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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Eté 2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le lien entre langue et pensée dans la culture russe : la question du néo-humboldtianisme


2/ 21 mars 2007. Wilhelm von Humboldt : langue, organe formateur de la pensée

(Compte-rendu par Irena Trujic)

 

Wilhelm von Humboldt (1767-1835) est prussien. Ce pays n’avait pas une réputation très sympathique, mais le fait est qu’il y a eu une grande concentration de philosophes, d’écrivains et de grands savants, plus ou moins au même moment :

Alexandre von Humboldt était le frère aîné de Wilhelm. Grand voyageur, naturaliste et explorateur, il a envoyé à son frère quantité de matériau sur les langues des pays qu'il visitait.

1797-1799 : Wilhelm von Humboldt vient étudier à Paris, le sanskrit notamment. Puis, en 1800 et en 1801, il fait deux séjours au pays Basque. S’il s’intéresse au basque, c’est parce que c’est une langue extraordinaire, qui comporte un ergatif. Dans les langues à déclinaisons, le sujet a toujours le même cas :

Mais en basque et en géorgien, ce n’est pas comme cela que ça marche ; on dira :

Notons que le basque n’était pas une langue écrite, et qu’il était donc difficile de l’apprendre, puisqu’il n’y avait pas de matériel.

Humboldt a également fait une carrière de diplomate ; il a été ambassadeur de Prusse, plénipotentiaire au Congrès de Vienne.

Une fois à la retraite, il s’adonne à l’apprentissage des langues : en plus des langues classiques, il apprend entre autres les langues amérindiennes, le sanskrit, le chinois, le hongrois, le tatar, les langues sémitiques, le japonais, le birman.

Humboldt n’était pas un linguiste au sens où on l’entend à présent, mais un philosophe qui posait des questions sur les langues et le langage ; son but était de faire une anthropologie comparée, pas une grammaire comparée. Il ne s’intéressait donc pas uniquement à la forme, car ce qui comptait pour lui c’était l’esprit.

Son style est jugé obscur. Il a eu une influence énorme pendant sa vie, car il connaissait presque toute l’intelligentsia européenne, mais à sa mort, on l’oublie vite. Ce n’est qu’au début du XXème qu’il est redécouvert, et il aura une énorme influence en Russie, notamment sur Potebnia.

Humboldt se posait des questions sur l’origine ; l’époque romantique était obsédée par cela, et se posait des questions telles que : D’où vient-on ? Qu’y avait-il avant ? Pourquoi y a-t-il des différences ?

Différentes idées chez Humboldt :

1)    C’est d’après l’analyse comparée des organismes des différentes langues qu’on peut accéder à une classification typologique. Humboldt est vraiment un précurseur, puisqu’il est le premier à avoir osé comparer des langues dont on savait pertinemment qu’elles n’avaient pas d'origine commune. Humboldt ne s’intéressait pas à la forme, mais ce qui était important pour lui, c’était de comprendre comment on pense. L’idée est que si la structure syntaxique est différente, on ne peut pas comprendre le monde de la même façon.

2)    L’origine des langues. Humboldt se différencie ici de certains philosophes, comme Condillac. L’idée de Condillac était de trouver en temps réel l’origine du langage : ainsi, on élève des enfants sans jamais leur parler, et on regarde ce qui se passe. Humboldt, lui, ne s’intéressait pas à l’origine du langage, mais à celle des communautés humaines. La typologie permet ainsi de remonter à l’origine des langues. Toutefois, Humboldt ne donne pas de preuve, et c’est cela qui est très gênant chez lui. Il part d’une hypothèse métaphysique : la langue est un don, l’homme et sa langues sont nés ensemble, d’un coup, et la langue est, dès le départ, parfaite.

3)    Humboldt était un romantique, et il imagine que dès le début, il y avait des sociétés et des langues. Pour lui, l’humanité est donc à l’origine divisée en langues et en peuples. Condillac par exemple, pensait qu’à la base, il n’y avait que des sauvages qui échangeaient des borborygmes.

Humboldt estime que le sanskrit est une langue parfaite, car ses racines sont monosyllabiques : or il est naturel, à son avis, d’exprimer chaque concept par une syllabe. A cela s’ajoutent les flexions, qui font du sanskrit une langue réellement parfaite faite pour la philosophie.

4)    Idée que la langue est la pensée du peuple (Volk)

En Allemagne, il y avait l’idée que la nation fait l’Etat. Ne pas oublier que les romantiques considèrent qu’au départ il y a une langue, donc un peuple, qui est à l’origine de ce qui va devenir un Etat. (Les Corses et les Québécois ont d’ailleurs le même raisonnement : « puisque nous avons une langue, nous sommes un peuple… »)

L’idée est que le peuple est une richesse culturelle, mais qu’il n’en est pas conscient, car il est innocent, enfant. Mais grâce aux intellectuels (par exemple, les frères Grimm qui allaient dans les campagnes, récoltaient des contes notamment, puis les réécrivaient) la richesse culturelle vient à la Bourgeoisie.

Le dernier ouvrage d’Humboldt devait porter sur la différence des langues, mais il n’a écrit que l’introduction de son ouvrage sur le kavi (langue religieuse de l’île de Java).

Une idée très importante chez Humboldt est que plus il y a de langues, plus il y a de visions du monde, et c’est une richesse pour l’humanité que d’avoir de nombreuses langues. On n’est donc pas du tout dans une vision négative de l’après Babel, où la multiplicité des langues est une punition.

Toutefois, chez Humboldt, on a un jugement de valeur : la supériorité de la structure d’une langue prouve la supériorité d’une mentalité, d’un peuple. Evidemment, pour Humboldt, la structure de l’allemand, celle du grec ancien et celle du sanskrit sont supérieures aux structures des autres langues. Finalement, Humboldt est déchiré : d’un côté, toutes les langues sont belles et ont tout ce qu’il faut pour penser adéquatement, mais d’un autre côté, seule une langue flexionnelle permet de bien penser.

5)    Humboldt propose une théorie stadialiste de l’évolution des langues : chaque langue est ainsi arrêtée à un certain stade. Ce qui intéresse Humboldt, c’est le stade de la pensée, et comment on pense.

6)    Humboldt a une position contradictoire, puisque il considère d’un côté qu’on doit penser chaque langue en fonction de ses catégories propres, mais d’un autre côté, que l’esprit exige certaines qualités qui sont celles des langues flexionnelles.

7)    Langue et vision du monde. Pour Humboldt, si on a un mot simple dans une langue pour désigner un concept, cela signifie qu’on a ce concept dans la langue donnée ; mais si pour exprimer ce concept on doit utiliser une périphrase, cela signifie qu’on n’a pas ce concept, qu’on ne le pense pas.

8)    Langue et connaissance du monde. Pour Humboldt, la langue n’est pas une nomenclature, mais elle est en création constante. Elle n’existe pas dans les dictionnaires ou les grammaires.

9)    Langue et peuple. Chaque langue est le reflet de l’esprit du peuple. Quand on parle une langue étrangère, on sort du cercle de sa langue naturelle pour entrer dans un autre cercle.

 

 

 

 

 


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