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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2003-2004,

Prof. Patrick SERIOT

Semestre d'hiver. Séminaire de licence :


(le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

La construction des identités nationales en Europe de l'Est par le discours sur la langue.




— séance du 3 décembre 2003

conférence de Virginie SYMANIEC (Paris)
Biélorusse et/ou biélorussiens : querelles grammaticales et questions idéologiques


Biélorusse, biélorussiens, russe blanc, ruthénien blanc, krivitche, de quoi parle-t-on ? A la fin du XIXème et au début du XXème siècles, l’académicien Iaùkhim Karski, qui s’interroge sur les spécificités de la langue biélorussienne et qui tente de formuler quelles sont les frontières entre les langues slaves, montre que la question de savoir comment nommer la langue des Chroniques Lithuaniennes taraude les chercheurs depuis plus d’un siècle. Dans son Difficultés du biélorussien et des autres langues slaves, il dresse une liste des diverses appellations qui lui furent données. Si aujourd’hui il est courant de nommer la langue des Chroniques langue « vieille-biélorussienne », Ia. Karski montre qu’à son époque, on la nommait encore « vieux russien occidental » ou encore, langue « lithuano-russienne ». Selon lui, deux documents anciens étaient représentatifs de cette langue, car peu de polonismes ou de russismes y avaient été introduits : les Chroniques du grand duché de Lithuanie et de Samogitie, d’une part et des Chroniques des grands princes lithuaniens, d’autre part. Il note toutefois qu’il est encore possible de trouver cette langue répertoriée sous le nom plus simple de langue lithuanienne comme par exemple, dans le catéchisme de Lavrent Zizani. C’est d’ailleurs non sans une certaine ironie qu’il se demande ce qu’on entend véritablement par « parler russe occidental ancien », « dialecte polonais » ou langue « russo-polonaise » à la manière de l’académicien polonais Samuel Bogumil Lindé dans Sur les statuts des langues lithuaniennes, russiennes et autres (Varsovie, 1816) ; par langue « slavo-krivienne », « slavo-krivitche », « krivitchanka » ou « krivitska » à la manière des historiens et écrivains polonophones du début du XIXème siècle originaires des territoires de l’ancien grand duché de Lithuanie comme Iarochevitch, Narbout, Rogalski ou Czeczot ; ou plus simplement par langue « biélorusse » à la manière des linguistes et ethnologues de Moscou ? Que dire encore de ceux qui la nomment « langue artistique » sans parvenir à lui donner un nom ? Toujours au XIXème siècle, l’académicien russe Shaxmatov résout le problème à sa manière. Comme le petit russe, le biélorusse serait une branche du tronc Grand russe. S’affranchissant entièrement de l’histoire de la Rous’ de Kiev et du grand-duché de Lithuanie, les « Biélorusses » représentaient pour lui une descendance de slaves orientaux qui auraient vécu plus à l’Est, vers le centre russe, et qui se seraient réfugiés dans les forêts de Biélorussie sous la pression d’envahisseurs asiatiques. Le langage officiel du grand-duché de Lithuanie n’était plus considéré par lui que comme un mélange de biélorusse et d’ukrainien dont la forme écrite était dominée par l’orthographe et le slavon d’église. La fin du XIXème siècle voit également naître le vocable « biélorussien(ne) ». Toutes ces appellations ont un sens fort, indissociable du contexte de leur production. Elles purent également avoir un impact considérable au sein de partis politiques défenseurs de projets de société divergents, ne recouvrant pas la même conception de l’Etat ou de la nation, et régulièrement repris ou contestés tout au long XXème siècle. C’est que les querelles nominales et grammaticales résultent d’enjeux politiques qu’il faudra tenter de passer en revue avant de montrer en quoi elles nous sont encore très contemporaines.

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