Sechehaye-33

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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Albert SECHEHAYE : «La pensée et la langue, ou comment concevoir le rapport organique de l'individuel et du social dans le langage ?», Journal de psychologie normale et pathologique, Paris : Alcan, 1933, p. 57-81.

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        La question des rapports de la langue et d ela pensée retient depuis longtemps et retiendra encore longtemps l'attention des philosophes, des psychologues et des linguistes. Il est impossible de dire lesquels, des théoriciens de la pensée ou des théoriciens de la langue, y sont le plus intéressés, car il paraît évident que, lorsque ce problème aura trouvé une solution définitive, les deux doctrines, celle qui s'occupe de la pensée elle-même et celle qui s'occupe de son expression, auront trouvé du même coup et leur assise essentielle et la notion exacte de leur connexion réciproque. La langue est en fait l'instrument par excellence de notre intelligence qui formule et fixe les résultats de son activité; elle est l'organe d'une fonction, et il ne saurait y avoir une science de l'une qui ne soit en même temps une science de l'autre.
        Ce problème, nous l'avons très imparfaitement effleuré dans un article publié précédemment ici même.[1] Nous avons essayé de dire en quoi l'expression par la langue ne donnait qu'une idée imparfaite de la pensée individuelle telle qu'elle serait dans sa libre spontanéité.
        Nous voulons aujourd'hui reprendre cette grande question pour elle-même et dire comment, après mûres réflexions, elle se résout à nos yeux. Nous le ferons sous une forme volontairement sommaire. Etant donnée l'importance du sujet, ce que nous offrons ici n'est qu'une esquisse. On nous excusera d'avoir réduit les exemples au
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minimum et d'avoir rejeté une série d'observations et de citations dans des notes pour ne pas alourdir notre marche.
        Une doctrine longtemps dominante, et qui a encore des partisans, considère la langue comme une émanation directe du tempérament intellectuel, si l'on peut ainsi parler, qui réalise ses tendances par son moyen. La pensée naît avec l'expression, et celle-ci, faite à la mesure de celle-là, reçoit naturellement l'empreinte de tous ses caractères. La langue d'ailleurs n'est pas la chose de l'individu, mais de la race, puisqu'elle est le bien commun de tous. S'il y a chez les divers peuples des langues diverses, c'est que les mentalités varient d'un peuple à l'autre, et si les langues évoluent et se trans-forment dans le temps, c'est que ces mentalités, en vertu de quelque mystérieuse poussée de vie, évoluent elles-mêmes. C'est la doctrine du parallélisme de la pensée et de la langue, dont Humboldt a été le représentant le plus en vue et à laquelle les penseurs allemands sont en général restés fidèles.[2]
        Cette doctrine, de quelques réserves et considérations qu'on l'enveloppe, a le grand inconvénient de faire entrer de plain-pied des choses qui sont du domaine de la pensée dans des normes qui sont à proprement parler celles des phénomènes physiologiques et biologiques.[3]
        D'après cette vue, l'idiome qu'un enfant apprend de ses parents et qu'il possède en commun avec sa nation lui appartient, avec les particularités de son type grammatical, au même titre que les particularités physiques ou psychiques qui font de lui un représentant de sa race. Le simple fait qu'un homme de race quelconque, un blanc, un nègre, un Chinois, peut parler idiomatiquement n'importe quelle langue, pourvu qu'il l'ait apprise assez tôt et assez longtemps, nous
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invite à mettre en doute le principe même du parallélisme. Si la langue était dans l'individu si étroitement solidaire de la race, il y aurait une sorte d'incompatibilité, un conflit entre la mentalité et la langue chaque fois qu'un homme parlerait un idiome étranger à son type anthropologique. Nous ne voyons pas qu'il en soit ainsi.[4]
        Ce n'est pas à dire qu'une langue ne porte pas des caractères correspondant à ceux de la collectivité qui l'a créée; mais cette correspondance s'expliquera assez d'autre façon, sans qu'on ait besoin de faire de la pensée et de la langue qui lui emprunte sa forme des produits naturels directement déterminés par des facteurs que l'homme subit et dont il doit accepter les conséquences comme il accepte la forme de son crâne ou la couleur de ses cheveux.
        Ce que nous reprochons essentiellement à cette doctrine du parallélisme, c'est qu'en ôtant aux individus un contrôle effectif sur l'expression qu'ils donnent à leur pensée, en les montrant mus par des forces raciales dont ils ne peuvent aucunement s'abstraire, elle leur ôte du même coup une bonne part de leur responsabilité en ce qui concerne leur pensée elle-même. Le parallélisme devrait aboutir logiquement au scepticisme intellectuel, à moins qu'on ne préfère avoir recours à des considérations métaphysiques. Si l'essence des choses est rationnelle, s'il y a, cachée derrière le voile des phénomènes, une dialectique immanente, l'homme peut s'abandonner à son destin et s'accommoder de son irresponsabilité : l'univers pense pour lui. Mais ni le scepticisme, ni la métaphysique ne sauraient nous agréer. Le postulat nécessaire de toute pensée et de toute science, c'est que nous conservions, dans le domaine tout relatif où notre intelligence se meut, un droit de principe d'affirmer ou de nier avec conviction. Pour cela il faut que la pensée et tout ce qui assure son fonctionnement se déroule dans le plan de ce que nous appelons la liberté sous le contrôle de notre conscience individuelle. Le phénomène linguistique peut-il être considéré sous cet aspect?
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Oui, sans doute. Il y a longtemps que l'Américain Whitney[5] opposait à celte mystique une conception empirique du phénomène linguistique, insistant sur ce simple fait que toute création ou innovation en matière de langue remonte en dernière analyse à un choix fait par quelqu'un. La langue est donc, dans chacun de ses détails, et par conséquent dans sa somme, par sa nature même, non pas un produit élaboré par des puissances secrètes cachées dans la nature humaine, mais une œuvre d'intelligence, une invention, au même titre que nos habitations, nos outils et tout ce que l'homme a créé pour ses besoins.
        Cette vue de bons sens a été reprise avec éclat par Ferdinand de Saussure dans le Cours de Linguistique générale ; elle a été mise également par le philosophe Marty à la base de ses doctrines sur le langage[6], et elle conquiert peu à peu sa place dans une science qui doit être essentiellement une psychologie et une sociologie appliquées.
        Laissons pour le moment l'aspect sociologique du problème, sur lequel nous aurons à revenir, et considérons le problème psychologique du langage dans l'individu qui le parle et qui le comprend. Une analyse exacte de ce phénomène nous permettra de saisir avec netteté quand et comment intervient l'action de l'intelligence créatrice et ordonnatrice, et ausssi pourquoi cette action n'a pas les caractères ordinaires d'une activité consciente : en un mot en quoi l'invention de la langue ressemble à celle d'une machine et en quoi elle en diffère.
        Nous nous plaçons, comme nous venons de le dire, devant l'individu qui parle et qui comprend sa langue maternelle. Ce sont là deux opérations bien distinctes. Parler n'est pas un pur réflexe, puisque l'expression de la pensée n'est pas une simple routine; mais l'usage actif d'une langue consiste, par définition, à faire appel à des habitudes acquises, le réflexe joue donc ici un rôle prépondérant.
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Comprendre ce que l'on entend est une affaire plus difficile et qui comporte plus d'imprévu ; c'est avant tout une aperception, une reconnaissance des moyens mis en œuvre. Il y a là un travail qui opère par intuition, par interprétation et par choix. C'est dans ce travail que se découvrent et consacrent les procédés de la langue. La langue est la somme des procédés d'expression observés, interprétés et enregistrés par un cerveau.
        L'enfant qui s'assimile progressivement l'idiome qu'il parlera correctement plus tard accomplit un labeur intellectuel dont, en général, nous lui savons peu de gré. Quand ses interprétations sont heureuses, nous n'y prenons pas garde, et quand il se fourvoie, nous nous moquons de lui.
        Un gamin de quatre ans avait entendu chanter une chanson de Dalcroze :

