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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- ŠOR R.O. : «Krizis sovremennoj lingvistiki», Jafetičeskij sbornik, 5, 1926, str. 32-71. [La crise de la linguistique contemporaine]

L’article reprend la situation de crise qui est devenue patente en linguistique au début du XXème siècle et se reflétait en particulier dans les débats des japhétitodologues et des spécialistes de la linguistique comparée. L’auteur se donne pour but de «décrire brièvement les grands changements dans la méthodologie et la philosophie de la linguistique qui, ayant commencé au tournant du siècle, amènent maintenant les plus grands théoriciens de la linguistique à réfuter la philosophe individualiste du XIXème siècle et à revenir aux théories sociales du XVIIIème siècle» (p. 32).
Dans la 1ère partie de l’article, Šor parle des succès et des réussites de la linguistique du XIXème siècle, parmi lesquels elle compte en particulier:
1) la systématisation de nombreux faits concrets acquis pendant les siècles précédents;
2) leur représentation explicite, logique et facile à mémoriser.
Il s’agit avant tout de la reconstruction de la «proto-langue» indo-européenne, c’est-à-dire de l’établissement des correspondances entre les systèmes phonétiques et morphologiques des langues indo-européennes particulières.  
Mais, la linguistique du XIXème siècle avait certains points faibles. Premièrement, les linguistes avaient parfois tendance à traiter la «proto-langue» reconstruite comme si elle était une langue réelle. Deuxièmement, les significations des signes linguistiques restaient encore assez mal étudiées.
Šor envisage de montrer que la raison de ces défauts se trouvait dans la philosophie romantique du XIXème siècle (à commencer par J.Herder et W.von Humboldt) qui voyait dans la langue une création de l’individu, et réfutait l’héritage des théories «sociales» de la langue du XVIIIème siècle. Cette approche «individualiste» des linguistes-«romantiques» les poussaità utiliser la physiologie et la psychologie.
Šor parle des trois linguistes qui jouèrent un grand rôle dans les recherches linguistiques à la fin du XIXème-début du XXème siècle et contribuèrent ainsi aux grands changements théoriques. Ce sont Schuchardt, Saussure et Marty.
Si, pour les comparatistes, les langues et les dialectes étaient des objets fermés, la théorie de Schuchardt sur l'hybridation des langues montrait plutôt le contraire: «Les observations des langues vivantes font réfuter les représentations sur l'évolution fermée et isolée des dialectes; elles prouvent le contraire: le facteur principal de l’évolution langagière est celui du croisement, de l’interaction langagière des groupes ethniques et sociaux dont les cultures ont beaucoup en commun (svjazany obščnost’ju kul’tury) (p. 44). Cette thèse fut approuvée même par A.Meillet, « ce partisan génial de la doctrine des néo-grammariens» (p. 45).
D’autre part, c’est F. de Saussure qui soulignait l’aspect social des langues, ce qui pouvait compter parmi ses plus grands mérites, pense Šor.
Enfin, c’est à Marty que la linguistique du début du XXème siècle doit les bases théoriques pour l’étude du sens des mots.
Et si la philologie du XIX siècle définissait la langue comme «une activité naturelle de l’homme», la linguistique du début du XXème siècle en parlait plutôt dans les termes de «l’héritage culturel et historique de l’humanité» (p. 71).   

La tonalité générale de l'article est violemment anti-néogrammairienne par sa critique de l'empirisme et du psychologisme, par l'affirmation maintes fois répétées d'une nouvelle échelle de valeurs : ce qui est social est plus important que ce qui est individuel.

 
Ekaterina Velmezova et Patrick Sériot)


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