Le discours sur la langue dans les régimes autoritaires
Le Louverain (Jura neuchâtelois), 2-4 octobre 2003
organisé par Patrick SERIOT et Andrée TABOURET-KELLER
contacts :
patrick.seriot@slav.unil.ch
atekatab@club-internet.fr
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jeudi 2 octobre | ||
- 9 h | Accueil des participants | |
- 9 h 30 | Andrée TABOURET-KELLER (Strasbourg) | Eléments d'une étude comparative des nouages métaphoriques de "langue maternelle", "Muttersprache", "mother tongue", "rodnoj jazyk" |
- 10h | Christofer HUTTON (Hong-Kong) | Linguistics and race theory in Nazi Germany: contradictory or complementary 'sciences'? |
- 10 h 30 | Pause | |
- 11 h | Dan SAVATOVSKY (Paris) | Philologie d'une nov-langue : V. Klemperer et la LTI |
- 11 h 30 | Carolina RODRIGUEZ (Campinas) | La construction imaginaire de la nation paraguayenne par le discours sur le guarani langue nationale |
- 12 h | Repas | |
- 14 h 30 | Hélène MERLIN-KAJMAN (Paris) | La langue française sous la monarchie absolue |
- 15 h | Françoise DOUAY (Aix-en-Provence) | Révolution française et rationalisation du langage |
- 15 h 30 | Alexander SCHWARZ (Lausanne) | La linguistique du roi et du fou du roi (l'Allemagne au 18ème siècle) |
- 16 h | Pause | |
- 16 h 30 | Jean-Jacques COURTINE (Paris) | La police des mots : une dictature linguistique sans dictateurs |
- 17 h | Pierre CAUSSAT (Paris) | Langue d'autorité et autorité de langue: relations croisées entre pratiques officielles (académiques) et théorisation linguistique (grammaticale) |
vendredi 3 octobre | ||
- 9 h 30 | Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne) | Le statut des langues en Iran : dispositions légales et pratiques linguistiques |
- 10 h | Gabrielle KLEIN DOSSOU (Perouge) | De la langue unitaire à la langue autarcique: le discours sur la langue pendant le fascisme en Italie |
- 10 h 30 | Pause | |
- 11 h | Patrick SERIOT (Lausanne) | L'impossible équation entre langue de classe et langue nationale dans la linguistique soviétique des années 1920-1930. |
- 11 h 30 | Katja VELMEZOVA (Lausanne) | Nikolaj Marr et Josef Staline |
- 12 h | Repas | |
- 14 h 30 | Alexandra GOUJON (Paris) | Le discours sur les langues en Biélorussie à l'aune du populisme autoritaire du président Loukachenka |
- 15 h | Anatol LENTA (Chisinau) | L'invention du moldave à l'époque soviétique |
- 15 h 30 | Mico SAMARA (Tirana) | Sur la politique linguistique et le travail des linguistes albanais pendant le régime autoritaire (1945-1990) |
- 16 h | Pause | |
- 16 h 30 | Michel DUBUISSON (Liège) | Le pouvoir et la langue : le cas du latin 'classique' |
- 17 h | John JOSEPH (Edimbourg) | Langue et contrôle de la pensée selon Orwell et Chomsky |
samedi 4 octobre | ||
- 9 h 30 | Noura TIGZIRI (Tizi Ouzou) | Les langues d'Algérie dans les constitutions algériennes |
- 10 h | Mehmet UZMAN (Ankara) | The Sun-Language Theory : the Utopia of an Old Soldier |
- 10 h 30 | Pause | |
- 11 h | Rabah KAHLOUCHE (Tizi Ouzou) | Le berbère vu par le pouvoir algérien |
- 11 h 30 | Pierre LARCHER (Aix-en-Provence) | Théologie et philologie dans l'islam médiéval : une relecture d'un texte célèbre de Ibn Faaris (Xe siècle) |
- 12 h | Repas | |
- 14 h 30 | Discussion générale |
RESUMES
Pierre CAUSSAT (Paris) : Langue d'autorité et autorité de la langue : relations croisées entre pratique officielle (académique) et théorisation linguistique
L'hypothèse de départ sera celle d'une complicité tacite entre une pratique de la parole autoritaire (institutionnelle, émanant de celui qui a autorité pour la prendre et la proférer) et une théorie de la parole autorisée (établissement codifié des normes de la langue officielle, "nationale" grammaires et dictionnaires). Il pourrait s'agir d'une même pulsion en deux versants complémentaires, se renforçant de cette division même. Cette hypothèse se laisse sans doute vérifier dans le cas paradigmatique de l'homo academicus combinant et unifiant en lui les deux faces : du théoricien et du praticien. L'academicus serait la figure emblématique de celui qui s'autorise de l'empire qu'il exerce sur sa langue pour imposer et justifier des normes langagières. Avec un bénéfice secondaire : la mise en question de la neutralité proclamée de la théorie "pure".
