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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Eté 2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le lien entre langue et pensée dans la culture russe : la question du néo-humboldtianisme


23 mai 2007

Irena Trujic

 

Séminaire : L’école sémiotique de Moscou et de Tartu

 

Introduction : présentation de l’école sémiotique de Tartu et de Moscou.

 

Pour présenter l’école sémiotique de Tartu et de Moscou, je me servirai des articles mentionnés en bibliographie, c’est-à-dire : « Зимние заметки о летних школах » de Lotman, « К проблеме генезиса тартуско-московской семиотической школы » d’Ouspenski et de l’introduction faite par Henryk Baran.

Cette école, comme son nom l’indique, rassemble les chercheurs de deux villes : Tartu (Estonie) et Moscou. Le mot qui qualifie le mieux cette école est, à mon avis, la diversité. Comme le mentionne Ouspenski, nous avons deux traditions culturelles différentes qui sont réunies : généralement, les chercheurs moscovites sont linguistes et c’est par ce biais qu’ils sont venus à la sémiotique ; par contre, les chercheurs de Tartu sont avant tout des spécialistes de la littérature. Notons toutefois qu’au cours des échanges entre les deux universités, les moscovites se sont intéressés à la littérature et les chercheurs de Tartu à la linguistique. Ouspenski explique que les linguistes se sont intéressés aux textes et au contexte culturel (entendre ici : les conditions de fonctionnement du texte), grâce aux littéraires, qui eux se sont intéressés à la langue en tant que mécanisme d’engendrement de textes, grâce aux linguistes.

Il faut savoir que Ju. Lotman et Z. Minc sont originaires de Leningrad et qu’ils participent donc de cette tradition culturelle.

On peut donc dire, pour définir l’école sémiotique de Tartu et de Moscou, qu’elle réunit deux traditions : celle de l’école linguistique de Moscou et celle de l’école littéraire de Leningrad, qui s’enrichissent mutuellement.

Le centre de cette école est l’Université de Tartu, et plus précisément la section de littérature russe que dirigeait à l’époque Ju. Lotman.

Ouspenski, mentionne une date importante pour la « fondation » de l’école de Tartu et de Moscou : il s’agit du symposium de l’étude structurale des systèmes de signes (à Moscou, en 1962), lors duquel ont été fait des exposés sur la sémiotique du langage, la traduction automatique, la sémiotique de l’art, celle de la mythologie, la description du langage des systèmes de communications non verbaux (signaux routiers, jeux de cartes…), la sémiotique de la communication avec les sourds muets, etc. Notons toutefois que Lotman n’a pas participé à ce symposium ; l’école sémiotique de Tartu et de Moscou a donc commencé avec l’activité des chercheurs de Moscou.

Peu après, Iouri Lotman, vient à Moscou proposer sa collaboration et celle de Tartu. Dès lors, des conférences sont organisées, dans des cadres très informels, sans aucune organisation, ou presque.

Lotman, dans son article « Зимние заметки о летних школах » (Tartu, décembre 1990) explique que le principe de ces cours d'été était que des chercheurs se réunissent et vivent ensemble. La discussion devait se faire dans différents endroits et sous différentes formes. De plus, il était important que les chercheurs aient des intérêts différents, ce qui a pu amener un dialogue constant et productif. Il signale que toutes les discussions étaient amicales ; l’idée était de travailler de manière détendue, mais tout de même intensivement. Un point que Lotman juge particulièrement important, est que malgré ces rencontres, ces discussions communes, les articles et les livres ont conservé un caractère individuel.

Henryk Baran explique que les recherches de cette école sémiotiques se sont faites dans de nombreux domaines: histoire littéraire, poétique, linguistique, études du folklore, mythologie, psychologie et philosophie.

Pendant une quinzaine d’années, cette école a crée un corps de textes large, cohérent et interconnecté ; la taille de leur production, l’originalité et la hardiesse de leur formulation et la portée de leurs interrogations a largement contribué à faire de cette école un des composants majeurs de la vaste expansion internationale de la sémiotique.

Le jaillissement des recherches sémiotiques en Union soviétique a été rendu possible par le nouveau climat intellectuel de la fin des années 50 et du début des années 60. Pendant cette période, le Dégel, nombre de linguistes ont fait des efforts pour libérer leur science du marrisme et de ses répercussions.

