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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова




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Nathalie RANGELOV
В. Волошинов : 1930. «О границах поэтики и лингвистики»

exposé :
7 février 2007

 

 

В. Волошинов : « О границах поэтики и лингвистики», в сб. В борьбе за марксизм в литературной науке, под ред. И. Десницкого и др., 1930, стр. 203-240.

 

 

Introduction

 

Dans l’article « О границах поэтики и лингвистики », daté de 1929, Vološinov critique la vision de Vinogradov, linguiste qu'il assimile au courant de l'objectivisme abstrait, a propos du rôle de la poétique et de la linguistique.

On va analyser ce texte en examinant les six chapitres qui le composent, en essayant de souligner les points les plus importants de l'analyse et de la critique que Vološinov fait de Vinogradov et des rôles respectifs que devraient avoir selon lui la poétique et la linguistique.

 

Analyse du texte

 

— Dans le premier chapitre, Vološinov pose les problèmes de langage et art, de linguistique et esthétique en qualité d'introduction. Il fait un cadre de la situation générale et il fixe les buts de son texte, notamment celui de mettre en relief les problèmes qu'ils voit dans l'approche de Vinogradov.

La question des frontiéres entre poétique et linguistique est selon Vološinov l'un des problèmes essentiels de la science marxiste de la littérature. Selon lui, pour qu'on puisse construire une théorie scientifique (marxiste) de la littérature, il faut aborder la littérature de façon critique, en éliminant la confusion des catégories linguistiques et artistiques et en éliminant le psychologisme et le positivisme en poétique.

Il dit que les rapports entre science du langage[1] et science de la littérature ont été affaiblis par le besoin de synthétiser la grammaire et la stylistique, et par la peur d'une différenciation progressive des sciences particulières, et que Vossler a jeté un pont entre la science de la linguistique et celle de la littérature qui a en effet détruit les frontières entre les méthodologies de ces deux sciences. Vološinov dit que déjà chez B. Croce le langage[2] perd sa position autonome[3] et se retrouve réduit à sa fonction esthétique générale de l'expression. Il veut donc dire que le langage fait partie d'un système philosophique dont la partie centrale est l'esthétique, science générale de l'expression. Le problème que  Vološinov met en évidence, est que le langage se confond alors avec l'esthétique et donc que selon Vossler, la  philosophie du langage est la même chose que la philosophie de l'art.

Vološinov affirme alors que la surévaluation de l'aspect esthétique du langage et le conséquent primat du styliste sur le linguiste est inacceptable pour la science marxiste de la littérature, autant que pour la linguistique marxiste. Le deuxième problème, outre la vague de psychologisme du à la réduction de la linguistique à l'esthétique, est la réduction des catégories de la poétique théorique à des catégories grammaticales.

Vološinov nous parle ensuite de la méthode linguistique et formelle qui s'est imposée au sein de l'école des formalistes. Il dit que cette méthode s'est imposée lorsque un groupe de chercheurs a créé la fiction du «langage poétique» et a appliqué une méthode utilisée pour étudier un langage réel pour l'étude de ce langage poétique. Vološinov dit qu'il ne peut pas parler des questions sur les limites de la méthode esthétique dans la linguistique et que même en parlant des tâches de la méthode linguistique en poétique il ne va prendre en compte que le point de vue de Vinogradov, qu'il dit être le meilleur représentant de la méthode linguistique formelle en poétique.

Vološinov dit tout de suite que la linguistique est indispensable dans l'étude de l'art verbal et que la grammaire, même si nécessaire, ne nous montre pas quelle fonction a une certaine construction syntaxique dans la structure esthétique.  «Конечно, никто не думает возражать против такого очевидного положения, что изучение словесного искусства нуждается в помощи науки о слове, т. е. лингвистики» (205). Il dit que les formalistes, bien qu'il s'agisse d'une vérité incontestable, ne l'acceptent pas en cherchant toujours l'objet esthétique, comme Vinogradov par exemple, même s'il est très polémique envers les formalistes. Il classe ensuite Vinogradov en disant que  «В своей обще-лингвистической ориентировке В. В. Виноградов примыкает к тому направлению, которое мы в другом месте определили, как направление абстрактного объективизмa» (206).