Jean-Jacques COURTINE (Paris) : La police des mots : une dictature linguistique sans dictateurs
Ne dites pas "gros", mais "lourd". Remplacez le mot "nain" par l'expression "personne de petite taille". Substituez à "l'homme de Cro-Magnon" "la personne de Cro-Magnon". Evitez, pour les mêmes raisons, le "bonhomme" de neige, du fait de ses connotations sexistes, les termes de "hutte" ou de "case", bien trop ethnocentriques, qu'il vaut mieux appeler "petites demeures". Veillez à ne faire aucune mention à l'existence des dinosaures: ceux qui ne croient pas à la théorie de l'évolution pourraient en prendre ombrage. Supprimez également la chouette, oiseau tabou pour les Indiens (pardon!... pour les américains d'origine...) Navajos. Et veuillez réécrire l'histoire intitulée "A Perfect Day for Ice Cream", puisque l'Etat de Californie interdit toute mention ou représentation de "junk food" dans sa littérature scolaire.
On pourrait penser qu'il s'agit-là d'un exercice d'inspiration oulipienne. Nullement. Cet ensemble de recommandations fait partie des standards désormais imposés aux éditeurs de manuels scolaires américains par les "comités sur les préjugés et les sensibilités" qui conseillent les autorités éducatives de chaque Etat. Ceux-ci s'empressent de les suivre, craignant les menaces de boycott des groupes de pression, de droite ou de gauche, qui promeuvent de telles normes. On s'interrogera à partir de là sur les origines, l'extension et les effets discursifs de la pensée dite "politiquement correcte" aux Etats-Unis, et plus généralement sur l'existence de dictatures linguistiques sans dictateurs.
Françoise DOUAY (Aix-en-Provence) : La rationalisation du langage pendant la Révolution française
La Grande-Bretagne non moins que la France unifie son système des poids et mesures à la fin du XVIIIe siècle et, pour les nouvelles nécessités du marché, l'impose au pays tout entier ; mais elle se contente de fixer la valeur désormais unique des mesures anciennes -pouce, pied, once ou pinte- et de stabiliser leurs rapports traditionnels, 12, 16, 18 ou 20. La France révolutionnaire connaît, elle aussi, ces deux gestes modernisateurs qu'elle appelle "uniformer" (réduire la variation, établir une nouvelle norme) et "universaliser" (imposer la généralisation de cette norme nouvelle) ; mais elle y joint en l'occurrence une troisième exigence : "régénérer" complètement le système en le fondant sur une nouvelle mesure, tirée non de la sphère humaine mais de la Nature, le mètre ( dix millionième partie du quart du méridien terrestre), qui sert de base au calcul, entièrement décimal, de toutes les unités de longueur, de volume et de poids (kilomètre, hectomètre, decamètre, mètre, decimètre, centimètre, millimètre ; 1 decimètre cube = 1 litre ; un litre d'eau pèse un kilog, etc...).
