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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы


-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.


— 2007-2008 Sévine UZUN
4 octobre 2007

Coup-bas à Bakou

 

Quand j’ai choisi de partir à Bakou, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Je ne connaissais absolument rien de ce pays dont on ne parle quasiment jamais par chez nous. J’ai donc fait quelques recherches…J’ai pu lire pas mal de choses sur le conflit du Karabakh, l’entrée des chars russes à Bakou en 1991 ; j’ai pu examiner les frontières sur une carte géographique…Au nord, Daghestan, pas très loin de la Tchétchénie, l’Ossétie…Au sud, l’Iran et vive les puissances nucléaires…A l’ouest, l’Arménie, avec laquelle le pays est en guerre et au nord ouest, la Géorgie, dont on ne parle que très peu…

Pas un guide du routard, pas un lonely planet…Juste un petit futé, pas très épais. Le pays resterait un mystère, jusqu’à ce que j’y arrive.

Lorsque j’ai commencé à parler de mon départ à l’étranger, j’ai pu constater que les gens n’en savaient pas plus que moi. Enfin, moi, je pouvais situer un peu l’endroit…L’Azerbaïdjan et sa capitale, Bakou…Mais combien m’ont dit : « Mais pourquoi tu vas en Afghanistan ? » , d’autres plus originaux, me demandaient pourquoi j’allais faire du russe en Côte d’Ivoire…Parce que c’est vrai qu’Abidjan, Azerbaïdjan, ça porte un tantinet à confusion….

Les seuls qui avaient une vague idée de ce pays, enfin, qui en avaient déjà entendu parler, hormis ceux qui l’avait rencontré, au détour de leurs études, étaient des fans de foot…Et oui, comme quoi le foot, même si c’est pas hautement culturel, ça a le mérite de faire connaître pays, capitale et drapeau. Ainsi donc, quand j’expliquais mon projet, un an à Bakou, ils me parlaient d’un fameux match de foot, Suisse-Azerbaïdjan. Match que notre pays avait perdu. Le lendemain de la rencontre, le Matin avait titré « Coup-bas à Bakou ».

C’est comme ça, sur un note un peu mystérieuse, qu’a débuter mon aventure bakinoise…Avant d’arriver sur le « terrain », je savais que j’allais habiter chez une famille, une dame et sa fille, je savais que je donnerai des cours de français, « conversation, civilisation et communication », et enfin, j’étais rassurée, parce que j’avais un contact sur place, Elmira Farajulayeva, qui parlait un français impeccable, ce qui peut toujours servir…

Je n’avais pas voulu en savoir plus, parce que par expérience, je sais que rien ne se déroule jamais vraiment comme prévu. Ainsi, à mon arrivée, on m’a conduite chez une grand’mère et son petit-fils, lui parlait parfaitement anglais et détestait le russe, mes cours de français, je les donne à des débutants et Elmira travaille désormais dans une autre université, plus prestigieuse qui l’a un peu mise en froid avec le recteur.

La vie bakinoise allait être pleine de surprise et c’est bien tombé, parce que j’adore ça.

Bakou est une ville étonnante, parce qu’elle n’est ni moche, ni belle. Des bâtiments ultra-modernes côtoient ceux d’une vieille ville qui s’effrite, les cafés internets sont enfouis au fond de certaines cours ou dans des appartements dont, à voir l’entrée, on n’imagine même pas qu’il y ait l’électricité…Les mercedes, en masse, impressione les piétons, les ladas, les invalides…Le plan du métro est simple comme celui de Lausanne, mais par contre, j’attends toujours de rencontrer celui qui osera me dire que les autobus et leur numéro n’ont plus de secret pour lui…

