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Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2002-2003,

Prof. Patrick SERIOT

Semestre d'été. Séminaire de licence :


"Histoire des théories grammaticales en Russie (jusqu'à 1917)"



Compte-rendu de la séance du 20 mars 2003 (Sébastien Moret)

Un essai de langue pan-slave : Juraj KRIZHANICH


1) L’homme

Croate de Bosnie, Ju. Krizhanich naît en 1618 dans une famille noble ruinée. Après des études au séminaire de Zagreb, puis à Vienne, à Bologne et à Graz, il soutient son doctorat à Rome en 1642 et devient prêtre catholique. Désigné missionnaire, il demande à être envoyé en Russie. Malgré le refus de ses supérieurs, il s’y rend quand même. Sur place, il obtient du tsar la permission de travailler comme interprète et bibliothécaire, mais s’active aussi à propager son idée d’une unité slave. En 1661, accusé de soutenir les uniates, il est exilé en Sibérie où il passera 16 ans dans un monastère. Après sa libération, il vivra en Pologne, en Lituanie, il voyagera à travers l’Europe avant de mourir le 12 septembre 1683 près de Vienne lors d’une bataille contre les Turcs.

2) Le contexte

En Europe comme en Russie, l’époque est marquée par les divisions. Sur le plan religieux, accentuées par la Contre-Réforme, les violentes querelles qui opposent catholiques et protestants ravagent l’Europe. En Russie, la crise politique est patente : suite à la mort du tsar Ivan le Terrible qui s’était débarrassé de son seul fils aîné, on est à la recherche d’un nouveau souverain. L’affaire des faux Dimitri divise et embrase le pays. Enfin, profitant de ces luttes internes, les Polonais entrent dans Moscou avant d’en être chassés par les Russes : chez les Slaves aussi, la division règne.

3) L’œuvre

Théologien, grand connaisseur de la Bible, Krizhanich a une vision totalement négative de la division et de la diversité. Suite à l’épisode de la tour de Babel, il les considère comme une punition divine, une malédiction. Toute sa vie, il mènera ce combat contre la diversité. Non seulement en militant pour la réunification des Eglises orientales avec l’Eglise catholique romaine, mais aussi en appelant de ses vœux une union slave. Comme préambule à cette unification slave, Krizhanich considère nécessaire l’élaboration d’une langue pan-slave.

4) La langue pan-slave

Ses idées concernant une langue pan-slave se trouvent réunies dans deux traités :

- 1660 : Objasnenje vivodno o pisme slovenskom
- 1666 : Gramatichno izkazanje ob ruskom jeziku

S’il est convaincu que la Russie, en tant que seul pays slave véritablement libre, sera à la base de l’union des Slaves, il ne peut se résoudre à choisir le russe comme langue pan-slave puisqu’il est, selon Krizhanich, découpé en trois :

- le russe parlé en Moscovie ;
- un « mauvais » hybride entre le russe et le polonais ;
- le vieux-slave.

Ces deux traités sont donc écrits en une langue pan-slave élaborée par Krizhanich. Pour que ces textes soient compris de tous les Russes, mais aussi de tous les Polonais, Tchèques, Bulgares, Serbes et Croates, il a utilisé les mots communs à tous les Slaves, auxquels il a ajouté, quand cela était nécessaire, des mots russes, croates ou vieux-slaves.

Son programme :
-corriger
- métamorphoser la langue
- perfectionner

Ce faisant, il souhaite retrouver une langue transparente au maximum, semblable à celle des origines, langue sans ambiguïtés qui ne freinerait pas l’interaction directe entre Dieu et les hommes.

Krizhanich souhaite par exemple éliminer les synonymes. Il veut aussi lever toutes les ambiguïtés présentes dans la langue. Il crée ainsi un accusatif pluriel pour les animés différent du nominatif, afin d’éviter les phrases ambiguës du genre :

« Pobili sut Persi Turki » Qui a battu qui ?

Chez Krizhanich, cette phrase devient « Pobili sut Persi Turke », avec un accusatif pluriel animé en –e emprunté au serbo-croate.

5) Quelques observations concernant la langue pan-slave de Krizhanich

- t dur à l’infinitif
- absence de _
- ajout d’une lettre latine : le j
- transformation ikavienne du _ : ____ devenant ____

6) Conclusions

- Les idées de Krizhanich font de lui un des probables précurseurs des panslavistes.

- Son œuvre est une étape importante de l’histoire des représentations sur la langue dans le monde slave. En créant des divisions, les noms de langues rompent le continuum. En se débarrassant des différentes langues, Krizhanich espère supprimer la division.

- L’utopie de Krizhanich est de réparer le péché originel par un travail sur la langue.

- Peut-on ainsi aller contre la puissance divine qui a créé et voulu la diversité et chercher à la résoudre ? N’est-ce pas, pour un religieux comme Krizhanich, péché d’hybris ?

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