphie comme base méthodologique d'une Morphologie comparée», Bulletin de l’association russe pour les recherches scientifiques à Prague, vol. IV (IX), Section des sciences naturelles et mathématiques, n° 19, Prague, 1936.

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        INTRODUCTION.
       
Les bases de la morphologie comparée moderne furent posées dans la seconde moitié du XVIII-ème siècle et au début du XlX-ème — époque où les sciences naturelles prirent un essor particulièrement brillant. Le représentant le plus illustre des sciences naturelles de cette époque, Buffon (1707—88) écrivait: ,,Il ne faut pas se borner à des descriptions exactes et à s'assurer des faits particuliers", mais, il est nécessaire „de combiner les observations, de généraliser les faits et de les lier ensemble par la force des analogies »[1]. La méthode comparative avait conduit Buffon à l'idée d'une unité de plan sur lequel le monde animal était organisé. ,,L'Être suprême, d'après lui, en créant les animaux, n'a voulu employer qu'une idée, et la varier de toutes les manières possibles".[2] L'idée d'un plan unique découlait en majeure partie du fait que c'étaient surtout les Vertébrés qui formaient l'objet des études du grand naturaliste français. Une juxtaposition des détails de structure des organismes, ainsi qu'une tendance à vouloir découvrir un ordre rationnel (lequel, d'après la ferme conviction de Buffon, doit se trouver dans la nature) l'amenèrent à l'idée d'un transformisme ou d'une évolution des espèces. Jusqu'à ce jour, les auteurs qui étudiaient l'histoire des sciences naturelles hésitaient à classer carrément Buffon parmi les évolutionnistes. Roule cependant réunit dans son livre des preuves solides en faveur de cette assertion.
        Buffon commence, écrit-il, „par rappeler l'action produite sur les races humaines par les climats, les mœurs, le métissage. Il s'occupe
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ensuite des animaux domestiques et montre l'influence exercée par l'homme sur la création de leurs variétés. Il en arrive alors aux animaux sauvages, plus nombreux, moins distincts, mais parmi lesquels des transitions entre espèces s'offrent assez souvent". Buffon arrive à la conclusion que les espèces d'animaux „peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches principales, desquelles il n'est pas impossible que toutes les autres soient issues'' (Buffon: l'Histoire des Quadrupèdes).
        Le principe d'unité de plan, qui découle de la similitude des fonctions primitives, se trouve également appliqué dans les œuvres de Vicq d'Azyr (1748-94), considéré comme le créateur de l'anatomie comparée.[3]
       
Mais c'est Et. Geoffroy-Saint-Hilaire (1772-1824), qu'on doit classer parmi les plus grands enthousiastes de cette idée d'unité. G. -St.-Hilaire fondait le principe de l'analogie non seulement sur une juxtaposition des_organes d'animaux adultes, mais aussi sur des correspondances dans le procès de leur développement embryonal (Philosophie anatomique, 1818, Principes de Philosophie zoologique, 1830). Esprit enclin aux généralisations hardies, parfois risquées (ce qui l'apparentait aux ,,Naturphilosophes" allemands), G.-St.-Hilaire appliqua l'idée de Buffon au règne animal tout entier. Il admettait entre autres que le corps des Mollusques et celui des Insectes était construit d'après un plan absolument semblable à celui des Vertébrés. Ses conceptions évolutionnistes en découlaient tout à fait naturellement.
        Ce qu'il y avait de factice dans les théories de G.-St.-Hilaire, n'échappa point à l'œil perspicace et aiguë de Cuvier (1769-1832). On reproche parfois à ce savant de s'arrêter trop complaisamment dans son analyse des organismes sur les différences, en passant sous silence les similitudes. Cependant ce reproche ne paraît pas fondé, comme Roule le démontre d'une façon convaincante dans son livre: ,,Cuvier et la science de la Nature" (Paris 1926). En analysant les ,,Leçons d'Anatomie comparée" de Cuvier, Roule écrit: ,,L'esprit de comparaison objective y prédomine sans cesse. Il lui fallait des différences pour établir sa base, et il apportait à cela son premier soin, mais, ces circonstances formées, il les reprenait pour les comparer entre eux, pour rechercher ce qu'ils peuvent avoir de général, de permanent; et celui-ci obtenu, il le mettait au premier plan, en pleine lumière, au-devant de la masse de détails, pour bien aboutir à sa conclusion." Cuvier
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se base sur ses découvertes sensationnelles dans le domaine de la paléontologie, mais, à l’encontre de G.-St.-Hilaire il néglige les données du domaine embryologique (encore insignifiantes au début du siècle dernier). Il divise le ,,Règne animal" en quatre types ou comme il les appelle „en quatre formes principales, quatre plans généraux, sur lesquels tous les animaux semblent avoir été modelés." Ce sont : les Vertébrés, les Mollusques, les Articulés, les Rayonnes.
        Il est à remarquer que les créateurs de la théorie évolutionniste moderne, de Buffon à Darwin, Haeckel et autres, inclinent tous au monisme philosophique. Chez Buffon, c'est le plan unique de l'organisation des animaux, chez Haeckel, c'est le principe unique, se trouvant à la base du développement de l'univers. Par contre, Cuvier, adversaire de la théorie évolutionniste, admet quatre plans d'organisation.
        Cependant, comme j'ai tâché de le démontrer dans une de mes études précédentes,[4] c'est la méthode historique qui constitue l'effort le plus important de la théorie évolutionniste dans la morphologie comparative, cette méthode a été formellement mise au point par Gegenbaur.
        Ayant commencé par une critique des méthodes de ses prédécesseurs, qui avaient essayé d'échafauder leurs systèmes de l'ordre de la nature vivante sur des phénomènes d'analogie, Gegenbaur finit par rejeter cette notion et la biffer complètement du vocabulaire de l'anatomie comparée. Celle-ci, d'après lui, doit s'occuper non du système de structure des organismes, mais de leur développement historique, tel qu’il se manifeste sur notre globe terrestre. C'est pourquoi l'on doit prendre en considération uniquement telles similitudes de structure des organes, qui dénotent la descendance des porteurs de ces organes d’un seul et même ancêtre. A l'encontre des analogies, ces correspondances de formes furent désignées par le terme : homologies.
        J'ai essayé de défendre l'ancien principe dans mon livre précité sur les analogies ainsi que dans quelques autres études. Je me suis efforcé de prouver qu'un développement régulier de la morphologie comparée pourrait se produire seulement si cette discipline, comme beaucoup d'autres, utilisait les deux méthodes, c'est à dire les méthodes historique et systématique.
        Plus tard, mes études du caractère de diverses analogies se mani-
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festant dans les limites du Règne animal entier,[5] m'amenèrent à la conclusion que les phénomènes groupés tous sous la même rubrique ,,analogies" présentent en réalité beaucoup de divergences.
        Le terme: „analogie typique" doit désigner un phénomène d'ordre physiologique, — des organes de provenance différente acquérant une ressemblance sous l'effet d'une fonction analogue (par exemple, la patte d'une taupe et celle d'une gryllotalpe, présentant l'une et l'autre la forme d'une pelle à creuser la terre). On appelle même quelquefois analogues, des organes de forme différente, mais dont les fonctions sont identiques, comme les poumons et les branchies.
        En étudiant les oiseaux, Fürbringer[6] constata une analogie de caractère plutôt morphologique, qu'il désigna par le nom d'isomorphie. Elle consiste en ce que, dans certains cas, des animaux non apparentés entre eux (ou très vaguement apparentés) commencent à se ressembler sous l'influence de la sélection et de l'adaptation.
        Plate[7] démontre d'autre part que même chez des formes étroitement apparentées, des organes analogues peuvent surgir postérieurement sous l’influence de l’adaptation. Ainsi les yeux composés des Arthropodes prirent naissance au moins trois fois dans le courant du développement du Règne animal, et chaque fois d'une façon complètement indépendante. Le bec des Oiseaux et celui des Tortues peut également servir d'exemple d'une formation indépendante de formes similaires chez les animaux apparentés. Plate désigne ce phénomène par le terme : homoiologie.
        Les trois genres d'analogie, décrites ci-dessus (l'analogie typique ou physiologique, l'isomorphie et l'homoiologie), sont reliés entre eux par un même trait commun. Tous les trois constituent un phénomène secondaire et sont issus d'une convergence. Mais on retrouve très souvent dans la nature des organes à forme semblable chez des organismes de provenance essentiellement différente, et ces organes ressemblants ne sont point le résultat d'une adaptation secondaire, mais sont nés spontanément, étant la manifestation de forces ou qualités fondamentales inhérentes à la nature. Ainsi un
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corps mou, privé de squelette, mais riche en sucs, qui se trouve dans un état de repos, adapte, sous l'influence de la tension superficielle ou du turgor interne, une forme ronde. Un mouvement toujours dans la même direction communique à l'organisme une forme prolongée. Une croissance disproportionnée provoque des plis, des proéminences, des cavités, etc.
        Certaines formes des organes peuvent s'expliquer par des raisons aussi simples. Mais ordinairement la morphogenèse se révèle extrêmement compliquée, elle dépend d'autres multiples procès se produisant dans l'organisme, et c'est pourquoi (tout au moins à l'état actuel de nos connaissances) son analyse n'est point aisée. On est contraint de ne comparer entre eux que les résultats définitifs de ces procès, c'est à dire, les formes achevées des organes et juger d'après leur ressemblance de leurs tendances morphogénétiques identiques, tendances se manifestant bien souvent chez des organismes de provenance foncièrement différente.
        J'ai désigné par le nom: homomorphie ces similitudes d'un caractère primaire, et qui ne dépendent ni de la convergence, ni d'une provenance commune. Il appert donc qu'une étude morphologique de ces similitudes doit rester intensivement liée à des investigations d'un ordre physiologique, écologique et embryologique. Une juxtaposition de ces similitudes avec d'autres phénomènes de ressemblance est réalisable à l'aide du tableau ci-dessous :