Dès 1964 le département de littérature russe de l’université de Tartu a rapidement acquis une importance internationale, grâce à Juri Lotman notamment, qui a combiné les rôles de chercheur, enseignant et organisateur.

Au fil des recherches, les sémioticiens ont fini par concentrer leurs travaux sur un thème, qui est celui de la sémiotique de la culture. Leur idée est que la culture est un ensemble de langages divers (langage de la littérature, du cinéma, de la peinture, de la mythologie, etc.), qui fonctionne comme un système entre l’homme (unité sociale) et le monde autours, comme un transformateur et un organisateur de l’information qui vient du monde extérieur. Selon les cultures, une information sera relevée ou pas, et les textes littéraires ne seront donc pas lus de la même façon dans les différentes cultures. Ce système qu’est la culture régit le comportement de l’homme et détermine sa façon de modeler le monde

 

Présentation de l’article : La dualité des modèles et son rôle dans la culture russe jusqu’à la fin du XVIIIème siècle

 

Notons tout d’abord qu’il y a une incertitude sur l’auteur/ les auteurs de cet article. En effet, si l’édition française mentionne les noms d’Ouspenski et de Lotman, l’édition russe ne propose que celui de Lotman. L’article date de 1977. Pour les citations, j’utiliserai la traduction proposée par Françoise Lhoset, les numéros entre parenthèses renvoient aux pages de cette traduction.

L’article commence par une définition large de ce qu’est la culture : « Au sens le plus large, la culture peut être comprise comme la mémoire collective non héréditaire s’exprimant dans un système défini de prescriptions et d’interdits ». Les auteurs précisent ensuite que l’histoire de la culture ne peut être uniquement la dynamique de tel ou tel interdit ou prescription, mais qu’il s’agit également de la dynamique de l’auto conscience culturelle. C’est d’ailleurs cette auto conscience qui va expliquer les changements d’orientations normatives, c'est-à-dire les prescriptions et les interdits.

La culture est donc à la fois un système de la mémoire collective et un système de conscience collective. L’idée est la suivante : « Se créant elle-même son propre modèle, la culture agit activement sur le processus d’auto organisation, s’organise hiérarchiquement, canonise ou exclut tels ou tels textes. Ce modèle devient ensuite un fait d’histoire culturelle et généralement il influence les idées que s’en fait la postérité et les conceptions des historiens ». (21)

Les auteurs notent que si on observe l’histoire de la culture russe, on voit clairement qu’on peut la diviser en étapes et « que chaque nouvelle période cherche à rompre résolument avec la précédente ». (22) Toutefois, malgré ces « ruptures », on est forcés de constater qu’il y a un grand nombre d’éléments (situations historiques, psychologiques ou textes) qui se répètent, et que ces répétitions sont trop régulières pour qu’on puisse les considérer comme fortuites ; de plus, ces éléments sont trop actifs dans la culture pour qu’on les considère comme des restes d’une culture passée.

Si on observe le Moyen âge russe, on s’aperçoit que toute sa culture est construite sur une bipolarité. Ainsi, par exemple, alors qu’en Occident on a une structure de l’au-delà divisée en trois parties (Enfer, Purgatoire, Paradis), et donc comportant une zone neutre axiologique qu’est le Purgatoire (zone ni pécheresse, ni sainte, qui permet de vivre dans le monde normalement), en Russie il n’y avait pas la zone intermédiaire qu’est le Purgatoire. La conséquence directe de cette séparation binaire est que la conduite dans la vie terrestre ne peut être considérée que comme pécheresse ou sainte. En Occident, la zone neutre qu’est la vie ni sainte ni pécheresse devient la norme, alors que les zones « hautement sémiotisées du haut et du bas de la culture médiévale étaient repoussées dans le domaine des anomalies culturelles ». (23)

Il faut noter ici que les auteurs de l’article ne précisent pas ce qu’ils entendent par « L’occident » ; tout comme pour « la culture russe », ils construisent un objet sans le définir précisément.

Les auteurs expliquent ensuite que, dans la culture russe médiévale, le changement vient d’un rejet total de la période d’avant. Ainsi, le nouveau est une transformation de l’ancien qui est en quelque sorte « retourné ». Comme les changements se font toujours de la même façon dans la culture russe, les auteurs parlent d’unité de la culture russe aux différentes étapes de son histoire.

 

L’article se poursuit en 3 étapes.