II était une fois — un petit garçon,
Qui était bien sage à l'école — comme à la maison.
................................
Mais il avait, quoique sage — un défaut obstiné :
C'est de fourrer, quel dommage ! — ses doigts dans son nez.

        Un seul terme lui était obscur dans ce texte et il demanda ce que voulait dire « obstiné ». La mère lui répondit en lui donnant quelque exemple d'obstination enfantine, mais le garçonnet ne paraissait pas satisfait de l'explication fournie. La maman chercha donc un autre exemple plus convaincant : « Si tu mets tes doigts dans ta bouche. lui dit-elle enfin, et si tu les y laisses après que je t'ai dit de les retirer, tu es obstiné. » Et l'autre de répliquer gravement : «Non, ça, ce n'est pas obstiné... c'est, obstibouche » et il paraît très déconcerté de voir ses parents partir d'un grand éclat de rire.
        Ce terme bizarre n'est ni une niaiserie, ni une impertinence; il est le témoin d'une analyse opérée sur un terme nouveau et qui a abouti à une interprétation concernant sa structure et sa valeur. C'est ainsi que nous avons appris notre langue maternelle, et le jour où nous avons découvert le juste emploi de s'il te plaît et de s'il vous plaît, que nous confondions jusque-là, nous n'avons pas procédé autrement; seulement personne n'a pris la peine d'applaudir à notre découverte. Si l'on fait donc abstraction d'un certain apport scolaire, on peut
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dire que tout ce que nous savons dans ce domaine, est le produit d'une somme énorme d'expériences et d'interprétations. Nous nous sommes fait notre langue à force d'application intelligente, et, dans ce sens, elle est notre œuvre.
        Représentons-nous maintenant que la langue n'a pu naître à l'origine que par un travail d'interprétation et de choix tout analogue effectué par les membres de la collectivité sur les données fournies par le langage naturel et spontané des cris, des reflexes vocaux, des onomatopées, etc. Représentons-nous également que la langue ainsi née a depuis lors évolué, parce que ce travail en se continuant a procuré sans cesse un apport de créations et d'interprétations nouvelles, et nous conclurons que tout état de langue donné, à un moment quelconque du temps, sur un point de l'espace, résulte directement du travail intellectuel de tous ceux qui ont collaboré dans le passé à son devenir.
        Seulement, cette œuvre de l'intelligence ne s'est jamais faite d'une façon suivie et systématique. Toute intervention individuelle dans ce jeu-là ressemble à celle d'un mauvais joueur d'échecs, qui court au plus pressé et qui n'a ni le loisir, ni la possibilité de comparer tous les choix possibles et de peser toutes leurs conséquences. Son acte, si prompt d'ailleurs, d'intuition et, de décision, effleure à peine la conscience, parce qu'il ne se rattache ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. Et puis, et surtout, chaque sujet isolé n'est jamais qu'un collaborateur occasionnel à une grande œuvre collective faite d'une quantité d'interventions qui s'entrecroisent au hasard. Sans coordination, il ne saurait y avoir ni suite, ni méthode, ni aucune pensée consciente proprement dite. La création de la langue est donc intelligente dans chacun des actes individuels dont elle est la somme et la résultante, mais, dans son ensemble, elle paraît résulter moins de ces actes que du jeu des forces et des tendances qui sont derrière et qui opèrent à tâtons.
        De là le caractère ambigu du produit obtenu. Toute langue historique est un mélange d'incohérences et d'irrégularités que domine cependant une systématisation relative et pratiquement suffisante. Cela prouve que l'intelligence individuelle, agissant à travers l'inconscience d'une action collective, atteint quand même finalement son but, et cela suffit pour que nous affirmions qu'à sa manière la
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langue est, elle aussi, un instrument que l'homme a su forger à son service. Dès lors, les droits de la pensée sont sauvegardés ; l'intelligence créatrice n'est pas condamnée à subir l'emprise d'un outil qu'elle s'est fait. Si elle nous a semblé asservie quand son fonctionnement était lié à un organe créé par une sorte de déterminisme naturel, nous la voyons maintenant restaurée dans la plénitude de ses droits... du moins en principe.
        Ce principe est essentiel, sans lui nous ne pourrions aller plus loin, mais son application est entourée d'obstacles.
        Le premier, c'est que l'intelligence souveraine appartient à l'individu et la langue à la collectivité. Nous nous heurtons donc ici à l'aspect sociologique du phénomène et nous avons a en examiner les conséquences.
        La langue commune, que nous définissons comme l'ensemble des habitudes conventionnelles de langage qui régnent dans une collectivité, est un produit et une fonction de la vie du groupe. C'est elle qui assure entre les hommes — êtres pensants — le contact psychique indispensable à la vie sociale. Elle est une institution comme les mœurs, les croyances, l'organisation politique. Comme toutes ces choses, elle constitue un objet extérieur à l'individu, qui échappe à ses prises et qu'il lui faut, bon gré mal gré, accepter et subir, sous peine de briser le lien de la solidarité avec ses semblables. L'enfant apprend la langue de ses parents et, toute sa vie, il est astreint à parler comme tout le monde autour de lui, s'il veut comprendre et être compris. C'est tout le contraire de la liberté, et cette servitude dans l'expression de la pensée semble engager la pensée elle-même.
        En effet, chaque langue présente un vocabulaire, c'est-à-dire un jeu d'idées verbales, et des catégories grammaticales, c'est-à-dire un jeu de rapports logiques entre les idées. Ce double système ne correspond pas dans une langue à ce que l'on trouve dans une autre langue. Chaque collectivité a élaboré des idées et des formes de pensée qui lui sont propres et qu'elle impose à tous ses ressortissants. Un Français aura beau faire, il ne pensera pas comme un Allemand ou comme un Russe, par le simple fait qu'il parle une autre langue,
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il est condamné à penser comme un Français dans ce sens qu'il arrive aux idées à travers le cadre lexicologique et grammatical de la langue française. Il y a là une limitation indéniable de sa liberté.
        Cette limitation est grave, assez grave en elle-même pour qu'on n'en fausse pas la nature de manière à en exagérer la portée. C'est ce que fait — à notre avis du moins — M. L. Weisgerber, dans son livre intitulé Muttersprache und Geistesbildung.[7] Cet ouvrage, d'ailleurs si savant et si plein de pensée, nous montre l'emprise persistante des idées humboldtiennes sous la diversité des données et des doctrines due à la différence des temps. Malgré quelques réserves que l'auteur est bien obligé de faire pour atténuer la portée de ses déclarations, il reste entièrement dominé par l'idée d'une étroite solidarité entie le type mental d'une nation et sa langue, solidarité qui ne consiste pas seulement en ceci que le caractère mental de la nation fixe la langue, mais encore en cela que la langue réagit en retour sur le type mental de la nation tout entière et de chacune des individualités qui la composent. Elle exerce sur la collectivité et sur tous ses membres une puissance analogue à celle du destin.[8]
        Pour fonder cette conclusion, M. Weisgerber fait appel à deux principes. Le premier, que nous connaissons déjà, est la force contraignante de la langue en tant qu'institution sociale. Le second, qui doit servir à établir que la langue ainsi imposée est un cadre rigide de pensée, c'est le principe saussurien concernant le caractère général des systèmes de signes arbitraires.
