Spirkine-56

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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

-- SPIRKINE A.* : «La formation de la pensée abstraite aux premiers stades du développement humain», Recherches soviétiques, Cahier 1 : Philosophie, 1956, p. 59-81. [traduction de А. Г. СПИРКИН : «Формирование абстрактного мышления на ранних ступенях развития человека», Вопросы философии, 1954-5, стр. 62-76]


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        La pensée de l'homme contemporain, qui a atteint une perfection remarquable dans sa façon de refléter la réalité, représente le produit extrêmement complexe du développement séculaire de l'activité cognitive d’innombrables générations. Grâce à des efforts patients et opiniâtres dans la lutte contre la nature, chaque génération a inlassablement apporté dans la mesure de ses forces sa contribution à l’édifice grandiose de la culture, de la pensée humaine.
        Pour comprendre à fond et sous tous ses aspects la nature de la pensée humaine, pour en montrer la fonction de connaissance, pour étudier ce qu’elle est à tel moment, il faut l'expliquer par son devenir à travers le chemin long et difficile de son développement historique. Sans un approfondissement véritablement scientifique de l'histoire du développement de la pensée, il ne peut pas y avoir une véritable théorie de la pensée, ni, comme l’enseignait Lénine, de théorie de la connaissance du matérialisme dialectique.
        L’étude du processus historique de la formation de la pensée abstraite est une tâche qui exige des études spéciales approfondies. La difficulté réside avant tout dans l’extrême complexité et le faible défrichement de ce problème. De la pensée de l’homme primitif, qui a marqué le point de départ de la pensée scientifique actuelle, il n’existe pas de traces sous forme de monuments écrits. Aussi, pour étudier la pensée de l’homme dans la période antérieure à l’écriture, il faut prendre des voies détournées et utiliser les documents fournis par
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l'histoire de la culture matérielle, spécialement les instruments de travail, dans lesquels se trouvent fixées les opérations mentales des hommes qui les ont fabriqués. A côté de ces sources, la documentation anthropologique sur le développement de la structure du crâne de l'homme primitif revêt une grande importance.
        Les recherches ethnographiques sur la langue et la pensée des peuples attardés du point de vue économique et culturel, les documents concernant l'histoire de la langue écrite, qui conserve comme des survivances des formes de pensée du stade préscriptural, ainsi que l'épopée populaire antique, les proverbes, les dictons, etc. ont une importance essentielle pour faire la clarté sur plusieurs lois générales du développement de la pensée primitive.
        Sur l’histoire de la pensée primitive, il existe une immense littérature extrêmement bigarrée du point de vue des principes méthodologiques (Tylor, Frazcr, Boas, Lévy-Bruhl, Malinovski, Thurnwald, etc.). On y trouve réunis, systématisés et plus ou moins généralisés, un grand nombre de documents, ethnographiques principalement. Ces documents ne concernent pas directement la pensée primitive, mais celle des peuples à culture peu développée. On peut cependant, dans une certaine mesure, l'utiliser dans l'étude des degrés inférieurs du développement de la pensée, car chez les peuples attardés comme les Tasmaniens, les Arunta, par exemple, des traits de la vie primitive se sont conservés beaucoup plus que chez les peuples développés du point de vue économique et culturel.
        Ce sont les travaux de E. Tylor, « La civilisation primitive », et de James Frazer, « Le Rameau d'Or », qui ont le plus de valeur du point de vue de? faits cités et, partiellement, de la généralisation tirée de ces faits.
        Chez ces auteurs, surtout chez Tylor. à côté d'une riche documentation ethnographique, on trouve, finement utilisées pour caractériser la pensée primitive, les survivances qui se sont conservées dans les coutumes populaires, les proverbes, les dictons, les mots et expressions, la structure de la langue, etc. des peuples contemporains.
        Tylor estimait à juste titre qu'il existe un lien de continuité entre la pensée de l'homme primitif et celle de l'homme contemporain, que les lois du développement de la pensée sont les mêmes pour toute l’humanité. Tylor écrivait :

« Supposer que les lois du développement intellectuel ont été différentes en Australie et en Angleterre, nu temps des hommes des cavernes et au temps des constructeurs de maisons de fer, n'est nullement plus fondé que de supposer que les lois chimiques n’étaient pas les mêmes du temps de la formation de la houille que de notre temps. »[1]

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        Tylor estimait que l’expérience de la vie joue un rôle de premier ordre dans le développement intellectuel. Plus elle est riche et vaste, plus profonde est la connaissance de l’homme.
        La théorie évolutionniste de Tylor sur la pensée primitive avait un caractère progressiste et marquait un immense pas en avant dans l’approfondissement de ce problème. Elle se distingue avantageusement des nombreuses théories antiscientifiques et racistes de la pensée primitive. Parmi ces dernières, celle de Lévy-Bruhl sur la pensée dite prélogique occupe une place particulière. L’abondance séduisante des faits qui illustrent cette théorie lui donne l'apparence trompeuse de l’authenticité scientifique. En fait, la conception de Lévy-Bruhl est foncièrement erronée, idéaliste: la documentation sur laquelle elle repose a été réunie de façon tendancieuse.
        Tout en admettant partiellement l’existence d’aspects de pensée logique. Lévy-Bruhl présente la pensée de l'homme primitif dans l’ensemble comme détachée des lois du monde objectif, comme « imperméable à ce que nous appelons l'expérience, c'est-à-dire aux enseignements que l'observation peut tirer des liaisons objectives entre les phénomènes », comme ayant « son expérience à elle, toute mystique. »[2]
       
En attribuant un caractère mystique à la pensée de l’homme primitif, Lévy-Bruhl donne également un sens mystique à la réalité elle-même, estimant que « la réalité où se meuvent les primitifs est elle-même mystique. » [3]
       
Quand, dans son explication des forces motrices du développement de la pensée, Lévy-Bruhl fait appel à I’expérience, il ramène l’expérience à l’activité de la pensée. Les sociétés fermées, avec « leur expérience collective », sont qualitativement différentes, d'après Lévy- Bruhl.

« Un type de société défini, qui a ses institutions et ses mœurs propres, aura donc aussi, nécessairement, sa mentalité propre. A des types sociaux différents correspondront des mentalités différentes, d’autant plus que les institutions et les mœurs mêmes ne sont au fond qu’un certain aspect des représentations collectives, que ces représentations, pour ainsi dire, considérées objectivement. » [4]

