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— Ecole doctorale européenne en histoire des théories linguistiques.
Univ. de Lausanne, 5-6 juin 2003
Organisation :
CRECLECO / Section de langues slaves  (Université de Lausanne)
Lieu : B.E.P. (Bâtiment de pharmacie), salle 1015.1
 
Programme

Jeudi 5 juin

— 9 h Accueil des participants
— 9 h 30 Patrick SERIOT (Lausanne) Présentation de l'école doctorale et du CRECLECO (Centre de recherches en épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale)
Exposé : «Y a-t-il des épistémès localement déterminées?»
— 10 h Jürgen TRABANT (Berlin Freie Universität) «Les langues des peuples sauvages dans quelques projets anthropologiques autour de 1800»
— 12 h repas
— 14 h Elena SIMONATO (Lausanne) «Une ‘linguistique énergétique’ en Russie à la fin du XIXe-début du XXe siècle»
— 14 h 30 Carita KLIPPI (Lyon / Tampere) «La vie du langage. Les enjeux de la linguistique dynamique française de 1864 à 1916»
— 15 h Sébastien MORET (Lausanne) « Plus jamais ça grâce à la linguistique… ?» (Le rôle des linguistes dans la délimitation des frontières poltiques)
— 15 h 30 pause
— 16 h Viktorija HONCHAROVA (Lausanne / Lviv) «Analyse historique de l’apparition de l’idée d’une communauté linguistique différente du russe (les Ukrainiens)»
— 16 h 30 Markus MEßLING (Berlin) «L'écriture pictographique et l'image philosophique de l'écriture - Quelques remarques sur la réception du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens par Champollion dans la grammatologie de Guillaume de Humboldt»
— 17 h Oksana ZAJCEVA (Lausanne / Kiev) «Russe, biélorusse, ukrainien: trois variantes d'une même langue ou bien trois langues différentes?»


Vendredi 6 juin 

— 9 h 30 Sylvain AUROUX (ENS - LSH Lyon) «L'histoire des théories linguistiques : principes, méthodes et perspectives»
— 11 h 30 Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne / Moscou) «Le problème des frontières, ou la méthodologie du marrisme»
— 12 h repas
— 14 h 00 Irina IVANOVA (Lausanne / Saint Petersbourg) «La notion de ‘mot vivant’ (zhivoje slovo) : de l’expression à l’institution»
— 14 h 30 Laurent METOZ (Lyon) «Merritt Ruhlen, critiques et perspectives»
— 15 h Margarita SCHOENENBERGER (Lausanne) «Le concept de norme linguistique dans la linguistique soviétique des années 60-90»
— 15 h 30 pause
— 16 h Sarah BöSCH (Berlin) «Humboldt dans la Société Asiatique (1822-1835): Un exemple de transfert scientifique aux origines de la linguistique française»
— 16 h 30 Elena BOULGAKOVA (Lausanne / Odessa) «Les notions de pureté et de mélange des langues dans les discussions sur l’ukrainien après l’indépendance de l’Ukraine»
— 17 h Bilan et perspectives

Résumés

Sylvain AUROUX (Lyon / ENS-LSH)
L'histoire des théories linguistiques : principes, méthodes et perspectives

L'histoire des sciences du langage est une discipline qui, comme telle, dispose de méthodes et de résultats. On définira la notion de résultat dans la discipline puis on s'efforcera de donner quelques exemples choisis dans les recherches des vingt dernières années. Enfin on précisera les innovations méthodologiques, notamment l'introduction de l'histoire sérielle qui a permis de les obtenir.

— Sarah BöSCH (Berlin)
Humboldt dans la Société Asiatique (1822-1835): Un exemple de transfert scientifique aux origines de la linguistique française