Organismes:

Caractères:

Primaires

secondaires

de la même origine

Homologie

Homoiologie

de l'origine différente

Homomorphie

Isomorphie et Analogie

        Dans beaucoup de cas concrets, il est difficile de définir strictement si nous avons à faire à une homologie, à une analogie ou à une homomorphie. Cette dernière ne peut être constatée qu'à la suite d'une étude minutieuse de la phylogénèse, c'est à dire par l'établissement du fait que les organes similaires sont de provenance différente (et non pas le résultat d'une convergence secondaire). Or, la supposition paraît souvent bien fondée que ce parallélisme n'est point la preuve d'une
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même provenance, mais plutôt celle de la communauté des lois qui régissent la nature animée, il s'agit là de parallélismes qu'on peut constater dans tout le domaine du Règne animal ou dans sa plus grande partie, les mêmes formes parallèles se retrouvant aussi bien dans les groupes d'organismes apparentés que dans les groupes essentiellement étrangers. Les homomorphies dans le domaine de la matière brute sont aussi fréquentes. Prenons comme exemple les parallélismes de structure chez les cristaux ou même — comparaison hardie, mais parfaitement justifiable, — le système planétaire et l'atome, avec son proton et ses électrons.
        Dans mes études précédentes[8] j'ai souvent fait usage de tableaux présentant les formes parallèles de certains organes, notamment des yeux ou des coquilles, où le parallélisme se manifeste d'une façon particulièrement nette. Dans l'étude présente je tâcherai de caractériser ce phénomène par rapport aux autres systèmes d'organes des animaux.

        I. TÉGUMENT.

        La peau a une fonction double. Avant tout, elle préserve l'organisme de l'influence nocive du milieu ambiant et puis elle signale au système nerveux central l'état de ce milieu. Cette seconde fonction sera étudiée ultérieurement en connexion avec les organes sensitifs; quant à la première, elle est basée en premier ordre sur la faculté du protoplasme liquide de former, au contact du milieu ambiant, des membranes plus dures. Les différentes membranes de ce genre, fréquentes chez les Protozoaires et les Invertébrés (la pellicule, la cuticule, le revêtement chitineux), sont des formations homomorphes. Chez les Vertébrés domine le procès de kératinisation des cellules extérieures. La faculté d'élaborer une matière cornée se retrouve toutefois chez les Invertébrés, mais chez eux cette faculté se manifeste lors de la construction des éléments squelettiques (Éponges, Coraux).
        Les animaux à faible enveloppe extérieure peuvent être pourvus d'undulipodes (cils vibratiles ou fouets), phénomène fréquent chez les Protozoaires et chez quelques Invertébrés. Ces organelles sont partout homomorphes. Les animaux plus différenciés, qui possèdent une enveloppe extérieure plus épaisse, perdent leurs undulipodes, leur locomotion se fait au moyen de la musculature interne. Quelques-uns conservent leurs undulipodes seulement à l'état larvaire.
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        À côté des enveloppes dures, certains Invertébrés possèdent trois autres formations, destinées à protéger le corps :
        1. Les différents appendices de l'épiderme. Certains d'entre eux, comme les soies des Oligochètes, sont formés par une seule cellule se trouvant à leur base, d'autres (les soies des Polychètes) se développent dans une gaine de cellules épidermiques, d'autres enfin (poils de chitine des Arthropodes) contiennent dans leur intérieur une ou plusieurs cellules génératrices. Leur forme peut aussi varier, en allant des soies effilées aux élytres lamées des Vers[9] ou, chez les Arthropodes, des poils simples ou ramifiés aux écailles plates des ailes du Papillon. Mais de par leur nature, tous ces organes sont homomorphes, tous prennent leur origine dans la nécessité de se défendre, inhérente au corps, et sont formés par des cellules épidermiques.
        2. Une autre forme de protection supplémentaire est fournie par les glandes tégumentaires, servant à préserver de la sécheresse les cellules de la peau aussi bien qu'à chasser les ennemis (glandes vénéneuses ou fétides). On distingue notamment des glandes à sécrétion amorphe et des glandes à sécrétion formée. Le parallélisme des premières se manifeste partout dans le monde animal. Les glandes à sécrétion formée sont relativement rares. Mais il parait intéressant de noter que ces organes (sous forme de capsules urticantes et d'organes similaires) se retrouvent non seulement chez les Protozoaires, les Coelentérés et les Vers, mais également chez les Cordés (Cyclostomata).
       
De même, des coquilles ou gaines de divers genres, qui renferment les animaux et ne sont que partiellement soudés à leur corps, constituent des organes destinés à renforcer la protection du tégument. On les trouve chez tous les types d'Invertébrés, à l'exception des Échinodermes, dont le Corps est suffisamment protégé parle squelette mésodermique. Chez les Cœlentérés, c'est la périsarque, ayant l'aspect d'un tube, et l'hydrothèque en forme de calice; chez les Vers, les Brachiopodes, les Mollusques et les Arthropodes, ce sont des coquilles. On peut constater un certain parallélisme entre les coquilles doubles des Mollusques, des Brachiopodes et des Crustacés primitifs. Mais celui-ci se manifeste d'une façon plus apparente chez les coquilles simples, comme je l'ai démontré dans mes études précédentes. Ces coquilles se retrouvent chez les Protozoaires, les Vers, les Mollusques et les Arthropodes (larves des Trichoptères). Malgré la différence des matières dont elles sont composées et des procédés de construction, leur diversité
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(frappante quant aux détails) peut être réduite à trois formes essentielles se répétant régulièrement chez tous les types susmentionnés : calices, tubes et spires. Chez les Vers seulement, en raison de la forme allongée de ces animaux, les coquilles en calice font défaut.

        II. SQUELETTE.

        Je désigne par ce terme les organes se développant du mésoderme, qui soutiennent le corps de l'animal ou qui lui impriment sa forme (pour les distinguer des formations raides, dont il a été question auparavant, et qui prennent leur origine dans l'ectoderme).
        Nous rencontrons chez les Invertébrés (formant surtout l'objet de mes études) deux catégories principales de formations squelettiques. Chez les Spongiaires, les Cœlentérés et les Échinodermes, celles-ci se composent d'éléments principalement anorganiques, sécrétés par certaines cellules, et qui tantôt se trouvent dispersés à l'intérieur du corps, tantôt sont soudés entre eux en formant ordinairement des plaques plus ou moins grandes. Certains éléments de ce genre, — comme par exemple les spicules des Éponges, les sclérodermites des Cœlentérés, les corpuscules calcaires des Holothurides et les plaques squelettiques chez d'autres Échinodermes — présentent les signes d'une homomorphie apparente. Cette homomorphie se manifeste non seulement par un parallélisme des formes, mais aussi par la ressemblance de leur formation s'opérant à l'aide de cellules squelettogènes spéciales. On trouve également (à titre d'exception, il est vrai) des éléments calcaires analogues chez les Vers (Cestodes), les Brachiopodes, certaines Limaces, et même chez une classe de Cordés, — les Tuniciers.
        La seconde catégorie des formations squelettiques, fréquente et typique chez les Vertébrés (mais plus rare chez les Invertébrés) se compose de cartilage. Le squelette cartilagineux des Invertébrés rappelle par sa structure le cartilage embryonal des Vertébrés. On le retrouve chez les Polychètes sédentaires, chez les Arthropodes (à la racine des branchies du Limulus), chez les Gastéropodes et les Céphalopodes. On observe un tissu analogue même chez les Méduses (Carmarina hastata).