Les études consacrées à la politique linguistique de la Révolution française ont porté surtout -de Ferdinand Brunot à Renée Balibar et Brigitte Schlieben-Lange- sur l'uniformisation de la langue française (réduction des irrégularités et des variantes, explicitation d'une norme élémentaire) et sur son universalisation (généralisation de son usage en France au détriment des "patois"), en reprenant après l'abbé Grégoire le principe politique qui les justifie : que chaque citoyen ait concrètement accès à l'intelligence de la Loi et puisse participer à son élaboration, indirectement comme électeur ou directement comme élu. Replaçant les décrets et les projets touchant le langage en France -formes linguistiques et usages de la parole- dans l'ensemble des mesures culturelles prises, de 1791 à 1798, par le Comité d'Instruction Publique (également en charge des poids et mesures, calendrier et fêtes, bibliothèques et musées, système scolaire et instituts de recherche), je m'attacherai de préférence au troisième geste : fonder les nouvelles normes linguistiques sur de nouvelles bases, plus "naturelles" et plus "raisonnées".
Or parmi les trois grands points de vue théoriques sur le langage qui se trouvent alors en concurrence : modèle conflictuel voltairien, modèle fusionnel rousseauiste, modèle naturel-et-rationnel condillacien, il s'agira pour l'essentiel de ce dernier, et de son idéal du grammairien législateur, ordonnant une "langue bien faite". Nous en étudierons les effets à partir de quelques notions linguistiques précises très discutées à l'époque, comme "analogie", "acception", "détermination", "ordre naturel", "style laconique"... Assurément, elles confèrent aux énoncés l'énergique précision d'un verdict ou d'un mot d'ordre ; mais en mettant hors-la-loi le réel arbitraire de la langue et la liberté de parole.
Michel DUBUISSON (Liège) : Le pouvoir et la langue : le cas du latin «classique»
Alexandra GOUJON (Paris) : Le discours sur les langues en Biélorussie à l'aune du populisme autoritaire du président Loukachenka
Christofer HUTTON (Hong Kong) : Linguistics and race theory in Nazi Germany: contradictory or complementary 'sciences'?
John JOSEPH (Edinbourg) : Langue et contrôle de la pensée selon Orwell et Chomsky
Rabah KAHLOUCHE (Tizi Ouzou) : Le berbère vu par le pouvoir algérien
Cet exposé fera ressortir le lien entre la pression politique exercée par les militants de la cause, l'ouverture démocratique engagée à partir de 1988 et l'infléchissement de la politique linguistique nationale en faveur du berbère.
Gabrielle Brigitte KLEIN DOSSOU (Perugia) : De la langue unitaire à la langue autarcique: le discours sur la langue pendant le fascisme en Italie
1. comment créer une langue italienne unitaire (unie ou unifiée)
2. comment obtenir une identification entre langue peuple nation
3. comment purifier la langue italienne des influences étrangères pour aboutir à une langue autarcique.
Ces trois questions sont considérées fondamentales par le régime fasciste pour réaliser sa politique de lunion nationale jusquà aboutir à lautarcie.
La langue peut sans doute constituer un moyen puissant pour promouvoir une unification nationale, particulièrement en passant à travers lexpansion dune même langue pour tous les citoyens. Comme, à lépoque, lItalie linguistique est encore assez fractionnée en différents dialectes et langues minoritaires, linguistes et personnages de culture (écrivains, politiciens, etc.) sengagent dans des discussions essentiellement stériles et souvent contradictoires pour établir une norme linguistique qui puisse ainsi créer une langue unifiée, une langue unie (lingua unitaria).
Cette idée est développée dès les années 20, et sert au régime comme base pour justifier des interventions politiques dabord contre les dialectes en général et contre les dialectismes dans la langue italienne.
