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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2005-2006,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence (hiver)

(Hiver 2005-2006, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

La question de la langue dans l'idéologie slavophile // Языковой вопрос в славянофильской идеологии


23е ноября 2000 г. : Le «Sonderweg» linguistique et le dynamisme du verbe.


протокол заседания : Sévine Uzun

K. Aksakov : O russkix glagolax, Moskva : B tipographii L. Stepanovoj, 1855.

 

La théorie de K. Aksakov (1817-1860) concernant les aspects des verbes russes s’inscrit dans le débat d’idée concernant la place de la Russie dans le monde. Les protagonistes de ce débat sont représentés par deux tendances, les slavophiles et les occidentalistes.

 

Dans ce texte, Aksakov nous fait part de ses idées concernant les verbes et la manière de les étudier. Or, sous le couvert d’une étude scientifique, nous voyons se dessiner d’autres conceptions, qui, alors, élèvent le débat à une réflexion, non plus basée uniquement sur la langue, mais à tendance philosophique.

Dans un premier temps, K. Aksakov mentionne le fait qu’il y a déjà eu des écrits sur les formes verbales, mais qu’aucun n’a jamais pu réellement résoudre les problèmes qui se posaient. Il est alors très critique quant à la manière dont les verbes, et même la langue russe, sont étudiés. En effet, chaque théoricien analyse les formes verbales selon des catégories qui ont été définies par des théoriciens qui se basaient alors sur des langues étrangères. Il s’oppose de cette manière aux théories de Lomonossov. Selon K. Aksakov, il n’est pas possible d’analyser le verbe russe en s’inspirant des théories allemandes, par exemple. Il prône une méthode qui serait d’analyser le russe par le russe. Notons néanmoins qu’il s’agit là d’une théorie en provenance d’Allemagne : Schelling et les philosophes romantiques voulaient effacer toute distance entre le sujet et l’objet de la connaissance : «on ne peut connaître que soi-même».

Lorsqu’Aksakov parle de la singularité du verbe russe, par rapport aux autres systèmes verbaux, il parle de la singularité de la langue et par extension, de la Russie. En parlant de l’essence du verbe qui nous permet de comprendre les faits et actions de l’intérieur, cela rappelle la dichotomie déjà mise en valeur par d’autres, extérieur/intérieur. Et finalement, si Aksakov propose une théorie pour expliquer la singularité des verbes russes, c’est parce que le verbe est la plus organique des parties du discours, la plus vivante, par opposition aux idées de mécanisme véhiculées, émises par le cartésianisme et reprises par les savants du siècle des  Lumières en France, par exemple.

Ce qui motive surtout Aksakov dans sa démarche, c’est de trouver un point de vue sur le système verbal, qui permettrait alors d’expliquer chaque emploi de manière légitime, sans prétexter qu’il s’agit d’une exception à la règle, lorsque les théories ne fonctionnent plus.

 

 

La théorie des aspects :

 

L’idée principale de K. Aksakov est de revaloriser la langue russe, en montrant à quel point elle permet d’exprimer toutes les nuances. Contrairement à certaines idées véhiculées par ceux qui imitent les grammaires étrangères, il n’existe tout simplement pas de catégorie du temps en russe, dans le système verbal. Or il ne s’agit pas d’un manque, mais au cointraire d’une supériorité. On ne peut pas juger une langue, ni la comparer selon des critères qualitatifs. K. Aksakov avancera tout de même que le russe est une langue supérieure aux autres. En effet, selon lui, les aspects font toute sa singularité. K. Akskakov conclut une première partie de son texte en nous disant que la langue russe a sa propre histoire, elle n’est pas un une langue dont les catégories grammaticales l’isolent par rapport aux autres langues. Il s’agit tout simplement d’une singularité dont il convient d’être fier.

 

K.Aksakov propose une nouvelle manière de concevoir le verbe et le système verbal en russe. Sa grande innovation est d’abolir la catégorie du temps, au profit de celle des aspects. Ceux-ci viennent apporter une qualité à l’action mentionnée par le verbe.

Dans un  premier temps, il explique pourquoi nous pouvons dire que les temps n’existent pas en russe. Il commence par le passé. Celui-ci n’existe pas. En effet, dans ja služil, ce n’est pas un passé, mais un adjectif verbal en forme prédicative. Ce, au même titre que ja dobr. Il s’agit en réalité d’un verbe être suivi d’un adjectif, or, la forme verbale esm’ aurait été élidée. Pour K. Aksakov, il s’agit là d’une forme du  passé et non d’un temps.