En conclusion, il dit que le but de ce texte est celui de mettre en évidence les deux erreurs de Vinogradov et de tracer la voie vers une solution marxiste de certains problèmes de stylistique, car, du point de vue de la science marxiste de la littérature, le primat de la linguistique sur la poétique pour l'étude d'un monument artistique est érroné, même si toute œuvre littéraire peut et doit servir comme matériel d'étude pour les buts de la linguistique. Il dit enfin que l'approche de Vinogradov est désastreuse pour les buts de la linguistique, surtout parce que sa base est imprégnée des influences de la pensée indo-européaniste.

 

— Dans le chapitre suivant, Vološinov nous présente la position méthodologique de Vinogradov, nous parle des tâches de la stylistique et de la linguistique ainsi que du style poétique individuel et du style d'époque.

Toujours selon Vološinov, Vinogradov soutient qu'il faut se tourner vers l'histoire de la littérature afin d'y trouver un matériau nouveau pour l'étude des problèmes du Mot[4]. Sa position méthodologique s'est constituée vers les années 1920-1923, principalement dans «Поезия Анны Ахматовой» (1920), artcle dans lequel se pose le problème du «langage poétique». Celui-ci est fondé sur la dualité du «discours de l’œuvre littéraire» et du «discours poétique». Il s’agit d’options méthodologiques, dont deux sont privilégiées :

 

1)    Théorie des systèmes de relations et de correspondances entre les formes verbales

Il s’agit de fonder le principe de la différentiation des types et des systèmes de composition verbale dans la structure des œuvres littéraires.

2)    Théorie des structures

Il s’agit de passer du sens singulier et total de l’œuvre littéraire à la sémantique de telles unités symboliques dans les formes complexes de leurs ensembles structurels.

Les positions de Vinogradov ne subiront aucune modification importante et la variante linguistique et formelle de l’objectivisme abstrait sera celle qui restera dominante.

Vološinov se pose ensuite la question des tâches de la linguistique selon Vinogradov.

Vinogradov affirme que «toute œuvre littéraire est du ressort, est soumise à la juridiction du linguiste». Selon lui, l'œuvre littéraire est représentante du type linguistique d'un milieu dialectal particulier et d'une époque particulière, qui établit avec les autres phénomènes linguistiques les étapes du développement des formes de la langue (formes verbales). En plus d'être une des manifestations de la création linguistique collective, un monument littéraire est aussi le reflet d'un choix individuel et de la transformation poétique des ressources linguistiques de l'époque. La tâche du linguiste est donc, selon Vinogradov, celle de trouver le système qui lie les mots (unité psychologique interne), dans leur choix et leur organisation en séries syntaxiques et à travers ce système de comprendre les moyens de la formation, élaboration, esthétique du matériau linguistique.

D'où, comme le dit Vološinov, on retrouve le «style poétique individuel»: «Так рождается понятие об индивидуальном поэтическом стиле, как о «системе эстетически-творческого подбора, осмысления и расположения символов». Однако, индивидуальный стиль («всегда самостоятельное «наречие»»), ломающий традиционные формы литературного языка, через подражание ему становится достоянием литературной «школы». Вследствие этого его явления механизуются, превращаются в языковые шаблоны (клише) и проникают в диалекты разговорного языка. Что же такое стиль школы? Это — «некое отвлечение однородных стилистических особенностей в языковом творчестве группы лиц, объединенных тяготением к одному художественному центру».»(209).