        III. ORGANES DE LA LOCOMOTION

        Ces organes ont été analysés dans une étude précédente, consacrée au principe de l'analogie et que j'ai mentionnée à l'introduction. J'y ai
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groupé sur une planche les exemples d'un parallélisme de divers mécanismes pour la locomotion. On peut en distinguer neuf formes principales:
        1. Changement du turgor qui sert au déplacement des Amibes, de certains Coelentérés (le pied de l'Aiptasia), des Échinodermes (système ambulacral) et des Limaces (pied).
        2. Changement du poids spécifique du corps, à l'aide de divers appareils hydrostatiques. Chez certains Protozoaires ce sont de simples bulles d'air qui se forment dans le protoplasme, chez les larves de certains Insectes — des ampoules trachéennes, chez les Pulmonées d'eau — les cavités respiratoires, qui se contractent et se dilatent comme une vessie natatoire, cet appareil hydrostatique des Poissons.
        3. La faculté de se fixer temporairement aux objets ambiants s'exerce souvent en connexion avec le mouvement. Déjà les Protozoaires possèdent de petits crochets, des plaques fixantes (Stentor), même des ventouses typiques (Haptophrya). On trouve très souvent ces plaques fixantes chez les Cœlentérés, chez les Limaces et les Grenouilles (Hyla). Les ventouses — exemple frappant d'homomorphie — sont fréquentes chez les Échinodermes, les Vers, les Insectes, les Céphalopodes et les Poissons.
        4. Une manifestation non moins intéressante de l'homomorphie est une forme de cloche, adaptée par le corps de l'animal, cette cloche qui se contracte régulièrement et imprime au corps par sa contraction un mouvement propulsif. Cette manifestation est typique pour les Méduses, mais se retrouve également chez quelques Monocellulaires, comme par exemple chez Graspedotella ou Medfasosocloris. La palmure de certains Céphalopodes, qui s'étend parfois jusqu'au bout de leurs bras, joue un rôle analogue et donne au corps également une forme de cloche. Enfin le corps des Salpes à forme de tonneau, se mouvant de même à l'aide de contractions rythmiques de ses parois, ressemble aussi jusqu'à un certain point à cet appareil.
        5. La catégorie dont il a été question ci-dessus, implique les cas d'une dilatation de la surface corporelle, dilatation qui sert au mouvement actif de l'organisme. A l’encontre de ce phénomène quelque peu singulier et plutôt rare dans le monde animal, on peut considérer comme très répandu un autre genre d'extension de la surface corporelle, permettant à l'animal de planer dans le milieu ambiant et de se faire déplacer par le mouvement de ce milieu. Les longues épines du squelette des Foraminifères et des Radiolaires, le corps
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ramifié des Syphonophores, les appendices de Pluteus, les soies des Annelés, les extrémités richement ramifiées de certains Crustacés, les nageoires des Céphalopodes servent à ces fins. Un rôle analogue échoit quelquefois aux nageoires des Poissons, aux ailes des Oiseaux ainsi qu'aux palmures des Mammifères.
        6. Cependant ces derniers organes, représentant les diverses formes de membres spécifiquement appropriés, ont pour fonction principale et directe le mouvement actif des organismes. À commencer par les Infusoires hypotriches, les membres locomoteurs existent chez tous les types d'animaux, soit sous la forme de tentacules divers, soit sous celle de parapodes, de jambes ambulacrales ou de membres articulés des Arthropodes et des Vertébrés.
        7. Les undulipodes (cils vibratiles et fouets) sont le prototype de ces membres, et se trouvent non seulement chez les Protozoaires, mais également chez les Cténophores, les Turbellariés et les Gastéropodes ainsi que chez les larves des Coelentérés, des Échinodermes, des Mollusques et des Cordés.
        8. Souvent en l'absence de membres ou parfois comme action supplémentaire renforçant leur activité, le corps de l'animal ou certaines parties de ce corps produisent des mouvements ondulatoires ou peristaltiques. Ce phénomène, provoqué chez les Protozoaires par les myofibrilles, chez le Métazoaires par une musculature spéciale, est fréquent chez tous les types d'animaux.
        9. Enfin, certains Protozoaires (Gregarina), Vers, Arthropodes,
 Mollusques se meuvent à l'aide d'un arrangement original, caractérisé
par une sécrétion de la glaire, de fils arachnéens
ou de byssus.
        C'est la musculature qui est le facteur principal de la plupart des organes ci-dessus mentionnés. Toutes les formes de la musculature, du sac sous-cutané primitif jusqu'aux divers genres de faisceaux musculaires, offrent de nombreux exemples d'homologie et d’homomorphie. Ainsi la présence du sac musculaire sous-cutané ou tout au moins ]es restes plus ou moins importants de ce sac, est manifeste chez tous les types d'animaux, sans exception.

        IV. SYSTÈME NERVEUX.

        Les neurons, dont se compose le tissu nerveux, représentent chez tous les animaux multicellulaires un phénomène d'homomorphie.
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Quant à la disposition des neurons dans le système nerveux, celle-ci varie selon le cas et l'on y peut distinguer, tout comme dans la musculature, tantôt une organisation primitive (quand ce système porte un caractère diffus), tantôt un état plus différencié (quand les parties centrales des neurons, c'est à dire les corpuscules cellulaires, montrent une tendance à s'agglomérer et à former des ganglions). C'est d'après les indications ci-dessus qu'on divise le système nerveux de tous les Métazoaires en trois catégories principales :
        1. Un filet régulier, tendu à travers le corps entier de 
l'animal ou à travers la majeure partie de ce corps et où les cellules
se mêlent aux fibres.
        2. Un système nerveux à cordes nerveuses mélangées où se concentrent les cellules nerveuses, toutefois intercalées entre les fibres.
        3. Un système nerveux à ganglions composés presque entièrement de cellules, tandis que les cordes nerveuses en sont ici privées et ne se composent que de fibres.
        Le système diffus sous forme de filet régulier est typique pour les Coelentérés, bien que chez les Méduses on puisse constater les premiers indices d'une centralisation sous forme de cercles nerveux situés près du bord de la cloche ou d'agglomérations nerveuses desservant les corps marginaux où se trouvent concentrés les organes sensoriels. Une agglomération de cellules nerveuses peut également être constatée sous le statolithe des Cténophores.
        Les deux autres catégories du système nerveux apparaissent très régulièrement chez tous les autres types des Invertébrés. Même les Turbellariés primitifs, qui possèdent un filet nerveux, montrent quelques faibles indices de centralisation naissante. Les animaux plus différenciés conservent quelquefois ce filet mais exclusivement dans leur système nerveux périphérique. La majorité des Vers primitifs est pourvue de cordes mélangées, bien que l'on puisse constater chez les Trematodes, les Cestodes et les Ascarides de plus ou moins faibles agglomérations de cellules nerveuses tandis que les Vers annelés possèdent des ganglions typiques.
        Parmi les Échinodermes, chez lesquels prédomine le système nerveux à cordes mélangées, on trouve également des formes de nœuds ganglionnaires primitifs.
        Au contraire, chez les Arthropodes et les Mollusques c'est le système nerveux ganglionnaire qui est le plus fréquent. Mais ici même on peut
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constater quelquefois des cordes mélangées (par exemple, chez Peripatua ou chez le groupe des Amphineures).
        Les Vertébrés représentent des formes ganglionnaires typiques.
        Ainsi peut-on grouper les diverses catégories de systèmes nerveux centraux sur un tableau faisant ressortir très distinctement un parallélisme de formes qui ne dépend point d'une provenance commune des animaux.