        Selon Ferdinand de Saussure, un jeu de signes conventionnels, tels que le sont les éléments significatifs d'une langue, ses mots, ses procédés grammaticaux, n'ont de valeur que parce qu'ils se déterminent réciproquement en se délimitant les uns les autres. Il
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en résulte un équilibre rigoureux de toutes les parties du système, lequel constitue un découpage arbitraire, mais tout à fait précis, de la matière mentale dans un cadre donné. Ce principe n'est pas moins vrai que le précédent, encore qu'il faille y voir la formule d'une tendance à l'organisation plutôt que l'affirmation d'un état de fait absolument arrêté et immuable, ce qui serait incompatible avec le flottement et l'évolution des états de langue. Mais la question est de savoir si cette systématisation interne s'applique à la langue de chacun, comme nous le pensons, ou si, comme le croit M.Weisgerber, elle s'applique à la langue de tous, à quelque chose qui existerait au-dessus des «Sprachorganismen» particuliers et où ceux ci trouveraient une norme absolue pour toutes leurs parties. En d'autres termes, un mot français a-t-il, dans mon français, une valeur en raison des rapports qu'il entretient avec les autres mots que je connais et dont je me sers, ou en raison de ceux qu'il peut avoir avec les autres mots de la langue française en général?[9]
        Nous ne croyons pas que la conception sociologique de la langue nous oblige à admettre l'existence de cette langue en soi, dont le sujet, en dehors des individus parlants, est inimaginable. Dire que la langue ou toute autre institution sociale existe dans la communauté, c'est dire qu'elle existe dans chacun de ses membres pensant et agissant en fonction de tous. Un mot français dans ma bouche n'est vraiment un mot français que si je l'emploie de manière à me faire comprendre sous le contrôle incessant de l'usage observé autour de moi; mais ce n'est que chez moi — ou chez tout autre sujet parlant français — que pourront s'établir des rapports d'association entre ce mot et d'autres mots pour constituer sa valeur selon la définition saussurienne. Il ne faut pas d'ailleurs poser une relation de cause à effet allant de la langue de tous à la langue de chacun ou inversement. Ce qui existe dans la vie actuelle de la langue, comme cela a dû exister autrefois au moment hypothétique de sa genèse, c'est un
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enchaînement causal qui, partant de tous les individus en tant qu'individus, revient sur eux et les détermine tout également en tant que membres d'une société. Le dualisme entre l'individuel et le social est en nous-mêmes.
        Nous ne pouvons donc pas nous placer ailleurs que sur le terrain des systèmes individuels de langue, et nous constatons qu'il y a là, à côté de la conformité nécessaire entre ces systèmes au sein d'une même collectivité, une place que nous ne saurions estimer avec précision, mais une certaine place pour la diversité et l'originalité.
        Ces langues individuelles sont différentes d'abord parce qu'elles ne sont jamais constituées exactement sur les mêmes matériaux. Suivant le lieu de naissance, la classe sociale, la profession, les goûts et les divers facteurs de la destinée individuelle, les contacts linguistiques varient d'un sujet a l'autre, et le développement du système personnel de langue est déterminé par les expériences variées que chacun a l'occasion de faire.
        Ensuite, à supposer même que deux individus se soient développés dans des conditions sensiblement identiques, leur langue aura quand même quelques caractères distinctifs. D'abord par le fait que leurs qualités intellectuelles et morales diffèrent ; mais aussi parce que la masse de moyens linguistiques qu'ils ont à s'assimiler offrent une grande surabondance de ressources expressives qu'il faut trier et classer. Même dans le cas le plus favorable, tout langage comporte un jeu de synonymies assez riche, et il est immanquable que les sentiments ou les idées qui s'attachent à certains mots portent un caractère d'idiosyncrasie personnelle. On sait d'ailleurs aussi que d'autre part toute langue comporte des points d'incertitude où le sentiment, le parti pris personnel peut intervenir. II y a conflit entre la tradition du passé qui conserve des archaïsmes et les structures vivantes du présent (en français, par ex., tissu et tissé) ; conflit aussi entre ces structures, même vivantes, et d'autres possibles qui pourraient être celles de l'avenir (soit en français un message des plus cordiaux et un message des plus cordial).
        Cette diversité toujours possible est déjà une libération relative de l'individu à l'égard du joug commun. Mais cela est peu de chose, il faut bien l'avouer, et nous n'y trouvons pas une solution au grave problème devant lequel nous nous sommes placés.
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        Ce problème subsiste : une langue est, très particulièrement dans ses éléments les plus fortement organisés, mais aussi peu ou prou dans tous ses éléments, un cadre imposé pour la pensée et son expression. La forme la plus originale du langage lui emprunte toujours ses données, et, comme nous le disions plus haut, un Français ne peut pas penser comme un Russe.
        Pour rendre ce fait sensible, on a recours en général à la constatation que font immanquablement tous ceux qui se mêlent de traduire. Il est inutile de développer ici celte démonstration une fois de plus : jamais, affirme-t-on, ce qui a été dit dans une langue ne peut se rendre exactement dans une autre langue; les mots ne correspondent pas aux mots, les phrases dans leur mouvement ne recouvrent pas les phrases, et la traduction dont on doit se contenter est toujours approximative, procédant par l'équivalence des ensembles plutôt que par là correspondance des détails. Devant ce fait, comment prétendre encore que l'idiome n'est pas une prison, où la pensée ligotée doit abandonner le plus clair de sa liberté, sinon toute sa liberté.
        Ici nous ferons deux considérations.
        D'abord il faut jeter du lest, et nous le faisons en abandonnant tout ce qui dans la langue a un caractère affectif et imaginatif pour n'en retenir que les éléments proprement intellectuels. Cette distinction se justifie entièrement, car seule l'expression des idées correspond à la fonction spécifique de la langue. L'expression de la vie, quelle que soit son importance au point de vue pratique, n'y figure que sur un plan secondaire ; elle correspond à des éléments de langues qui sont imparfaitement dégagés de la parole ou qui ont emprunté le caractère symbolique du langage spontané.[10] Le langage des signes arbitraires est naturellement intellectuel.
        Or, l'idée et le sentiment sont deux choses profondément différentes. Les impressions sont des choses vivantes, singulières par nature et qui ne se répètent jamais d'une façon identique. Chaque
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fait de cet ordre est qualitativement original et dans le domaine de l'art il n'y a que les créations qui comptent. Il en est de même des faits de langue qui nous émeuvent ou qui mettent en branle notre fantaisie. Il n'y a aucune raison pour qu'ils se correspondent d'un idiome à l'autre. Un mot pittoresque du français a une résonance complexe et originale qu'aucun mot dans aucune autre langue ne rendra également. On peut, par exemple, rapprocher de notre expression rat de bibliothèque le terme allemand Bücherwurm; mais il est évident que, pour toutes sortes de raisons, les deux images ont chacune leur valeur propre, et, si l'on veut les traduire et essayer de créer des calques, on n'en obtiendra pas quand même l'équivalent stylistique : les conditions sont différentes. En français ver de livre n'existe pas au sens propre pour désigner certains insectes; d'autre part, le mot allemand qui correspond à rat est féminin, etc., etc.