Dans la 1ère, les auteurs expliquent que la culture russe, entre la christianisation de la Russie et les Réformes de Pierre le Grand, de façon constante, oppose « l’ancien » au « nouveau ».

C’est en référence à la christianisation de la Russie que l’on trouve dans les textes « la définition de terre russe comme nouvelle et des Russes comme peuple neuf ». (24) Les auteurs poursuivent en expliquant que « la christianisation elle-même se déroule comme une permutation ostentatoire entre la vieille religion (païenne) et la nouvelle (chrétienne) » (25). De plus, on notera que Vladimir, comme Pierre 1er, opère une permutation des valeurs en transformant le « plus » en « moins ».

En devenant chrétienne, La Russie change politiquement et culturellement, puisqu’elle entre « dans l’orbite de Byzance » (25). Byzance est le vieil état par excellence, face à la Russie qui est, elle, le jeune état.

Les auteurs expliquent, au point 1.2 de l’article qu’il y a deux façons de construire une nouvelle culture : soit on conserve la structure profonde de la période précédente en changeant les noms, et « dans ce cas, de nouveaux textes se forment tout en gardant un schéma culturel archaïque » (27), soit c’est la structure profonde de la culture qui change. Toutefois, comme elle se construit en opposition à la période précédente, on a inversion des signes mais dépendance face au modèle précédent.

Pour comprendre cela, les auteurs donnent l’exemple des deux traitements possibles des dieux païens, une fois la Russie christianisée :

1)    Ces dieux s’identifient avec des démons, en gardant leurs noms. Ils occupent donc une place légitime dans le système culturel chrétien, bien que négative.

2)    Ces dieux s’identifient avec les saints chrétiens qui les remplacent fonctionnellement. Ils perdent leur nom païen mais gardent leur fonction.

Les lieux où se trouvaient les temples païens connaissent aussi deux traitements:

1)    maintien de leur fonction sacrée, un saint chrétien remplaçant une divinité païenne. La divinité change en fait simplement de nom.

2)    La nature de la divinité subsiste, l’endroit est considéré comme impur.

Les auteurs notent que ces deux traitements peuvent se croiser. Par exemple, le fait de construire une église chrétienne sur des fondations d’un temple païen était une coutume assez répandue en Russie, semble-t-il. Certaines légendes racontent que, par exemple, la foudre a frappé une de ces églises pendant la liturgie, parce que c’était un ancien lieu sacré païen. Evidemment, on pouvait aussi, à l’inverse, considérer par tradition ce site de l’ancien temple comme sacré. Par contre, pour le clergé, ce même lieu était considéré comme purifié.

L’idée est donc que dans les deux cas, on a une opposition entre saint et impur. De plus, une église abandonnée pouvait devenir impure, car les églises abandonnées sont un séjour apprécié par les forces du mal. Les sanctuaires païens gardent leur fonction cultuelle une fois le pays largement christianisé, même si cette fonction est, précisent les auteurs, marquée du signe « moins » (29). Par exemple le sauna est un lieu où, visiblement, les sorciers qui ne vont pas à l’église se rendent lors des jours de fêtes chrétiennes, etc.

La conclusion des auteurs de l’article est que dans l’ancienne Russie, alors même que le pays était christianisé, persistaient des conduites païennes, qui fonctionnaient « comme une anti-conduite légitimée » (30).

Comme la nouvelle culture s’était construite en grande partie contre l’ancienne culture, on peut considérer, selon les auteurs de l’article, que le paganisme était l’anticulture, « une condition indispensable de la culture en tant que telle »(30). L’idée est que lorsque la nouvelle culture cherchait à détruire l’ancienne, elle se construisait en conservant cette dernière, en en intégrant certains aspects (textes, conduites) dont la fonction était simplement inversée.

Dans la suite de l’article (point 1.3), les auteurs expliquent que la polémique avec d’autres idéologies (« hostiles » dit l’article) est un facteur crucial pour que les phénomènes culturels se définissent eux-mêmes. Ainsi, quand le christianisme a été introduit en Russie, il a dû se définir par rapport au paganisme d’une part, mais a également conduit à définir le christianisme d’orient face au christianisme d’occident ; en effet, le paganisme ou le christianisme étaient perçus de façon très différente, puisque les Russes estimaient que les hérétiques latins étaient pires que les païens. Le christianisme latin était considéré comme une parodie blasphématoire du christianisme.

Par contre, la paganisme pouvait aussi être considéré comme une fausse religion et donc, être associé au christianisme latin.