        Lévy-Bruhl, divisant les sociétés en « inférieures » et « supérieures » et considérant la société elle-même comme un complexe de représentations collectives, partage aussi la pensée en types: « inférieur »-prélogique, et « supérieur »-logique.
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        En niant la communauté des lois logiques de la pensée chez les peuples à culture peu développée et chez ceux à culture développée, Lévy-Bruhl arrive à la conclusion qu’ils ne peuvent entrer en communication entre eux, car chacun a une logique de pensée particulière, une langue particulière et intraduisible. A son avis, la traduction des pensées de la langue des races « inférieures » dans la langue des races « supérieures » équivaut à un crime. C’est pourquoi, de son point de vue, ces peuples ne peuvent, par principe, se comprendre l’un l’autre.
        La théorie de Lévy-Bruhl conduit inévitablement au racisme et ce n’est donc pas par hasard si elle a été et est encore utilisée aux fins de propagande de l’idéologie du racisme, bien que Lévy-Bruhl ait déclaré lui-même que ses recherches n’ont rien de commun avec l’idéologie du racisme et de l’agression coloniale.
        Quels sont donc les documents sur lesquels opère Lévy-Bruhl ? Il est absolument indiscutable que le livre de Lévy-Bruhl, « Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures » présente une grande valeur du point de vue de la richesse des faits. L’abondante documentation qu’il contient peut et doit être utilisée avec habileté dans l'élude de I’histoire du développement de la pensée. Mais quand il s’agit d’utiliser des faits accumulés par des chercheurs qui se sont placés sur des positions fausses, il faut non seulement examiner avec esprit critique les théories construites sur la base de ces faits, mais le choix même des faits cités à l’appui de ces théories incite souvent au doute.
        Il est clair que jamais personne ne rassemble de faits au cours d’une étude sans partir d’un point de vue déterminé. Ainsi Lévy-Bruhl a systématisé la documentation ethnographique pour éclairer la pensée primitive à partir d'un point de vue bien déterminé, à savoir la théorie mystique de la pensée. Cette documentation, il ne l'a pas réunie lui-même; elle l'a été principalement par les émissaires de I’administration coloniale et par les missionnaires. D’une masse infinie de faits, on a choisi principalement ceux qui sautent aux yeux par leur caractère inhabituel et exotique. Une partie considérable des faits choisis se rapporte aux cultes religieux des indigènes. Et voici que ces faits, qui ne caractérisent qu'une des formes de la conscience (la conception religieuse), sont ordinairement présentés comme une caractéristique des règles de la conscience, de la pensée, des peuples à culture peu développée.
        Ceux qui ont recueilli cette documentation ethnographique ont souvent perdu de vue le principal, ce qui semblait ordinaire et peu différent de la conduite de l'homme à culture développée : que les indigènes poursuivent des buts déterminés, dans les conditions du milieu où ils vivent, qu’ils tiennent compte des lois de la nature, qu’ils accomplissent un travail quotidien ordinaire, etc. Or, ce sont justement ces faits ordinaires de la vie quotidienne des indigènes qui sont
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les plus précieux pour juger des formes fondamentales sous lesquelles se manifeste leur pensée.
        La mauvaise méthode dans le choix de la documentation est une des voies qui conduisent à de fausses déductions. C’est à cause de cela que l’on érige la magie, le fétichisme, l’animisme, la pensée mystique en méthode universelle qui imprégnerait absolument toutes les pensées et tous les actes de l’homme à culture peu développée, dont on qualifie la logique d’entièrement mystique, d’entièrement privée de signification rationnelle
        Notre tâche consiste, en prenant en considération les faits sous tous leurs aspects et en en donnant une bonne interprétation, à détruire le mythe bourgeois d’une soi-disant pensée entièrement mythique chez les hommes primitifs et à culture peu développée, et à montrer que, quel que soit le degré de développement auquel s’est trouvée la pensée de l’homme, elle a eu à sa base un caractère logique, étant donné qu’elle a plus ou moins fidèlement reflété les liens des objets et des phénomènes du monde objectif et qu’elle a été la prémisse indispensable à l’activité de l’homme recherchant à atteindre un but déterminé.
        Comme on le sait, le matérialisme dialectique part du fait que la pensée représente la fonction supérieure du cerveau, fonction qui consiste à refléter la réalité de façon généralisée et indirecte. La pensée de l’homme se forme au cours de son activité pratique. L’objet de la pensée, la réalité, détermine le contenu de notre activité intellectuelle. Bien que très indirectement, la façon dont l’homme agit réellement sur le monde extérieur détermine naturellement ses formes d’activité intellectuelle. Les processus de la pensée représentent, manifestée dans une forme idéale, l’action matérielle de l'homme sur le monde.
        La logique de la pensée s’exprime non seulement dans le langage des mots, mais aussi dans la forme du « langage » des activités pratiques, langage qui est le livre de la vie le plus pittoresque et le plus accessible à tous, et dans lequel nous pouvons « lire » et comprendre les pensées d'un autre homme, juger de ses intentions et mérites véritables avec beaucoup plus de sûreté que d'après ses paroles. Dans cette unité et interaction complexe de l'activité pratique de l’homme et de sa pensée, l’activité pratique est déterminante.
        Si la pratique en général détermine la pensée, le développement de la pratique détermine le développement de la pensée. Entre le développement de la pensée et celui de l’activité pratique des gens, il existe une interdépendance naturelle. Pour apprendre à penser, il faut agir pratiquement, mais pour agir intelligemment, il faut savoir penser.
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        Engels a signalé la dépendance du développement de la pensée par rapport au développement de la pratique humaine et il a écrit à ce sujet :

« Jusqu’ici, la science de la nature, et de même la philosophie, ont absolument négligé l'influence de l’activité de l’homme sur sa pensée. Elles ne connaissent d'un côté que la nature, de l’autre que la pensée. Or, c'est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l'intelligence de l'homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature. »[5]