        Quand, en usant du vocabulaire de sa langue et de toutes ses ressources expressives : rythme, sonorité, mouvement de la phrase, un poète écrit quelques beaux vers, on peut bien mettre au défi n'importe quel traducteur de rien faire d'identique en usant du vocabulaire et des ressources d'un autre idiome. Il pourra faire quelque chose de ressemblant, il pourra faire aussi bien, mieux peut-être, mais jamais la même chose. L'artiste créateur utilise les éléments que la langue met à sa disposition, mais en même temps il s'y accommode. Le fait qu'un poète emploie telle langue plutôt qu'une autre doit compter parmi les facteurs de sa sensibilité et c'est une question assez oiseuse de se demander ce que Victor Hugo aurait fait s'il avait été allemand ou Gœthe s'il avait écrit en français.
        Le domaine des idées est tout différent. Quelque diverses que soient les valeurs des termes qui les expriment quand on passe d'une langue à l'autre, il n'est pas interdit de penser à un rapprochement possible qui les amènerait à se correspondre et à se recouvrir. Pour cela il faut naturellement se placer strictement sur le terrain intellectuel et considérer des signes d'idées pures ou des signes de la valeur desquels on écarte par abstraction tout ce qui subsiste d'affectivité. En effet, nous ne sommes plus alors dans le domaine du particulier, mais dans celui du général. Sans résoudre le problème philosophique de la nature des idées aprioristiques qui sont à la
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base de toute logique et de toute pensée, il est évident que nous avons là des données sur la valeur desquelles tous les hommes qui ont bénéficié d'une certaine culture sont d'accord, quel que soit l'idiome qu'ils parlent. C'est dans le cadre de ces idées aprioristiques que l'esprit humain opère le classement des faits. Les classements peuvent varier sans doute, mais tous les classements ne sont pas équivalents à l'expérience et à la réflexion. Tout l'effort de la science ne vise pas à autre chose qu'à obtenir une entente sur le classement de nos notions empiriques, entente fondée sur la force persuasive de l'évidence.
        Qu'on ne nous fasse pas dire que cette entente est facile et que les classements idéologiques des diverses langues puissent être ramenés sans peiné à une norme unique. Rien n'est plus loin de notre pensée. Mais nous disons seulement que dans le domaine intellectuel, au rebours de ce qui se passait dans le domaine affectif, les irréductibilités qui séparent les faits s'effacent derrière leurs ressemblances, que la pensée logique vise au général et à l'abstrait, et que par conséquent les chances de succès en ce qui concerne l'adéquation des concepts d'une langue à l'autre sont infiniment plus grandes. A défaut d'un correspondant exact à un terme exprimant une idée bien définie, on pourra toujours avoir recours dans une autre langue à une définition, c'est-à-dire à l'indication de l'idée plus générale et de la caractéristique spécifique, à moins qu'on ne préfère forger un néologisme approprié, dérivé ou composé, en utilisant les virtualités contenues dans l'idiome employé. C'est d'ailleurs ce que font sans cesse les savants qui traduisent dans leur langage les termes, à leur goût trop ambigus, de la langue usuelle, et leur exemple nous montre justement comment on peut, dans la plupart des cas, tirer de la langue elle-même des ressources pour exprimer clairement ce qu'elle n'avait pas encore su dire, comment, en un mot, la langue sert et soutient la pensée au lieu de la dominer et de la limiter.
        Mais, dira-t-on sans doute, tout ceci ne s'applique qu'à un langage abstrait, scientifique, supposant une réflexion exacte sur les idées. Dans tous les domaines de la recherche scientifique, on s'efforce en effet d'unifier la terminologie et de la fixer sur le plan international. On peut admettre qu'avec le temps et le progrès des idées on y parviendra dans une large mesure, et qu'un jour tous les savants du
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globe en viendront à manier à peu près les mêmes concepts. Sera-ce une solution pratique de notre problème ? Aucunement, car les exigences et les méthodes du parler usuel ne sont pas celles de la spéculation pure. Celle-ci se meut par définition dans un système arrêté d'idées et cela peut s'exprimer par une terminologie ; mais la vie comporte plus d'imprévus et ne saurait s'enfermer dans une nomenclature rigide. Il lui faut l'instrument plus souple de la langue de tous les jours, de cette langue dont les termes, doués de valeurs respectives plutôt que de significations, s'accommodent aux besoins du moment.
        C'est ici qu'intervient notre seconde considération. Une certaine adéquation des idées verbales est utile sans doute, mais, pour assurer l'intercompréhension dans le libre jeu des idées, elle est moins importante qu'une adéquation suffisante des contextes. Nous allons nous expliquer.
        La fonction du langage dans les sociétés humaines recouvre la fonction de l'intelligence en général. Elle consiste à assurer une adaptation commune de tous les membres de la collectivité à la réalité extérieure et à la vie sociale, c'est-à-dire aussi une adaptation réciproque des uns aux autres sur le terrain pratique. Se comprendre, c'est obtenir les uns des autres des réactions utiles; « Apportez-moi mon déjeuner » est une phrase parfaitement claire et parfaitement comprise quand elle est suivie de l'effet désiré par celui qui l'a prononcée. Or l'instrument de cette compréhension, ce n'est pas la langue, c'est la parole, l'acte vivant du langage dont la langue n'est qu'un facteur. Evidemment toute pensée repose sur la mise en œuvre de concepts, et la fonction de la langue consiste en particulier à permettre à l'esprit de se former des concepts relativement stables et communs. Mais cela est relatif et nous n'avons aucun procédé quelconque pour nous assurer que, lorsque deux personnes conversent, les concepts qu'elles attachent aux mots employés sont exactement les mêmes dans leurs deux cerveaux. Cela n'a d'ailleurs aucune importance parce que le seul critère est d'ordre pratique. Il s'agit uniquement de savoir si leurs pensées s'entrepénètrent ou pas. On connaît des conversations qui roulent sur de perpétuels malentendus et qui n'aboutissent à rien, ni pratiquement, ni intellectuellement. II en est d'autres, heureusement, qui sont d'une qualité tout
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opposée. Pour obtenir ce résultat, les parleurs mettent en usage des mots et d'autres procédés grammaticaux qui, dans leur contexte et dans la situation donnée, sont suggestifs d'idées ; et, grâce à ces mots qui prennent des significations précises les uns en fonction des autres et en fonction de l'ambiance, ils opèrent entre eux une adaptation approximative mais pratiquement suffisante.