Comme conséquence, on voit que les russes accusent les chrétiens occidentaux de certaines actions criminelles, qui sont en fait « des traits réels de conduites païennes russes » (31), comme par exemple le fait d’appeler la terre « leur mère ». L’idée principale est que « la nouveauté non seulement incorporait de manière complexe le vieux, mais était aussi génératrice de vieux tout en ayant subjectivement conscience d’être son antipode ». (33)

Dans la deuxième partie du texte, les auteurs commence par expliquer que la fin du Moyen Age russe est, elle, « placée sous le signe de l’ancien temps ». Il y avait une association de l’ancien temps à un monde merveilleux de Dieu. L’idée est que l’ancien était « l’ordre divin et originel des choses » (39)

1)    Les niconiens cherchaient à corriger les livres liturgiques avec l’idée que l’ordre grec était l’ordre correct.

2)    Les vieux croyants, eux, pensaient que la mal avait été importé en Russie par les hérétiques, les Occidentaux.: « ancien, chrétien, s’oppose à nouveau, païen, ou païen est synonyme de satanique. » (39)

Ainsi, l’opposition entre ancien et nouveau devient l’opposition entre la terre russe et l’Occident. Les auteurs expliquent que tout ce qui est considéré comme péché devient « nouveau », alors que l’orthodoxie est considérée comme « ancienne ». L’opposition entre païen et chrétien disparaît totalement de la littérature.

L’explication de l’hostilité des vieux croyants aux réformes niconiennes est expliquée comme suit par les auteurs de l’article: « il faut se souvenir que dans bien des cas les nouveaux rites pouvaient être considérés comme l’image renversée des anciens (...) les réformes du patriarche Nikon ont pu dans la conscience culturelle être identifiées avec les rites païens ou magiques ». (40)

Pour les partisans des réformes, le fait de concevoir ces réformes comme des rites païens ou magiques était considéré comme de l’ignorance. Une idée intéressante en découle: « Conserver le lien avec la mémoire du développement culturel précédent était donc traité d’ignorance tandis que rompre avec cette mémoire était baptisé lumière de l’instruction. Se souvenir voulait dire: être ignare, oublier voulait dire: instruit » (41)

Dans la 3ème partie du texte, les auteurs expliquent que le signe du XVIII siècle est la nouveauté. L’opposition se fait entre nouveau (positif) et l’ancien (négatif).

L’idée est que la Russie a totalement été transformée par Pierre le Grand. Cela devient presque un mythe, la nouveauté est évidemment liée à l’occident: « Et en même temps le processus nous est présenté comme l’européanisation systématique de la culture russe » (44). La culture russe est séculière, hostile à l’Eglise, et c’est d’ailleurs la principale opposition entre la culture du XVIIIe et celle d’avant. Toutefois, les auteurs précisent qu’en fait, cette nouvelle culture est traditionnelle par bien des aspects. Au delà d’une construction européenne, la nouvelle culture russe repose sur « des modèles structuraux inversés de la vieille culture » (44) Les auteurs pensent que les aspects anticléricaux de la nouvelle culture reposent sur des modèles cléricaux du Moyen Age. L’exemple donné est celui du terme d’ « illuminer/illuminateur » (Prosvetitel’) et de l’utilisation qui en est faite avant Pierre. Ce terme désignait le fait de baptiser, de rendre digne par le baptême. Or, à l’époque de Pierre, on associe ce terme à Pierre lui-même, « pour le désigner comme créateur de la culture laïque européanisée. En ce sens la création d’une culture nouvelle, détruisant l’orthodoxie traditionnelle était interprété comme le second baptême de la Russie. » (45)

Les auteurs notent que certaines attitudes païennes n’ont pas été totalement abolies lors du passage du paganisme au christianisme (l’exemple donné est celui du recours aux sorciers ou aux guérisseurs). Toutefois, ces attitudes étaient cachées, alors que le christianisme était publique. De même, pendant le règne de Pierre, la religion devient un aspect de la vie privée, alors que la laïcité est publique. Ainsi, la structure a simplement été inversée.

Le point 3.3 évoque certaines conduites antichrétiennes impossibles en Occident chrétien qui ont vu le jour en Russie, sous l’influence de l’européanisation subjective. L’exemple donné dans l’article est celui du harem de serfs, qui devient visiblement normal au XVIIIe. Les auteurs signalent que les maîtres des harems étaient généralement des occidentalistes.

