Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы
-- Nouvelle rubrique : nos étudiants en stage en Russie et Europe orientale nous écrivent et nous font part de leurs aventures et de leurs états d'âme.
— 2009 Sévine UZUN à Tbilissi
H2O…C2H5CH…. Même combat…
Attention, vous vous apprêtez à lire une phrase qui va certainement révolutionner le monde et la vision qu’on en a: l’eau, c’est la vie.
On est épaté, hein ? Merci Sévine. On sent tout de suite que j’ai fini l’uni, moi…
Alors certes. Mais non. Relisez le texte précédent. J’y mentionnais l’existence de pommes qui poussent sans eau. Enfin, la biologie et la chimie, domaines dans lesquelles, évidemment, j’ai toujours excellé, n’ont qu’à aller voir ailleurs si j’y suis.
L’eau n’est pas courante, pas partout, pas toujours. Et pourtant, on vit…Et plutôt bien.
Malgré tout, force est de constater que mes jours dans le Caucase se déroulent encore une fois sous le signe de la parcimonie, en matière de flotte. Enfin, là, à Tbilissi, c’est un peu moins taquin. A Bakou, c’était trois heures par jours, ici, je sais pas trop. L’eau n’est coupée qu’aux heures de bureau. Et donc, comme les dossiers secrets défense dont je m’occupe, ne sont disponibles qu’aux heures réglementaires, je me rends finalement assez peu compte de la pénurie. En même temps, je vois bien Eka qui vérifie inlassablement que le saladier dans l’évier, la deuxième baignoire et le seau soient remplis d’eau. Au cas où. Sait-on jamais. C’est qu’elle en utilise beaucoup, en tant qu’accro de la serpillère, du ménage et de l’ordre.
Moi, grande désordonnée, vous m’en voyez ravie. Alors que je sèmerai volontiers mes affaires à tout va, Madame aligne les brosses à dents qu’elle désinfecte à l’eau de Javel.
Enfin, tout ça pour dire qu’elle est toujours parée aux cas où les robinets lui joueraient un vilain tour. Elle organise d’ailleurs sa journée en fonction. Le matin, donc, on remplit baignoire, saladier et seau. Pour plus tard. Ensuite, la fée du logis s’attaque à laver nos vêtements à tous. Nous ne sommes que trois, mais c’est déjà un sacré job. Eka remplit son lave-linge ancestral. Une sorte de tambour obscure qui fait un bruit monstre mais ne semble pas vraiment laver quoi que ce soit, puisque je la vois toujours tout faire à la main, agenouillée dans la baignoire. Une fois le linge propre, il est étendu dehors. L’occasion d’un break, une clope tranquille, avant de vite laver un peu la salle de bain, revérifier le saladier, la baignoire et le seau….Vaisselle. Re-clope. Douche, toilette, dernier coup d’éponge. Madame finit de se parer de tous les atouts qui font d’elle une femme élégante.
Enfin, elle court, saute dans un taxi et va travailler. Pour l’anecdote, Madame est vétérinaire. Mais pas avec des animaux, aime-t-elle préciser.
Ce pays est merveilleux, n’est-ce pas ?
Le soir, c’est plus ou moins le même principe. Le propre d’Eka est de vivre dans un sous neuf. Et elle le fait avec brio.
Est-ce parce qu’elle ne coule pas toujours à flot que les Géorgiens boivent assez peu d’eau ? Et pourtant, ils ont de nombreuses sources, dans ce pays. Henniez, Vittel et Evian devraient se faire du souci… Et pourtant…
Au taf, le fontaine à eau tiendrait six mois, s’il n’y avait pas de bouilloire pour le café…
*
Simplement, la vérité est ailleurs.
On boit de l’eau, bien sûr, mais pas à n’importe quelle occasion.
A la mesure de la panse et du teint de bon nombre de Géorgiens, ils ne manquent pas de s’hydrater, simplement, ils préfèrent les nectar plus fruité. J’ose la caricature, le raccourci et la généralisation. A Tbilissi, le cogito pourrait se traduire par bibeo ergo sum. Tout simplement. Ensuite, advienne que pourra.