        Dans la parole courante, comme dans les formes d'un langage plus primitif, par exemple de celui de l'enfant, le signe conventionnel n'est jamais qu'un appoint du langage naturel et les mots ne disent par eux-mêmes qu'une partie de ce que la phrase est destinée à transmettre. Ce sont comme des jalons sur une route : une même route peut être jalonnée de diverses façons. Au lieu de «apportez-moi mon déjeuner», j'aurais pu dire d'une façon elliptique : « mon déjeuner » tout simplement. D'ailleurs même des propositions grammaticalement complètes impliquent une quantité de choses sous-entendues qu'il n'y a pas besoin de dire. Le seul mot déjeuner comprend des idées et des notions annexes qui varient d'un cas à l'autre. L'expression qui opère des ellipses grammaticales ou non grammaticales tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, suivant l'inspiration ou les besoins du moment, peut donc représenter la même idée de bien des façons différentes. Comparez les trois formules : la suite au prochain numéro, à suivre, Fortsetzung folgt. C'est un exemple un peu spécial sans doute, mais qui permet d'illustrer cependant un fait d'une portée générale. Ces énoncés, tels qu'ils sont, avec leur diversité, sont tous suffisamment clairs par eux-mêmes en fonction de la situation où ils sont employés. Voyez encore, dans le même ordre d'idées : Copyright, Nachdruck verboten et tous droits réservés. Ce sont sans doute des expressions consacrées par l'usage, mais même sans cela elles sont toutes trois parfaitement limpides, et, pour ne pas deviner ce qu'elles veulent dire, il faudrait tout ignorer de la législation sur les droits d'auteurs. Or c'est là une présupposition qu'on n'a pas à faire en pensant à ceux auxquels ces avis sont destinés.
        D'ailleurs, si le nombre et la nature des jalons peuvent varier, leur suite et leur ensemble importent davantage que leur place exacte; même dans les cas où deux expressions de la même idée sont composées de termes parallèles, il n'est pas nécessaire que ceux-ci
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aient des valeurs parfaitement identiques pour que la pensée exprimée soit pratiquement la même. L'allemand Not n'est pas identique au français nécessité, pas plus que Gebot ne répond absolument à loi, mais Not kennt kein Gebot et nécessité ne connaît pas de loi énoncent de deux façons légèrement différentes une seule et même idée. Deux voyageurs qui partent du même lieu aboutiront au même but sans poser nécessairement leurs pieds dans les mêmes vestiges.
        En vérité la langue n'est jamais un obstacle absolu pour ceux qui veulent penser et se faire comprendre, à condition qu'ils aient avec leurs interlocuteurs, non seulement un certain contact linguistique, ce qui est nécessaire sans doute, mais aussi et surtout un véritable contact préétabli de pensée et une conscience commune de la situation. La grande erreur est selon nous d'attacher beaucoup trop d'importance au texte, nous voulons dire aux entités significatives de la langue mises bout à bout, et beaucoup trop peu au contexte, nous entendons ici par ce mot tout le reste.
        Ce qui sépare les hommes parlant des langues différentes, ou même parlant la même langue, ce n'est pas leur langage ; ce sont les différences de développement intellectuel, d'habitudes, de culture, d'expériences, d'éducation. Voilà la barrière infranchissable souvent qui empêche une réelle intercommunication, parce que l'intuition, travaillant avec des données entièrement diverses, ne saurait aboutir à des résultats concordants. Ce n'est pas l'adoption par les divers parleurs d'une langue commune, même admirablement organisée pour le service d'une pensée logique et claire, qui les rapprochera. Donnez-leur le temps plutôt de se connaître, rapprochez-les par la sympathie, que le plus cultivé essaie de bien comprendre le milieu, les idées, les coutumes du moins cultivé, et vous verrez immédiatement les points de contact s'établir et un idiome quelconque, bien parlé ou mal parlé, peu importe, servira à ce rapprochement pratique, qui est un enrichissement des deux parts et qui contribue à multiplier les idées communes.
        C'est l'expérience bien connue du missionnaire. Ce n'est pas en enseignant aux sauvages ou aux demi-civilisés une langue de civilisation, comme l'anglais ou le français, qu'on fait pénétrer la civilisation en lui. Il y faut autre chose que cette matière toute formelle,
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et le résultat acquis par cette seule voie ne peut être que décevant. Mais que le civilisé au contraire apprenne tant bien que mal le parler de celui qu'il veut atteindre, qu'il se mette à sa portée, qu'il entre dans ses idées, et il obtiendra des résultats relatifs sans doute, mais pourtant effectifs dans le travail d'éducation qu'il s'efforce de faire.
        Ceci n'est qu'une amplification des principes posés plus haut : le contexte dans la parole pratique remporte de beaucoup en importance sur le texte. Les moyens de langue mis en œuvre valent ce que vaut l'intelligence qui sait s'en servir conformément aux circonstances et en fonction de l'interlocuteur. Si nous osions pousser à l'extrême notre pensée, nous dirions — et des exemples fameux pourraient être avancés à l'appui — que, tout au contraire de ce que l'on nous dit et répète sur l'asservissement de l'esprit à la langue, il n'y a rien de plus souple et de plus maniable, rien dont une intel-ligence puissante dispose plus librement à son service, que justement la langue elle-même.[11]
        Voilà un premier point; mais nous sommes loin d'avoir résolu toutes les difficultés. Nous avons écarté un premier obstacle qui s'offrait à nous : celui qui résidait dans le caractère social et systématique de la langue. Mais il y en a un autre, le vrai obstacle, celui-là, et qui procède de la faiblesse et des insuffisances de cet esprit humain qui doit mettre la langue en œuvre et qui la subit au lieu de la dominer.
        Il est évident que l'emploi de la langue nous dispense dans une
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certaine mesure de penser. Dans le langage spontané des symboles, le symbole se dégage de ce que l'on sent ou de ce que l'on imagine : il y a donc toujours une relation directe de l'expression de la pensée avec la réalité. Mais dans le langage des signes conventionnels, ceux-ci s'associent les uns aux autres, et l'on peut parler en pensant des mots sans que la pensée des choses soit véritablement en mouvement ; c'est la loi de tous les réflexes : l'acte automatique se substitue à l'acte conscient.
        Mais ce n'est pas tout. La langue est non seulement un oreiller de paresse intellectuelle, elle est encore une source d'erreurs positives, un piège où notre pensée se laisse prendre toutes les fois que nous nous laissons trop impressionner par l'autorité de son prestige. En effet, la langue, comme toute institution sociale, se pare à nos yeux d'un caractère de dignité qui inspire plus que la simple obéissance. La contrainte qu'elle exerce sur nous se mue, en vertu d'une sorte de mystique dont nous n'avons pas à expliquer ici les raisons, en une vénération plus ou moins superstitieuse qu'elle nous inspire, et nous sommes prêts à abdiquer en sa faveur des droits dont nous ne devrions pas nous départir.
        L'étude des erreurs qui proviennent de cette source serait un long chapitre que nous n'entreprendrons pas d'écrire. A la base de toutes les fautes de cet ordre, il y a celle qui consiste à demander aux mots — où à toute autre entité significative de langue — plus qu'ils ne peuvent fournir. On les considère comme les équivalents de concepts définis et l'on traite la langue comme si elle était la vraie pourvoyeuse d'idées, alors que les idées doivent naître de l'expérience. Trop souvent, la science a pu croire que sa tâche consistait à définir des mots et ses efforts ont été par là frappés de stérilité.
        Quant à la pensée usuelle, qui ne s'occupe guère des concepts pour eux-mêmes, elle pèche le plus souvent en enchaînant des mots dans des structures verbales comme s'ils étaient définis une fois pour toutes, c'est-à-dire comme si l'identité des termes ou leur différence impliquait réellement une identité ou une différence logique. Sous sa forme la plus grossière, cette fausse argumentation équivaut à un simple tour de passe-passe, selon l'exemple donné par Pareto[12] : « On