Spécialement à partir des années 30 ce débat sintensifie contre les langues minoritaires pour obtenir, ainsi, non seulement une unification linguistique mais aussi et surtout une identification entre langue, peuple et nation.
Cette idée de lidentité historiquement non prouvable entre langue, peuple et nation rejoint son apogée vers la fin des années 30 en se développant, au début des années 40, dans des interventions soutenues et financées par le gouvernement fasciste contre les mots étrangers (les soi-disants exotismes) dans un esprit dautarcie linguistique.
En général, léquation peuple = nation = langue devait être assurée et vers lintérieur et vers lextérieur: vers lintérieur contre lusage, dans les situations publiques, en particulier des dialectes mais aussi du jargon et dune soi-disante langue moyenne collective (lingua media collettiva) et, finalement, contre les langues minoritaires existantes sur le territoire italien; vers lextérieur contre les influences de langues étrangères.
En cela, les représentants culturels (linguistes et autres) ont massivement contribué a inventer des raisons pseudo-scientifiques pour définir une norme linguistique au soutien des raisons politiques du régime.
Pierre LARCHER (Aix-en-Provence) : Théologie et philologie dans l'islam médiéval: une relecture d'un texte célèbre de Ibn Faaris (Xe siècle)
Le monde musulman médiéval est un univers dogmatique: on ne peut y penser ceci ou cela, on doit au contraire y penser ceci et non cela. Mais, comme dans les univers totalitaires modernes, ceux qui font profession de penser ne sont pas sans trouver des accommodements avec le dogme. C'est en ce sens que nous proposerons une relecture d'un texte célèbre, extrait du Kitaab al-Saahibii fii fiqh al-lugha du théologien et philologue Ibn Faaris (m. 395 de l'Hégire = 1004 de notre ère). Dans ce texte, Ibn Faaris donne la formulation définitive de la thèse théologique sur la langue coranique. Cette thèse se résume par une double équation : l'arabe du Coran = l'arabe du Hedjaaz (ou de Quraysh, tribu de Mahomet, natif de La Mecque, au Hedjaaz) = l'arabe le plus pur (al-lugha al-fushaa, nom arabe de ce que les arabisants appellent "arabe classique"). La première équation découle du texte coranique lui-meme, la seconde de la conception islamique du Coran comme "parole (éternelle) d'Allah". Elle ne reçoit pas d'autre justification chez Ibn Faaris que purement dogmatique (thème de l'"élection" d'un Qurayshite par Allah). Mais, aussitot après, Ibn Faaris explique que si la langue de Quraysh est la meilleure, c'est parce que, La Mecque étant un centre de pélerinage intertribal dès avant l'islam, les Quraysh ont pris le meilleur de chaque parler arabe ! Autrement dit, il voit dans la langue de Quraysh (et donc du Coran) ce que l'on appellerait aujourd'hui une interlangue. Ce qui n'est pas sans rapprocher, objectivement, la thèse du philologue médiéval de l'hypothèse la plus répandue chez les arabisants de la langue coranique comme une koinè.
Anatol LENTA (Chisinau) : L'invention du moldave à l'époque soviétique
Si l'on prend en considération la situation géo-politique a l'Est du Nistru (Dniestt) depuis 1924 jusqu'à nos jours, et aussi la portée de la pensée linguistique de cette époque, il est possible de diviser l'histoire de la langue roumaine (moldave) parlée dans cette région en trois grandes périodes :
I. Le moldave (roumain) de la République Autonome Soviétique Socialiste Moldave (RASSM).
La nouvelle République devait avoir sa langue à elle, différente du roumain.
a) l'alphabet russe à la base de la langue moldave.
b) la notion d'orthographe démocratique (L. Chior).
c) Ia. Cusmaunsa, L. Madan, P. Chior, leurs grammaires et essais d'orthographe.
d) Le roumain est la langue des bourgeois et des exploiteurs et n'exprime pas les aspirations du peuple qui construit une nouvelle société. Le moldave doit être la langue des larges masses laborieuses, donc, simple, accessible à tous, elle doit être l'expression de la nation moldave.
e) certains problèmes posés aux créateurs de la nouvelle orthographe : comment réunir en une seule forme d'expression écrite les variantes dialectales : linghii, limbii, lindjii, lindii ? Et la palatalisation, quelles formes écrites lui trouver ?