Dans l'histoire de la réception de Guillaume de Humboldt en France, on peut repérer seulement deux périodes pendant lesquelles l'œuvre humboldtienne fut connue, appréciée et analysée par un cercle relativement élargi de savants français: la première dans le cadre des activités de la Société Asiatique entre 1822 et 1835, la deuxième à partir des années 70 dans les études et traductions de certains germanistes, philosophes et linguistes tels Pierre Caussat, Jean Quillien, Henri Meschonnic, Pierre Swiggers, Denis Thouard ou Jean Rousseau. A part cela, la présence continue de certaines parties de l'œuvre de Humboldt en France est due aux travaux de personnes isolées appartenant à différentes disciplines scientifiques.
Pendant la dernière décennie de sa vie, Humboldt, agréé "associé correspondant" de la Société Asiatique depuis 1824, établit tout un réseau d'échange scientifique sur différentes questions linguistiques avec plusieurs membres de ladite Société (Jean-Pierre Abel-Rémusat, Eugène Vincent Jacquet, Jean-François Champollion, Julius Heinrich Klaproth, Friedrich Eduard Schulz). A partir de 1820 des compte-rendus d'une grande partie de ses discours académiques lus et publiés au sein de l'Académie de Berlin, des extraits de sa correspondance scientifique, des annonces de ses publications et lectures ainsi que quelques textes en français de sa propre main furent publiés dans différentes revues savantes telles le Journal Asiatique, le Journal des Savans ou le Bulletin des sciences historiques, antiquités, philologie. Cet intérêt toujours croissant pour les recherches linguistiques de Humboldt auprès de ce milieu intellectuel s'arrêta brusquement après sa mort en 1835. Ses travaux linguistiques ne furent presque plus discutés ou traduits parmi les linguistes français. Seul son ouvrage historico-comparatif, fondé sur l'étymologie basque des toponymes ibères livrés par l'Antiquité classique, la Prüfung der Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens vermittelst der vaskischen Sprache (1821) (trad. franç. Marrast 1866: Recherches sur les habitants primitifs de l'Espagne à l'aide de la langue basque) joua un certain rôle dans les études bascologiques autour de la Revue de linguistique et de philologie comparée vers la fin du XIXe siècle. Le Humboldt linguiste et philosophe du langage ne rentrera vraiment en scène que dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Dans mon intervention, en me basant sur la méthodologie des transferts culturels développée notamment par Michel Espagne et Michael Werner, je vais tenter de répondre aux questions suivantes: Pourquoi l'œuvre humboldtienne eût-elle un tel succès en France au sein de la Société Asiatique? Pourquoi cette réception aussi intense des recherches humboldtiennes aux origines de la linguistique française ne se poursuivit-elle plus après son décès? Les réponses à ces questions sont à relever aux trois niveaux (champs sociologique, théorique, pratique) développés par Sylvain Auroux dans ses travaux concernant l'émergence et l'évolution des systèmes scientifiques en sciences du langage.

— Elena BOULGAKOVA (Lausanne) :
Les notions de pureté et de mélange des langues dans les discussions sur l’ukrainien après l’indépendance de l’Ukraine.


Le présent exposé représente, dans le cadre de la recherche débouchant à la fois sur une épistémologie du discours sur la langue ukrainienne ainsi que sur une réflexion anthropologique des groupes humains ( passage continu ou discontinu), un exemple d’analyse concrète de la production linguistique de l’Ukraine après son indépendance de 1991.
La normalisation de la langue ukrainienne, qui a officiellement commencé dans les années 1920-1930 avec le lancement de la politique de la nationalisation par les dirigeants soviétiques, dure jusqu’à nos jours. Après l’indépendance de l’Ukraine, il est devenu de nouveau possible de normaliser la langue et de la « rapprocher » de sa version « naturelle », c’est-à-dire se débarrasser des russismes  « imposés » par les ukrainisateurs soviétiques. 
De nouvaux articles sur la langue apparaissent régulièrement dans la presse ukrainienne dans lesquels on discute à vif les problèmes langagiers. Les auteurs de ces articles sont non seulement des linguistes ukrainiens mais aussi des professeurs d’école, des hommes politiques et tout simplement des partisans de l’idée nationale. La langue ukrainienne, appelée autrefois par des russophones de façon péjorative la langue des bœufs, la langue des chiens, la langue des mu_iks ukrainiens, se manifeste dans le discours contemporain en Ukraine comme la langue la plus riche, la plus mélodieuse, la plus ancienne, et même parfois celle qui a servi de base aux autres langues indo-européennes.
En se basant sur les discussions sur la langue ukrainienne de nos jours, l’auteur va essayer de trouver les réponses aux questions suivantes :

- Quelle est la notion de la langue en Ukraine d’aujourd’hui ?
- Y-a-t-il un rapport entre la langue et le caractère national du peuple, sa mentalité et sa culture pour les linguistes ukrainiens ?
- Qu’est-ce qui représente le phénomène de « surzik » ?
- Qu’est ce que c’est que la pureté de la langue ? Est-ce le mélange des langues est toujours un phénomène négatif ?
- Quelle est le rôle de la masse parlante dans la création et changement de langue selon les linguistes ukrainiens ? (Confrontation avec la définition Saussurienne de la langue).

— Viktorija HONCHAROVA (Lausanne) :
Analyse historique de l’apparition de l’idée d’une communaute linguistique différente du russe ( les Ukrainiens )