        L’histoire de la naissance et du développement des formes de l’activité laborieuse de l’homme, que l’on peut suivre d’après les produits matériels qui s'en sont conservés — les instruments du travail — est une brillante illustration de la justesse de cette thèse fondamentale de la théorie marxiste-léniniste de la connaissance.
        L’histoire de la formation de la pensée de l’homme a été précédée de la longue préhistoire du développement intellectuel des animaux. L’activité psychique des animaux représente les rapports élémentaires entre les objets. Elle consiste en une analyse et une synthèse des phénomènes du milieu naturel perceptible par les sens et significatifs du point de vue vital.
        Le développement de la structure physique des animaux, y compris de leur cerveau et de leur appareil vocal, le développement de I’activité psychique, du mode de vie en bandes, a été la prémisse naturelle indispensable pour le passage des représentants des animaux supérieurs, apparentes aux singes anthropoïdes vivant aujourd'hui, à l'homme.
        Les précurseurs directs de l’homme primitif — les australopithèques et les formes voisines — ont marqué le début de I’utilisation d’objets naturels (bâtons, pierres, os, etc.) comme instruments d'attaque et de défense. Cela a déterminé le passage des australopithèques à la marche en station debout et le développement général de leur organisation anatomo-physiologique.
        Au stade suivant, supérieur, de l’anthropogenèse, représenté par les pithécanthropes, les sinanthropes et les formes apparentées, un nouveau et gigantesque pas en avant a été fait; il y a eu alors passage à la fabrication artificielle d’instruments de travail et à un emploi plus varié de ces instruments pour satisfaire les besoins sans cesse croissants de l’homme en voie de formation.
        En même temps qu’elle déterminait des rapports multiples entre l’homme et la réalité, entre l'homme et les autres membres de la col-
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lectivité, l’activité laborieuse réclamait une perception de plus en plus précise des objets, une prise en considération bien plus complète de leurs propriétés et de leurs rapports.
        Le travail en société devenant de plus en plus complexe, la formation d'une bande d’hommes primitive plus solidement soudée, I’apparition du langage phonétique, né de l'insistance avec laquelle se faisait sentir pour les hommes la nécessité vitale de communiquer entre eux : tout cela a déterminé le développement ultérieur du cerveau et, par conséquent, de la pensée.
        Le facteur essentiel qui a exercé une immense influence sur le développement de I’homme dans son ensemble, y compris de sa pensée, a été que l'expérience accumulée par une génération, a été transmise par des voies multiformes aux générations suivantes. La fixation et la transmission de l’expérience se sont faites à l'aide du langage, ainsi qu'au moyen des instruments qui, en vertu de leur forme fixée, transmettaient non seulement le moyen de les fabriquer, mais aussi les procédés de leur utilisation dans la production.
        L'arsenal colossal des instruments de pierre, à commencer par les pierres non taillées du degré le plus bas de la culture matérielle, pour finir par les haches et poignards de pierre d’un travail compliqué : tel est le livre conservé au travers des siècles et dans lequel sont inscrits l’activité humaine, le travail opiniâtre de la pensée et de la volonté de l'homme primitif.
        Le fait qu’il fabriquait des instruments montre que l’homme primitif était déjà à un niveau de développement intellectuel lui permettant dans une certaine mesure de faire le plan conscient de son activité, de faire abstraction du but immédiat : la recherche de la nourriture, et d’orienter ses efforts en vue de créer ce qui devait lui servir, par la suite seulement, de moyens plus efficaces pour se la procurer. L'apparition des instruments fabriqués montre que notre lointain ancêtre se dégageait de l’action directe des objets et était en état non seulement de penser au cours de la perception, mais aussi d'opérer par des représentations, de les combiner entre elles conformément à la logique des choses et de mettre son projet à exécution au cours de son activité pratique.
        La technologie même de la fabrication des instruments de silex suppose un niveau relativement élevé de I’activité analytique et synthétique de l’écorce cérébrale de l'homme primitif. En même temps qu’il apprenait, pas à pas, à aiguiser des morceaux de pierre, à perfectionner les instruments de travail, l'homme primitif rendait plus vive sa propre pensée.
        En divisant constamment dans son activité pratique différents objets suivant leurs parties, par exemple en scindant et en taillant les pierres pour fabriquer des instruments, en écorchant les animaux
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et en coupant les peaux, en dépeçant la viande, en abattant et en coupant le bois, en cassant les os, etc., l'homme primitif apprenait peu à peu à diviser aussi les objets dans sa pensée. L'analyse par la pensée est une reproduction de l’analyse pratique. Produit de l’analyse pratique, l’analyse mentale en devient par la suite la prémisse nécessaire. Avant de passer au démembrement réel d’un objet, l’homme le partageait déjà dans sa conscience en ses diverses parties utiles.
        Dans une unité indissoluble avec le développement de l'activité analytique du cerveau, son activité synthétique se perfectionnait sans cesse. L'activité pratique ne comportait pas seulement la division des objets, mais aussi la réunion de parties en un tout unique. Pour construire la hutte la plus primitive, par exemple, pour faire un vêtement de peaux de bêtes, etc., il fallait d’abord procéder à la décomposition des objets correspondants en parties, séparer les parties nécessaires pour un but déterminé, les travailler et, ensuite, faire des diverses parties correspondantes un ensemble unique. L’activité analytico- synthétique, également propre aux animaux sous une forme élémentaire, s’élève chez l’homme à un niveau qualitatif autre, au niveau d'une forme d'activité plus complexe et consciente.
        Le caractère de plus en plus compliqué des rapports entre l'homme et la réalité a déterminé le développement ultérieur des parties périphérique et centrale des analyseurs, la formation d'une structure plus perfectionnée de l’écorce cérébrale clans son ensemble, de centres du langage spécifiquement humains, et, par conséquent, d’un appareil périphérique du langage capable d'accomplir le travail complexe qu’est le langage articulé.
        Des données anthropologiques nombreuses montrent qu’à un niveau plus élevé de I’anthropogenèse, au stade de l'homme de Cro-Magnon, qui représente un bond gigantesque et qui a succédé aux stades des pithécanthropes, des sinanthropes et des hommes de Neandertal il y a eu agrandissement des parties pariétales, frontales et temporales du cerveau de l’homme primitif, c’est-à-dire des secteurs de l'écorce cérébrale qui étaient étroitement liés à sa vie en société et qui remplissaient le rôle de freins internes de ses instincts animaux, créant ainsi la prémisse nécessaire à une action concertée dans les conditions de la communauté primitive.
        Les découvertes archéologiques de morceaux d’ivoire débités, aux différents stades de leur façonnage, permettent de suivre les niveaux des opérations dans le perfectionnement des instruments et d’expliquer non seulement les formes de l’activité pratique, mais aussi certaines particularités de la pensée de l’homme de Cro-Magnon. On peut citer entre autres illustrations l'exemple suivant : avant de travailler directement le morceau d’ivoire tiré d’une défense au percuteur, on lui don-
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nait d'abord, au ciseau de silex, des contours correspondant aux dimensions et aux formes du futur objet.[6]
       
Des faits semblables permettent, non pas de supposer, mais d'affirmer avec assurance qu'avant de passer à la fabrication de tel ou Ici instrument, l'homme de Cro-Magnon avait dans sa conscience une idée assez précise du futur produit de son activité. L'image idéale du futur objet dirigeait ses opérations réelles. On peut déjà appliquer à l’homme de Cro-Magnon la distinction essentielle entre l'homme et les animaux que signalait Marx :

« Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur.»[7]