J’ai de la peine à décrire Bakou, à en faire ressortir ces particularités, ses curiosités, parce qu’en fait, très rapidement, soyons fou, en un ou deux jours, je me suis sentie chez moi. C’est comme si j’avais toujours su par coeur le change (1 manat= 1,40 CHF), le goût des bakhlavas, comment préparer un düsbere (bouillon avec mini-ravioli de mouton), comme si chez nous aussi, l’eau ne coulait pas toute la journée…A part les toilettes turques, tout le reste m’a paru bizarrement normal. Enfin, j’ai trouvé trouvé assez logique de sourrire aux gens et il semblerait qu’ici ça marche assez bien pour entamer une conversation. Ça m’a toujours paru évident qu’il fallait aider son prochain s’il est perdu par exemple, et ici, quand je me suis plantée de bus, on m’a ramenée jusque devant mon immeuble, et bien sûr, maintenant que je ne me perds plus, quand je vois une pauvre touriste française toute désorientée et ben je l’emmène boire un thé quelque part…Je me transforme peu à peu en azerbaïdjanaise. Je parle de tout et de rien et je peux parler des heures, tant que la théière est pleine…

Les azerbaïdjanais sont des gens simples qui aiment discuter, aider et rire. Ils mettent un point d’honneur à ce que tout soit parfait pour moi et franchement, c’est réussi.

Je me souviens d’un vieil homme à qui j’ai demandé où était le métro Baki Soviet. Il m’a pris par la main, m’a emmenée boire du thé, puis nous avons marché une bonne heure, avant dans le labyrinthe de la vieille ville, avant qu’il ne m’amène devant la porte du métro. Et puis il y a l’autre, celui qui me voyait déambuler avec une adresse griffonée dans la main…Lui non plus ne savait pas où se trouvait la rédaction du journal « le Carrefour ». ça nous a pris du temps, mais on a fini par y arriver. A Bakou, il est rare de poser une question, même l’heure qu’il est, sans finir par vous installer et discuter un moment. C’est une ville où on est jamais seul. Ils semblent aimer la compagnie et moi, j’adore  prendre les sourires qu’ils ont à m’offrir.

Le monde universitaire, quant à lui, m’a un peu déconcerter, au départ. L’université slave de Bakou est, paraît-il, la deuxième de la ville. On y trouve les facultés de « relations internationales » et de « philologie ». Les cours sont dispensés en russe ou en azerbaïdjanais et pour le moment, ça me semble encore complétement arbitraire. On m’a parlé d’un secteur russe et d’un secteur azerbaïdjanais. Alors a priori, c’est très clair. Mais bon, comme on me fait assister à des cours donnés en azerbaïdjanais, ben je me dis que ces deux secteurs n’ont pas forcément un territoire aussi délimité que les noms le font croire…

Enfin, l’uni…Même si je ne m’attendais pas à entrer dans Dorigny 2, il faut avouer que la rentrée a été un peu difficile…Déjà peut-être à cause de tout ces gens qui sont venus se présenter, connaître cette fameuse professeure de suisse et bien sûr, lui faire boire du thé. C’est le ventre gonflé de ce breuvage amer que j’ai du me tuer à expliquer que non, je n’étais pas professeure, mais étudiante, que je faisais mon mémoire, que oui, je parlais français, mais que j’étais pas française, que non la langue suisse n’existe pas, mais que la nationalité existe malgré tout et que merci, mais je ne peux plus avalé aucun de ces gâteaux qu’on sert avec le thé…Enfin. Hospitalité oblige, on a mis une demoiselle a ma disposition, pour qu’elle me fasse mon horaire, qu’elle me présente à mes nouvelles collègues et qu’elle me fasse faire le tour du propriétaire.

L’uni slave, c’est un grand bâtiment, plus tout jeune, avec une cour pas terrible, des arbres plus gris que vert, une mini-cantine dans la cour, il doit y avoir dix tables, une cafèt, au rez, avec au moins trente places…Il n’y a qu’une « toilette des filles » au troisième étage, et pour les garçons, c’est au deuxième. La salle d’informatique compte 5 ordinateurs, mais il y en a un qui est cassé…Et la bibliothèque…Je pense qu’elle contient autant de livres qu’un lettreux a du acheté au cours de ses études.