L’apparition de l’idée d’une communauté linguistique ukrainienne (différente du russe) est étroitement liée avec le mouvement du Panslavisme et une de ses branches, appelée « slavophilie »( chez les Russes). Il s’agit d’un phénomène de « ukrainophilie ». Inspirés par les idées romantiques, séduits par les rêves de la solidarité slave, ses représentants ont commencé par la manifestation de l’intérêt à la langue, la culture et l’histoire de l’Ukraine.
Ce phénomène est très intéressant et complexe, car, en fait, il existait sous deux formes : ukrainienne et polonaise. De plus les Russes ont aussi montré un grand intérêt à la question ukrainienne.
Chez les Polonais l’ukrainophilie a passé d’une simple sympathie envers l’art populaire ukrainien (en même temps ils traitaient la spécificité ukrainienne comme régional, sans exclure l’Ukraine du monde polonais) aux intérêts politiques. Les idéologues polonais voyaient les Ukrainiens comme les alliés potentiels pour la lutte contre l’Empire Russe après la défaite de l’insurrection polonaise (1830-1831).
Les Ukrainiens. On peut parler de l’ukrainophilie ukrainienne à partir de la fondation de la société secrète, appelée « Confrérie de Cyrille et Méthode » (Kiev, 1846), dont les membres élaboraient le projet de la future fédération slave et réfléchissaient aux voies possibles de la renaissance ukrainienne. Depuis lors le mouvement ukrainien a passé des stades différents.
S’étant déplacé à St.-Pétersburg, le mouvement ukrainien est lié avant tout à l’organisation de la revue scientifique et littéraire Osnova (1861), dont les contributeurs essayaient de prouver l’existence d'une identité ukrainienne indépendante des Russes, grâce à une langue indépendante. Leur but final était la séparation de l’Ukraine. Pour eux, la langue représente la nation, l’identifie et la symbolise.
Après la répression administrative contre l’ukrainophilie en 1863 (circulaire de Valuev), les activistes ukrainiens ont pris une autre position : ils essayaient de réhabiliter l’ukrainophilie. Ainsi Drahomanov dans son ouvrage « La politique de l’Allemagne et la russification » démontre que les ukrainophiles étaient toujours les partisans de l’union russe (triedinaja russkaja nacija), mais de l’union en diversité, en gardant la spécificité petite russe (ukrainienne) et en développant la langue locale.
L’ukaz d’Ems étant adopté, le mouvement ukrainien a subi de nouvelles persécutions. A partir des années 1870, le centre de l’ukrainophilie se déplace en Galicie Orientale (sous domination de l’Autriche-Hongrie), où son intensification est lié avec l’activité de M. Hrushevski. Il a continué et achevé les efforts des ukrainophiles ayant créé le schéma de l’histoire indépendante de l’Ukraine (avec sa propre langue – l’ukrainien) en faisant contrepoids à l’histoire traditionnelle russe.
On va parler également des nombreuses polémiques entre les linguistes russes et ukrainiens (p.ex. Maksimovich – Pogodin) concernant la question : « l’ukrainien est-il une langue indépendante ou bien un dialecte du russe ? ».


— Irina IVANOVA (Lausanne)
La notion de « mot vivant » (zhivoje slovo): de l’expression à l’institution

L’expression « zhivoe slovo » (mot vivant) est difficile à traduire dans une langue étrangère car au premier regard cette combinaison des mots en soi n’a pas de sens. Cependant, en Russie cette expression a été très en usage au début du XXème siècle. Elle a servi de point d’articulation des recherches aussi bien sur les phénomènes langagiers, que sur l’art de la parole.
Chaque composante de cette expression a été mise en usage dans la deuxième moitié du XIXème siècle. La notion de « zhivoj jazyk » (langue vivante) a pris une position centrale aussi bien dans les recherches de Baudouin de Courtenay et de ses élèves que dans les travaux sur les dialectes russes et sur la langue du peuple (cf. le Dictionnaire de la langue russe vivante de V.Dal’).
L’autre composante « slovo » a été utilisée dans les milieux intellectuels pour désigner le discours qui est destiné au public et qui porte le savoir, « la vérité » (cf. la définition de « slovo » chez V.Dal’).
Au début du XXème siècle ces deux notions se sont réunies pour engendrer l’expression «zhivoje slovo» qui est devenue très à la mode. Elle a été utilisée par des linguistes, par des psychologues, par des didacticiens, par des spécialistes en rhétorique et en arts théâtraux et par des politiciens pour désigner le discours oral dans tous ses aspects. Dans le milieu des intellectuels cette expression a été liée à la représentation de la démocratie.
La fondation de l’Institut du mot vivant (Insititut zhivogo slova) en 1918 a été le point culminant de ce mouvement. Cet Institut a visé l’enseignement des sciences du langage et de l’art de la parole pour tous ceux qui s’intéressaient à apprendre à parler. Ses fondateurs ont souligné que la rhétorique avait été accessible soit aux nobles, soit aux avocats, et que la démocratie est liée directement au mot vivant (zhivoe slovo).
Cet Institut existait jusqu’à 1920 puis a été fermé en raison de difficultés financières : la guerre civile n’a pas permis à l’Etat de financer cet établissement. Malgré cette fermeture, les idées développées dans le cadre de cet Institut ont continué à occuper la communauté scientifique. L’articulation des recherches proprement linguistiques avec la pratique et avec l’art de la parole qui a été pratiquée dans cet Institut peut être considée comme le début de la pragmatique linguistique en Russie.