Le principe étymologique de l'orthographe et les chroniqueurs roumains Ion Neculce, Miron Costin, Grigore Ureche.
La nouvelle langue moldave ne devait pas aller trop loin de la langue des Moldaves de la rive droite du Nistru : l'alphabet latin (1932) et la politique expansionniste de l'URSS.
II. La langue roumaine dans la République Soviétique Socialiste Moldave (les années 1940 1990)
Les uvres linguistiques de I. D. Ceban.
Quelques couches sont à déceler dans le vocabulaire de la langue roumaine parlée sur ce territoire :
1. Des soviétismes et des russismes : putiovca, staroste, dejurne, utrenic, comandirovca, etc.
Quelques exemples tires des dictionnaires russe-moldave et russe-roumain (parus à Moscou en 1954) :
Russe moldave roumain
kinobudka kinobutca cabina de cinema
buxgalterija buhalterie contabilitate
scripka scripca vioara
2. les calques du russe :
vsesojuznyj totunional
serednjak nijlocas
vseobschij totdeobste
Les mots roumains etaient bannis de l'usage, ils devaient être remplacés par des mots moldaves, les derniers «sont nouveaux et meilleurs» «sint noui si mai buni» : exemple / aratari ; sufragerie / mancatorie ; binefacere / ghinifacatorie ; unghi / ungher ; cravata / gitlegau.
III. La langue roumaine apres la chute de l'URSS.
L'indépendance de la Moldova et le passage à l'alphabet latin ont donné beaucoup de vigueur à la langue roumaine. Les mots «Roumain», «langue roumaine» ne font plus peur. La langue roumaine a vu élargir considérablement ses sphères d emploi. Petit à petit s'impose le concept de culture linguistique. Parler roumain signifie employer une langue soignée, c'est parler correctement sans russismes, régionalismes, c'est rendre sa pensée plus claire et plus nuancée.
Moins il y a d'arguments de nature linguistique a l'appui de la dite «langue moldave», plus acharnés sont ses animateurs à parler de son existence et plus irréelle devient cette invention soviétique de langue moldave différente de la langue roumaine.
Morteza MAHMOUDIAN (Lausanne) : Le statut des langues en Iran : dispositions légales et pratiques linguistiques
Les notions de langue et nation étant étroitement liées, il en découle que dune part, les revendications linguistiques sont inévitablement perçues comme menées indépendantistes ; et que dautre part, la situation dun idiome minoritaire est tributaire du traitement réservé à la communauté qui le pratique
Parmi les textes de loi, on considérera les bases légales de lAcadémie de langue et lettres persanes dont lun des objectifs est la persanisation du vocabulaire naissant (en sciences et techniques, notamment). Sous cet aspect, les rapports entre lévolution du lexique et les changements dans les orientations et impératifs politiques semblent dun intérêt particulier.
Hélène MERLIN-KAJMAN (Paris-III) : La langue française sous la monarchie absolue
Carolina RODRIGUEZ (Campinas, Brésil) : La construction imaginaire de la nation paraguayenne par le discours sur le guarani langue nationale
Miço SAMARA (Tirana) : Sur la politique linguistique et le travail des linguistes albanais pendant le régime autoritaire (1945-1990)
Patrick SERIOT (Lausanne) : L'impossible équation entre langue de classe et langue nationale dans la linguistique soviétique des années 1920-1930
Mais il y a plusieurs façons de construire la collectivité comme objet de discours. Le groupe peut être vertical : la nation toute entière, avec ses différentes classes, parlant de différentes façons la même langue, ou bien horizontal : une immense classe sociale (par exemple les prolétaires du monde entier, sans référence à l'appartenance nationale). Une troisième solution est l'émiettement extrême des groupes (on étudie alors la langue des paysans de tel village, la languedes artisans de telle ville, etc.).
