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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Eté 2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le lien entre langue et pensée dans la culture russe : la question du néo-humboldtianisme


1/ 14 mars 2007. Le Cratyle de Platon : le problème du rapport entre les mots et les choses (la justesse des noms)

Langue et pensée : le Cratyle de Platon
(compte-rendu par Florine Carron)

 

1) Remarques sur le terme « langue » :

 

Attention : le terme russe язык correspond en français à deux notions distinguées par Saussure :

 

-       le langage (à la fois capacité de parler et catégorie générale dont les langues naturelles sont les réalisations concrètes)

-       la langue (à la fois système présent dans l’esprit de tous les locuteurs et objet abstrait de connaissance, qui pourtant existe indépendamment de son étude)

 Note sur la langue comme système : pour Saussure, la langue est un système d’éléments purement négatifs, qui n’ont de sens qu’à l’intérieur d’un système de relations (structure) : il n’y a pas de sens en soi, mais seulement par opposition aux autres éléments du système.

 

2) Platon et le problème de la rectitude des noms

 Dans son Cratyle, qui met en scène un dialogue entre Socrate, Hermogène et Cratyle, Platon s’interroge sur le rapport entre les noms et les choses : s’agit-il d’un rapport d’ordre conventionnel ou naturel ?

 • Hermogène défend la thèse conventionnaliste (à ne pas confondre avec celle de l'arbitraire chez Saussure), selon laquelle le lien qui relie le nom et la chose est purement arbitraire et conventionnel : c’est par pure convention que telle désignation a été attribuée à tel objet. Ajoutons qu’Hermogène est le disciple du sophiste Protagoras, pour qui « l’homme est mesure de toute chose » : il n’y a pas de vérité en soi ; la vérité est toujours relative à la société humaine.

 • Cratyle, au contraire, soutient la thèse naturaliste : pour lui, tous les noms sont justes car il existe un rapport naturel, une correspondance exacte entre l’objet et sa dénomination (si cette dénomination n’est pas juste, c’est tout simplement qu’il ne s’agit pas d’un vrai nom). Par ailleurs, Cratyle est disciple d’Héraclite, selon qui tout est en perpétuel changement ; or, on ne peut rien dire de vrai de ce qui change ; on ne peut donc plus rien dire de rien (Socrate critiquera plus loin la position de Cratyle en fonction de la doctrine d’Héraclite).

Cratyle appuie sa théorie par des exemples de symbolismes phonétiques devenus célèbres : le son [r], « comme chacun le sait », indique le mouvement. Le mot rhein (« couler ») est ainsi bien trouvé par son inventeur : pour Cratyle, comme pour Socrate, les mots ont été inventés par une sorte d’être surnaturel, l’onomaturge, l'inventeur des noms.

La motivation, pour Cratyle, peut se trouver à plusieurs niveaux : au niveau phonétique (les sons imitent les choses), ou motivation entre les mots (ex : étymologies d’affinité du type sôma/sêma : le corps comme signe et tombeau de l’âme).

Remarque : à Athènes, l’étymologie prend une importance particulière justement à l’époque de Platon (Ve siècle avant J-C). Avec l’élaboration du premier véritable alphabet (adapté de l’alphabet phénicien, qui ne notait pas les voyelles), et la fixation par écrit de la poésie homérique, on prend conscience des ambiguïtés de l’écriture (les textes se présentent alors sans espace entre les mots ni signes de ponctuation). D’où l’importance de ce qu’on appellera plus tard l’étymologie, qui permet un découpage correct et l’identification des éléments problématiques, par l’isolation de syllabes auxquelles on commence à attacher un certain sens.

L’analyse de Socrate

• Socrate commence par réfuter la position d’Hermogène en affirmant que les mots ne peuvent être arbitraires, sans quoi la confusion serait totale (Socrate néglige ici l’aspect conventionnel des noms, reconnus par l’ensemble de la société, qui empêche cette confusion: il faut un accord entre les membres d'un groupe pour que les mots puissent avir nsens).

Il attaque en outre les théories de Protagoras, théories selon lui individualistes et faisant l’impasse sur la permanence de l’être, la réalité stable au-delà des apparences, point central de sa propre doctrine.

• Socrate critique également la position de Cratyle. En effet, il peut y avoir des mots mal composés :

-       du point de vue de la valeur phonétique (sklerótes « dureté » comporte un [l] qui indique la douceur)

-       du point de vue de l’étymologie (épistémè, « la science », istei « arrête » l’esprit, ce qui contredit la philosophie du flux permanent de Héraclite, partagée par Cratyle)

Socrate est bien conscient de ce que le décodage des homophones peut avoir d’hypothétique. Mais il n’en est pas pour autant anticratylien. Il ne rejette que l’idée d’une ressemblance absolue du mot à la chose (mimologie parfaite qui ferait du langage un double de la réalité).

Pour Socrate, les noms ont effectivement une certaine « nature », mais ils restent faillibles : l’onomaturge a pu se tromper. Socrate s’oppose ainsi à l’idée de justesse absolue des noms, partagée par Hermogène (parce qu’une convention est toujours juste) et Cratyle (parce que le mot imite la chose). Les noms peuvent être mal formés (notons qu’il s’agit d’une inadéquation dès l’origine : on est loin ici de la thèse romantique d’une langue originelle parfaite se dégradant par la suite). Ainsi, pour Socrate, il existe une sorte de vérité du langage, par rapport à laquelle se produit l’erreur de l’onomaturge. Mais même si une justesse (capacité mimétique) des noms est possible, ce n’est pas forcément le cas de tous les mots. Ce n’est donc pas des noms qu’il faut partir pour connaître les choses, mais des choses elles-mêmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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