        V. ORGANES DES SENS.       

       
En faisant abstraction du point de vue anthropomorphique, et en s'efforçant d'étudier les organes des sens des animaux d'une façon strictement objective, nous devons y distinguer 4 catégories. Ce sont les organes sensoriels épidermaux (sens mécanique), les organes du sens chimique, les organes du sens optique, enfin ceux du sens d'équilibre et du son.
        Un groupe de cellules sensorielles, dérivant de l'ectoderme et reliées au système nerveux central par des fibres nerveuses constitue la partie principale de tous ces organes des sens. Quelquefois y sont jointes des parties additionnelles qui servent à la protection du système ou à la perfection de son fonctionnement.
        Parmi les organes des sens epidermaux et chimiques on trouve fréquemment chez divers types d'animaux une agglomération de cellules sous forme d'un bourgeon — la sensille. Dans leur forme primitive, les sensilles apparaissent chez certains Vers, Mollusques et Echinodermes. Les papilles buccales des Ascarides et les aesthetes des Chitons peuvent être considérées comme sensilles métamorphosées. Diverses formes de sensilles se trouvent également chez lez Vertébrés.
        Les Arthropodes possèdent aussi des sensilles servant à reconnaître la consistance chimique du milieu ambiant. Elles sont disposées à la racine des soi-disant poils olfactifs (chez les formes aquatiques), et des bâtonnets olfactifs (chez les formes terrestres). Mais chez les premières, elles ne sont pas très prononcées, et chez les secondes elles se compliquent par la présence d'organes terminaux appropriés. Plus typiques sont les bourgeons du goût des Vertébrés. D'autre part les organes du sens chimique se présentent fréquemment, chez les Invertébrés, sous forme de petites surfaces d'un épithélium sensoriel, d'habitude situé dans une fossette de la peau. Cette surface sensorielle s'élargit souvent à cause de la formation de plis (osphradies pectinées ou bipectinées). Dans certains cas (par
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exemple chez les Céphalopodes) la surface sensorielle peut devenir convexe (rhinophores).
        Quant aux organes de la vue, j'ai étudié leur parallélisme chez divers types d'Invertébrés dans mes travaux indiqués ci-dessus. Tout récemment j'ai analysé les yeux des animaux cordés[10] et j'y ai pu constater trois formes caractéristiques aussi pour les autres types d’animaux : les yeux plans, les yeux en sac et les yeux vésiculeux. Ainsi peut-on considérer comme acquis que ces trois catégories d'organes visuels se retrouvent en qualité d'organes homomorphes chez tous les types des Métazoaires. Quant à la quatrième catégorie — les yeux composés — particulièrement caractéristique pour les Arthropodes, on la rencontre également chez les Vers et chez les Mollusques (de même chez les Échinodermes, mais sous une forme primitive). Or, on peut affirmer que les organes de la vue constituent le meilleur objet pour l'étude de l'homomorphie tant en ce qui concerne leur forme générale que celle de certains détails de leur construction (cristallin, pigment, membranes cuticulaires, etc.).
        Les organes statiques, compliqués chez les animaux supérieurs (les Céphalopodes et les Vertébrés) par des adaptations servant à la fonction de l'ouïe, se réduisent généralement à une fossette de la peau plus ou moins profonde acceptant souvent l'air d'une vésicule (statocyste), et pourvue à l'intérieur d'un épithélium sensible et de concrétions calcaires (statolithes). Mais dans certains cas, au lieu d'une inflexion de la peau et de la formation d'une cavité ou d'une vésicule, nous voyons au contraire une forme convexe ou proéminente. Ce sont par exemple les tentacules raccourcis adaptés à la sensation de l'équilibre de quelques Méduses, ou bien les sphérides des Ëchiniaes, ou bien les poils auditifs des Arthropodes terrestres. Il est intéressant de constater qu'on trouve chez les Crustacés des statocystes typiques. Quant aux organes tympaniques des Insectes, ceux-ci, tout comme les organes auditifs des Vertébrés, sont des formations sui generis, adaptées spécialement à la captation des sons.
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        VI. ORGANES LUMINEUX.

        A l'instar des cellules nerveuses et musculaires qui, à l'état primitif, sont disposées soit sur tout le corps de l'animal, soit sur la majeure partie de celui-ci, les cellules lumineuses peuvent également présenter un arrangement diffus. Mais dès qu'elles se trouvent concentrées en organes spéciaux, ceux-ci peuvent se présenter sous trois genres différents : 1. des groupes de cellules, 2. des glandes en forme de sac, et 3. des organes oculoformes.
        On trouve la première catégorie chez les Annelés, les Crustacés, les Insectes, les Gastéropodes, les Céphalopodes, les Tuniciers et les Poissons. Les deux autres catégories se manifestent aussi dans quelques types des animaux. Les glandes en forme de sac se rencontrent chez les Vers annelés, les Céphalopodes et les Poissons, et les organes oculoformes chez les Crustacés, les Céphalopodes et les Poissons. Ainsi peut-on composer également un tableau de formes parallèles, bien que celui-ci ne puisse être aussi complet que le tableau des organes de la vue. Mais Jes organes lumineux ne sont pas encore suffisamment étudiés et il est possible que des travaux ultérieurs concernant ce domaine permettront d'enrichir ce tableau de nouvelles données.
        Enfin, il faut noter que les organes de la troisième catégorie offrent des analogies avec l'œil aussi bien par leur configuration générale que par la présence et la structure des appareils additionnels servant à la réflexion des rayons de lumière. Nous nous trouvons donc en face d'un phénomène d'homomorphie d'organes remplissant des fonctions différentes. Toutefois le caractère de ces fonctions justifie jusqu'à un certain point leur ressemblance morphologique. Dans un cas, nous avons à faire à un organe de réception, dans l’autre, à un organe d'excrétion de la lumière. Les cellules fondamentales de ces organes, c'est à dire les cellules visuelles d'une part et les cellules lumineuses de l'autre, diffèrent entre elles par leur construction, tandis que les appareils additionnels, qui servent ici et là à la même fonction dioptrique, sont homomorphes.

         VII. ORGANES DE LA NUTRITION.

        La nutrition d'un organisme animal s'effectue de deux manières: ou bien par la surface du corps (comme chez les organismes végétaux), ou bien au moyen d'une cavité intérieure, l'intestin. La nutrition par la surface du corps n'est pas du tout aussi rare qu'on pourrait le supposer à première vue. Non seulement la ma-
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jorité des Protozoaires, mais beaucoup de parasites se nourrissent de liquides, en les absorbant d'une manière diffuse, par la surface entière du corps ou par une partie de celui-ci. On a constaté dernièrement je genre de nutrition, portant un caractère facultatif (c'est à dire coexistant à côté de l'absorption normale, à l'aide de l'intestin) chez beaucoup d'animaux aquatiques et même chez les Vertébrés.
        Quant à l'intestin, il peut présenter deux formes différentes : celle d'un sac à un seul orifice ou celle d'un tube à orifices buccal et anal. La première forme se trouve chez les Cœlentérés, les Échinodermes et les Vers. La seconde est caractéristique pour tous les types des Métazoaires à l'exception des Coelentérés. Mais on peut constater, même ici, une tendance à sa formation, — d'une part, chez certaines Actinies (dont l'orifice buccal est double, une moitié servant à la réception de la nourriture, l'autre à l'élimination des restes non-digérés), d'autre part chez divers Coelentérés, sous forme de pores spéciaux (pores tentaculaires de certaines Actinies, pores des parois latérales de certains Coraux, pores situés près de la statocyste des Cténophores, enfin pores temporaires, qui se forment sur le bord des cloches des Méduses). Les nombreux orifices des Éponges offrent une analogie frappante avec ces pores. Chez la plupart des animaux on peut constater une division du tube intérieur en trois parties : stomodaeum, mesodaeum et proctodaeum.
        L'absorption de la nourriture est d'autant plus efficace, que la surface absorbante est plus grande, c'est pourquoi les intestins (aussi bien en forme de sac qu'en forme de tube) montrent une tendance à se ramifier et à former des appendices. Ce phénomène, d'un caractère strictement homomorphe, apparaît chez tous les types du Règne animal. Certains appendices se spécialisent en se transformant en glandes (glandes salivaires, foie, etc.); chez quelques animaux ces glandes présentent une forme intermédiaire, la nourriture continuant à y pénétrer.
        On peut faire des comparaisons non moins intéressantes en étudiant certains détails du tract digestif. Ainsi des formations dures (chitineuses, keratinisées ou calcaires) se trouvant dans la cavité buccale et servant à saisir la nourriture et à la broyer existent chez les représentants de tous les types d'animaux, à commencer par les Échinodermes. Un coup d'œil général sur les appareils saisissants et broyants du Règne animal nous offre le tableau bien clair d'un parallélisme homomorphe, de même que des conclusions importantes d'un ordre phylogénétique (c'est à dire, du point de vue de l'homologie)
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découlant par exemple de l'étude des appendices buccaux chez les Arthropodes ou des dents chez les Vertébrés.
        A ces mêmes points de vue, il est intéressant de noter divers appendices entourant l'orifice buccal et servant en partie à la protection de celui-ci, en partie à l'attraction de la nourriture. Les fouets de certains Protozoaires, qui poussent la nourriture dans le cytoetome, en constituent le prototype. Mais nous les retrouvons aussi sous forme de divers tentacules, membres spécifiques, dirigeant l'eau vers l'orifice buccal (chez Crustacés primitifs), palpes buccales (chez les Lamellibranches), — jusqu'aux cirres mouvants, qui entourent la bouche du représentant des Cordés, Branchiostoma. On peut dire de même d'une juxtaposition des trompes sortant de l'orifice buccal de divers animaux, ainsi que de la comparaison entre elles et la paroi de la partie stomacale de l'intestin, laquelle chez certains animaux s'expulse toute entière pour attraper la victime. Enfin il est nécessaire de mentionner les ventouses buccales, qu'on trouve chez les représentants de types divers, ceci en complète indépendance avec leur parenté phylogénétique, mais ordinairement comme le résultat d'une adaptation à une vie parasitaire.

