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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) // Université de Lausanne


Séminaire de 3e cycle

-- 17 avril 2003 Aleksandra Gjurkova (Institut de langue macédonienne Krste Misirkov, Université Sv. Kiril i Metodij, Skopje) :

Réflexions sociolinguistiques sur le macédonien

En parlant de la langue et de la nation macédoniennes il est important de déterminer les conceptions de 'peuple' et 'nation' pour avoir des points pertinents concernant la discussion sur quelques aspects sociolinguistiques du macédonien.
En fait, le plupart de problèmes avec lesquels on est confronté par rapport aux relations entre la langue et la nation résultent de compréhensions et d'intérpretations différentes de ces concepts et aussi de malentendus.
D'une part nous avons le concept de «peuple» comme une communauté ethnique homogène qui existe sur une certaine région géographique et qui a l'origine, culture, tradition et langue communs; d'autre part le peuple est aussi défini comme une totalité politique et culturelle, identique avec la nation (Encyclopédie de l'Institut lexicographique yougoslave, Zagreb).
La «nation» est définie comme une communauté ethnique, politique, culturelle et économique qui est en particulier marquée par la souveraineté politique exprimé avec des formes réalisées de l'organisation étatique et politique, par la conscience de ceux qui enfont partie pour l'égalité ethnique et par sa volonté de vivre dans cette communauté.
Après les mouvements nationaux au 19ème siècle et l'etablissement des Etats nationaux, dans la plupart des langues européennes la notion de nation est rendue égale avec l'Etat et le peuple. Nous allons mentionner ici un commentaire de Horace Lunt (1984: 89) qui semble pertinent dans ce context: "The doctrine of nationalism that arose in 1789 and rapidly conque
red western Europe is rather different. It takes «nation» to be a basic unit: humanity is «naturally» divided into nations. Further, the doctrine holds, each nation has its peculiar character; the source of all political power is the nation, the whole collectivity; for freedom and selfrealization, men must identify with a nation; nations can only be fulfilled in their own states; loyalty to the nation-states overrides other loyalties. Notice that language is not on this list of basic assumptions, nor is territory. Yet, in many nationalist ideologies, both languages and territory are taken as part of the "natural" and self-evident peculiar characteristics of a proper nation."
Mais, la tradition du romantisme allemand a promu la compréhension de la langue comme la caractéristique nationale la plus importante et par conséquant ce concept s'est attaché à la notion de «nation» comme la base pour le 'nation-building' et pour l'établissement des Etats nationaux.
Et par suite la différentiation de deux façons de comprendre la «nation», comme le remarque Patrick Sériot (1996: 281) caractérise les «deux» Europes:
«Le fossé d'incompréhension entre définitions de la nation en Europe de l'Ouest (moins l'Allemagne, mais avec la Suisse) et en Europe Centrale et Orientale (avec l'Allemagne) repose précisément sur cette opposition entre "demos" et "ethnos", sur une controverse implicite entre le fondement politique et le fondement ethnique de la "nation».
En ce point il semble que cette différence est désignée par une frontière très marquée, mais en ce qui concerne les processus actuels relatifs aux promotions des langues régionales en Europe de l'Ouest on peut voir aussi que le concept «un pays / une région / une langue» devient de plusen plus populaire.

Le rôle de la nomination dans la détermination de l'appartenance nationale des Macédoniens