        Le degré qualitativement nouveau dans le développement de l’activité laborieuse de l'homme de Cro-Magnon consiste dans l’acquisition de l’habitude de fabriquer des instruments pour produire des instruments, c’est-à-dire dans la naissance de la production des moyens de production. La fabrication systématique d'instruments pour produire des instruments montre que la pensée de l'homme de Cro-Magnon s’élève à un niveau nouveau dans le principe, à un niveau où il prévoit beaucoup plus loin que, disons, le pithécanthrope, les fonctions des instruments fabriqués, dont la production peut se trouver assez souvent très éloignée du but immédiat qu'est la satisfaction des besoins naturels de l'homme.
        Depuis que s’est terminé le processus de l’anthropogenèse (il y a 50.000 ans environ), depuis que l’homme s'est formé physiquement et a acquis tous les signes anatomo-physiologiques qui lui sont propres, tous les peuples et toutes les races ont eu et ont une structure physiologique identique et des possibilités physiologiques identiques de développement intellectuel. Mais en elle-même, la communauté des données organiques n’assure pas encore une égalité réelle dans le niveau du développement intellectuel de tous les peuples du monde. Pour que les aptitudes intellectuelles, aussi bien d'un homme particulier que d'un peuple dans son ensemble, puissent se réaliser, il faut des conditions objectives. Et ce qui est étrange, ce n'est pas que les Tasmaniens, par exemple, se trouvent à un niveau de développement intellectuel extrêmement bas, ne dépassant pas de beaucoup le stade primitif. Ce qui
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serait réellement étrange et, en fait, miraculeux et inexplicable, ce serait que ce peuple que la science du XIXe siècle a trouvé au stade du régime du clan à peine naissant, que ce peuple vivant dans un isolement presque complet de tous les autres peuples et dans des conditions géographiques défavorables, soit, par son développement intellectuel réel, égal aux peuples qui sont depuis des siècles en contact entre eux, qui échangent constamment leur expérience, qui se trouvent à un niveau supérieur du développement de la science et de la technique mécanique et qui ont derrière eux la riche expérience historique des transformations sociales.
        Que la faculté de se développer intellectuellement soit égale chez tous les peuples, c'est ce que montrent les faits. Quand les représentants de peuples autrefois attardés trouvent des conditions d’éducation et d’instruction égales à celles dont jouissent les représentants des peuples dits « civilisés », ils réalisent avec succès leurs aptitudes humaines, réfutant ainsi complètement les inventions réactionnaires des racistes au sujet de la prétendue infériorité intellectuelle des peuples attardés.
        Historiquement, le développement de la pensée est allé des formes concrètes, évidentes et imagées, vers des formes de plus en plus abstraites La voie normale de la connaissance parcourue par chaque homme de la perception vivante à la pensée abstraite, est comme la reproduction de la loi du développement historique de la pensée. Aux premiers degrés du développement de l’homme, son travail intellectuel ne s’est pas encore détaché en une forme d’activité relativement indépendante. Primitivement, la pensée était directement imbriquée dans l’activité matérielle des hommes et dans la communication matérielle entre eux — le langage de la vie réelle[8]  .
        Les particularités spécifiques des premiers degrés du développement de la pensée, qui se distinguait par son caractère concret, évident, ont reçu leur éclatante expression dans les opérations du calcul par exemple. L'homme primitif ne pouvait pas réaliser des opérations de calcul dans sa tête. Avant d’apprendre à compter de tête, les gens comptaient à l’aide des mains, en manipulant des objets concrets. Le calcul de tête n’est possible qu’en opérant sur des unités abstraites, c'est-à-dire à la condition de faire abstraction des objets eux-mêmes pour ne tenir compte que de leur nombre.

« Pour compter, il ne suffit pas d’objets qui se comptent, mais il faut déjà aussi la faculté de considérer ces objets en faisant abstraction de toutes leurs autres qualités sauf leur nombre, — et cette faculté est le résultat d'un long développement historique, fondé sur l'expérience. »[9]

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        Les hommes primitifs n’avaient pas cette faculté. Ils n’étaient en état de compter que les objets directement palpables et visibles. Dans leur pensée primitive, le nombre ne s’était pas encore séparé de ce qu’ils dénombraient. On trouve I’illustration de ce genre de calcul dans les faits recueillis par les ethnographes sur le développement intellectuel dans le passé des peuples peu développés du point de vue économique et culturel.
        Mais avant de parler de ces faits, il faut tout d’abord souligner avec la plus grande netteté que les recherches citées plus haut ne peuvent fournir de données décisives pour comprendre les lois générales du développement historique de la pensée, car les peuples attardés ne peuvent nullement être considérés comme les représentants des hommes primitifs. Néanmoins, I’utilisation de ces faits permet d’établir une analogie grâce à laquelle on peut mieux suivre les lois générales du développement historique de la pensée humaine, de ses formes élémentaires, primitives, au niveau actuel.
        Par exemple, Thurnwald mentionne que lorsque les habitants des îles du Sud voulaient annoncer qu’il était arrivé cinq personnes, ils ne disaient jamais « il est venu cinq personnes ». Ils s’exprimaient à peu près ainsi : il est venu un homme avec un grand nez, un vieillard, un enfant, un homme avec la peau malade et un tout petit enfant [10].
        Quand les peuples primitifs faisaient un échange, ils posaient les objets qu’ils échangeaient en face de ceux contre lesquels ils les échangeaient et établissaient ainsi de visu leur égalité quantitative. L’explorateur connu F. Nansen, qui a passé une année chez les Esquimaux, relève qu’il n’y avait pas chez eux d’appellation pour les nombres au-dessus de cinq et qu’ils faisaient les opérations de calcul à l’aide des doigts de la main : 5, c’était la main droite; 6, le premier doigt de la main gauche ; 7, le second et ainsi de suite jusqu’à 10; 20, c'était un homme et 100, cinq hommes.
        L'éminent explorateur et ethnologue russe N.N. Mikloukho-Maclaï, qui a étudié la vie et les mœurs de nombreux peuples et a rassemblé une immense documentation qui a une grande valeur scientifique, a également signalé cette même particularité du calcul chez des peuples à culture peu développée. Mikloukho-Maclaï dépeint de la façon suivante les méthodes de calcul chez les Papous :

« Le mode de calcul préféré consiste, pour le Papou, à plier l'un après l'autre les doigts de la main en émettant un son déterminé, par exemple « bé, bé, bé »... Ayant compté jusqu'à cinq, il dit : « ibon-bé » (main). Puis
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il plie les doigts de l'autre main en répétant à nouveau « bé, bé »... jusqu à ce qu’il arrive à « ibon-ali » (deux mains). Puis il continue en disant « bé, bé. »... jusqu'à « samba-bé » et à samba-ali » (un pied, deux pieds). »[11]

        Paul Lafargue a écrit :

« Dans beaucoup de langues sauvages, les cinq premiers chiffres portent les noms des doigts : ce n'est que par un procédé de distillation intellectuelle que les nombres arrivent à se dépouiller dans la tête de l'adulte civilisé de toute forme rappelant un objet quelconque, pour ne conserver que la figure de signes conventionnels. »[12]

        L’histoire de la langue montre que les appellations des chiffres proviennent des appellations d'objets réels. Par exemple, en Nouvelle Guinée, le chiffre 5 veut dire littéralement «main», 10. «crocodile» (les dix traces des pattes du crocodile sur le sable)[13]. Le concept abstrait de « calcul » provient du latin « calculus » (pierre, caillou). Dans une antiquité reculée, les Romains se servaient de cailloux comme unité réelle de calcul. D'autres peuples se servaient dans le même but de bâtonnets et d'autres objets.
        Au premier stade du développement de la pensée, pour celui qui n'avait pas encore atteint le degré de l'abstraction, le chiffre ne se distinguait pas des objets comptés, il restait dans la pensée, lié indissolublement avec eux. Comme illustration, on peut citer des exemples tirés de la vie des Mélanésiens : 10 noix de coco étaient désignées par eux par le mot « a buru », 10 poissons par le mot « bola », 100 noix de coco par « a koro », 1.000 noix de coco par le mot « selavo ». [14]
       
Le fond de l'affaire, c'est qu’ici on ne tient pas encore compte, on ne saisit pas ce qu’il y a de commun dans la qualité des objets : leur aspect quantitatif. Dix noix de coco et dix poissons sont désignés par des complexes phonétiques tout différents, comme quelque chose de différent, non seulement qualitativement, mais aussi quantitativement, bien que dans le cadre d’une seule et même qualité, on ait parfaitement conscience de la différence quantitative, par exemple : 10 noix ce n'est pas 100 noix, et ces groupes quantitativement différents ont une appellation différente.
        Au premier degré du développement de I’abstraction quantitative, quand il n’y avait pas encore de signification grammaticale abstraite du pluriel, le système des chiffres reposait vraisemblablement sur le
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principe plus simple de Ia paire. Nous trouvons ce principe de calcul chez Ia tribu boundi-nambri, par exemple, où 2 se dit « oroi », 3. « oro-gumago » (c’est-à-dire deux plus un), 4. « oroi-oroi », 5, « oroi- orot-maga », 10, « oroi-oroi-oroi-oroi-oroli».
       