        VIII. ORGANES DE LA RESPIRATION.

        De même, l'échange des gaz, qu'on peut considérer comme un genre de nutrition à l'aide de matières gazoformes, s'effectue soit sur toute la surface du corps, soit à l'aide d'organes spéciaux. Le premier mode est typique pour les Protozoaires, les Coelentérés et les Éponges, qui n'ont point d'organes de respiration; mais tous les autres animaux, même les plus développés et pourvus d'organes respiratoires hautement différenciés possèdent plus ou moins la capacité d'une respiration épidermique diffuse.
        Comme le tube intestinal et ses divers appendices, les organes de la respiration se forment au moyen d'une invagination ou d'une dévagination de l'épiderme. La dévagination est plus fréquente chez les animaux aquatiques et aboutit à la formation des branchies, par contre, les animaux terrestres possèdent des organes de respiration internes qui se développent comme des sacs (poumons) ou des tubes (trachées). La ressemblance physiologique avec les organes de nutrition (c'est à dire la nécessité d'un développement en surface) conduit logiquement à une similitude morphologique. Les branchies, poumons et trachées montrent une tendance à agrandir la
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surface respiratoire, cette tendance très marquée, se manifeste de façon différente dans les divers groupes d'animaux.
        Les Holothurides possèdent des organes respiratoires tout à fait originaux, — des poumons aquatiques — qu'il serait plus exact d'appeler, d'après leur structure morphologique, des trachées. Ici, nous avons à faire aux poches ramifiées, allant vers l'intérieur du corps de l'animal. On peut trouver cependant, chez des représentants d'autres types, des phénomènes analogues; ainsi, il arrive fréquemment que la fonction respiratoire est effectuée par la partie arrière du tube intestinal (les Crustacés primitifs, les larves aquatiques des Insectes, etc.). C'est l'agrandissement de la surface de cette partie qui a abouti à la formation des „poumons aquatiques".
        Certaines larves aquatiques d'Insectes offrent d'autres adaptations originales, — des branchies à trachées ; ce sont des dévaginations de la peau de la partie abdominale de la larve, dont l'intérieur est sillonné par de fines ramifications de trachées. Ici, par conséquent, les trachées sont adaptées à la respiration dans l'eau.
        C'est le crabe Birgus latro (habitant sur terre) qui fournit l'exemple le plus frappant de la dépendance, dans laquelle se trouve la structure des organes de respiration du milieu ambiant. De petits appendices ramifiés servant à la respiration dans l'air poussent sur les parois branchiales, en remplacement des branchies presque entièrement réduites. Ici, par conséquent, la cavité branchiale s'est changée, sous l'influence des conditions de la vie en cavité pulmonaire.
        Ainsi nous sont révélées, jusqu'à un certain point, les causes du 
parallélisme des formes, parallélisme qu’on observe si souvent dans la nature organique. L'organisme, adapté à des fonctions relativement peu nombreuses, peut (sous l'influence de ses qualités intrinsèques et du milieu ambiant) produire une quantité strictement limitée de formes fondamentales, lesquelles se répètent dans des organismes même hétérogènes, c'est à dire non apparentés entre eux.

        IX. SYSTÈME CIRCULATOIRE.

        L'appareil circulatoire secondant le système digestif dans son travail de distribution de la nourriture à travers l'organisme, et le système respiratoire desservant la distribution de l'oxygène et la libération
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de l'organisme de l'acide carbonique, on devrait supposer que la ramification des vaisseaux et leur pénétration dans les régions périphériques de l'organisme est en proportion inverse de la ramification des systèmes digestif et respiratoire. En réalité, nous constatons que les Cœlentérés dont l'intestin, soit sous forme d'un sac entouré d'une mince paroi du corps, soit sous forme d'un système ramifié, dessert toutes les parties de l'organisme ne possédant ni système circulatoire, ni système respiratoire. Toutefois, certains auteurs considèrent la mésoglée des Cœlentérés, dans laquelle circulent les sucs nutritifs et les excrètes, comme une forme primitive du système circulatoire.
        Et les Vers primitifs, dont l'intestin dessert d'une façon plus ou moins diffuse l'organisme entier, n'ont point besoin de système circulatoire typique. Mais chez eux aussi les sucs du corps circulent dans le mésenchyme. Cette circulation est favorisée par la formation de lacunes dans cette dernière. Il est intéressant de constater que le système circulatoire lacuneux (ouvert), bien que pourvu d'une certaine quantité de vaisseaux typiques, se répète chez les Insectes hautement développés — fait qui se trouve relié sans doute à la ramification complexe de leurs trachées.
        La plupart des animaux possèdent cependant un système circulatoire fermé, composé de vaisseaux fortement ramifiés. Les vaisseaux longitudinaux, c'est à dire le vaisseau dorsal, ventral et les vaisseaux latéraux y jouent un rôle prépondérant. Ces vaisseaux sont fréquemment reliés entre eux par des vaisseaux transversaux qui sont disposés de façon métamérique, chez les animaux dont le corps est nettement segmenté. Mais ce type fondamental se trouve d'habitude plus ou moins modifié. Les changements dépendent en grande partie de la formation du cœur, dont nous trouvons des indices même chez les Vers annelés ; ceux-ci possèdent des vaisseaux, dont certaines parties se contractent de façon rythmique et quelquefois se dilatent en prenant la forme de cavités plus ou moins grandes. La présence du cœur, qui chez tous les Accordés se trouve disposé du côté dorsal du corps, conduit à la distinction des artères et des veines. De nombreux phénomènes parallèles, peuvent se constater dans la formation du système circulatoire des Vers, des Arthropodes, des Mollusques et des Cordés et se réduisent à des homologies. Mais le type général de ce système (depuis ses origines, dans la mésoglée des Cœlentérés et dans le mésoderme des Vers primitifs) atteste clai-
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rement le caractère homomorphe, conditionné par la nécessité physiologique de distribution des sucs dans l'organisme.
        Quant au système circulatoire des Échinodermes, il paraît en quelque sorte morphologiquement isolé. Sa construction est coordonnée avec la disposition radiale d'autres organes. Mais il faut dire en général que nous avons là à faire à un système très primitif. Les vaisseaux rappellent souvent des lacunes, il n'y a pas de cœur proprement dit. C'est uniquement dans le vaisseau intestinal des Holothurides qu'on peut constater une faible pulsation. Le sang même se distingue à peine du liquide se trouvant dans la cavité du corps. Tout ceci permet de juxtaposer le système circulatoire des Échinodermes et la forme primitive de ce système décrite chez les Coelentérés.
        Il est intéressant de constater que les réseaux capillaires du système circulatoire attestent un degré de développement très élevé, à rencontre du système nerveux, où le réseau diffus est considéré comme un phénomène primitif.