La Macédoine a été occupée par les Turcs ottomans de 1380 à1912. Après la guerre entre Russie et l'Empire ottoman en 1877 au traité de San Stefano la Macédoine est incluse dans la Bulgarie, mais ce traité était contesté par les autres puissances et au congrès de Berlin (juillet 1878) la Macédoine est rendue aux Ottomans et en même temps l'indépendance de Serbie, Roumanie et Monténegro était confirmée. La Grèce était déjà un Etat indépendante en 1830, tous les trois ont vu la Macédoine comme un territoire à revendiquer, spécialement par rapport à l'affaiblissement de la Turquie.
La détermination des peuples dans l'Empire ottoman était faite selon l'appartenance religieuse et il y avait des musulmans et des non-musulmans qui étaient considérés comme Grecs (rum millet) parce que le Patriarchat était le représentant des tous les chrétiens. Le domaine de l'Eglise et les écoles était strictement sous le contrôle du Patriarchat et l'hellénisation était son but principal. Quand les Phanariotes ont commencé à lire des œuvres des Européens qui ont glorifié la Grèce ancienne ils ont commencé a se proclamer comme «Hellènes»; le mouvement national grec s'est affermi au cours du 19ème siècle et il a fourni un modèle pour les habitant dans les Balkans et comme le remarque Horace Lunt (1984: 69):
"The precise role played in the process of nation-building by the belief in a common past varies greatly. It was of enormous importance in the Greek case and therefore, by reaction to Greek interpretations and claims, to all other Balkan peoples."
Les revendications des territoires i.e. des nations par les Grecs, les Bulgares et les Serbes reposent sur des mythes pour «le passé glorieux» qui remontent jusqu'à l'Antiquité ou le Moyen Age. Les Slaves qui sont venu aux 5ème et 6ème siècles et ont perturbé l'Empire byzantin, ont été soumis par les Bulgares d'origine Finno-Mongole (Lange-Akhund 1998: 4) qui ont dominé les Balkans aux10ème et 11ème siècle. Les Grecs ont identifié ce groupe avec le nom «Bulgares» selon le nom des dirigeants, et la dénomination «Slaves» a été refoulée en grecet en slave. Avec le temps ce nom a été utilisé par les Turcs aussi pour distinguer parfois parmi le «rum millet». Les Slaves qui étaient au niveau social le plus bas dans l'Empire ottomane n'étaient pas considérés comme dignes d'avoir leur propre nom.
Donc, les non-musulmans, les chrétiens qui ne parlaient pas le grec ont tous été nommés «Bulgares». Concernant la détermination des Macédoniens la question: «Déclarez si vous êtes Bulgare ou Serbe» était préférée et spécialement après la constitution de l'Exarchat bulgare en 1870. Il est connu que les déclarations pour se nommer Bulgare, Serbe, Turc, Grec ont subi l'influence de plusieurs facteurs. Comme le souligne Danforth (1993: 7):
"..any expression of national identity that was encountered among the Macedonian peasantry was very superficial and could be attributed to educational and religious propaganda or simply terrorism."
Ou bien, comme nous pouvons lire chez Lunt (1984: 104):
«he might perceive 'Greek' as an equivalent of 'Christian' and allow himself to be so labelled, or he might belong to a Slavonic-rite church and thus deny being Greek. Asked "What are you?" he would probably reply "Christian". Faced with a demand whether he was a Serb or a Bulgar, he would choose the answer he thought most likely to please his interrogator."

Des tendances anciennes-nouvelles -- la question du nom

La République de Macédoine a été admise à l'ONU en avril 1993 sous le nom FYROM- The Former Yugoslav Republic of Macedonia-, à cause de la pression exercée par la Grèce qui a protesté que le nom -Macedonia- représent une partie de son histoire et de son identité, donc il ne doit pas être `usurpé` par d'autres pays. Cette situation n'a pas encore trouvé de solution : les pourparlers entre la R. de Macédoine et la Grèce durent toujours à l'ONU.
-Après les attaques terroristes de l'organisation terroriste albanaise (ONA) et la guerre, et après la signature de l'accord, en décembre 2001 le ICG- International Crisis Group, une organisation privée multinationale qui s'engage en anticipation et prévention des conflits, a donné une proposition spécifique à laRépublique de Macédoine pour résoudre le ‘problème du nom’ avec la Grèce. Le document nommé «Macedonia's Name: Why the Dispute matters and how to resolve it», contient le point suivant: le nom qui devrait être utilisé à l'ONU et dans les autres organisations internationales serait Republika Makedonija, en macédonien, le nom court - Makedonija, et sa place serait sous la lettre `R` et non pas sous `M`. La Grèce aurait le droit d'utiliser le nom de 'Macédoine Supérieure' (Upper Macedonia) pour l'Etat et 'Macédoniens Supérieurs' pour les Macédoniens. Les autres peuvent utiliser la forme adjective: 'of Republika Makedonija', et la Grèce peut utiliser les formules 'the Upper Macedonian people' et 'Upper Macedonian language'.