— Carita KLIPPI (Lyon / Tampere) :
La vie du langage. Les enjeux de la linguistique dynamique française de 1864 à 1916

Notre thèse s’inscrit dans l’histoire conceptuelle de la linguistique et se situe à l’époque de fermentation de la linguistique émergente, plus exactement entre 1864, lorsque la grammaire comparée arrive en France, et 1916, date à laquelle paraît le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure. L’introduction de la grammaire comparée est un tournant dans la pensée linguistique d’expression française dans la mesure où on commence à se questionner aussi bien sur la nature de l’objet de la linguistique que sur la nature de la science linguistique. L’objet de recherche de la grammaire comparée, la proto-langue, est une catégorie discrète, même si cette catégorie reconstruite est loin d’une langue systématique et synchronique. Telles catégories discrètes peuvent être situées dans un arbre généalogique, ce qui contribue à leur traitement en tant qu’entités naturalistes. Une étape intermédiaire se situe en 1875, lorsque se déclenche un débat sur les dialectes qui conduit à mettre en doute la catégorie discrète de la langue. Certains dialectologues adoptent la théorie des ondes au détriment du modèle de l’arbre généalogique, et par ricochet, réduisent la langue à une masse amorphe de traits dialectaux. Saussure en tant que meilleure tête pensante de l’épistémologie linguistique de l’époque construit ses dichotomies sur les lacunes théoriques de la grammaire comparée.

Dans notre thèse, nous avons choisi de construire cette problématique autour d’une métaphore récurrente dans la linguistique française de l’époque, celle de « la vie du langage », et de trouver les raisons pour lesquelles un Saussure a rétrospectivement pu qualifier cette thématique de « mal choisi ». « La vie du langage » a pour point de départ l’idée naturaliste selon laquelle la langue, soumise aux lois naturelles, naît, croît et meurt, mais en outre, à l’aune de cette même métaphore, la langue est une entité constamment en mouvement, variable et dynamique. La contradiction intrinsèque que comporte « la vie du langage » est due au fait que l’on ne peut saisir l’essence de l’entité linguistique qu’à travers les catégories discrètes et statiques, et par conséquent, la linguistique en germe est d’emblée confrontée à une complication qui dérive de l’incompatibilité entre l’ontologie et la méthodologie. Du point de vue de l’historien qui porte le fardeau de la connaissance actuelle, l’esquisse idéale de la constellation linguistique au cœur de laquelle il y a la linguistique autonome ne peut être projetée en tant que telle sur les sciences du langage de l’époque, car l’objectif ultime des linguistes de la fin du 19e siècle était de pénetrer l’essence réelle (c’est-à-dire dynamique) de la langue.

Notre corpus, constitué d’une part, de la partie théorique composée des ouvrages de linguistique générale de l’époque, et d’autre part, d’une partie empirique, qui comprend des données fournies par la dialectologie, nous permet de nous poser les questions suivantes :
1) Quelle sorte de science est la linguistique
a) Est-ce une science naturelle ou est-ce une science historique ? Si c’est une science historique, peut-on lui appliquer les méthodes des sciences naturelles
b) Où se situe la linguistique par rapport à la classification des sciences de l’époque ?
Pour répondre à cette question, nous faisons référence aux ’-ismes’ qui constituent à nos yeux les antécédents extralinguistiques de notre sujet.
2) Quel est l’objet de la linguistique, la langue (que peut-on savoir sur la langue ?)
a) Est-ce un objet physique, un organisme ?
b) Est-ce une entité psychologique-individuelle?
c) Est-ce une cristallisation sociale ?
d) Est-ce une construction conceptuelle créée par l’homme ?
e) Est-ce une étiquette qu’on colle sur les occurrences spatio-temporelles, individuelles (langue1, langue2, langue3… languen) ?
f) Ou en est-il ainsi que l’objet de la linguistique n’existe pas ?


— Markus MEßLING (Berlin) :
L'écriture pictographique et l'image philosophique de l'écriture - Quelques remarques sur la réception du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens par Champollion dans la grammatologie de Guillaume de Humboldt.

Jean-François Champollion a non seulement déchiffré les cartouches de nombres de rois et de reines de l’ancienne Egypte, comme celles de Cléopâtre et Ptolémée dans l’inscription de Rosette, mais il a aussi découvert la généalogie des écritures égyptiennes ainsi que plusieurs principes fondamentaux de la grammaire des hiéroglyphes. Son plus grand mérite reste sans doute la découverte du principe de fonctionnement de l’écriture hiéroglyphique, réunissant en elle, dès les plus anciens moments de son usage, des sémogrammes et des phonogrammes. Cette connaissance a été le point de départ de la discipline scientifique dite égyptologie.
Bien que Champollion suppose encore, dans sa célèbre Lettre à M. Dacier (1822), un moment historique dans lequel le principe phonétique aurait été introduit dans l’écriture hiéroglyphique, il a néanmoins été convaincu, par des considérations systématiques, que la phonographie était un aspect originaire et indispensable du fonctionnement des hiéroglyphes. Etant donné la place importante qu’occupent ces réflexions systématiques à la fin de sa Lettre et au cœur de l’introduction au Précis du système hiéroglyphique des anciens Egyptiens (1824), on peut dire que Champollion met un terme à l’histoire scripturale traditionnelle qui voyait dans la pictographie, l’idéographie et la phonographie des étapes d’une progression de l’écriture.
L’intense réflexion sur l’écriture qui occupe une place déterminante dans la pensée de Guillaume de Humboldt pendant les années 1823-1825 est motivée par la lecture de la Lettre de Champollion. Humboldt suit, dans ses différents essais et discours sur l’écriture, peu à peu, le raisonnement de Champollion. Il rejette toujours plus l’ancienne « métaphysique des hiéroglyphes » pour finalement reconnaître que la méthode développée par Champollion est la seule adéquate à une compréhension scientifique des hiéroglyphes.
Or, la réception de l’œuvre de Champollion ne change pas seulement l’idée que Humboldt se fait du système hiéroglyphique, mais elle porte de grandes conséquences sur sa conception de l’écriture en général. Celle-ci reste dans ses travaux sur les diverses manifestations scripturales au centre de son intérêt épistémologique. Ainsi Humboldt reconnaît que les principes de la pictographie, de l’idéographie et de la phonographie existent à l’origine-même de la compétence scripturale de l’homme et que, par conséquent, toute écriture historique se positionne entre ces trois principes. Aussi le savant allemand procède-t-il dans ses travaux d’une généalogie historique des écritures, qui avait été, dans la tradition de Jean-Jacques Rousseau (et d’autres philosophes), une histoire linéaire des progrès civilisateurs, à une anthropologie triadique et synchronique de l’écriture. Pour Humboldt, néanmoins, la phonographie garde une place préliminaire parmi les écritures possibles car il voit en elle l’incarnation de la double articulation de la langue et de la formalité de la pensée.