         X. SYSTÈME DE L'EXCRÉTION.

        Le phénomène de l'homologie peut fréquemment, et de plein droit, être démontré sur les néphridies et les reins. En effet l'hypothèse que les Vers annelés sont les ancêtres lointains des animaux cordés se trouve basée entre autres sur l'étude de la structure et du développement de ces organes. Mais en étudiant tout le complexe des organes d'excrétion dans tout le Règne animal, nous arrivons à une juxtaposition d'un caractère nettement homomorphe. Ainsi est-il nécessaire de noter avant tout que chez les formes primitives, le procès d'excrétion (tout comme beaucoup d'autres fonctions dont il a été question dans les chapitres précédents) se passe d'organes spéciaux. Chez les Éponges cette fonction s'effectue par les mêmes cellules à collerettes flagellifères qui servent à saisir la nourriture. Chez les Coelentérés l'excrétion des éléments superflus est faite facultativement par diverses cellules qui ont aussi d'autres fonctions à remplir.
        Chez d'autres animaux, on peut diviser les organes d'excrétion en deux catégories nettement distinctes : 1. cellules spécialement adaptées au procès d'excrétion et 2. organes multicellulaires, présentant habituellement la forme de longs tubes. Toutefois certains animaux sont pourvus de ces deux appareils qui se complètent mutuellement.
        Parmi les cellules, il faut noter les cellules chloragogè-
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nés des Oligochètes, les néphrocytes des Crustacés et des Insectes, et les cellules péricardiales des Myriapodes. Chez certaines Limaces, les groupes de cellules analogues portent le nom de glandes concrémenteuses. Enfin les leucocytes ou les phagocytes (très répandus dans tout le Règne animal) jouent un rôle important dans l'œuvre de la libération de l'organisme de tous les éléments nocifs ou inutiles.
        On trouve des organes d'excrétion multicellulaires chez les Vers, les Mollusques, les Cordés et les Arthropodes. Qu'ils s'appellent proto-néphridies, métanéphridies, reins ou tubes de Malpighi, tous se réduisent (dans leur partie principale) à un système de tubes, par lesquels les excrets sont éconduits (à l'aide de divers organes additionnels) de la cavité du corps, du parenchyme, remplissant cette cavité chez certains animaux, ou des vaisseaux. Les néphridies éconduisent les excrets directement à l'extérieur, par contre les tubes de Malpighi (lesquels représentent le résultat d'une invagination de la paroi intestinale) les dirigent dans l'intestin.
        Les néphridies de divers Invertébrés et les reins des Vertébrés se trouvent reliés entre eux par une étroite parenté phylogénétique. Mais quelquefois le principe homologique n'y peut être appliqué intégralement. Ainsi, les néphridies des Vers annelés et des Crustacés (qu'on cite souvent comme un exemple d'organes homologues) sont en réalité de provenances diverses. A l'encontre des néphridies mésodermiques des Annelés, chez les Crustacés c'est uniquement le sac terminal de la néphridie qui prend son origine dans le mésoderme, tandis que le canal excréteur est formé par l'e c t o d e r m e. Par conséquent, les canaux des deux néhpridies mentionnées sont homomorphes, mais nullement homologues.
        Les tubes de Malpighi sont, chez les Arachnides de provenance entodermique, chez les Myriapodes et les Insectes, par contre, de provenance ectodermique. Ici nous nous trouvons donc également "en face d'un phénomène d'homomorphie. De même, un certain parallélisme (bien que moins prononcé) peut être constaté entre les tubes de Malphighi et les canaux des néphridies.
        Enfin, il parait intéressant de mentionner que les protonéphridies sont des organes, adaptés à un corps d'animal rempli de parenchyme, tandis que les métanéphridies se trouvent toujours là où il s'agit d'un corps à coelom, et les tubes de Malpighi sont reliés à la structure spécifique des Arthropodes terrestres.
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        XI. APPAREIL GENITAL.

        On peut observer dans la disposition des organes de reproduction la même tendance à se centraliser parallèlement au perfectionnement de la structure du corps entier, — phénomène que nous ayons déjà constaté en étudiant les autres systèmes d'organes. Les éléments reproducteurs des animaux primitifs se trouvent disséminés dans l'organisme. Par contre, quand l'organisme est plus différencié, ils se localisent, se concentrent dans les gonades, d'habitude nombreuses, et occupent une partie importante du corps. Chez les formes les plus développées les gonades se réduisent à quelques organes assez petits, mais à fonction d'autant plus intensive.Tout comme dans les autres systèmes d'organes, les divers degrés de concentration ne suivent pas ici une courbe ascendante régulière pour tout le Règne animal. Au contraire, presque chaque type d'animaux présente des degrés de concentration différents, tantôt plus, tantôt moins élevés — ce qui permet de les juxtaposer sur un tableau de lignes parallèles, en qualité d'organes homomorphes.
        Le caractère diffus du système génital est fortement accentué chez les Éponges, dont les cellules sexuelles se trouvent dispersées partout dans le mésenchyme. Chez la Hydra les ovaires et les testicules ectodermaux poussent également sur diverses parties du corps, les testicules étant disposés dans les parties supérieures et les ovaires dans les parties inférieures du corps. Chez les Méduses et les Coraux, les glandes sexuelles se trouvent déjà en quantités nettement définies et sont strictement localisées. Parmi les Échinodermes nous trouvons une disposition diffuse des organes génitaux chez les Crinoïdes dans leurs nombreuses pinnules. Il faut noter que ce groupe d'animaux est considéré comme très primitif du point de vue phylogénétique. Les glandes sexuelles des autres Échinodermes sont plus ou moins localisées. Elles sont, chez ce type, ainsi que chez tous les types subséquents, de provenance mésodermique. Les Némertiens se distinguent parmi les Vers par une disposition de gonades particulièrement diffuse. Chez certains d'entre eux, ces organes se trouvent disséminés irrégulièrement dans le tissu parenchymateux. Chez d'autres, les nombreuses gonades sont disposées en deux rangs latéraux auprès de l'intestin. D'autres Vers présentent des degrés de localisation extrêmement variés, allant jusqu'à deux petits ovaires (chez les Annelés) ou même à un seul (chez les Plathyhelminthes).
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        Les Arthropodes se distinguent généralement par un système génital fortement concentré, représenté d'habitude par une paire de gonades, et quelquefois par une gonade latérale unique, mais certains Crustacés (par exemple les Limnadies) ont deux ovaires tellement ramifiés que leurs appendices sillonnent presque le corps entier. Chez le Crustacé parasitaire Sacculina nous trouvons une disposition de gonades typiquement diffuse : elles sont disséminées à travers tout le corps.
        Les Mollusques présentent un type où la concentration des gonades est particulièrement prononcée. Les deux glandes génitales se trouvent uniquement chez les représentants des groupes Solenogastres et Lamellibranches. D'habitude il n'y a qu'une seule glande, souvent hermaphrodite, qui réunit les deux fonctions, c'est à dire de l'ovaire et du testicule.
        Chez les Cordés enfin, où, en général une concentration étroite des organes génitaux prédomine, on peut également constater un cas où se manifeste la tendance à une disposition plus diffuse. Notamment les gonades de Branchiostoma se présentent sous forme de glandes multiples, disposées des deux côtés du corps.
        La disposition localisée des gonades est souvent caractérisée par la présence d'un ducte génital. Dans les systèmes diffus ce ducte manque fréquemment et oh peut constater son absence même chez les Branchiostomes. Chez ceux-ci les éléments génitaux sont évacués de la gonade par simple déchirure de la paroi de cette dernière (tout comme chez les Coelentérés et les Éponges).
        Je ne puis pas analyser ici les détails bien différents de la structure 
des ductes génitaux parmi lesquels on peut trouver non seulement des 
homologies, mais des parallélismes d'un caractère nettement homo
morphe.

        CONCLUSION.