Une autre tendance spécifique doit être notée: dans les médias en Angleterre, Allemagne, Suisse, aux Etats-Unis récemment dans les textes et rapports relatifs à la Macédoine (par exemple, pendant les élections parlementaires en 2002) les dénominations: Slaves-Macédoniens, la majorité slave («Slav Macedonian, Macedonian Slavs, the majority of Slavs») sont utilisées très fréquemment pour designer les Macédoniens, par contre la formule `albanophone` s'utilise quand il s'agit de la minorité albanaise.
Dans le deuxième cas le critère de la langue semble avoir de l'importance, et dans le premier «Slave-macédonien» est utilisé le critère d'origine, d'ethnie.
Est-ce que la désignation des Macédoniens comme Slaves aujourd'hui n'introduit pas un nouveau rapport à la nation macédonienne du côté de la communauté internationale?
L'omission du critère de la langue quand il s'agit de la désignation des Macédoniens est-elle accidentelle?

-Tendance des députés-représentants des Albanais dans le parlement de Macédoine d'utiliser le nom «Slaves» dans le travail du parlement et ses commissions.
Les politiciens, députés, ministres albanais utilisent de plus en plus l'albanais en public, pour donner des déclarations dans les médias. Avec l'accord d'Ohrid (août 2001) il a été décidé que l'albanais serait aussi utilisé au parlement, aussi bien que dans le travail dans les commissions parlementaires.
Sommes-nous confrontés maintenant avec un nouveau problème de dénomination?

La position de la République de Macédoine aujourd'hui

Avec le changement du préambule et de 15 articles de la Constitution de la République de Macédoine en novembre 2001 après les attaques terroristes de coté de l'organisation terroriste albanaise et la signature de l'accord qui a donné la base pour faire ces changements avec l'assistance et la pression de la communauté internationale, le statut des langues est profondement changé. Il nous faut attirer l'attention sur les formulation usitées dans le nouveau préambule est dans le amendement de l'article 7 qui régle le statut des langues.

1. Le préambule ancien:
«Partant de l'héritage historique, culturel, spirituel et étatique du peuple macédonien et de sa longue lutte pour la liberté nationale et sociale et pour constituer son propre Etat, en particulier allant des traditions relatives au droit public de la République de Krushevo et les décisions historiques de ASNOM et la continuité constitutive de l'Etat macédonien comme une république souveraine en Yougoslavie Fédérale, partant aussi de la volonté librement exprimée par des citoyens de la République de Macédoine dans le référendum de 8 septembre 1991, et aussi du fait historique que la Macédoine est constituée comme l'Etat national du peuple macédonien dans lequel sont assurés la complète égalité des citoyens et le convivialité durable du peuple macédonien avec les Albanais, les Turques, Vlaques, Roma et les autres nationalités qui habitent en République de Macédoine, avec le but: -République de Macédoine d'être constituée comme un Etat souverain, indépendant, civil et démocratique».

2. Le préambule nouveau:
«Les citoyens de République de Macédoine, le peuple macédonien et aussi les citoyens qui habitent dans ses frontiéres qui sont part du peuple albanais, peuple turc, peuple serbe, peuple roma, peuple bosniaque, et les autres, prenant la responsabilité pour le présent et l'avenir de son pays, conscients et reconnaissants à leurs ancêtres pour les sacrifices et la consécration dans leurs démarches et dans la lutte pour constituer un Etat indépendant et souverain de Macédoine et responsables devant les générations de l'avenir pour garder et dévéloper de tout ce qui a de la valeur dans le riche héritage culturel et convivialité en Macédoine, égaux dans ses droits et obligations pour le bien commun - République de Macédoine, et en accord avec la tradition de la République de Krushevo et des décisions de ASNOM et du référendum de 8 septembre 1991, ont décidé de constituer la République de Macédoine comme Etat indépendant ,
souverain.