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vit bien quand on vit selon la nature, or la nature n'admet pas la propriété, donc on vit bien quand il n'y a pas de propriété. » Il est évident que le mot nature est pris ici successivement dans deux sens différents et que ce syllogisme n'a que la forme extérieure d'un raisonnement véritable. Cela n'est pas plus démonstratif qu'un jeu de mots.
        Nous commettons une erreur identique quand nous tranchons une question par quelque épithète décisive. Si je dis, en parlant des gratte-ciel ou de la prohibition : «Cela ne vaut rien, c'est une invention américaine», je fais un syllogisme dont la majeure sous-entendue serait : «Tout ce qui est américain ne vaut rien», et j'oublie que le terme américain, comme beaucoup d'autres termes analogues : bourgeois, socialiste, oriental, romantique, etc., ne comporte pas une définition simple. Sous ces mots la langue réunit un agrégat empirique de choses diverses et souvent même contradictoires. Une èpithèle est rarement un argument.
        Cette erreur logique est en général associée à une autre qui consiste à confondre la valeur intellectuelle du terme en jeu avec sa valeur affective. Les impressions ne sont pas des choses sur lesquelles on puisse raisonner. On parle clairement quand on dit en parlant d'un bijou : « Ce n'est pas de l'or, c'est du laiton » ; mais on ne dit rien de décisif en déclarant, à propos d'un acte accompli par quelqu'un ; « Ce n'est pas du courage, c'est de la témérité ». Cette phrase ne comporte qu'un jugement subjectif d'appréciation, dépourvu de toute évidence logique. Les figures et les personnifications donnent lieu à des illusions du même genre. « Comparaison n'est pas raison », dit le proverbe ; mais les esprits imaginatifs l'oublient facilement, et la langue complaisante se prête à des développements séduisants, qui peuvent parfois convaincre, mais qui n'ont qu'une apparence extérieure de vérité. Les linguistes le savent, qui ont eu a lutter contre les mythes créés par des expressions imagées telles que langues mères, langues filles, organisme linguistique, vie et mort des langues, etc.[13]
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Dans la pratique il est impossible de faire un départ exact entre la simple paresse d'esprit, qui se contente d'un langage tout fait, et la pensée plus ou moins faussée par les illusions du langage. L'un conduit à l'autre, ces deux formes du parasitisme à l'égard de la langue ayant une même source : l'insuffisance du contrôle intellectuel. On ne saurait non plus séparer nettement le parleur qui se trompe de bonne foi de celui qui utilise sans scrupule les ressources d'une dialectique fallacieuse fondée sur des mots. Dans ce domaine, la mauvaise foi entièrement consciente est rare, et l'homme a une merveilleuse facilité pour trouver à son besoin des arguments, bons ou mauvais, mais qu'il trouve excellents parce qu'utiles. Il en résulte que notre parler usuel, qui cède sans cesse à la loi du moindre effort et aux sollicitations de l'imagination et du sentiment, est constamment exposé à se laisser influencer par la langue. La « verbomanie »[14] et le sophisme verbal sont les deux formes extrêmes de ces erreurs. Mais, nous le répétons, elles sont toutes deux — en théorie — parfaitement évitables.
        Est-ce là notre conclusion et terminons-nous sur une condamnation des hommes qui, disposant d'un instrument utile pour la pensée, ne savent pas s'en servir? Non certes, ce serait faire preuve de peu de modestie et de peu de jugement.
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C'est intentionnellement que nous avons séparé par l'abstraction, d'une part les puissances virtuelles de l'intelligence telles qu'elles se manifestent quand celle-ci crée la langue pour son service, et d'autre part les insuffisances pratiques de cette même intelligence qui, dans le langage de tous les jours, s'embarrasse et se perd dans les mailles du filet où elle cherche à retenir sa pensée. Mais il nous reste à faire la synthèse des deux aspects antinomiques d'un même problème et à apprécier dans sa totalité la fonction du langage organisé dans les sociétés humaines.
        A aucun moment il ne faut oublier qu'il s'agit là d'un phénomène social, c'est-à-dire d'un phénomène qui a pour théâtre la seule conscience individuelle (voir p. 65-6), mais qui met aux prises, dans cette seule conscience, deux forces hétérogènes : les tendances du moi et les exigences de la vie sociale à laquelle chacun est soumis et se soumet de plein gré par le profond instinct de l'espèce.
        Il en résulte une série d'actions et de réactions, une sorte de guerre intestine, dont l'aboutissement doit être un ajustement des intérêts en apparence divergents, mais qui ne peut y parvenir qu'à travers des péripéties de victoire et de défaite des deux côtés.
        Les individus, nous l'avons dit, créent la langue ; ils le font pour leur commodité immédiate sans doute, mais cette commodité n'est pas étrangère à celle de l'ensemble, et, par un déterminisme immanent, cette action de chacun aboutit à un résultat sans lequel le progrès culturel de la communauté serait impossible. La langue, une fois née, a des lois auxquelles nul ne saurait se soustraire sous peine d'isolement. Nous ne parlons pas seulement de l'observation des conventions arbitraires existant dans chaque langue; nous avons devant les yeux des faits plus généraux et plus essentiels. Les deux erreurs que nous venons de stigmatiser reposent l'une et l'autre sur des nécessités inhérentes au fonctionnement du langage organisé et sans lesquelles il ne se produirait rien d'utile dans ce domaine.
        Penser par mots est une chose légitime. En effet, en renonçant à aller à chaque occasion jusqu'aux causes premières de la pensée, l'acte du langage devient un réflexe et c'est le perfectionnement du mécanisme de ce réflexe qui nous assure une parole alerte et rapide au service d'une pensée complexe et bien élaborée, II faut bien payer
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le prix d'un pareil avantage. Que seraient nos sociétés sans cela? Et puis, dans une société, n'est-il pas naturel et nécessaire de posséder des idées toutes faites, monnayées pour l'usage collectif et qui sont le matériel d'échange banal de la vie commune? On peut dire qu'une partie de notre langage ressemble — révérence parler — aux cris des animaux. Il est des phrases, des exclamations et des formules de politesse en particulier, dont la valeur est essentiellement sociale, répondant simplement aux situations stéréotypées de la vie commune. Le phénomène est sans doute plus compliqué et plus nuancé que dans les sociétés animales, mais les droits et la légitimité d'une pensée collectivisée dans un groupe social ne sauraient être mis en doute.