C’est donc la tâche de la stylistique de s’occuper aussi du problème du «style d’époque», ce qui va se faire en étudiant les normes esthétiques de la langue de tous les jours dans les limites d’un certain dialecte. Il est possible de parler, dit Vološinov, de «histoire du goût linguistique». Il propose ensuite une division de la stylistique en deux aspects:

1)    stylistique du discours parlé ou écrit

2)    stylistique du discours poétique

Les problèmes du style poétique individuel et du style d'école littéraire déterminent aussi une série de tâches de la linguistique historique:

-       enchaînement historique des styles poétiques individuels

-       regroupement en «écoles» des styles poétiques individuels

-       processus de dégradation du style d'une école (clichés)

Selon Vinogradov, la description de tout monument littéraire se répartit parmi deux aspects de la stylistique: la symbolique et la composition. Tout cela il le retrouve dans une analyse de «La Vie de l'archiprêtre Avvakoum», qu'il résume de la manière suivante:

-       il faut apprendre le style individuel de l'écrivain avant l'analyse historique

-       on peut mettre en parallèle deux oeuvres d'un même auteur

-       dynamique du style individuel

Volosˇinov dit néanmoin aussi qu'il faut trouver la place dans le mouvement historique du style individuel et de ses monuments et qu'il faut également déterminer l'influence de ses monuments.

Selon lui, donc, la méthode fonctionnelle et immanente de Vinogradov ne suffit pas: il faut y ajouter une méthode rétrospective et projective.

 

— Dans le troisième chapitre il poursuit son analyse du style individuel et du style d'époque, ainsi que des méthodes de Vinogradov en les approchant des méthodes de Saussure.

Vološinov souligne encore une fois que la caractéristique la plus frappante des conceptions méthodologiques de Vinogradov est l'affirmation inconditionnelle et comme évidente du primat du linguiste sur le théoricien de la littérature. Donc la totalité du champ d''investigation de l'œuvre littéraire est la propriété du linguiste. Il se pose ensuite la question suivante: comment le linguiste, qui a les fonctions de linguiste et de théoricien de la littérature définit-il la réalité fondamentale, le donné concret, de l'œuvre littéraire?

L'œuvre littéraire n'est pas seulement un monument artistique; son seul intérêt, dit Vingradov, est au contraire de représenter un type linguistique. Elle a certainement été formée esthétiquement mais c'est dans le choix des mots et dans leur organisation que l'élaboration esthétique a eu lieu. Dans ce cas, donc, l'analyse de l'oeuvre littéraire peut être rammenée à l'analyse de la langue (symbolique et composition).

Vinogradov donne, dans le domaine de la poétique, le statut d'une norme à la langue, pour juger de toutes les manifestations de la communication artistique. Il donne ensuite sa définition de «l'œuvre littéraire»: « То, что в этом событии являлось только необходимым ингредиентом, то, что играло роль среды, medium'a общения, — стало абстрактно выделенным самодовлеющим целым. Произведение, являющееся «художественным» лишь в процессе взаимодействия «творца» и «созерцателей», произведение, каждый элемент которого ценностно напряжен и социально установлен — это произведение превращается В. В. Виноградовым в законченное монологическое высказывание, однажды произнесенное в какую-то пустоту и застывшее в виде неподвижной и себе тождественно и системы стилистических приемов.»(213)

 Pour Vološinov, on est alors en pleine abstraction, car la communication artistique est, pour lui, un événement historique vivant dans lequel est contenu le donné réel et concret de l'œuvre d'art. On se trouve donc devant un dualisme:

A)   l'œuvre = expression d'un cercle fermé sur lui-même

B)   l'œuvre = système de relations stylistiques

bien que chez Vinogradov il ne soit que théorique. En effet, on ne trouve pas, dit Vološinov, de références au psychologisme dans l'analyse concrète d'une œuvre littéraire chez Vinogradov, mais en tout cas il franchit le pont du psychologisme et passe de l'œuvre comme témoin du dialecte de la collectivité à l'œuvre comme témoin du style individuel. «Но ведь индивидуальный стиль писателя рождается и развивается не в системе языка, как лингвистического явления, но в напряженном потоке ценностного взаимоопределения и взаиморазграничения со всеми иными элементами идеологической жизни. Он весь, до конца, пронизан социологической закономерностью, и вне этой закономерности он — дурная абстракция, ирреальная фикция, поверить в которую не может заставить никакой «функционально-имманентный» метод.»(214)

Sa dynamique représente la façon dont certains procédés stylistiques succèdent à d'autres, ou même seulement leur «transformation partielle» : la succession mécanique est la transformation dans l'histoire d'évaluations génératrices de formes.