Par l’exemple d’une chanson populaire, K. Aksakov nous démontre qu’il n’y a pas de futur (p.10 du texte). D’après lui, si les occidentaux ne peuvent pas traduire cette chanson, c’est parce qu’ils se retrouvent face à ce qu’ils appelleraient un mélange des temporalités. En effet, un francophone ou un germanophone ne saurait traduire les paroles avec des verbes une fois au passé et une fois au futur. Ce mélange est permis en russe, puisqu’il n’y a pas de marque formelle du temps. Pour Aksakov, les formes verbales utilisées ici se comprennent d’après l’emploi qu’il en est fait.

 

Après avoir montré qu’il n’y avait ni passé, ni futur, il n’est même pas nécessaire de réfléchir au présent. Lui non plus n’existe pas. K. Aksakov nous propose alors de parler d’infini. Celui-ci viendrait remplacer la temporalité qu’on retrouve dans d’autres langues. La seule catégorie qui nous permet d’analyser les verbes russes, ce sont donc les aspects.

K. Aksakov définit trois aspects comme trois différents degrés de l’action. Ils viennent alors indiquer une qualité intrinsèque de cette action. Cette qualité est nuancée par les différents emplois du verbe, qui permettent, eux, de savoir à quel moment a lieu une action. Ainsi, à chaque emploi de chaque forme c’est une nouvelle qualité qui est mise en évidence. C’est là une preuve de la richesse de la langue russe qui offre une grande richesse et une multitude de nuance, à en croire le grammairien. Le propre des aspects est qu’ils permettent de comprendre l’essence même du phénomène qui est mentionné par le verbe. Les aspects nous obligent à étudier le verbe et la langue de l’intérieur, alors que les temps des «autres langues» (français, latin, allemand) ne donnent qu’une vue «superficielle», extérieure, de l’action. Avec la théorie d’Aksakov, nous touchons dès lors, via la grammaire à la philosophie du langage.

 

Trois aspects, trois degrés de l’action : une approche «dialectique»

 

1)                  Dvigat’. Il s’agit du degré de l’action comme général et indéterminé. C’est la forme générale, celle qui vient nommer le processus. Ce degré correspond à ce qu’il y a de plus vivant dans la manifestation. En effet, il désigne le processus en train de se faire. En d’autres termes, il s’agit de l’action vue en général.

2)                  Dvignut’. Ce deuxième degré est vu comme une réalisation de l’action. Le phénomène a été développé. Il est donc déterminé dans un moment où l’action a cessé d’être une action.  L’action est déterminée comme étant réalisée.

3)                  Dvigivat’. C’est le degré de l’action comme étant un moment particulier qui a été saisi et dégagé d’une multitude indéterminée. L’action est vue comme un échantillon saisi dans une continuité de cette même action.

 

 

La temporalité dans laquelle s’inscrit un énoncé se déduit grâce à la qualité intrinsèque de l’action, qualité qu’on retrouve dans l’aspect. De là, peut alors se construire une concordance à l’intérieur des énoncés. Il s’agit donc de se concentrer sur l’essence de l’action.

Aksakov, avec les aspects, distingue deux catégories de verbes, les verbes semelfactifs et les verbes plurifactifs. Avec la conjugaison, ce sont les seuls éléments qui peuvent faire varier la forme verbale. Ces éléments qui viennent faire varier le verbe sont appelés des conditions.

Ce sont tous ces différents facteurs qui interagissent et forment ensemble toutes les nuances du verbe russe. Cela met en évidence le côté «organique et vivant» de la langue. En effet, chaque phénomène prend son essence dans le verbe au moment de l’énonciation. Le choix de l’aspect du verbe est motivé par le réel qui l’entoure, par le contexte d’énonciation. C’est ainsi qu’en est décidé la terminaison personnelle de la forme verbale. Tous ces éléments vont venir montrer dans quelles circonstances le phénomène a lieu, s’il est déterminé dans un moment saisi ou non, s’il est exprimé d’une manière générale.

La démarche d’Aksakov, abolir la catégorie du temps dans le système verbal russe, n’enlève strictement rien de la palette de nuances possible.

Ce qui rend sa thèse discutable, c’est qu’elle soit construite sur un fond visant à montrer, via la grammaire, la suprématie de la langue russe, du fait de la singularité de son système verbal.

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