Les exemples cités permettent de suivre les étapes élémentaires de la formation de l’abstraction aux premiers degrés du développement de la pensée humaine. Au début, l’objet du calcul, disons l’objet de l'échange, était en même temps le moyen à l'aide duquel se faisaient les opérations concrètes du calcul. A ce niveau, l'homme n’était pas encore en état de séparer l’aspect quantitatif des objets des objets eux-mêmes donnant lieu au calcul. A un niveau plus élevé du développement de la pensée, les moyens du calcul se détachent de l'objet du calcul. Les hommes commencent à utiliser comme moyen de réaliser les opérations du calcul, non plus les objets mêmes du calcul, mais d’autres objets : les doigts des mains et des pieds, des cailloux, des bâtonnets, etc. qui remplissaient le rôle d'étalon de mesure de la quantité. Pour utiliser les objets indiqués en qualité de moyens de calcul, il fallait faire abstraction de toutes les autres qualités de ces objets et s’en représenter l'aspect purement quantitatif, leur propriété d’être l’étalon de mesure de la quantité. Les opérations de calcul n’avaient pas un caractère indépendant Les gens comptaient directement les doigts, les cailloux, les bâtonnets, etc. non pas pour établir le nombre de ces objets, mais pour connaître par leur intermédiaire le nombre d’autres objets.
        Ce genre d’opérations suppose un niveau d’abstraction relativement élevé. Pour effectuer semblable calcul, il faut comparer l'objet du calcul et les moyens utilisés dans le calcul, faire abstraction de toutes les autres propriétés des objets comparés, pour n'extraire que les propriétés objectivement communes dans un cas donné : le nombre, et enfin tirer la généralisation de l’aspect quantitatif d’objets différents par la qualité et former le concept de nombre. La quantité, c’est ce qu'il y a de commun entre tous les objets perceptibles par les sens, c'est ce qui les unit en dépit de toute la différence et de toute I’incompatibilité de leurs qualités et propriétés.
        Ainsi, le concept de nombre s'est peu à peu dégagé de sa forme concrète, matérielle, pour intervenir dans la pensée de l'homme sous la forme d’appellation verbale de la série naturelle des nombres et, enfin, sous la forme de signes mathématiques abstraits.

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        La voie du développement historique de la pensée de ses formes primitives et concrètes, évidentes et imagées à des formes abstraites, s’est exprimée dans les documents de l'histoire de la langue en général et dans l'histoire de certains mots.
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        Comme on le sait, la pensée est née en même temps que le langage: elle s'est développée au cours de l'histoire en liaison indissoluble avec le développement et le perfectionnement de la langue. Et ce n’est pas seulement la pensée, mais toute notre conscience dans son ensemble, qui sont directement liées dans leur développement historique avec le développement de la langue. C’est pourquoi, en recherchant les formes anciennes de pensée à travers les traces que nous offrent I’histoire des mots et des formes grammaticales, l’histoire des règles de combinaison des mots dans la proposition, on peut dire avec assurance que nous pouvons pénétrer dans les époques extrêmement reculées du développement intellectuel de l’humanité.
        Par exemple, nous nous comprenons parfaitement quand nous disons : « Le soleil se lève », « Le soleil se couche ». Chacun comprend que l’expression verbale de ces pensées est contraire à la conception scientifique des phénomènes en question. Ce n’est pas pour rien qu’il existe cet aphorisme : pensant comme Copernic, nous parlons comme Ptolémée. Beaucoup de mots et d’expressions employés et compris par l'homme contemporain comme des métaphores, ont conservé en eux, sous forme de survivances, les anciennes représentations liées à une conception personnificatrice de l'univers. Par exemple, des expressions comme : « il pleut »[15], « le ruisseau court », « la forêt sommeille », « la mer se fâche », « sa conscience le torture», « la pensée court », « le chagrin ronge », etc., qui sont des métaphores pour les normes de la conscience actuelle, ont eu dans le passé un sens très réel.
        Il n'y a rien d’étonnant à ce que l'homme primitif ait jugé des objets et des phénomènes du monde extérieur par analogie avec lui-même, en se considérant comme la mesure de l'activité, et qu’il ait décrit son propre monde spirituel par analogie avec les phénomènes de la réalité. L’homme a toujours éprouvé le désir de représenter ce qui est inaccessible à la perception concrète comme quelque chose de concret, d’évident. de représenter les choses immatérielles matériellement dans l'espace. De là proviennent les expressions : « Une pensée pénétrante », « une imagination ardente », « un froid jugement ». « un sombre projet », « un esprit profond », etc.
        Dans leur développement historique progressif, les mots et les expressions ont été comme enveloppés par le sens qu’y ont mis les différentes générations dans les cerveaux et les bouches desquelles ils sont passés. Si nous suivons, par exemple, l’étymologie du mot poniatiié (« concept »), nous voyons qu’aux premiers stades de développement de la conscience de l’homme, il signifiait une action physique, réalisée avec les mains : prendre, saisir (vieux-russe iati, prendre). Ensuite, au fur et
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à mesure que se développait l'abstraction, ce mot s’est mis à désigner l’activité de l'esprit. Comprendre, concevoir, cela signifie saisir, attraper avec l’esprit des rapports réels entre les objets et les phénomènes de la réalité. A l'heure actuelle, le terme « concept » exprime non plus seulement le processus même de I’activité intellectuelle : la compréhension, mais le résultat de ce processus intellectuel : l'image intellectuelle reflétant les objets ou les phénomènes dans leurs caractères essentiels[16].
        Si l’on suit l'étymologie du mot iranien ancien « suxra » (rouge), V I. Abaiev fait remarquer qu’il contient la racine « suk », qui signifie feu, brûler. L’image visuelle du feu a été à la base de la formation d'un concept abstrait de qualité : rouge[17].

« Le « arf» ossete — «profond» —, écrit V.I. Abaiev, remonte au vieil iranien « apra », de la racine « ar » (eau). Le concept abstrait de « profondeur » a été précédé par la représentation concrète d’« eau profonde » (rivière, lac, mer); de l'image « profondeur de l'eau» est né avec le temps le concept « profond » en général. » [18]