        Ce n'est pas tout. Un préjugé favorable relativement à la valeur des mots et des autres éléments de la langue n'est pas moins indispensable. C'est en s'efforçant de scruter la valeur idéelle des termes de sa langue maternelle, en recherchant leurs significations exactes, en s'attachant à eux comme à des objets de pensée, puisqu'ils sont les seuls points de repère dans le classement des idées, que chaque homme apprend à penser pour lui-même et à penser en harmonie avec ceux qui l'entourent. La pédagogie d'ailleurs utilise ce procédé, Dans bien des cas nous enseignons aux enfants le mot avant la chose, et c'est en les invitant à s'efforcer de deviner et de comprendre que nous les initions à certains concepts que la langue contient en puissance. Cette méthode, pourvu qu'on n'en abuse pas (ce qui provoquerait un verbalisme superficiel), est légitime; elle est même inévitable et ceux qui la réprouveraient pourraient sans doute se surprendre à en user malgré eux, tellement elle est naturelle. Nous en usons pour nous-mêmes quand quelque terme nouveau que nous soupçonnons receler quelque chose d'intéressant nous frappe. Ce terme provoque chez nous une curiosité intellectuelle et nous n'avons de repos que nous ne l'ayons assimilé à notre parler. Nous allons donc du mot à l'idée, et une bonne partie de l'éducation intellectuelle procède ainsi. L'esprit s'attache à la langue pour s'en assimiler le contenu, et, si le verbalisme automatique est nécessaire pour nous procurer une parole et une pensée aisées, la foi instinctive dans les idées verbales est utile pour nous assurer un contact personnel et intime avec la tradition de langue à laquelle nous appartenons.
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        Que cette attitude réceptive et cet automatisme comportent un certain danger pour l'originalité et la rectitude de notre pensée personnelle, cela est bien évident; mais il faut reconnaître aussi que, du même coup, — et c'est plus essentiel — ce sont ces choses-là, cette réceptivité et cet automatisme, qui permettent à la pensée personnelle de prendre conscience d'elle-même, de s'assurer un contact solide et effectif avec le monde des idées et de se manifester. Grâce à la Iangue que nous recevons de la société, nous ne sommes plus condamnés à improviser des rudiments d'idées chaque fois que nous essayons de penser le monde que les perceptions sensorielles ou autres nous révèlent. Nous sommes en possession d'idées verbales et d'un jeu de relations entre ces idées, et tout effort intelligent que nous ferons pour comparer ce système aux choses elles-mêmes aboutira soit à un acquiescement, à l'impression d'une correspondance, soit à une critique, à l'impression d'un désaccord ou d'une insuffisance. Nous ne sommes pas tenus de faire ce travail, mais nous pouvons le faire; et par toute pensée originale et attentive, qui est une affirmation de notre individualité, nous continuons, nous prolongeons, nous refaisons le travail de création qui jadis a constitué la base de l'organisation du langage.
        On a reconnu que l'origine de toute évolution de la langue est dans la parole, c'est-à-dire dans les interventions des parleurs manifestant quelque indépendance de pensée ou d'expression. Cela est vrai, pourvu que l'on n'oublie pas le rôle des sujets entendants qui consacrent les innovations par leurs interprétations et qui souvent même mettent quelque chose de leur propre fond dans les paroles entendues. Cette évolution obéit sans doute à d'autres facteurs que les facteurs intellectuels seuls. Elle ne vise pas au seul progrès logique du système linguistique, elle le modifie pour l'adapter aux changements du tempérament, des goûts, des tendances; mais elle peut aussi servir au progrès de la langue comme instrument de pensée; elle implique une constante collaboration des intelligences à l'œuvre commune et pour le moins un contrôle de chaque instant et de chacun sur l'instrument qui sert à la solidarité intellectuelle et à la vie du groupe.
        Qu'on ne dise donc pas que, si la langue permet toujours aux plus capables de prendre conscience de leur supériorité, elle les fait par
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là échapper aux contraintes sociales et se désolidariser de la vie commune. Non, l'isolement réel n'existe pour personne en dehors des cas de psychoses. Le génie lui-même ne s'exprime que pour essayer de se faire comprendre, fût-ce au moins d'une élite et dans une certaine mesure. Comme les autres, il est soumis à la loi de l'intercompréhension. Il violente la langue, mais la langue ne lui permet pas de tout faire et le force à se soumettre à ses lois autant qu'il le faut pour assurer la transmission de la pensée. C'est un principe en mécanique qu'il n'y a de transmission de force que là où l'organe intermédiaire résiste et cède à la fois ; il n'en est pas autrement ici, et c'est par un processus analogue que le fruit de la pensée individuelle se transmet à la communauté et s'incorpore à son patrimoine pour autant que celle-ci est capable de se l'assimiler. Et ce que nous disons du génie est vrai mutatis mutandis de toute pensée originale, si modeste soit-elle, qui s'exprime et qui se propose comme une contribution personnelle à l'effort de la collectivité tout entière. L'individu rend donc à la société avec intérêts ce qu'il a reçu d'elle, et celle-ci assure à son tour, et d'autant mieux, le progrès de l'individu. Telle serait du moins la forme schématique d'un fonctionnement idéal de ces deux forces conjuguées.
        Nous ne parlons ici que de l'effort linguistique, qui vise à créer et à entretenir un instrument d'expression et de pensée. Mais il est bien facile de remarquer qu'il en est exactement de même, quoique sous une forme parfois plus dramatique, dans d'autres domaines de la vie sociale, par exemple en ce qui concerne les idées morales, les croyances religieuses (ou antireligieuses), les formes d'art, etc. C'est la masse qui fournit — non pas elle seule en tant que masse, mais par la force des individus qui la composent agissant collectivement — les formules des mœurs, des croyances et des styles. Ces formules paraissent souvent écraser et déformer les individus, mais c'est grâce à elles que des consciences d'hommes se trouvent placées devant des problèmes précis, éprouvent le sentiment d'un conflit et s'affirment en proposant des formules nouvelles. Ces formules nouvelles se rattachent toujours aux anciennes, qu'elles les modifient
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seulement ou qu'elles en prennent le contrepied : c'est la condition pour que quelque chose d'elles puisse, avec ou sans heurt, passer dans la tradition commune. Dans ce processus collectif qui conduit nos sociétés et par elles notre espèce tout entière vers on ne sait quelle destinée, l'individu, bien que rigoureusement soumis à la loi de la solidarité, ne perd rien de ses prérogatives, puisque c'est en dernière analyse de sa conscience que procède toute initiative; cependant il n'est pas non plus élevé au-dessus du rang où il doit rester, car il ne saurait agir sans la collectivité et sa valeur se mesure à son utilité sociale.
        II est sans doute presque impossible de développer un pareil sujet sans se laisser influencer inconsciemment par des idées personnelles qui ne sont plus du ressort de la science objective. On nous accusera peut-être d'avoir représenté cet équilibre d'une façon qui, malgré tout, favorise le facteur individuel aux dépens du facteur collectif et de nous être laissé entraîner par quelque spiritualisme optimiste que personne n'est obligé de partager. C'est possible. En tout cas nous croyons avoir posé la question sur son véritable terrain. Le problème de la pensée et de la langue n'est à tout prendre qu'un des aspects de celui des rapports de l'individu et de la société, et, puisque ces rapports ne paraissent soulever de difficulté sérieuse que dans le monde humain — où se pose pour nous le problème de la liberté — , cela revient à dire que nous sommes placés tout simplement devant le problème de l'homme.
        La psychologie, la logique et d'autres branches du savoir sont intéressées, comme nous le disions, avec la linguistique à la solution de notre problème. Mais ces disciplines ne le résoudront — autant qu'il peut l'être — qu'en fonction d'une science plus générale ayant pour objet l'être humain avec sa constitution tout entière et toutes les formes de son activité.