— Laurent METOZ (Lyon) :
Merritt Ruhlen, critiques et perspectives

Depuis une quinzaine d’années, les travaux de Merritt Ruhlen en matière de typologie génétique des langues, basés sur la recherche directe de ressemblances de formes sonores et de sens dans des items lexicaux de différentes langues, tentent de valider l’hypothèse selon laquelle une seule et même proto-langue universelle serait à l’origine de toutes les langues parlées à la surface du globe ; le mythe de la Tour de Babel est ainsi réactualisé.
Outre les arguments classiques des comparaisons multilatérales, certaines recherches linguistiques actuelles sur l’origine des langues (e.g. Ruhlen, 1994, 1997) appuient leur thèses sur l’existence d’une relation gènes-langues (e.g. Cavalli-Sforza, 1996). Cependant, la validité scientifique de cette relation est loin d’être démontrée. En effet, après une analyse assez exhaustive des travaux de Merritt Ruhlen, il a été prouvé, statistiquement, que la méthodologie employée par Ruhlen pour faire émerger des racines communes à plusieurs langues, preuve d’une parenté génétique entre ces dernières, n’est pas valable. Dès lors, comment concevoir la scientificité d’une relation entre gènes et langues si l’une des deux classifications est invalidée ? Après présentation des résultats, les perspectives de recherches sur les implications méthodologiques de tels travaux seront exposées.
L’objectif de ce travail est d’établir l’histoire d’une telle relation. En effet, bien avant l’acquisition par le gène d’une caution scientifique encore peu contestée, beaucoup de savants comme l’allemand Blumenbach, l’écossais Kames, l’américain Morton ou le français Broca…se sont basés sur des caractéristiques diverses de l’être humain pour hiérarchiser les races et les langues. Plus qu’une hiérarchisation, l’objectif de ces travaux étaient d’établir clairement une supériorité des races et des langues (partant du postulat que de la taille du crâne, il était possible d’en déduire les capacités intellectuelles donc la complexité du langage). Comment, pourquoi, à quelle époque de telles relations ont vu le jour i.e. quels sont les héritages de l’actuelle relation gènes-langues en Europe et aux États Unis, voici les questions auxquelles nous allons essayer de répondre.
Parallèlement à cette relation gènes-langues qui fait clairement référence aux mythes créationnistes, nous nous intéresserons aux théories polygénétiques, oligogénétiques voire athéistes de l’origine des langues et des individus (les deux étant, dans la littérature, intrinsèquement liées). En effet, dans le but de distinguer les « sauvages » et leurs langues des européens et des peuples policés, nombreuses ont été les théories explicatives de l’origine de l’Homme. L’étude précise des différents courants de pensée à la fois de l’origine de L’Homme et de l’origine des langues, du XVIème siècle à la fin du XXème siècle en Europe et aux États Unis (créationnisme monogénétique, créationnisme polygénétique ou encore athéisme polygénétique…), nous permettra de mieux comprendre les arguments avancés par chacun dans la justification du racisme, de l’esclavagisme, de la colonisation, de l’évangélisation mais également de comprendre l’impact, rarement positif, de la religion dans les sciences (cf., entre autres, l’encyclique Humani Generis de Pie XII ou encore le mythe de Babel).
Enfin, la démonstration de Ruhlen, basée sur la méthode multilatérale d’appariement des langues, fait état d’éléments linguistiques qui lui permettent d’établir des classements. Ces éléments sont, outre les glissements sémantiques, des équivalences phonétiques.
La liste ci-dessous référence les équivalences proposées par Ruhlen, suivant leur ordre d’apparition dans le corps de l’ouvrage de 1997 :
[S] [T], [p], [t], [k] [b], [d], [g], [l] [y]...
En constatant l’utilisation faite des lois phonétiques pour retrouver des racines universelles (e.g. l’analyse des formes phonétiques montre que la plosive vélaire [k], par exemple en indo-européen, se retrouve associée à 19 équivalences. Si nous ajoutons les familles Niger-Congo et afro-asiatique, il faut en ajouter 5. La plosive vélaire représente ainsi 80% des occurrences de consonnes), il semble légitime de se poser la question suivante : une loi phonétique indo-européenne peut-elle servir à l’ensemble des domaines linguistiques de la planète dans le but d’étayer une thèse sur la monogenèse des langues du monde ? Autrement dit, existe-t-il une universalité des lois phonétiques ? Pour répondre à cette question, il faudra approfondir nos connaissances dans le domaine de la linguistique historique. Pour l’heure, les recherches bibliographiques menées sur le comparatisme linguistique et les lois phonétiques ne nous ont pas encore permis de récupérer des éléments en faveur d’une telle thèse.