Alors parlons culture, parlons œnologie. Les amis d’Eka lui ont dit de me prendre en main et de s’arranger, pour que lors de la prochaine fête, je tienne un peu plus que trois verres (c’est peu, j’en conviens, mais c’était des grands). Dire qu’elle a pris son rôle à cœur serait un euphémisme.
Madame, lors d’une coupure d’électricité (qui ne l’a pas empêchée de faire la lessive aux chandelles) nous a mitonné une soirée chandelles-vin rouge (dans une bouteille pet, avec les chandelles de la salle d’eau) et toasts à tout va. C’était un lundi soir. Eka qui se plaît à dire qu’elle peut boire comme un homme (cette femme est un phénomène), s’est chargée des discours. Elle soliloqua ainsi à tout va, honorant les uns et enivrant l’autre. Nous levâmes d’abord nos verres à mes parents et amis, malheureusement restés en Suisse. Qu’ils ne s’ennuient pas sans moi. Que leur vie soit jolie et que la fête soit belle, là-bas aussi. Le deuxième toast était dédié à l’amour, tant il est important de trouver belle chaussure à son pied. Et puis aussi à l’espérance que mon amoureux reste en vie à mes côtés jusqu’à la fin. Elle de préciser qu’ici, le nombre de veuve est inquantifiable. Un pays qui n’a pas connu de siècle sans guerre est un pays où le veuvage devient une triste norme. Enfin, nous bûmes à la santé de son fils, dans l’espoir qu’il continue à faire honneur au justaucorps (de lutteur).
Perso, cet entraînement à la boisson m’inquiète quelque peu. J’ai bu ici en dix jours plus qu’en toute ma vie. Et tout le problème tient au fait que le vin géorgien n’a rien pour me déplaire…
*
Histoire de compenser cette nouvelle hygiène de vie extrêmement déplorable, j’ai donc décidé de me remettre au sport. J’avais en tête de m’acheter un vélo…Mais finalement, je préfère optimiser mes chances de survie dans la jungle urbaine et donc me mettre à la natation. C’est plus sain. On m’avait d’ailleurs dit que j’habitais à quelques pas d’un complexe sportif dont tu m’en diras des nouvelles, tellement qu’il est super.
Oui, donc, la nouvelle, c’est qu’il n’est pas encore construit. Mais bon, moi, j’étais sortie de chez moi, avec mon nécessaire de compétition et donc, il était hors de question que je rentre sans avoir mi les pieds dans l’eau. Je demande donc à un quidam sympathique (tous les quidams sont sympathiques ici) de m’indiquer une autre piscine. Les légendes urbaines racontent qu’il y en a partout. Evidemment, je ne comprends rien à son explication. C’est qu’en matière de lieu, en Géorgie, il semblerait que ma mémoire soit à très court terme. Je ne retiens que la fin des mots. C’est peu opératoire puisqu’ils finissent tous par li. Ou i. Ce qui, on en conviendra, n’est pas optimal.
Face à mon désarroi, le quidam, sympathique donc, m’installe dans un magnifique autobus jaune, d’origine hollandaise et me confie à une grand-mère, lui indiquant ma destination. Or, la brave dame, pas moins adorable, descend trois arrêts plus loin. Elle prend malgré tout son rôle très à cœur, m’explique toutes sortes de choses en « shli, vili, i » et finalement, préfère informer les autres passagers de ma destination. On est assisté ou on ne l’est pas. Pas terrible pour passer incognito, mais comment dire, c’est juste très chou, n’est-ce pas ?!
Après avoir traversé la ville, un monsieur que je n’avais même pas calculé me dit que c’est là qu’il faut descendre. Oui, tout le bus a été mobilisé. Histoire que je ne me perde pas, il préfère m’accompagner jusque devant la porte de la piscine. C’en devient presque un peu humiliant, mais bon, c’est l’occasion de parler un peu natation.
Arrivée sur place, je regrette presque qu’il n’y ait plus personne pour me conduire jusqu’au bassin. C’est que c’est un peu compliqué. A la caisse on m’explique qu’il faut passer derrière la garderie, tourner à gauche, aller tout droit, encore à gauche descendre encore puis à la troisième porte, passer la visite médicale, ensuite remonter, prendre à droite, cette fois-ci, à l’étage intermédiaire. Il y aura une porte avec des vestiaires, une dame à qui je donne ce ticket. Non, l’autre, ça c’est celui du médecin…
Je finis par dire oui à tout. Même si je comprends pas très bien pourquoi je dois aller chez le docteur.