(Genève, avril 1932.)

 



[1] Journal de Psychologie, 15 mai-15 juin 1930, p. 337 sv.

[2] Voir à ce sujet O. Funke, Studien zur Geschichte der Sprachpfilosophie, Berne, 1928.

[3] «Man kann nicht fragen, warum es nicht mehr oder andere Formen gibt? es sind nun einmal nicht andere vorhanden, würde die naturgemässe Antwort sein. Man kann aber nach dieser Ansicht, was in der geistigen und körpelichen Natur lebt [c'est nous qui soulignons], als die Wirkung einer zum Grunde liegenden, sich nach unbekannten Bedingungen entwickelnden Kraft ansehen.» W. v. Humboldt, Ueber die Verschiedenheit des menschlischen Sprachbaues, vol. II, § 3.

[4] On a prétendu d'une façon analogue, il est intéressant de le remarquer, que le caractère phonologique d'une langue était déterminé par la conformation des organes phonateurs. Or, on a constaté que les appareils phonateurs les plus divers s'accommodent à toutes les exigences d'une langue quelconque. Voir à ce sujet les citations de MM. boas, sommerfelt, bremer et stern dans Ed. hermann, Lautgesetz und Analogie. Abhandl. der Gesellsch. der Wiss. zu Göttingen, Berlin, 1931, p. 8.

[5] whitney, La vie du langage, ouvrage publié en français en 1875.

[6] On trouvera l'exposé de la théorie de MARTY dans ce qu'elle a d'essentiel sur ce point et la bibliographie dans l'ouvrage cité plus haut de O. funke.

[7] Gœttingue, 1929.

[8] «Der Mensch, der in einer Sprache hineinwächst, steht für die Dauer seines Lebens unter dem Bann seiner Muttersprache, sie ist wirklich die Sprache die für ihn denkt... In diesem Sinne ist die Muttersprache Schicksal für den Einzelnen, wie die Sprache des Volkes ist Schicksalsmacht für die Gemeinschaft» O. c., p. 164.

[9] Wenn wir so nachweisen können, dass und wieso auch die Begriffe und Wortsystem einer Sprache festgelegt und umgrenzt sind, so ist damit die letzte Schwierigkeit beseitigt, die uns vielleicht hätte abhalten können, die Wortinhalte als gemeinsamen Besitz einer Sprachgemeinschaft als Wirklichkeiten im Wortschatz einer Sprache, also eines sozialen Objektivgebildes anzusehen. Damit haben wir den eigentlichen Ort ihres Daseins aufgewiesen : denn im Sprachorganismus des einzelnen sind sie nur als Verwirklichungen dieses unpersönlichen Besitzes vorhanden (o. c., p. 61).

[10] Voir Ch. bally, Le langage et la vie, 1926, III, Le mécanisme de l'expressivité linguistique, spécialement pp. 155 à 156.

[11] En nous plaçant à ce point de vue, nous devons faire quelques réserves sur l'effort entrepris par l'International Auxiliary Language Association, sous l'impulsion et l'inspiration de M. sapir, pour rechercher quels devraient être les principes constitutifs d'une langue internationale aussi logique que possible et répondant à toutes les exigences d'une pensée bien conduite (voir Edward sapir. The Function of an international auxiliary Language, Psyche, 44, April 1931, réimprimé dans Shenton, Sapir and Jespersen, International Communication, London, 1931). Cette recherche est certainement intéressante et utile; mais elle irait à l'encontre du but proposé — faciliter l'entente internationale sur un idiome auxiliaire, — si ce système de langue devait être par sa complication et sa subtibilité logique d'un maniement trop délicat. Il vaut beaucoup mieux, au point de vue pratique, préconiser un système de langue moins parfait théoriquement, mais d'un usage plus aisé. On peut faire confiance à ceux qui l'utiliseront et qui lui imprimeront d'emblée la marque de leur intellectualité propre. Et puis, jamais un système grammatical n'empêchera les esprits confus de rester dans leur confusion.

[12] Voir bousquet, Traité de Sociologie, 1923, p. 57.

[13] Il est curieux de noter comment les catégories grammaticales essentielles ont pu exercer une influence sur la pensée philosophique elle-même. On sait que la catégorie du substantif nous sert à saisir les choses par l'imagination en leur prêtant un caractère substantiel, qui n'est qu'une projection du moi sur le dehors (voir notre ouvrage La structure logique de la phrase, Paris, 1926, p. 46). Le vrai problème philosophique est sans doute de savoir ce que peut être le moi, dont nous avons du moins une perception directe; mais conclure de la substance des choses à la substance du moi, c'est une démarche à rebours du bon sens et entièrement due à une déformation eu la pensée par la langue. C'est ce que nous trouvons dans la philosophie scolastique ; ainsi Ed. jansen, Cours de psychologie, Liège, 1921, p. 8.

Deux erreurs de pensée familières aux grammairiens ont une cause identique. La première consiste à croire qu'il y a des mots à signification concrète, alors que la logique nous enseigne que toute idée est une abstraction par là même qu'elle est une idée. L'institution grammaticale nous habitue à manier les idées substantives comme des choses (ou des personnes) et c'est cela qui nous amène à ne considérer comme abstraits que les substantifs dont la signification résiste décidément à cette assimilation. La seconde de ces erreurs est celle qui nous fait voir dans toute idée verbale une action. Il y a la une conception qui est infuse dans la structure grammaticale de nos langues où elle se manifeste de diverses façons (par exemple en français le verbe faire supplée à importe quel verbe), et nous cédons sans critique à cette invite de la langue.

[14] On a appelé de ce nom la capacité que nous avons de parler et de penser en nous tenant dans le domaine formel des mots et de leurs relations usuelles. Il arrive que certaines personnes donnent par ce moyen-là le change en discourant de choses qu'au fond elles ne connaissent aucunement. Voir Le langage et la verbomanie par Ossip-Lourié, 1912.