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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2005-2006,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence (hiver)

(Hiver 2005-2006, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

La question de la langue dans l'idéologie slavophile // Языковой вопрос в славянофильской идеологии


1е февраля 2006 г. : А. Потебня : Мысль и язык (1862)


протокол заседания : Arnaud Nicod

Aleлыandr Afanasevič Potebnia (1835-1891)

 

A.A. Potebnia n’est pas slavophile. Pourtant, il rejoint ceux-ci sur certains points. Il pense entre autre qu’il n’y a pas de pensée sans langue, et donc qu’il y a autant de langues que de pensées. La langue est la condition et l’expression de la pensée.

On reconnaît ici la marque de la culture scientifique allemande, qu’il a contribué à introduire en Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle. En particulier l’incontournable Humboldt ainsi que Steinthal, qui soutient que chaque peuple possède une spécificité psychologique, non partagée par les autres peuples. Chez l’un comme chez l’autre, on retrouve cette idée qui sera au centre du raisonnement slavophile que le peuple est un individu, une individualité collective.

Potebnia, à partir de la relation qu’il établit entre langue et pensée, adopte une approche historique des formes de la langue. A l’instar de Darwin qui utilise les fossiles pour élaborer une théorie de l’évolution du vivant, Potebnia étudie les différentes étapes de la langue pour reconstituer une histoire de la pensée. Dans cette optique, il est une question qui a donné lieu à des discussions enflammées et qui n’est toujours pas close aujourd’hui : le statut des constructions impersonnelles. Ici s’affrontent deux hypothèses :

            a) ces constructions sont les vestiges d’une mentalité primitive au sein d’une langue qui tend vers toujours plus de logique. Ainsi l’histoire de la langue et par conséquent de la pensée présente un mouvement qui va de l’impersonnel au personnel, du moins logique au plus logique.

            b) ces constructions sont un progrès, dans la mesure où on assiste à une mise en exergue du verbe, considéré comme plus important que le nom parce que porteur d’une dynamique, symbole du mouvement, de la vie. L’évolution de la langue se fait donc dans un mouvement où la primauté du nom s’efface progressivement au profit de celle du verbe, où la pensée, de statique, se fait dynamique. C’est ce que l’on appelle oglagolivanie, ou verbalisation.

 

Durant la période stalinienne, dans le cadre de la théorie officielle matérialiste qui veut que la langue n’a pas d’autonomie et qu’elle est ‘la réalité immédiate de la pensée’, selon le mot de Marx, on retrouve la même controverse où, pour en arriver à la même conclusion que la langue progresse, des raisonnements parfaitement antagonistes sont utilisés.

Peškovski, de son côté (Russkij sintaksis v naučnom osveščenii, M., 1928), commence par éliminer la distinction entre personnel et impersonnel, la déclarant absurde dans la mesure où la personne est nécessaire à la pensée. Par exemple dans une phrase comme ‘Svetaet’ ou encore ‘Ego gromom ubilo’ , l’agent n’est pas donné à dessein, parce qu’on ne peut le connaître exactement. Ce n’est aucun des interlocuteurs, c’est une troisième personne, indéterminée. Pour lui le passage à l’impersonnel est donc une marque du progrès de la pensée puisqu’il induit le refus de nommer une source dont on ne connaît pas la nature. Les constructions impersonnelles sont le reflet en quelque sorte de la rigueur scientifique qu’acquiert la pensée.

De l’autre côté, la linguiste polonaise Helena Koneczna, en 1958, constate elle aussi les progrès faits dans la pensée mais présente les choses dans l’ordre inverse : le passage de l’impersonnel au personnel est considéré comme le passage du perceptuel au conceptue (Мне кажется ≠ Я сужу).

Ces exemples nous montrent l’importance accordée dans les pays d’Europe centrale et orientale à la question du rapport entre langue et pensée et la persistance des mêmes problèmes au sein de cadres de pensée en apparence aussi différents qu’idéalisme allemand et matérialisme soviétique.

 

 

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