— Sébastien MORET (Lausanne) : Plus jamais ça grâce à la linguistique… ? (Le rôle des linguistes dans la délimitation des frontières politiques)

Au sortir de la Première guerre mondiale, l’Europe est à reconstruire. Il ne s’agit pas seulement de réparer les dégâts matériels. Il faut aussi redessiner la géographie du continent. Les grands empires multinationaux n’existent plus ; sur leurs ruines, de nouveaux pays devront être créés. En plus de cela, les vainqueurs ont des exigences territoriales. Bref, l’Europe de l’après-guerre ne se fera pas sans une redéfinition des frontières.

Encore sous le choc de ce qui venait d’arriver à l’Europe – cette Europe rationnelle, civilisée, berceau de l’Humanisme et des Lumières que l’on pensait à l’abri d’une telle tragédie - , les gouvernements en appellent à une paix scientifique . Grâce à la science, l’Europe de l’après-guerre se fera de manière juste et cette nouvelle situation assurera une paix durable. Des experts, des scientifiques sont ainsi appelés au chevet du continent meurtri pour redessiner ses frontières et son avenir, afin que la guerre que l’on venait de subir soit bien la der des ders.

Si l’on en croit Albert Dauzat ou Antoine Meillet, la linguistique eut son mot à dire dans l’élaboration de cette paix scientifique. Après avoir précisé le rôle de quelques linguistes français dans ces préparations de l’après-guerre, nous présenterons les premiers résultats de nos recherches : il semblerait que les classifications typologiques et hiérarchiques des langues eurent de l’importance dans l’attribution d’une autonomie nationale.

Enfin, nous constaterons un point de vue totalement différent chez le linguiste russe Baudouin de Courtenay. Si la majorité des linguistes français accepte une classification hiérarchique des langues, lui la refuse. Et cela semble avoir eu une influence sur ses idées politiques.

Bien évidemment, le titre donné à cet exposé ne doit pas être pris au sérieux. Il est bien clair que les linguistes n’ont pas pesé d’un poids déterminant sur les décisions prises par les gouvernements lors des différentes conférences de paix. Des raisons de Realpolitik pure furent prépondérantes. Néanmoins, l’analyse des contributions des linguistes font apparaître une vision de la langue/des langues propre à une époque.

— Margarita SCHOENENBERGER (Lausanne) :
Le concept de norme linguistique dans la linguistique soviétique des années 60-90