L’horaire est bizarre…On m’a dit que chaque cours durait une heure et demie, mais après une heure dix, le prof arrête, les filles sortent miroir de poche, brosse et glosse, les garçons prennent leur portable et les écouteurs…Enfin…Par contre, c’est hors de question de nous laisser sortir. Pas de liberté académique. Ni pour les élèves, ni pour les profs.

Un décalage m’a choqué : entre le niveau des cours et l’aisance qu’ils ont dans une langue étrangère après trois ans…Il y a un fossé. Les cours sont dictés et si en une heure, nous avons écrit une page A5, les profs ont pitié de nos poignets et alors on a le droit de se remaquiller. Dans un de mes cours, nous sommes quarante-cinq. Le prof écrit presque tout au tableau. La salle de cours rappelle plus une salle de classe des années cinquante qu’un auditoire flambant neuf. Les tables ne sont pas stables, les chaises sont rouillées…Et les élèves ne discutente pas, ils crient, se lancent des stylos les uns aux autres…Enfin, pas que je sois contre le chahut, mais ça me rappelle plus ma classe de 7e, que ma dernière année à l’uni…Et pourtant, il faudrait les voir, ces étudiants. Quand on les interroge, ils se lèvent, mettent les mains derrière le dos et récitent…Parfois le texte dépasse une page A4...

La méthode de travail, en tant qu’étudiante, ben je m’y suis faite…J’apprends, je récite et je ne cesse de parler avec mes camarades…J’ai pas encore pris ma trousse de maquillage au cours, ça, je suis pas encore prête…

Par contre, en tant que « prof de français », ça a vraiment pas été facile. Le premier jour, j’ai eu trente élèves. Le lendemain, seulement huit. Il a fallu plus d’une semaine à mes huit petits nains pour trouver le livre de référence. J’ai du improviser, et c’est pas ma grande expérience de l’enseignement qui m’a aidée…Pas de tableau digne de ce nom, pas de craie…Et puis bon, c’est des enfants, ça, j’avais pas prévu. Il faut leur dire « ouvrez vos cahiers », « écrivez »…C’est fatigant…Mais bon, en ce moment, on bosse sur l’autonomie et les pronoms relatifs…

Et puis le gros problème, avec ma classe, c’est la langue. J’en 3 ou 4 qui parlent russes et azerbaïdjanais. Trois qui parlent anglais et la dernière ne connaît que l’allemand comme langue étrangère…

Franchement, je filmerai bien une des leçons que je donne…A la HEP, ça les ferait bien marrer… Je fais des leçons en quatre langues. Quand c’est un mot ou une notion qu’on a déjà vu, c’est en français et après… « Mon = my=moj = mein… ». C’est assez drôle.

Alors voilà, c’est ça ma vie à Bakou…Ville du soleil, ville du vent, porte de l’Orient…Bakou m’a conquise. Je me suis sentie chez moi et ils m’ont prises comme une étrangère qui allait rester un bon bout de temps, donc comme quelqu’un à intégrer. Parler en russe avec ces gens est un vrai plaisir, baragouiner mes premières phrases de turc nous fait bien rire et les entendre dire « salut »…

Le seul point noir, pour nous, étudiants en langue slave, c’est que le russe commence gentiment à être supplanter par l’anglais…Les jeunes ne savent pas systématiquement le russe…C’est même arrivé que j’explique la différence entre le perfectif et l’imperfectif à certains potes de cours…

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut profiter de venir faire du russe à Bakou avant que celui-ci ne devienne une langue complétement étrangère…ça vaut vraiment la peine.

Alors enfin, quand je repense à tout ce que  j’ai pu entendre. Les appréhensions des uns et des autres à l’idée que j’aille à Bakou...La mauvaise réputation, finalement qu’a la région du Caucase...Merci la poolitique...Je me dis que s’il y a « coup-bas à Bakou », comme disait le Matin, c’est peut-être du fait qu’il faudra bien penser rentrer....