-Nous pouvons constater un changement essentiel par rapport à la constitution de l'Etat comme sujet politique et par rapport au statut du peuple/nation/ macédonien et des représentants des autres peuples/nations/ qui habitent en Macédoine, c'est-à-dire leur pouvoir constitutif.
Il est aussi évident que l'accent est mis sur la formule «citoyens», ce qui signifie que l'Etat se constitue complétement à la base du concept de la citoyenneté, alors que le concept de nation-Etat est abandonné.
Bien que la formule «peuple macédonien» soit présente, avec l'inclusion des formules «part du peuple albanais, peuple turc» etc., le pouvoir constitutif est égal pour tous les représentants des peuples qui habitent en Macédoine.
Cela fait la position de la Macédoine dans les Balkans particuliérement spécifique, étant donné que touts ses pays voisins sont constitués comme Etats nationaux qui sont unitaristes.
Est-ce que cela ne fait pas de la République de Macédoine une périphérie des autres Etats balkaniques?

3. L'article 7: «En République de Macédoine la langue officielle est le macédonien et son alphabet cyrilque. Dans les unités des communes locales dans lesquelles la majorité sont les appartenants des nationalités, en usage officiel à côté du macédonien sont les langues et alphabet des nationalités, dans la manière précisée par la loi.

-Le changement de l'article (7):
1. Dans toute la République de Macédoine et dans ses relations internationales la langue officielle est le macédonien et son alphabet cyrilique;
2. N'importe quelle autre langue parlée au moins par 20% d'habitants est aussi langue officielle de même que son alphabet.
Etant donné les rapports de pourcentage d'habitants, l'alinéa 2 se rapporte directement à la minorité albanaise en Macédoine, i.e. à la langue albanaise. Donc un statut officiel est assuré pour l'albanais au niveau le plus haut en République de Macédoine.

-- Est-ce que le principe de pourcentage i.e. le nombre d'un certain groupe d'habitants-- peuple/nation dans une pays est un critère valable pour établir statut officiel d'une langue?

La manière de rendre possible qu'une langue devienne officielle dans un Etat sur la base du pourcentage des habitants, est un cas sans précédent. En effet, c'est l'intervention politique pour accomplir certains buts expansionistes: ce sont des politiciens qui ont fait des décisions, et non pas des linguistes... Nous pouvons voir comment le changement dans le traitement du statut des langues a 'tracé le voie' pour la reconstitution d'un Etat.

--Soumission de ce principe aux changements démographiques: est-ce que les résultat des recensements dans l'avenir signifieront toujours des changements dans le statut des langues?
Lachman, M. Kubchandani 2002/ au Congrès Mondial de politiques linguistiques/ en citant Levy, fait le commentaire suivant en ce qui concerne la question démographique dans ce contexte i.e. l'application des chiffres dans la détermination du statut langagier :
"A census would only lead to the politicization of an institutional trait like language if it is aimed at introducing compulsory shifts in the patterns of speech behaviour of a population, and the language identity data (providing the accounts of language image and/or language posture) are utilized for bringing mandatory changes in the language policy".
On peut ajouter que dans notre cas la question du statut des langues était radicalement politisée et le déplacement des relations entre les langues était 'justifié' par le moyen du simple pourcentage de la population, divisé selon l'appartenance nationale: étant donné qu'habituellement l'appartenance nationale est étroitement liée avec le territoire, il devient clair que la question de la langue reçoit une grande importance politique.

Qu'est-ce que signifie l'officialisation de deux langues en République de Macédoine aujourd' hui dans les Balkans où tous les autres pays ont confirmé le statut officiel seulement pour les langue des nations constitutives?


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