        Il serait difficile, voire impossible de soumettre à une analyse détaillée tous les systèmes d’organes, dans une étude aussi brève que celle-ci. De plus, la matière même, à l'état actuel de la science, paraît encore insuffisante pour cela. Mais de tout ce qui a été dit, il appert qu'une étude générale des données morphologiques d'aujourd'hui nous fournit donc des résultats extrêmement précieux, en nous révélant la régularité des phénomènes de l'homomorphie. Il faut remarquer que le savant est toujours enclin à rechercher les homologies, tant que son attention se trouve fixée sur les Cordes ou sur quelque autre type d'animaux, indépendamment
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et sans tenir compte de tous les autres types. Ceci eut lieu notamment chez les adeptes de l'anatomie comparée, darwinistes. Mais dès que s'ouvrent devant les yeux du savant les larges perspectives du Règne animal tout entier, les comparaisons d’ordre homomorphe s'imposent d'elles-mêmes.
        Il faut cependant aspirer à élargir non seulement le champ des études scientifiques, mais aussi les moyens méthodologiques. On ne peut appliquer dans l'anatomie comparée seulement la méthode morphologique, comme certains savants essayent de le faire, en affirmant qu'ainsi ils débarrassent la morphologie de l'emprise que la physiologie exerce sur elle. Toutefois, actuellement, nous ne pouvons pas soutenir la thèse radicalement contraire, formulée par E. Geoffroy-St. Hilaire : ,,La fonction fait l’organe". Nous savons qu'en dehors des fonctions la forme de l’organe dépend du génotype entier de l'organisme, de ses qualités héréditaires. Nous connaissons maintenant aussi des organes ne remplissant point les fonctions qui devraient leur incomber d'après leur structure, et d'autres organes de structure analogue qui remplissent cependant des fonctions diverses.
        Mais tous les phénomènes sont tellement entremêlés dans la vie d'un organisme qui présente une unité harmonieuse, qu'un morphologue ne doit jamais négliger l'influence exercée par les procès physiologiques sur la forme du corps et de ses organes. Ce n'est pas pour rien que l'anatomie comparée applique à la majorité des systèmes d'organes, des noms liés aux procès ayant lieu dans ces systèmes (à savoir: système de la respiration, de la nutrition, de l'excrétion, etc.).
        Dès que nous nous heurtons à des phénomènes vitaux, nous arrivons à la conclusion excellemment formulée par Spemann[11]; „Eine der bemerkenswertesten Eigentümlichkeiten der Lebenserscheinungen ist ihre weitgehende Übereinstimmung bei den verschiedenen Lebensformen". C'est pourquoi l'étude de phénomènes physiologiques, écologiques ou embryologiques offre fréquemment au savant comme un fil d'Ariane, en l'aidant à trouver une issue dans le labyrinthe des formes organiques, et à fixer les quelques catégories principales qui servent de point de départ à toute cette variété. Ainsi se trouve résolu le problème d'une morphologie comparée, considérée comme une systématisation des formes organi-
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ques pour mettre en ordre leur diversité, qui, à première vue, paraissait innombrable.
        Il faut souligner encore une fois que les influences primaires qui se manifestèrent dès la création de l'organe (c'est à dire la combinaison générale des forces régulatrices de la nature) suscitent des correspondances homomorphes, tandis que les influences secondaires (d'un caractère physiologique ou écologique) conduisent aux phénomènes typiques d'analogie, d'isomorphie et d'homoiologie.
        La question se pose évidemment, si ce travail systématique d'organisation du matériel morphologique peut être considéré comme le dernier chaînon de l'étude, et s'il apporte au savant une solution définitive. On est forcé d'y répondre négativement. Non seulement la science ne peut à aucun moment se déclarer à jamais satisfaite des résultats acquis (un arrêt de la science équivaut à sa mort), mais, même du point de vue strictement méthodologique, la fixation de catégories systématiques ne représente qu'un premier pas sur le chemin de la compréhension des lois de la nature. L'étude approfondie des corrélations causales existant entre les phénomènes, ainsi que des modes d'apparition et de développement de diverses formes, doit nécessairement suivre ce premier travail ou aller de pair avec lui. Toutefois je n'ai pas pu compliquer mon étude par ce nouveau problème extrêmement complexe et qui tombe dans un autre domaine méthodologique. L'esprit humain doit s'astreindre à la patience, quand il s'agit de résultats scientifiques d'une importance aussi capitale. Ceci se rapporte non seulement à la morphologie, mais également à d'autres disciplines scientifiques. Pavlov lui-même, ce célèbre physiologiste qui a enrichi la science par des découvertes sensationnelles dans le domaine des réflexes conditionnels, arrive à des conclusions analogues. Il écrit notamment: ,,Si de nous jours, il ne peut être question de comprendre et d'expliquer l'activité intégrale des grands hémisphères (du cerveau) sur la base des détails du procès physico-chimique (ce qui appert de soi-même), si, comme tout semble l'indiquer, il n'y a pas de chances sérieuses pour pouvoir déduire cette activité des qualités élémentaires du tissu nerveux, si nos connaissances du phénomène fondamental de cette activité sont loin d'être complètes, — que nous reste-t-il pour notre étude, à quoi notre travail se réduit-il? Évidemment, le problème réel, imminent de cette étude des grands hémisphères doit-il de nos jours consister en une réduction des phénomènes hétéroclites innombrables, à un nombre
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limité de phénomènes généraux et fondamentaux. C'est ce que nous faisons justement, tantôt dans certains cas en nous rapprochant un peu du but, tantôt en nous trouvant devant des problèmes insolubles (mais auxquels nous nous attaquons quand même), tantôt enfin en constatant que nous venons de faire fausse route".[12]
       
Un autre auteur, également célèbre, et dont la carrière scientifique iut aussi longue que glorieuse, Henri Poincaré,[13] formule ainsi son point de vue sur la nature de la science : « La science, dit-il, c'est avant tout une classification, une façon de rapprocher des faits que les apparences séparaient, bien qu'ils fussent liés par quelque parenté naturelle et cachée. La science, en d'autres termes, est un système de relations. Or nous venons de le dire, c'est dans les relations seulement que l'objectivité doit être cherchée: il serait vain de la chercher dans les êtres considérés comme isolés les uns des autres».
        Dans ces deux citations (auxquelles on pourrait ajouter nombre d'autres considérations semblables, formulées par de grands théoriciens naturalistes) je vois la confirmation de mon procédé méthodologique, que je voudrais ainsi justifier devant mes critiques, et notamment devant le prof. Eisler. Ce dernier, écrit dans son compte-rendu ayant trait à une de mes études[14]: „Man erwartet vergeblich den Versuch einer Findung der für die Entstehung solcher Aehnlichkeit zusammentreffenden, gleichen oder ähnlichen Wirkungsweisen."
        En réalité, c'est dans certains cas particuliers seulement, qu'on peut, à l'état actuel de nos connaissances, constater ce mode de formation (Wirkungsweise). Ainsi, une coquille primitive en forme de calice, se change en coquille tubiforme ou spirale, au moyen d'une croissance continue de la masse calcaire le long des bords de cette coquille. Un tube droit se forme quand le calice est radialement symétrique, et si la croissance ultérieure s'effectue à une cadence régulière, de façon à ce que cette symétrie ne se trouve point altérée. Par contre, si l'orifice du calice (soit tout au début, soit comme résultat d'une asymétrie se produisant par la suite) se trouve déplacé, une croissance ultérieure provoque un développement en forme de spire. Une croissance tout à fait disproportionnée donne enfin des tubes à incurvations irrégulières.
        De même, la rétine des yeux ainsi que l'épithélium d'autres organes
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des sens, plat au début, commence à croître plus vite que l'épithélium neutre qui l'environne, probablement en raison d'une vitalité intrinsèque particulièrement intensive, c'est pourquoi la différentiation ici, se manifeste par la formation de concavités plus ou moins profondes (les yeux en sac et les yeus vésiculeux) ou par des convexités, comme dans les yeux composés.
        En général, une croissance irrégulière de diverses parties de l'embryon (croissance due aux organisateurs découverts par Spemann) et qui provoque la formation de plis divers, est un des phénomènes les plus répandus et les plus importants dans le procès de la naissance des formes. En d'autres cas, cette croissance a lieu sous l'influence de forces de pression et de tension strictement mécaniques, ce qui produit des structures trajectorielles, dont on peut constater le parallélisme dans différents tissus et chez divers animaux: ainsi par exemple, dans l'os et le cartilage des Vertébrés et des Invertébrés, dans le squelette des Échinodermes, dans le revêtement chitineux des Arthopodes, etc.
        On se trouve devant une autre catégorie de causes qui provoquent un parallélisme d'organes, quand on considère les phénomènes de parasitisme, de vie sédentaire, d'un passage de la vie terrestre à une existence aquatique et vice versa. Mais ce parallélisme-là est souvent le résultat d'un procès secondaire, et voilà pourquoi nous appelons les organes en question — analogues et non pas homomorphes.
        En se basant sur la théorie de l'ologénèse, Colosi[15] émet une hypothèse très intéressante, ayant trait à l'origine phylogénétique des formes parallèles. II écrit notamment: „La legge dei parallelismi morfologici ridotta al suo significato morfologico-sistematico può essere, nella sua piú semplice espressione, schematizzata in un albero le cui successive ramificazioni dicotomiche corrispondano ad una disgiunzione di caratteri contrapponibili che, nella gerarchia del gruppo sistematico, debbono essere considerati come successivamente subordinati."
        D'après le schéma de Colosi, les caractères qui apparaissent pendant la formation de genres nouveaux en résultat d'une ramification dichotomique, ne sont rien d'autre qu'une manifestation des potentiels prospectifs préexistants déjà dans toutes les générations précédentes. Ce sont par conséquent les qualités fondamentales de toute la matière vivante,
[ 27] 
et c'est pourquoi, d'après ma terminologie, le parallélisme analysé par Colosi peut être désigné comme un parallélisme de genre homomorphe.Tels sont les efforts pour approfondir l'étude des phénomènes du 
parallélisme, efforts toutefois encore timides, et qui se trouvent pour 
ainsi dire dans un stade peu avancé.
        C'est pourquoi d'autre part l'idée d'un plan (ou de quelques plans) /de structure organique, idée à odeur quelque peu métaphysique et héritée 
de l'époque des Philosophes de la Nature, n'a pas disparu de la biologie. Mais actuellement, nous parlons de plan, non comme de quelque chose
 de préétabli arbitrairement, mais comme du résultat de certaines lois 
régissant le développement des organismes. Ainsi, l’idée de plan, autrefois idée statique, prend aujourd'hui un caractère dynamique. De ce point de vue, elle cadre bien avec la doctrine du holisme pour laquelle, comme dit Meyer: „ist es stets und immer das Ganze, das alle seine Teile restlos determiniert". Ainsi „das Genom als solches ist... die Ganzheit, welche ihre Gene genau so deterininiert, wie die Organisatoren Spemanns ihr Zellmaterial determinieren".[16]
       