De Marr à Staline, de Voloshinov à Danilov, plusieurs conceptions du rapport langagier de l'individu au groupe s'affrontent, parfois dans des débats violents, parfois dans le silence. Mais cette période crucialedu discours sur la langue en URSS présente l'intérêt de poser des questions fondamentales sur le rapport langue / société, langue / pouvoir politique, pouvoir et institutions linguistiques, et de déboucher ainsi sur une interrogation anthropologique fondamentale : tout groupe ne peut être groupe (et pas une collection d'individus) que par le lien ténu ou fort, souvent plus hétérogène qu'homogène d'une pratique : la langue.
Le moindre des paradoxes n'est pas que la dévalorisation de l'individu au profit du groupe dans le discours soviétique sur la langue à l'époque stalinienne ressemble à s'y méprendre à celui des grands intellectuels contre-révolutionnaires français (J. de Maistre, L. de Bonald) sur le même thème.
Miguel SIGUAN (Barcelone) : La langue espagnole sous le régime franquiste [exposé annulé]
Quant à la langue espagnole, la politique officielle au temps de Franco avait un double but, en plus de promouvoir sa connaissance et son usage. D'un coté maintenir sa pureté en luttant contre l'introduction de mots étrangers, et de l'autre maintenir sa correction en luttant contre les vulgarismes, le langage sale
Quant au modèle de langue préférable, on peut noter des tendances différentes. Dans les cercles idéologiques du "mouvement phalangiste", on propose un langage moderne, et précis avec des néologismes et métaphores qui reflètent le "nouveau style", par exemple par la fréquence de mots comme "hiérarchie" ou "vertical". Par contre dans les ambiances conservatrices, la pratique prédominante, on préférait un langage rhétorique et plutôt archaïsant.
Rien de plus facile que de mettre les principaux aspects de cette politique avec des manifestations semblables dans l'Allemagne nazie ou dans l'Italie fasc. Et même en Russie soviétique ; malgré le bilinguisme officiel des Républiques fédérées, on pouvait noter des attitudes chauvines en faveur de la langue russe.
De tout façon, il faut noter que l'identification entre régime totalitaire et imposition de la langue nationale n'est pas toujours vraie. Il y a des états démocratiques avec des politiques dures d'imposition d'une langue nationale unique. Et, en sens inverse, existent, spécialement dans les pays musulmans, des régimes dictatoriaux et totalitaires qui n'ont pas pour objectif l'unité linguistique. Le prestige de l'arabe comme langue de la religion et comme symbole de l'identité collective peut coïncider avec le fait que la population parle une autre langue et même plusieurs langues différentes.
Alexander SCHWARZ (Lausanne) : La linguistique du roi et du fou du roi (l'Allemagne au 18ème siècle)
En tant que linguiste de lallemand avec prédilection pour la linguistique textuelle et la linguistique historique, je me suis mis à la recherche du premier monarque allemand dont des propos sur la langue seraient connus. Je suis tombé sur Frédéric II, Friedrich der Große, de 1740 à 1786 Roi de Prusse, y inclus Neuchâtel prussien, qui est lauteur dun pamphlet de 1781, intitulé De la littérature allemande. Reste à resoudre la question de la méthode pour aborder la linguistique dun roi de lépoque pré-scientifique.
John Austin distingue trois genres de discours sur la langue quil a baptisés locutoire, illocutoire et perlocutoire. Je peux, pour citer son exemple, me refèrer à un énoncé
Tue-la!
en disant de manière locutoire:
Il ma dit: Tue-la!
ou de manière illocutoire:
Il ma proposé de la tuer.
ou alors de manière perlocutoire:
Il ma persuadé de la tuer.