        De l’avis d’un des plus grands linguistes soviétiques, l’académicien L .V. Chtcherba, le terme philosophique abstrait « istina » (vérité) qui désigne la correspondance de nos connaissances avec la réalité, provient du mot à signification moins abstraite — « iest' » (avec la forme c iestina »), qui signifie exister, être en réalité.
        Tout cela montre que la généalogie d’un mot d’une langue quelconque, aussi abstrait soit-il à un moment donné, remonte à un mot qui avait une signification très concrète et dont le contenu, en fin de compte, renvoie à une représentation et à une perception.
        Pour comprendre la nature de la pensée humaine en général et de celle de l’homme primitif en particulier, il faut tenir compte de cette circonstance importante et souvent perdue de vue que la pensée de l’homme, reflet de la réalité, est par nature un processus communicatif ayant un double caractère : d’une part, il est dirigé sur l'objet, il en reflète les traits caractéristiques et les liaisons avec d’autres objets et, d'autre part, il est dirigé vers la société à laquelle l'homme communique les résultats de sa pensée.
        Les besoins pratiques de l'homme ont déterminé l’apparition et le développement du travail d’abstraction et de généralisation de la pensée. Parmi ces besoins pratiques entrait aussi celui de communi-
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quer entre eux. Le commerce des gens à l’aide du langage est passé dès le début par leur activité cognitive, qui passait elle-même par le commerce entre les gens. Pour communiquer une pensée à d’autres, l’homme devait diviser en ses composantes une image complète du tableau de la réalité saisi par lui, dégager les parties nécessaires à ses fins, les relier par la pensée et les présenter sous un jour déterminé aux autres hommes.
        Les données de l’histoire de la formation des différentes catégories de la langue ont une importance essentielle pour expliquer le processus historique de la formation du travail d'abstraction de la pensée. La majorité des savants qui étudient l'histoire des langues s'accordent unanimement à reconnaître qu'au premier degré du développement delà langue, avant que l’écriture n’existe, il n’y avait pas de différenciation morphologique des mots en parties du discours. La justesse de ce point de vue ne fait aucun doute; non seulement elle est logiquement probable, mais elle est démontrée par les faits.
        Analysons le côté gnoséologique de la question. Il est douteux que l'on puisse interpréter l’absence de réglementation morphologique des parties du discours comme si, à l’époque, les principales catégories logiques : objet, action, qualité et rapport n’existaient pas dans la pensée de l’homme. Sans ces catégories, aucun acte de pensée logique n'aurait été possible et, par conséquent, aucun commerce entre les hommes. Ces points d'appui sémantiques fondamentaux pour toute pensée, aussi primitive fût-elle, sont la condition indispensable d’un reflet plus ou moins adéquat de la réalité et de la communication aux autres hommes du contenu de ce qui est reflété.
        Le nom morphologiquement unique, qui était le moyen de réaliser la pensée, contenait, en fonction du contexte verbal et vivant, la signification, et de l’objet, et de l'action, et de la qualité, et du rapport. La forme de réalisation de la pensée qui reflétait l'objet dans son rapport avec les autres objets, dans son action et son état, était le simple alignement sémantiquement cohérent des noms, alignement dans lequel la place d’un nom dans une série d'autres noms faisait apparaître son véritable sens. Le fonctionnement d’un nom, non différencié dans la forme, avec tel ou tel rôle d'objet, de qualité, d’action ou de rapport, lui a graduellement fixé une sémantique déterminée et, en conséquence, un rôle et une place dans l’unité de communication : la proposition.
        Au premier degré de développement de la pensée humaine, par exemple. la qualité d'un objet était pensée et communiquée à l'aide du discours dans une unité indissoluble avec l’objet. Cela est confirmé par le fait qu’il fut un temps où un seul et même nom désignait à la fois l'objet et la qualité
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        Les documents réunis par l'étude de la langue parlée dans le passé par une des tribus les plus attardées sous le rapport économique et culturel, celle des Arunta, montrent, par exemple, que le mot signifiant «pierre» signifiait en môme temps «gisant»; «ciel» signifiait «clair et bleu » ; «fossé» signifiait aussi «profond»; «pointe de lance» signifiait aussi «pointe» et «pointu»; «père» signifiait aussi « grand ». On peut suivre un phénomène analogue dans l'histoire de nombreuses autres langues.
        On peut difficilement interpréter ces phénomènes comme un genre d'homonymie et voir dans ces mots morphologiquement indifférenciés des concepts exactement différenciés, comme cela se produit dans la conscience de l'homme actuel quand un seul et même mot « aveugle », « malade », par exemple, signifie aussi bien la qualité (un homme aveugle) et l’être ayant ces qualités (un aveugle vient). Expliquer ainsi ces faits linguistiques, c'est attribuer aux hommes primitifs des particularités de la pensée appartenant à I’homme contemporain, ce qui est antihistorique.
        Le phénomène signalé plus haut de non-différenciation morphologique entre les noms désignant l'objet et ceux désignant la qualité ne peut être interprété non plus dans ce sens qu'au premier stade de leur développement historique, les hommes n'auraient pas été du tout en état de séparer dans leur conscience les qualités des objets des porteurs mêmes de ces qualités. Ces faits linguistiques témoignent plutôt du fait que les hommes de ce temps-là n’étaient pas en état de penser les qualités abstraitement, en elles-mêmes, en dehors des porteurs de ces qualités.
        Au premier stade du développement de l’homme il n'y avait pas encore de concepts abstraits reflétant sous une forme verbale les caractères généralisés des objets, mais il existait des concepts reflétant les objets dans leur ensemble sous la forme d'appellations de genres et d'espèces: aussi, pour caractériser un trait de l’objet dans un acte de communication, les hommes étaient-ils obligés de recourir à la comparaison de cet objet à un autre possédant le même trait. Par exemple, par le mot « kul kul » (corbeau), les peuples des îles Bismarck caractérisaient tous les objets d’un noir brillant. Autrement dit, le trait de tel ou tel objet était pensé au travers de son rapport avec un autre objet dont une partie, un trait, disons la couleur, intervenait dans la conscience comme objet entier, remplissant cependant la fonction de partie dans un acte de communication.
        A un niveau plus élevé du développement de la pensée, le dégagement de la qualité de l’objet par rapport à son porteur a également changé de caractère. Cela a conditionné aussi le changement du mode d'expression verbale de I’abstraction. A ce niveau, naissent déjà les éléments du mode grammatical d’expression de l’abstraction. Le
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dégagement des qualités selon le principe de I’analogie trouve son expression dans les formes spécifiques du discours qui expriment les opérations de comparaison. Par exemple, les ethnographes montrent que dans le passé, quand les Tasmaniens voulaient dire « ardent », « froid », « rond », « dur », etc., ils disaient : « comme le feu », « comme la glace », « comme la boule », « comme la pierre », etc.
        Au degré suivant du développement de la pensée, naissent déjà au véritable sens de ce terme, des concepts abstraits de qualité : concepts de couleur, de forme, de grandeur, de dureté, de chaleur, etc. Un processus de différenciation s’opère dans la langue : le nom amorphe donne naissance à un nom substantif et à un nom adjectif dont chacun reçoit des signes grammaticaux spécifiques. Les catégories linguistiques de l’objet et de la qualité se forment. Au lieu de dire d’un objet dur « comme la pierre », les gens ont dit « de pierre » (en russe, il y a un adjectif ayant ce sens. Le trad.); au lieu de « comme l'eau ». ils ont dit « aqueux », etc.
        Dans leur majorité, les adjectifs qualificatifs sont visiblement nés d’adjectif relatifs résultant d’une nouvelle interprétation et d’une nouvelle forme de l’emploi attributif des substantifs. Le fait que I’appellation de nombreuses couleurs, en russe par exemple, provienne de l’appellation d’objets entiers ayant ces couleurs, en est un clair témoignage. Par exemple, « rose » de « la rose ». « violet » de « la violette», «pourpre» de  « la pourpre», «framboise» de «la framboise », etc.
        Le processus ultérieur de perfectionnement de I’abstraction de la qualité a été le suivant : les gens ont pris conscience du fait que les objets avant une qualité correspondante, l’ont à différents degrés, que ces qualités se manifestent avec différents degrés d’intensité, et ils se sont mis à I’exprimer verbalement. Dans la conscience de I’homme naît le concept abstrait de la mesure de la qualité représentant l’unité d’une qualité donnée avec son degré, ou sa quantité. La naissance du concept de mesure de la qualité a déterminé l’apparition d’autres moyens linguistiques permettant de fixer le plus grand ou le plus petit degré d’une qualité donnée dans tels ou tels objets. Au premier degré du développement de la pensée et du discours, le concept d’intensité avec laquelle se manifeste une qualité donnée s'exprimait vraisemblablement à l’aide de la simple répétition du terme désignant la qualité, comme c’est le cas chez les Hawaïens, par exemple, qui, par le mot « ula » désignaient la couleur rouge et par le mot « ula ula » une couleur rouge plus intense : le rouge pourpre.
        Ces formes d'expression de la mesure de la qualité se rencontrent encore dans la langue actuelle. Par exemple, quand nous voulons, dans le langage courant, souligner un degré de grandeur, nous disons parfois « petit-petit » ou « grand-grand », etc. A un niveau supérieur
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du développement de Ia langue naissent, dans les différentes langues, des moyens grammaticaux spécifiques pour former les concepts de mesure de la qualité. Par exemple, à côté des flexions : « biély » (blanc). « biéleié » (plus blanc), « biélieïchi » (le plus blanc), etc. sont apparus des mots auxiliaires : « très », « plus », « le plus », etc.
        Mais la façon abstraite de penser la qualité ne s’arrête pas là. L'étape suivante est constituée par la formation de concepts de qualité en tant qu'objets, avec formation verbale spécifique de la qualité objet à l’aide des signes grammaticaux du substantif, par exemple « la blancheur », , la chaleur », etc.
        C’est seulement à ce niveau de développement de I’abstraction qu'il a été possible de penser la qualité comme substance, en faisant entièrement abstraction de ses porteurs matériels. Le processus linguistique de la substantification des noms qualitatifs, c’est-à-dire en somme le processus inverse de retour, ou, plus exactement, de transformation du nom adjectif en nom substantif, représente une forme verbale d’expression à un niveau nouveau de l’abstraction humaine, provoquée par le besoin pressant de la pratique, de la connaissance et de l’expérience du commerce entre les hommes.
        L’homme s’est trouvé capable de penser en tant que substance, non seulement la qualité, mais aussi l’action comme, par exemple, « la course», « le mouvement», etc.; et également les signes quantitatifs : « une paire », « une dizaine », « une centaine », « un millier», etc.
        Les moyens grammaticaux d’expression des concepts abstraits concernant les objets et leurs qualités, conséquence du travail d’abstraction de la pensée humaine, ont exercé une influence précise sur le caractère même de l’abstraction. Quand nous disons « blanc », nous reportons involontairement celte qualité à son porteur, à l’objet. Mais quand nous parlons de « blancheur», nous pensons cette qualité sans rapport avec aucun objet, comme quelque chose d’indépendant.