Si, en suivant Meyer, nous divisons la biologie en trois domaines : la typologie, la physiologie et la phylogénie, et, si, dans la première nous distinguons la typologie des formes ou morphologie, et la typologie des fonctions, nous serons obligés de constater que le contenu de la présente étude se rapporte principalement et surtout au premier de ces domaines, et notamment à sa première partie (typologie des formes). Mais tous les domaines se trouvent étroitement liés entre eux, et voilà pourquoi (comme nous l'avons constaté plus haut) les questions ayant trait à l'homologie, à l'homomorphie et à divers genres d'analogie, ne peuvent être traités qu'en connexion avec l'étude des données provenant des différents domaines de la biologie.
        En considérant donc que les résultats de mes études entrent aisément dans le cadre de la doctrine du holisme[17] je dois constater cependant que je ne puis pas accepter ,,Aequivalenzprinzip", comme il se trouve formulé dans le livre susmentionné de A. Meyer. Il me paraît inefficace de changer le sens du vieux terme ,,homologie", comme le fait Meyer, qui transpose cette notion dans le domaine de la typo-
[ 28]   
logie pure, en lui ôtant, par conséquent, sa signification historique et sa relation avec la phylogénie. D'autre part, une confusion peut surgir, si l'on se met tout à coup à appeler ce qui porte à présent le nom d'homologie par un autre nom: généalogie, ce dernier terme étant appliqué depuis longtemps à une discipline scientifique spéciale. C'est pourquoi, d'après moi, les termes employés dans le tableau joint à cette étude (page 5) paraissent plus appropriés, la notion d'homologie y restant traditionnellement liée à l'idée de phylogénèse, et la notion d'analogie se manifestant en trois diverses formes d’un parallélisme secondaire (analogie typique, homoiologie et isomorphie) tandis que le terme “homomorphie" demeure réservé à la notion de parallélisme primaire, stricte-ment morphologique, basé sur l'unité des lois fondamentales régissant le développement des formes organiques.
        J'ai fait usage de ce dernier terme dans quelques-unes de mes précédentes publications[18], mais ce n'est que tout récemment que j'ai précisé sa relation avec le principe de l'homologie et de l'analogie.
        Pour terminer, on peut mentionner le fait que de nombreux savants modernes (dont les noms se trouvent cités dans les études sus indiquées), reviennent au principe de la morphologie pure, établi, comme je l'ai indiqué plus haut, vers la fin du XVIIIème et au commencement du XIXème siècle.
        Et tout comme la méthode historique que s'efforçait d'appliquer Buffon, ainsi que la réduction de toute la morphologie à un plan unique, furent vaincues et rejetées grâce à la typologie soigneusement développée de Cuvier, l'historisme, qui fut considéré après Darwin et Gegenbaur comme la méthode dominante et même unique pour toute étude d'anatomie comparée, est reconnu de nos jours insuffisant et, pour ainsi dire, partial. J'essaie de démontrer dans une de mes études[19] que la morphologie prend le caractère d'une discipline exacte, dès qu'elle se trouve appliquée à l'étude des types d'organes et des lois régissant la genèse de leurs formes, et non pas à la poursuite de leur développement historique.[20]
       
Par conséquent, nous empruntons à Buffon sa méthode de
[ 29]   
„généraliser les faits et de les lier ensemble par la force des analogies"
 et à Cuvier sa classification typologique des organes. En transformant tout cela selon les nouvelles acquisitions de la biologie, nous 
tâchons de créer une typologie moderne, qui ne doit être
 soumise ni à la physiologie, ni à la phylogénie, mais se trouver avec 
elles en une relation fonctionnelle constante. Autant la morphologie 
historique dont nous ne nions point la valeur se base sur le principe
 de l'homologie, et la physiologie qui touche à la morphologie y introduit l'idée d'analogie, autant la morphologie systématique se base dans ses études comparatives sur l'idée d'homomorphie.

         TABLE DES MATIÈRES.

Introduction… 1
Chap.          I. — Tégument…6
—      II. — Squelette… 8
—      III. — Organes de la locomotion… 8
—      IV. — Système nerveux…10
—      V. — Organes des sens12
—    VI. — Organes lumineux…14
—      VII. — Organes de la nutrition … 4
—      VIII. — Organes de la respiration… 16
—      IX. — Système circulatoire… 17
—      X. — Système de l'excrétion… 19
—      XI. — Appareil génital… 21
Conclusion… 22



[1] Cité d'après J. Chaine: Histoire de l'Anatomie comparative. Bordeaux, 1925.

[2] L. Roule. Buffon et la Description de la Nature. Paris, 1924.

[3] F. Vicq d'Azyr. Traité d'Anatomie et de Physiologie. Paris, 1786.

[4] M. Novikoff. Das Prinzip der Analogie und die vergleichende Anatomie. Jena, 1930.

[5] La majorité des anatomistes post-darwiniens concentraient leurs études sur les Vertébrés ou (plus rarement) sur d'autres types séparés, en négligeant ordinairement les liens morphologiques qui existent entre les types différents.

[6] M. Fürbringer. Untersuchungen zur Morphologie und Systematik der Vogel. II. Allg. Teil, Amsterdam, Jena, 1888.

[7] L. Plate. Allgemeine Zoologie und Abstammungslehre. I. Teil, Jena, 1922.

[8] Par exemple dans mon article: «Le Parallélisme des Formes chez les divers types d'Animaux». Bulletin biologique de la France et de la Belgique, Vol. 61, 1927.

[9] Les élytres servent aussi à la respiration.

[10] Über die morphologische Bedeutung der Sehorgane von Chordaten, Biol. Zentralbl. Bd. 52. 1932. Analogie ve stavbě oči u Chordátů a Achordátů. Rozpravy České akad. R. 42. 1932. Les analogies dans la structure des yeux chez les animaux cordés et acordés. Bul. intern. de l'Acad. des Sc. de Bohême. 1932.

[11] H. Spemann. Über die Organisatoren in der tierischen Entwicklung. X-ème Congrès intern. de Zoologie. Budapest, 1929.

[12] J. P. Pavlov. Conférences sur l'activité des grands hémisphères du cerveau Moscou, 1927.

[13] H. Poincaré. La valeur de la Science. Paris, 1927.

[14] Deutsche Medizinische Wochenschrift. Jahrgang 1930, Heft 20.

[15] G. Colosi. Organismi e vita, Milano, 1935.

[16] A. Meyer, Krisenepochen und Wendepunktei des biologischen Denkens. Jena, 1935.

[17] Le problème de la “totalité" de l'organisme a été effleuré par moi dans l'article: Zur Frage nach den morphologischen Beziehungen zwischen Protozoen und Metazoen, Biolog. Zentralblatt. Bd. 53, 1933.

[18] Les analogies dans la structure des yeux chez les animaux cordés et acordés. Bull, international de l'Ac. des Sc. de Bohême, 1932.

Zur Frage nach den morphologischen Beziehungen zwichen Protozoen und Metazoen. Biolog. Zentralblatt. Bd. 53, 1933.

[19] Homomorphie, Homologie und Analogie. Anat. Anzeiger. Bd. 80, 1935.

[20] L'Anatomie comparée comme science exacte. Comptes-rendus de l'Association des Anatomistes. 1931.