Austin part de lidée que chaque énoncé peut potentiellement être commenté de ces trois manières, que donc lobjet du méta-, la langue, a ces trois aspects en même temps. Pour mon propos je vais me concentrer sur lexclusivité paradigmatique des trois types de méta. Pour ce faire je me base sur deux autres philosophes. Jürgen Habermas a fait distinction entre une manière de parler illocutoire qui favorise la communication, le commun entre les locuteurs, et une manière de parler perlocutoire ou stratégique qui cherche à simposer, à gagner le match de conversation. Peter Sloterdijk, quant à lui, nutilise pas la terminologie dAustin, mais oppose cynisme et kynisme de telle manière que le cynisme correspond parfaitement au perlocutoire chez Habermas tandis que le kynisme corresponde à une manière dy répondre qui est ni le perlocutoire de Habermas parce quelle sabote le perlocutoire du cynique sans chercher à simposer ou à le remplacer, ni lillocutoire parce quelle fait éclater le dialogue au lieu de vouloir convaincre le cynique dabandonner son attittude perlocutoire. Cette troisième voie ne peut être que le locutoire, la langue locca, folle, la langue des fous.
Sloterdijk dans ses exemples rattache le perlocutoire aux dictateurs, Habermas attribue lillocutoire utopique aux philosophes comme lui-même. Le sujet du colloque nous demande à nous concentrer sur le méta des dictateurs, mais en bon structuraliste je ne peux pas définir et décrire lun dentre eux sans les autres, ni mattendre à un fou rien que locutoire, à un philosophe rien quillocutoire ou à un dictateur rien que perlocutoire.
Mon corpus se prête bien à faire valider ces cavéats. Le côté dictateur de Frédéric, pour limpératrice Marie-Thérèse lincarnation du Mal, est indéniable. En même temps, on la appelé le philosophe sur le trône. Le philosophe ne fait pas seulement partie de notre dictateur, il y avait aussi des vraies philosophes dans son entourage, dont Voltaire. Frédéric était en même temps le dernier monarque à tenir des bouffons ou fous du roi autour de lui, tout en se réservant le droit de les déclarer tels. Parmi eux on trouve des professeurs comme Gundling ou Fassmann, et des spécialistes de lépoque mont averti de ne pas oublier dArgens ou Rousseau dans ce contexte. Les frontières entre dictateur, philosophe et fou sont donc floues. Nous ne pouvons quétudier les textes pour arriver à des distinctions plus fiables.
Andrée TABOURET-KELLER (Strasbourg) : Éléments d'une étude comparative des nouages métaphoriques associés aux expressions "langue maternelle", "Muttersprache", "mother tongue", "lingua materna", "rodnoj jazyk".
Les expressions de cette liste se caractérisent par l'attribution du mot mère ou maternel à celui de langue, à l'exception de la dernière expression dans laquelle l'attribut de langue est la naissance, ou la lignée (rod).
L'hypothèse la plus évidente est celle de représentations sémantiques communes. Je me propose de la vérifier en distinguant le point du vue historique qui doit permettre de repérer et éventuellement de distinguer les constitutions sémiotiques et les filiations notionnelles de ces expressions, et le point de vue fonctionnel qui se propose de cerner les spécificités idéologiques actuelles de ces expressions dans les situations et les contextes de leurs emplois.
Les niveaux d'analyse suivant sont mis à profit : étymologique (qu'est-ce qui a été transféré, un signifiant? un signifié ?), sémantique (limitations et extensions éventuelles des acceptions sémantiques), sociolinguistique (formations identitaires, schèmes possibles de la mise en discours particuliers à chaque langue).
L'on remarque que les expressions relevées figurent dans le discours sur la langue tant dans les régimes autoritaires que dans les régimes démocratiques ; une hypothèse est formulée : quel que soit le type de régime, le domaine de la langue est par excellence celui où l'autoritarisme se manifeste, pour un ensemble de raisons institutionnelles liées un idéal, l'unité de l'Etat, unité juridique, administrative, éducative, principalement. Reste alors à préciser pourquoi et comment l'autoritarisme linguistique est exacerbé dans les régimes autoritaires.