Pour les auteurs « La structure à deux degrés de la culture était bien plus stable que n’importe laquelle de ses réalisations concrètes. Cela se manifeste clairement dans la situation linguistique russe » (50). Avant Pierre et ses réformes, on avait une relation spécifique entre le slavon d’église et le russe parlé. Toutefois, la structure à deux niveaux subsiste, pour les auteurs, dans le fait qu’on ait une langue prestigieuse et une autre pas. Les langues prestigieuses que l’article mentionne sont le hollandais, l’allemand et le français. (Exemple de la croix que Pierre fait ériger, en souvenir de son sauvetage en mer, et sur laquelle figure une inscription en hollandais alors qu’elle devrait être en slavon).

Pour les auteurs, l’européanisation de la Russie n’a fait que renforcer « les traits archaïques de la culture russe ». (51) L’exemple que donne l’article est « l’attitude envers l’espace géographique dans la nouvelle culture » (51). L’Occident était encore considéré comme une terre de péché, mais d’autre part également comme un « royaume des lumières » (52). Si au Moyen Age, l’Occident est considéré comme l’endroit d’où le christianisme est arrivé en Russie, au XVIIIe il faut accomplir un voyage en Occident (cf Pierre), et donc les auteurs comparent le voyage à Paris à une sorte de pèlerinage en terre sainte. De plus, l’Occident devient le « nouveau » par rapport à la Russie, qui elle est « vieille ». Toutefois, il y a un paradoxe, puisque la Russie de Pierre le Grand est considérée comme nouvelle par rapport au monde occidental. Les auteurs notent que pour Griboïedov ou les slavophiles, cette jeunesse de la Russie est perçue comme un avantage, une qualité, puisque cela signifie qu’elle est détachée de l’Occident, du point de vue spirituel.

Le point 3.6 explique que dans la deuxième moitié du XVIIIe, on retrouve des idées qui étaient celles de la fin du Moyen Age. L’idée serait qu’il faut se détourner de la culture au profit de la nature, le passé devient un idéal. Tendance à rechercher les « sources originelles de la culture nationale » (54).

« En se fixant dans la mémoire culturelle, le passé acquiert une existence permanente et en même temps potentielle. Cependant la mémoire culturelle ne se construit pas seulement comme une réserve de textes, mais aussi comme une sorte de mécanisme générant. La culture, unie au passé par la mémoire, engendre non seulement son propre futur, mais aussi son passé, et est en ce sens un mécanisme de contrepoids au temps naturel“ (55)

L’idée qui suit est qu’une culture vivante ne peut être uniquement une répétition du passé, car elle engendre des mécanismes nouveaux, toutefois „elle ne peut que contenir la mémoire du passé. Pour toute culture, les interrelations entre ses images potentielles du passé et du futur et leurs degrés d’interaction forment une caractéristique typologique essentielle dont il faut tenir compte en comparant des cultures différentes.

En ce qui concerne la culture russe de l’époque traitée dans l’article, « le lien avec le passé se faisait sentir objectivement le plus fort lorsque subjectivement l’orientation était à la rupture totale avec lui et au contraire l’orientation vers le passé était liée à l’éradication complète de la mémoire, de la tradition réelle, et la tendance à faire des constructions chimériques du passé ». (55-56)

 

Commentaires

 

Il faut noter que Lotman construit des objets « culture russe » et « Occident » sans expliciter ce à quoi il fait référence.

L’article, s’il spécifie que la culture russe repose sur un dualisme constant, ne mentionne pas en quoi celle-ci diffère d’une culture « occidentale ». En effet, mis à part l’exemple du début du texte, celui de la présence du Purgatoire dans l’imaginaire occidental, la réflexion ne porte que sur la culture russe. Ce qui ressort clairement de cet article, c’est que la culture russe fonctionne sur un dualisme constant, et qu’à chaque « révolution culturelle », les deux éléments sont inversés. Toutefois, il me semble que la culture russe n’est pas la seule culture fonctionnant sur un dualisme.

Un aspect gênant dans cet article est le fait que les auteurs donnent une information sur une époque donnée, tout en expliquant l’instant d’après que cela n’est pas valable pour tout le monde au sein de la culture russe. Nous avons donc sans cesse l’impression que les auteurs avancent des éléments intéressants propres à la culture russe, mais que ceux-ci, finalement, ne sont de loin pas toujours vrais.