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        La naissance et le développement de l'abstraction et, en conséquence, des moyens linguistiques de son expression ont eu une grande importance pour l’activité cognitive de I’homme, pour le progrès général de sa culture matérielle et spirituelle. C'est justement dans le développement du travail d'abstraction de la pensée humaine que réside son immense force cognitive. L’abstraction est une condition indispensable de la généralisation, de la formation des concepts. Avant de procéder à l'opération de la généralisation, I’homme devait abstraire les caractères qui étaient ensuite soumis à la généralisation. Ces caractères étaient dégagés par la pensée des nombreux autres dans un objet
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donné et fixés dans le mot correspondant. Grâce à la fixation dans le mot des propriétés ainsi abstraites, I’homme s’est trouvé en état d'opérer sur les images de ces caractères, sans percevoir les objets eux-mêmes. En comparant les caractères abstraits par lui et les traits analogues des autres objets, l'homme a découvert entre eux une communauté, il a créé le concept de toute une classe d'objets, de phénomènes, de propriétés. Sans I’apparition et le développement de l'abstraction, aucun domaine de la science n’aurait pu naître et se développer. Les sciences ne sont apparues qu’à un degré déterminé du développement de la pensée humaine, en liaison avec le développement de la faculté d’abstraction.
        Cependant, la faculté d'abstraction de l’homme est une arme à double tranchant. L’abstraction est comme une porte : en l’ouvrant, l’humanité a laissé passer avec la vérité pas mal d’erreurs. Mais comme le dit la sagesse populaire indienne, si les portes restaient hermétiquement fermées à toutes les erreurs, la vérité n’aurait jamais pu entrer dans la conscience des gens. Il serait faux de représenter le développement historique de la pensée primitive — et pas seulement primitive — comme une sorte de marche triomphale dans une voie menant en droite ligne à la vérité absolue. Cependant, il serait également faux d’exagérer, d’ériger en absolu les aspects imaginatifs de la pensée primitive.
        Considérer la pensée primitive comme le règne complet de la mystique, comme la domination exclusive d’un reflet purement illusoire de la réalité, cela veut dire interpréter la pensée, non comme un très grand facteur d'orientation de l’homme dans la réalité environnante, mais au contraire attribuer à la pensée une fonction, contraire à sa nature, de désorientation de l’homme. Cela signifie nier le lien de continuité entre la pensée des époques reculées et son niveau actuel, les séparer, en fait, par un fossé infranchissable.
        Nier catégoriquement ce point de vue sur la pensée primitive ne signifie nullement que nous devions, quand nous l’étudions, jeter par-dessus bord de l'histoire de la culture primitive les éléments imaginaires et les stratifications mythologiques qui sont un genre d’excroissances malsaines sur l’arbre, sain dans son ensemble, de l’histoire de lu connaissance humaine. Ne pas tenir compte de ces éléments, c’est entrer en contradiction flagrante avec les faits réels de l'histoire de la culture spirituelle. En hypertrophiant manifestement les aspects imaginatifs dans la pensée primitive, les ethnologues bourgeois n’ont fait qu'embrouiller la question des causes de ces particularités, ils n’ont pas été en état d'interpréter scientifiquement ces faits. Seuls, les classiques du marxisme-léninisme ont, pour la première fois dans I’histoire de la pensée scientifique, donné la seule explication théo-
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rique juste des racines gnoséologiques du reflet imaginaire déformé du monde dans le cerveau de l’homme.
        Dans les Cahiers philosophiques, Lénine a mis en lumière de façon géniale comment la pensée peut s’écarter de la réalité; il a montré que les erreurs, l’imagination, l’idéalisme ne sont pas de simples hasards et des sottises, mais que la possibilité d’erreur, le glissement vers l'idéalisme prennent racine dans le processus même de la connaissance humaine en tant que reflet contradictoire et généralisé de la réalité :