NB. Il est possible que je doive me limiter aux trois premières expressions. Dans l'esprit du réseau que les participants devraient pouvoir former, je sollicite des réactions à mon argument.
Noura TIGZIRI (Tizi Ouzou) : Les langues d'Algérie dans les constitutions algériennes
Il s'agira de parler de la problématique des langues dans les constitutions algériennes. J'essayerai de montrer le lien entre les différentes constitutions et les présidents qui se sont succédés en Algérie et comment un projet de société réfléchi pendant l'occupation française a été projeté en Algérie après l'indépendance sans tenir compte des apirations du peuple algérien. Je ferai aussi un parallèle avec la problématique des langues dans les constitutions marocaine et tunisienne.
Mehmet UZMAN (Ankara) : The Sun-Language Theory : the utopia of an old soldier
This paper is about the Sun-Language Theory, that appeared in the 1930s in Turkey. In the paper, it will be examined in the framework of two questions: What is the Sun-Language Theory, and in what kind of psychological and epistemological conditions it has emerged? The Sun-Language Theory, as a prolongation of Turkish History Thesis, alleged that the Turkish language was the ancestor of all of the languages. Some of those who suggested the theory traced the relations between other language families, such as Indo-European and Semitic, and searched the similarities between the languages of great civilizations, such as Egyptian and Sumerian. They blurred the differences from the great civilizations and highlighted the similarities, as most of the marginalized cultures do. The theory was suggested as a response to the theories of some European historians, anthropologists and ethnographers who described Turks as a yellow race. They tried to change this opinion referring to pre-Ottoman Turkish history, because the Ottoman Empire had collapsed and the Ottoman-Turk identity had lost its legitimacy. To refer to the past history is a common strategy in all of national movements; and so did they by invoking a brilliant history. Because it had emerged in the tensions between periphery and centre, dominant and recessive, prototype and copy, the theory had all the excessivenesses in itself. Because of its reactional nature, it was an exaggerated theory, and remained as uncompleted. The theory will be analysed surround these tensions, too. These tensions can be seen in the works and attitudes of theorists of the Sun-Language : they cooperated but also rivalled, imitated but also created, followed but also resisted.
Ekaterina VELMEZOVA (Université de Lausanne) : Nikolaj Marr et Josef Staline
Tout comme le fameux culte de la personnalité, le « culte » du marrisme continua dans la linguistique soviétique pendant plusieurs décennies. La date cruciale en fut le 20 juin 1950, lorsque Josef Staline décida de participer en personne à la discussion linguistique entamée par le journal Pravda.
Les thèses principales de son intervention, aussi bien que celles de la « nouvelle doctrine du langage » (novoe uchenie ob jazyke) de Marr seront analysées dans une partie de lexposé dans le but de répondre à trois questions principales :
1. Pourquoi le marrisme avait-il été bien accepté par le pouvoir soviétique dans les années 1920-1950 ? Peut-on expliquer la grande influence de Marr en URSS à cette époque uniquement par ses relations avec le pouvoir ? Il nous semble quil y avait dautres raisons, beaucoup plus profondes que le conformisme politique, liées plutôt au caractère particulier du « paradigme » dominant dans les sciences humaines à cette époque.
2. Quelles pouvaient être les raisons principales de lintervention stalinienne dans les discussions linguistiques en 1950 ? Plusieurs facteurs de la politique interne et externe sont à analyser.
3. Enfin, pourquoi étudie-t-on si peu le marrisme en Russie actuelle ? En associant un peu trop vite le nom de Marr à celui de Staline, les chercheurs semblent oublier que cétait ce dernier qui a mis fin au « culte de la personnalité » de Marr en linguistique.
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