Le thème constant des travaux de la période en question est la notion de langue «littéraire» russe. La linguistique soviétique revendique la théorisation la plus originale et la plus approfondie de ce concept. La notion qui est intimement liée à la notion de langue «littéraire» est celle de «norme». Elle fut elle aussi la figure de proue dans les réflexions théoriques en Union soviétique.
Soigneusement élaborée en théorie, elle présente une grande part d'implicite quand les auteurs cherchent à l'appliquer à des emplois linguistiques effectifs. On observe une volonté certaine de justifier, la science linguistique à l'appui, la norme unique, théorique et réalisable à la fois, obligatoire pour tout russophone, la norme dite «littéraire»;
Ce courant de pensée a reçu le statut officiel d'une discipline linguistique et le nom de «culture de la langue».
A partir des années 1960, il est très important pour les linguistes soviétiques de souligner une filiation nécessaire entre la tradition ancienne russe de réfléchir et de travailler sur la langue depuis Lomonosov et les efforts engagés dans ce sens par la science du langage en URSS. Les apports des philologues russes comme A.A: Shakhmatov et V.I. Chernyshev ne sont pas les seules sources de la théorie des langues «littéraires». Une des sources est l'apport scientifique de l'Ecole de Prague. L'Ecole de Prague est avant tout connue en Europe occidentale par ses travaux dans le domaine de la phonologie, à savoir par l'élaboration du modèle phonologique. L'Ecole de Prague est mal ou moins connue par les linguistes occidentaux pour sa théorie sur la normalisation des langues nationales. Cependant, c'est un des points importants des Thèses du Cercle linguistique de Prague. L'Ecole de Prague est explicitement citée par les linguistes soviétiques en tant que source théorique, les concepts et les termes ont sensiblement la mÍme forme. On ne peut pas pour autant parler d'une seule et mÍme théorie dans les deux cas, ni d'une filiation naturelle entre les deux.
Les linguistes de culture de la langue se donnent pour tâche de déterminer ce qu'il y a de «progressiste» dans le «littéraire». Les linguistes s'engagent à le faire sur des bases scientifiques, sans recours à des opinions subjectives. Pour ces chercheurs, la voie vers l'objectivité passe par la théorisation approfondie de la notion de norme linguistique.
Le concept de norme apparaît comme un remède susceptible d'éclaircir le problème des variantes. De ce point de vue, les linguistes soviétiques ne sont pas non plus des pionniers. Parmi les linguistes post-saussuriens, ce sont surtout Hjelmslev et Coseriu qui ont introduit, chacun à sa manière, le troisième terme dans l'opposition saussurienne langue / parole qui a reçu le nom de norme.
C'est surtout les travaux du linguiste soviétique L.I. Skvorcov qui offrent une analyse critique de l'apport théorique de Hjelmslev et Coseriu. L'auteur propose un autre schéma pour le phénomène du langage où figure aussi le terme de norme. Son schéma reprend et précise des propositions présentées dans toute une série de travaux des linguistes soviétiques.
Dans le schéma de Skvorcov la notion de norme gagne du terrain. En effet, c'est tout le domaine de la parole qui en est affecté. Cette norme-parole est présupposée entièrement par un système formel et abstrait de la langue. Et comme le système est une réalité pour Skvorcov, la norme en devient une aussi. La norme est donc «objective».
Cette conception de la norme entraîne une conséquence théorique de taille, à savoir que les linguistes croient possible et fondé de prévoir l'apparition et la disparition des éléments linguistiques, en s'appuyant sur la connaissance du fonctionnement du système de la langue.
Une autre conséquence importante, c'est que la codification de la norme devient un concept scientifique dans la linguistique soviétique, car elle peut se baser désormais non sur des jugements esthétiques ou autres, mais sur la connaissance du système. De cette manière l'intervention dans l'usage linguistique est légitimée par la théorie.
La recherche des critères fiables qui permettent de dégager la norme «littéraire» d'une manière objective est un souci constant des linguistes soviétiques. Cependant, tous les chercheurs sans exception font recours d'une manière ou d'une autre aux facteurs sociaux dans leurs jugements sur la normativité des productions linguistiques. L'introduction de la dimension sociale est à la fois mise en avant et occultée dans la quÍte de la norme «littéraire» (la norme «littéraire» veut relever uniquement de la structure de langue).
La théorie de la langue «littéraire» se heurte, à mon avis, à la reconnaissance implicite de la variation linguistique. La recherche de la norme objective a amené les linguistes de la culture de la langue à mettre le doigt sur cette variation. Ils la considèrent, certes, comme témoignant d'une concurrence inégale où il n'y a qu'un seul qui gagne, «le vrai». La valeur de ces recherches est d'avoir révélé que même un usage particulier des locuteurs, supposés être socialement homogènes, présente un degré de variation considérable.

— PatrickSERIOT (Lausanne) :
Existe-t-il des épistémès localement déterminées?

Si la science est science, peut-elle être influencée, voire déterminée par les conditions locales (culturelles, institutionneles) de son apparition? la question ne se pose guère en physique ou en biologie, mais dans les sciences du langage elle revêt une importance considérable, et, curieusement, plus on avance vers l'Est de l'Europe, plus la thèse de la détermination culturelle de la science est mise en avant. Mais doit-on parler de «science russe» ou de «science en Russie»? Y a-t-il des manières de faire, des thèmes d'intérêt, ou bien des types de sciences différentes? On refusera ici la «théories des deux sciences» («science bourgeoise / science prolétarienne de l'époque de Zhdanov aussi bien que «science russe» / «science occidentale» du Jakobson des années 1930, pour tenter de travailler les notions de doxa / discours dominant / air du temps et air du lieu.

— Elena SIMONATO-KOKOCHINA (Lausanne) :
Une " linguistique énergétique " en Russie à la fin du XIXe-début du XXe siècle


A la fin du XIXe siècle, l'Europe vit dans une atmosphère fébrile des inventions. C'est l'époque où chacun veut créer sa nouvelle science. En linguistique, cette époque est celle où la linguistique abandonne le paradigme indo-européen, où l'on commence à se rendre compte de ses limites. La linguistique, comme d'autres sciences dites " humaines ", aspire devenir une science exacte, sur le modèle des sciences naturelles.

Dans cette atmosphère, en Russie, entre 1880 et 1900, D.N. Ovsjaniko-Kulikovskij (1853-1920) veut créer une linguistique nouvelle, une " linguistique scientifique ". Sa " linguistique scientifique " est une conception dont l'originalité reste à découvrir. Nous l'avons appelée " linguistique énergétique " car il s'inspire du modèle énergétique dans les sciences. C'est le parcours de ce savant que nous nous proposons de suivre à travers une relecture de ses articles, documents inédits des archives, et une tentative de rattacher ses thèses et les métaphores qu'il emploie aux idées qui étaient " dans l'air ".

