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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Stéphanie DUBOSSON

La bonne résolution

 

Décembre n’est pas encore arrivé que chacun met au point son plan de fin d’année. Où va-t-on passer le réveillon ? Que va-t-on faire ? Et le plus important, la bonne résolution.

On m’avait dit, au début de mon séjour pétersbourgeois, que la ville avait un côté… hum… mythique. La superstition y est très présente. Disons d’emblée, enfin de mon propre avis, c’est une des caractéristiques des russes, bien qu’ils soient instruits, chrétiens depuis plus de mille ans, ils ont des superstitions bien tenaces. Et je ne sais pas si c’est encore plus le cas chez les sibériens, mais ma voisine semble encline à cela. Elle m’a bien fait comprendre que siffler ou même faire des bruits approchant de près ou de loin du sifflement, interdit. Au début, j’avais cru qu’elle voulait pas que j’entache de mon sifflement plus que détestable, je l’avoue tout de même, j’ai un côté bien honnête, reconnaissez-le, sa chanson préférée. Par la suite, l’expérience renouvelée, je me suis posée la question et c’est là que mon ami français m’a éclairé. Les russes pensent que si l’on siffle dans une maison, l’argent va partir. Bon, admettons, mais dans mon élan de « rebellisation », je n’avais qu’une envie, c’était de siffler à tout va, en réponse aux difficultés administratives qui m’étaient imposées.

Les jours et les semaines passent, on ne se pose que peu de question et l’on tente de s’en sortir dans cette jungle qui est notre nouveau lieu de vie. Tant bien que mal on s’accommode de l’installation défaillante des nouveaux ascenseurs : sur trois, il y en a deux qui marchent dans les bons jours, mais plus souvent un (le plus petit, évidemment) et si ce n’est aucun. Ainsi, en bonne sportive que je suis (du moins, je le crois), prenons les escaliers, ça fait du bien au cœur paraît-il et ce ne sont pas les 252 marches jusqu’à mon étage qui me feront peur !! De toutes façon, je les monte en 3min30, avec un peu de chance, le temps que l’ascenseur monte jusqu’au 18 avant de redescendre pour que l’on puisse y monter, je suis déjà dans ma chambre à prendre un bon thé…

Un jour, grande frayeur : la tasse contenant les quelques services est tombé du vaisselier pour s’étaler sur l’évier devant mes yeux ébahis. J’ai dit à ma voisine, après la peur que m’a causé ce couteau vengeur dont l’image de la chute est encore en mémoire, que ces outils voulaient me tuer. Petite blague, mais qui s’est poursuivie le jour où un panneau cachant la tuyauterie dans les toilettes a décidé de tomber sur mon dos. Heureusement, ce bout de plastique bien mal mis en place (je ne peux malheureusement pas louer le travail des personnes qui ont refaits les chambres, je serai peut-être plus capables qu’eux…) n’était pas de facture trop lourde. Et enfin, la blague s’est achevée la fois où l’entier du vaisselier (disons que c’est une armoire qui est « fixée » au-dessus de l’évier de la cuisine, contenant vaisselle, denrées, etc.) s’est éclaffé sur ce qui nous sert de plan de cuisine/évier/cuisinière au nez et à la barbe de ma voisine de chambre. Eh bien là, il aurait suffit qu’elle prépare quelque chose et ait eu les mains, voir le tronc sous l’engin et la pauvre aurait eu bien plus qu’un étonnement suivi d’un rire (à mon avis nerveux… ce qui se comprend tout à fait à ce moment-là). Du coup, je me suis dit que oui, c’est bien possible, le territoire de la Russie doit être régit par d’autres lois qui, ma foi, ne sont peut-être pas seulement naturelles.

Les sibériens, je me demande parfois si ils ne couplent pas la bigoterie au chamanisme. C’est un peu crûment parlé, mais depuis quelques temps, ma voisine fait soit sa petite crise d’adolescente, soit elle a de sérieux problèmes psychologiques et croire que par des prières on pourra l’aider, je doute dans ce cas-là. Non pas que je ne sois pas croyante, loin de là, mais je suis aussi fille d’infirmière en psychiatrie. J’ai donc eu droit, pendant plus d’une semaine à des rituels un peu étrange pour ma part. J’avoue aussi humblement que je n’ai pas chercher trop à savoir pour d’une part ne pas m’impliquer dans une affaire sans fin et d’autres part par respect (ça me regarde pas en fin de compte). J’ai donc eu droit à une semaine infernale qui a pour résultat une fatigue générale constatée par mes camarades de classe (de façon externe, donc) et par moi-même (de manière interne). Après deux jours où ma voisine est tombée dans un état semi dépressif : envie de rien, état semi comateux, mmh, c’était vraiment agréable de vivre avec elle surtout lorsque j’avais des invités le samedi soir… Mais, comme une chose étrange ne vient jamais seule, le dimanche matin très tôt, j’entends son téléphone qui mugit. Je ne sais l’heure qu’il est, l’envie de regarder la montre n’était pas suffisante, toujours est-il que mademoiselle sort pour parler. Et après m’être plus ou moins rendormie, je me réveille plus ou moins, je vois une dame assise sur le lit de ma voisine dans une de ses robes de chambre et je ne comprends pas grand-chose de ce que l’on me dit (ce genre de situation, on ne nous prépare pas pour le TRKI… faudrait y penser !!) : cette femme, c’était qui ? La mère de ma voisine ou la tante de la mère de ma voisine ? Le voile est levé le soir, lorsque je suis revenue d’une promenade dominicale : c’était donc la mère de ma voisine... Et elle dormira avec nous presque une semaine ?? Je dois dire que de vivre à trois dans une chambre pour deux (qui serait déjà juste suffisante pour une personne, à mon goût), c’était une sacrée expérience. Mmmmh… ronflement, chaleur étouffante, la vraie vie en kommunalka !! Et voilà qu’une semaine est passée, la mère tentant d’aider la fille, par des prières, des onctions d’elle seule connues, la fille, allongée, ne voulant rien, à mon avis dans une crise existentielle dont un bon médecin serait bien plus à même d’aider que cette presque passivité (enfin, on s’occupait d’elle et je pense que c’est ce qu’elle recherchait). Plus les jours passaient, plus on semblait s’approcher de rites chamaniques (extérieurement parlant, car, comme je l’ai dit, je n’ai alors pas vraiment chercher à savoir en écoutant volontairement les conversations, vu que j’avais essayé d’aider ma voisine au début de cette période et elle disait qu’elle-même elle ne savait pas ce qui se passait…). Bref, le moment le plus drôle était quand il fallait absolument savoir l’heure exacte (à la seconde près), j’ai donc rallumé mon ordi que je venais juste d’éteindre pour chercher sur internet une horloge atomique. Là, je me suis dit qu’on avait atteint le sommet. Car à telle heure précise fallait faire une prière. Mais réfléchissons un peu, s’il vous plaît !! Dieu n’a pas besoin d’heure précise pour qu’on pense à lui… Enfin, ici c’est un peu un autre monde régit par d’autres lois.

Je me demande si cet ensemble d’événements étranges ne sont pas liés à ma conduite. Alors je me suis dite que pour la bonne résolution et que ce genre de surprises désagréables ne m’arrivent plus, je prends une bonne résolution : j’arrête de siffler en Russie quand je suis contente ou quand j’entends une chanson qui me plaît. Eh voilà, je prends solennellement la bonne résolution de ne pas siffler en Russie.

22.11.07