« Le double caractère de la connaissance de l'homme et la possibilité de l’idéalisme ( = de la religion) sont donnés déjà dans la première abstraction élémentaire... Quand l'intelligence (humaine) aborde la chose individuelle, en tire une image ( = un concept), cela n'est pas un acte simple, immédiat, mort, ce n’est pas un reflet dans un miroir, mais un acte complexe, à double face, zigzagant, — un acte qui inclut la possibilité de l’envol imaginatif hors de la vie; et plus encore, il inclut la possibilité d’une transformation (imperceptible, dont l’homme ne prend pas conscience) du concept abstrait, de l’idée en une fantaisie imaginative (en dernière analyse : Dieu). »[19]

        Il reste indiscutable que, dans la pensée primitive, il y a eu par exemple personnification d'objets inanimés et de phénomènes. Examinant les premiers stades de la pensée sur la base de l'analyse du matériel linguistique, A.A. Potebnia a écrit que pour les hommes, à un degré déterminé de leur développement intellectuel,

« la représentation de la qualité comme une chose contenant... une force, qui est également une chose, chassant une autre qualité (c'est-à-dire une chose) n'a rien de métaphorique. » A ce sujet, Potebnia cite l’exemple tiré d’une source écrite du XVIIIe siècle : « Le raifort est d'une nature humide et chaude («nature chaude » = chaleur) qui contient une force comestible; à qui le boira ou le mangera de bonne heure à jeun, à celui-ci il donnera chaleur et par sa force chassera les discours acrimonieux superflus. »[20]

        Autrement dit, la propriété de l’objet est considérée comme une réalité particulière contenue dans l’objet, lequel, portant celle propriété, apparaît comme l'exécutant passif d’une volonté personnifiée dans la propriété, comme instrument de sa manifestation active.
        Ces particularités de l’abstraction et le phénomène de personnification des propriétés abstraites au stade précoce du développement de la pensée se sont longtemps conservés dans la conscience des hommes et se retrouvent encore aujourd’hui chez certains sous la forme de
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survivances archaïques d'un passé lointain. Ils se rencontrent non seulement dans la pensée des gens peu cultivés, mais aussi chez les hommes de science. Par exemple, on sait, par l'histoire de la science d’un passé tout récent, que dans des phénomènes comme la combustion, la chaleur, le magnétisme, l'électricité, l'activité psychique du cerveau, on imaginait l’existence de substances matérielles ou spirituelles particulières, par exemple le « phlogiston », le « calorigène », le « fluide électrique », I' « âme »« etc.
        La nature de la personnification des objets inanimés et des phénomènes par l'homme primitif réside dans le fait que, comme le dit Feuerbach, « l'homme reporte sur la nature l’idée de son activité finaliste »[21].
        La forme la plus largement répandue de ce genre de pensée, qui érige en absolu et personnifie les produits de son opération d'abstraction, c’est, en fait, toutes les variétés de l’idéalisme et de la religion.
        Les aspects de reflet déformé de la réalité dans la conscience de l'homme primitif se sont manifestés aussi dans l'existence du fétichisme, qui marque de son sceau les opérations de déduction qui se produisaient parfois sur la base d'une simple association, d’une coïncidence accidentelle dans le temps et l'espace de deux phénomènes non reliés par des rapports de cause à effet, selon le principe « post hoc ergo propter hoc ». On pourrait citer comme illustration l’exemple suivant : un chien buvait de l’eau dans une rivière où se reflétait la lune, à ce moment, une éclipse de lune se produisit et I’on a donné de ce fait l’interprétation suivante : le chien a avalé la lune et la nuit est devenue noire.
        L’homme primitif voulait savoir beaucoup plus que ne le lui permettait son expérience pratique limitée et il remplaçait assez souvent les connaissances réelles par des inventions de toute sorte. II essayait de faire entrer dans la catégorie générale des rapports de cause à effet tous les hasards isolés, rencontrés par lui dans la vie, laissant échapper ce fait essentiel que si les effets suivent toujours les causes dans le temps, cela est loin de signifier que tout ce qui précède une chose dans le temps en soit aussi la cause.
        En prenant en considération les faits sous tous leurs aspects, nous voyons que dans la pensée de I’homme primitif la personnification des forces inanimées, le fétichisme, etc., occupaient une assez grande place. Mais un nombre de faits beaucoup plus grand, en somme toute I’histoire de la culture matérielle, l'énorme arsenal des instruments, des installations de différent genre, etc., témoignent d’autre chose : dans son activité pratique de tous les jours, dans son travail, l'homme pri-
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mitif partait des propriétés et des rapports entre les objets et les phénomènes, rapports et phénomènes naturels, absolument réels.
        Bien que le noyau rationnel de la pensée primitive ait été enveloppé de nombreux aspects irrationnels, il revêtait dans son ensemble un caractère logique. La pensée primitive a été un chaînon normal et nécessaire dans la chaîne gigantesque du développement intellectuel, dont le début s’enfonce profondément dans le règne animal et dont les chaînons ultérieurs s’élèvent à la pensée scientifique de l’homme contemporain.



* SPIRKINE Alexandre, né en 1918, candidat ès sciences philosophiques, collaborateur de la section philosophique de la Grande Encyclopédie soviétique.

Principal ouvrage : Les problèmes de la langue et de la pensée à la lumière des travaux de Staline sur la linguistique.

[1] Tylor, La civilisation primitive, Moscou, 1939, p. 92 (retraduit du russe).

[2] Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1951, p. 428.

[3] Ibidem, p. 30.

[4] Ibidem, p. 19.

[5] Engels, Dialectique de la Nature, Ed. sociales, 1952, p. 233.

[6] Cf. P.P. Iefimenko. La société primitive, Ed. de l’Académie des Science» de la R.S.S. d'Ukraine, Kiev, 1953, p. 292.

[7] K. Marx, Le Capital, Ed. sociales, 1950, t. I, p. 180-181.

[8] Cf. K. Marx et F. Engels, Œuvres, t. IV, p. 16 de l'édition russe.

[9] F. Engels, Anti-Dühring, Ed. sociales, 1950, p. 70.

[10] Cf. Thurnwald, Psychologie des primitiven Menschen. « Handbuch der vergleichenden Psychologie» herausgegeben von Gustaw Kafka. B. I, S. 273-274.

[11] Œuvres, t. III, p. 177, Académie des Sciences de l’U.R.S.S., Moscou-Léningrad, 1951.

[12] Paul Lafargue, Le déterminisme économique de Karl Marx. Ed. Marcel Giard, 1928, p. 93.

[13] Cf. Thurnwald, op. cit., p. 275.

[14] Cf. H.C. v. d. Gabelentz, Die melanesische Sprachen nach ihrem grammatischen Bau, B. 8, S. 23, 1861.

[15] En russe : « la pluie va ». (N.d.T.)

[16] Comparer le mot français concept, emprunté au latin conceplus, participe passé de concipere, recevoir, lui-même dérivé de capere, prendre. (N.d.T.)

[17] Cf. «Les principes d'un dictionnaire étymologique», Voprossy lazykoznania (Questions de linguistique), 1952, 5, p. 60.

[18] Ibidem.

[19] Lénine, Cahiers philosophiques, Ed. sociales, 1955, p. 289.

[20] Extraits des notes sur la grammaire russe. Kharkov, 1899, 3° partie, p. 17.

[21] Cité d'après les Cahiers philosophiques, p. 48.