Une fois passé la garderie, je suis un peu dans « Shining ». C’est vide, c’est lugubre, c’est vieux, c’est mal peint, c’est très Soviet, finalement, tout ça. Enfin, une passante passe et m’indique la porte du cabinet du médecin. Je suis dans le bon couloir, c’est la dix-huitième porte sur la gauche.
J’aurais tout donné pour voir ce que cachaient les autres. Mais bon, dans un souci de pragmatisme, je me contente de celle-ci.
Je passe l’examen médical avec la mention excellent. Suis-je en bonne santé ? Oui. Sais-je nager ? Oui. Puis-je montrer l’état de mon pied gauche ? Il est réglementaire. Mon autre pied peut être une jambe bois, ça, il semblerait qu’on s’en foute complètement. Ainsi, tout est super.
J’entre alors dans un vestiaire plus que sommaire. Effectivement, il n’y a rien. Le charme est le confort consiste à se changer de la manière la plus impudique possible, et de confier nos affaires à une gardienne moustachue très aimable. Pas d’ironie. Elle est vraiment très aimable.
Naïve, j’imaginais alors, au sortir du vestiaire, déboucher sur une piscine. Suis pas encore une vraie routarde de l’interculturel. Tout aurait été bien trop simple.
En effet, il y a encore les douches. Une sorte d’agencement de tuyau et robinet dans tous les sens, avec un fond d’eau stagnante, vivier de toutes sortes de bactéries. Je comprends mieux le check-up que nos pieds subissent à l’entrée, même si je doute de l’efficacité de la démarche. Enfin bref, je traverse cet endroit merveilleux, style complètement avant-garde des années 40, un sens du vintage sublimé par la rouille. Et je commence vraiment à questionner ma motivation.
A cet instant I, je n’avais plus vraiment envie de nager, à moins que l’eau soit très chaude, avec des bulles. Ce qui ne semblait pas être dans les habitudes de la maison, par ailleurs. Mais bon, j’étais là et donc, je me promettais d’aller jusqu’au bout. Plonger, quelques traversée et me tirer…
Mais voilà, mon sens de l’orientation est loin d’être fameux. Du coup, ben je me perds. Bien sûr, on n’imagine mal comment c’est possible de se perdre entre le vestiaire et le bassin, mais dois-je rappeler que tout est toujours possible ?
Certes, il y a des indications, mais c’est en géorgien. Loin de maîtriser la calligraphie des vaguelettes et le vocabulaire, j’y vais au culot. C’est donc complètement par faute d’ ignorance que je débarque dans le vestiaire des hommes.
Volte-face. Et enfin, je croise une nageuse. Evidemment, elle ricane, quand je lui demande où donc est la piscine. Effectivement. C’est très marrant. Elle me prend donc par la main - cela devient une habitude- et m’emmène…Dehors.
Et oui.
C’était un 21 février et c’était complètement normal. La laguna Vere, célèbre piscine de Tiflis est une piscine ouverte.
Du coup, j’ai remis à plus tard mes envies d’esprit sain dans un corps sain. Mes toxines d’alcoolique en devenir ne s’évacueront pas par la natation. Du moins, pas avant quelques mois.
*
Au détour d’une conversation avec Ilia, chauffeur de bus de son état, je parus bien ridicule. Il me demandait ce que je pensais du vin, ici. Moi de répondre, c’est délicieux, mais ça tape drôlement…Et trop souvent. Lui, pur tbilissien, pour qui le mot excès n’a aucun sens, me rassura : seuls les russes peuvent devenir alcooliques. Pour le reste du monde, il n’y a aucun danger. Il étaya son propos en m’expliquant que là-bas, outre Caucase, ils ne se nourrissent que de vodka. C’est extrêmement chimique et donc, ça crée la dépendance. Tant qu’on se contente de boire des choses naturelles, comme leur breuvage, pure expression de l’artisanat local, on ne risque rien. Soit. Alors à nous !