Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres
Section de langues slaves, Option linguistique
Année 2003-2004,
Prof. Patrick SERIOT
Semestre d'hiver. Séminaire de licence :
(le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)
La construction des identités nationales en Europe de l'Est par le discours sur la langue.
Le panslavisme linguistique
BIBLIOGRAPHIE
Alain DAWSON : «Une seule langue slave? L'intelligibilité mutuelle des langues slaves et le mouvement panslaviste», Etudes russes. Mélanges offerts au prof. L. Allain, Lille : PU du Septentrion, 1996, p. 167-181.
Compte-rendu de la séance du 5 novembre 2003 (Nicolas Rovere)
La question Combien y a-t-il de langues slaves ? ne saurait recevoir de réponses, tant le mot langue est soumis à la controverse. Il sensuit, une fois encore, que la langue nest pas un objet naturel.
Petite histoire du rapport à la glottogénèse
Le Moyen Age a un rapport essentiellement statique et atemporel à la diversité des langues (cest le modèle biblique : les langues se séparent, à partir des trois fils de Noé, en langues sémitiques, chamitiques et japhétiques). Mais la découverte de lAmérique, à partir de 1492, va remettre en cause bien des certitudes et être à lorigine dun rapport plus relativiste à lenseignement biblique. Cest ainsi que, à la suite de lengouement de la Modernité pour lévolution (évolution des espèces encouragée par les grandes circumnavigations et la découverte des fossiles), W. Jones pourra prononcer, en 1784, son fameux discours établissant lorigine commune des langues. On connaît lavenir qui sera réservé à cette thèse (découverte de lindo-européen) ; dans le monde slave, cest Buslaev qui posera la fameuse tripartition des langues slaves (Est, Ouest et Sud). Or, rien ne va moins de soi que cette séparation : les « langues » slaves ne seraient-elles pas des dialectes dun unique parler slave ?
Nationalismes romantiques contre utopies panslavistes
Au XIXe siècle, la situation linguistique dominante en terre slave était la diglossie : le peuple parlait une langue, lélite aristocratique en parlait une autre. Les choses vont changer sous la poussée de la bourgeoisie, classe dont sont majoritairement originaires les intellectuels, qui gagne en importance mais ne parvient toujours pas à obtenir de pouvoir politique (cf. ses revendications lors du « Printemps des peuples »).
A cette situation historique viendra sajouter léquation une langue = une nation, autorisant les locuteurs dune même langue à revendiquer un Etat indépendant. Mais il faut sentendre sur cette notion de langue ; la réalité de la langue est le continuum dialectal, la diversité et lhétérogénéité, incompatibles avec les exigences dunité dun Etat moderne. Deux tâches incombaient donc aux intellectuels : délimiter lespace géographique du futur Etat et, au sein de cet espace, unifier les dialectes, cest-à-dire créer une langue normalisée. Dans cette optique, un rôle particulier était attribué à la littérature (les uvres comme modèles de la nouvelle langue, cf. le concept de literaturnyj jazyk).
En face de cette tentation au morcellement nationaliste, on trouve lutopie panslaviste. Celle-ci affirme que les Slaves ont plus de points communs que de différences et que les langues slaves, hormis le russe et le polonais, étant jeunes et pas encore normalisées, il nétait pas trop tard pour les modeler en une seule grande langue slave. En 1848 eut lieu le premier Congrès panslaviste à Prague, qui se révéla un échec retentissant : les participants durent admettre quils ne se comprenaient pas, et la langue de communication devint lallemand. Le mouvement ne sest jamais vraiment remis de ce traumatisme.
Jan Kollár (1793 1852)
Linguiste slovaque tchécophone, dobédience panslaviste. Auteur de la théorie de la réciprocité slave, qui promouvait les échanges culturels entre Slaves, notamment à travers la littérature ; elle incitait en outre les Slaves à apprendre le plus possible de langues surs, et encourageait les intellectuels à connaître, au moins passivement, les quatre « principales langues slaves » (russe, polonais, tchèque et illyrien). Kollár y voyait un triple avantage : moral (élévation du niveau culturel, doù encouragement à la pacification), économique (développement du commerce du livre) et politique (convergence des Slaves et purisme linguistique, i.e. élimination des mots allemands). Notons encore que, au fil du temps, Kollár devait se montrer de moins en moins ingénument optimisme (« Qui veut être Russe doit cesser dêtre Tchèque », écrit-il notamment).
Au total, si les utopies panslavistes nont pas fonctionné, cest avant tout parce que manquait une véritable volonté politique de les réaliser ; ces processus dunification prétéritait en effet le pouvoir des petites entités.
De lartificialité des langues littéraires
Le tchèque, langue qui ne sest normalisée quau XIXe siècle, sous linfluence de lidéologie nationaliste anti-allemande, est un bon exemple de lartificialité dune langue littéraire, ainsi quon le voit par lobstination avec laquelle elle écarte de son lexique tout vocable emprunté à lallemand (à la suite de concours organisé dans des journaux) : Geographie devient ainsi zemepis, Ethnologie národopis et Theater divadlo (du verbe divat se, regarder).
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