— Jürgen TRABANT (Berlin, Freie Universität) : Les langues des peuples sauvages dans quelques projets anthropologiques autour de 1800

Il s'agit d'élucider quelques moments dans la genèse de ce qu'on peut appeler la linguistique anthropologique (synchronique) comme opposée à la linguistique historique. Ce faisant, j'essayerais de montrer la genèse européenne de ce projet. Mon intervention critiquera donc implicitement l'historiographie linguistique traditionnelle aussi bien qu'une critique qui reste dans le cadre méthodologique (et idéologique) d'une telle historiographie. Elle proposera une narration alternative de ce moment crucial pour l'histoire de la linguistique. Je parlerai donc de:
1. Anthropologie, philosophie, histoire
2. Langues et anthropologie
3. Paris et le Pays Basque
4. Anthropologie parisienne

— Ekaterina VELMEZOVA (Lausanne) : Le problème des frontières, ou de la méthodologie du marrisme

Dans les années 1920-1930, le problème des frontières devient l’un des plus importants pour les sciences soviétiques, y compris la linguistique. La question se pose à propos des :
- objets des sciences particulières ;
- domaines du savoir eux-mêmes.
Dans le premier cas, les frontières « disparaissent »
- dans l’espace :
- dans le temps.
Ainsi le marrisme - la théorie qui bénéficiait du statut de la doctrine officielle dans la linguistique soviétique pendant plusieurs décennies – présupposait non seulement l’hybridation, le croisement de toutes les langues (c’est-à-dire, l’effacement des frontières entre les langues dans l’espace), mais aussi l’absence des frontières strictes entre les stades du développement langagier dans les langues particulières (l’absence des frontières stadiales, des frontières temporelles).
Le même phénomène a également touché les études littéraires, et non seulement les « marristes » dans la littérature, comme O.Frejdenberg et I.Frank-Kameneckij. M.Bakhtine avait des difficultés à définir le genre de certaines œuvres de F.Dostoevskij, Ju.Tynjanov « n’avait plus la sensation du genre » (l’absence des frontières dans l’espace) et parlait des « fossiles littéraires» (literaturnye okamenelosti) dont la forme ne correspondait plus au contenu (d’où l’absence des frontières strictes dans le temps, dans l’évolution des genres littéraires).
Ces principes des recherches parallèles en linguistique et dans les études littéraires font supposer que le succès de la théorie marriste, si fantastique à première vue, ne peut pas être expliqué uniquement par des raisons politiques et la peur des répressions.
Une autre explication possible du phénomène du marrisme est plutôt méthodologique. Dans les années 1920, les chercheurs soviétiques aspiraient à découvrir les lois d’évolution qu’on pût appliquer aux objets de tous les domaines du savoir, à la fois. Il s’agissait d’une approche intégrale au savoir, qui présupposait un certain effacement des frontières entre les sciences.
C’est pourquoi, le même modèle du développement langagier et biologique (chez N.Marr et L.Berg, en particulier) ne révélait plus, comme à l’époque de A.Schleicher, l’emprunt des schémas et des métaphores biologiques en linguistique. Cette fois, il s’agissait des mêmes recherches méthodologiques dans les deux domaines en même temps, d’une approche intégrale vers l’objet des études.


— Oksana ZAYTSEVA (Lausanne) :
Russe, biélorusse, ukrainien: trois variantes d'une même langue ou bien trois langues différentes?

Actuellement l'existence de l'ukrainien et du biélorusse en tant que différents du russe n'est pas acceptée par tous les linguistes en Russie.
Comment expliquer qu’en près de deux siècles, cette question revêt une telle importance et fait l’objet continu d’études approfondies ? Pourquoi les enjeux qui se cachent derrière les noms des langues semblent si graves ?
Dans le contexte géopolitique des langues, l’enjeu de la définition des langues prend une importance particulière. Terrain de conflits et de luttes entre grandes puissances, la région d’existence des langues slaves orientales a subi un va et vient permanent entre unification et démantèlement. La définition des langues et des peuples avait forcément des implications politiques qui dépassaient très largement le cadre de la linguistique.
Derrière la notion de langue se cache très souvent une idéologie. Instrumentalisée et dépassée par des enjeux à la fois internes et externes, la langue est à ce point liée à l’identité d’un peuple que toute réforme ou refonte de son appartenance a des implications touchant l’essence même des individus, de leur histoire et de leur identité.
Le but de ce travail consiste dans un premier temps à faire le bilan des discussions linguistiques, historiques, idéologiques et politiques sur l'existence du biélorusse et de l'ukrainien.
Dans un deuxième temps on soumet ce domaine d'étude au critère d'évaluation sur la différence entre langue et dialecte tels qu'ils ont été employés et discutés depuis le 19-ième siècle.
L'enjeu de ce travail n'est pas de donner une vérité sur l'existence ou non de ces trois langues, mais de faire une analyse de l'argumentation scientifique et pseudo-scientifique de cette discussion sur l'existence des langues.








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