Vološinov souligne alors un paradoxe: Vinogradov s'attache à des problèmes qui relèvent de l'histoire, mais en même temps demeure dans sa position antihistorique et antisociologique. Selon lui les styles poétiques se développent au moyen de la transformation et de l'utilisation des unités dialectales. L'étude de la succession des styles doit se faire à travers l'étude de l'histoire générale de la langue et du goût linguistique (stylistique historique).

Chez Vinogradov reste l'idée de la décomposition du style d'école en clichés de langue.

En ce qui concerne le style d'époque, Vološinov dit qu'il ne se réduit pas au style de l'école littéraire dominante, mais qu'il faut connaître également les normes esthétiques de la vie de tous les jours.[5]

La méthode qui prend des monuments pétrifiés ne peut pas disposer de moyens pour aborder le phénomène vivant de l'énoncé quotidien produit par une situation historique concrète et qui se réalise dans l'acte de la communication sociale. La méthode est ici descriptive et psychologique, comme chez Vossler, par exemple.

Les éléments abstraits du style et du langage, dit Vološinov, sont regroupés en systèmes fermés sur eux-mêmes. Il y a donc une rupture entre l'œuvre singulière et l'histoire de la littérature. On voit alors le transfert du domaine de la linguistique à celui de la poétique d'une rupture analogue à celle entre langue et langage chez Saussure.

Selon Vološinov, la méthode fonctionnelle et immanente et celle rétrospective et projective sont une transposition des méthodes synchronique et diachronique de Saussure.

Il conclut ce chapitre par la question: où se trouve donc l'erreur de Vinogradov? À laquelle il répondra dans le chapitre suivant.

Vološinov dans ce chapitre aborde la question des défauts méthodologiques de Vinogradov, de la poétique et de l'objet esthétique.

Le défaut méthodologique principal de Vinogradov est la réduction à la grammaire à des catégories esthétiques; les analyses stylistiques restent donc isolées et ne sont pas comprises dans un contexte systématique. Ceci est la conséquence de la problématique de l'opposition entre langue et énoncé et qui distingue «ce qui est social de ce qui est individuel». Si le chercheur considère le monument littéraire comme un énoncé individuel, unique et fermé sur lui même, il se prive de la possibilité d'une approche sociologique. Toutefois, la réduction à la grammaire des catégories esthétique n'est pas propre à la méthode de Vinogradov, mais elle est le défaut de toute la linguistique indo-européaniste, qui a une perspective monologique.

Vološinov dit que c'est précisement cette caractéristique de la pensée de l'école indo-européaniste qui a joué un rôle important en ce qui concerne la poétique. Dès sa naissance dans la Grèce antique et en Inde, la poétique a toujours été utilisée pour des fins qui lui étaient étrangères. Elle est née suite à des questions philologiques et a été élaborée dans le but de procéder à une classification et à une systématisation des phénomènes stylistiques d'une langue morte, écrite et étrangère, ce qui désigne un phénomène de pouvoir. Ce que Vološinov souligne, c'est que la force qui a déterminé la constitution de la parole humaine est la nécéssité économique, et à ce propos il affirme qu'aucun philologue ni linguiste, de l'antiquité au XXe siècle n'a encore pris conscience de cette vérité. Selon Vološinov, ce qui est étonnant, c'est qu'au XXe siècle, l'art devient un instrument de «connaissance» mystique pour diverses doctrines symbolistes, et donc qu'il y a un retour de l'interprétation magico-métaphysique du verbe artistique.

Chez Vinogradov, l'oubli du fondement socio-économique du discours s'est manifesté autrement. Comme pour Leibniz, on voit une analogie entre le système linguistique et le système mathématique. Le langage apparaît alors comme une invention consciente de l'homme. C'est-à-dire que chez Leibniz et Descartes, tout comme pour l'école de Genève, le langage des «symboles» verbaux et le langage des symboles mathématiques représentent tous deux des systèmes fermés, rigoureusement analogues et à l'intérieur desquels agissent des déterminations immanentes et spécifiques, n'ayant rien de commun avec des déterminations d'ordre idéologique. Pour Vološinov, le système poétique et le système mathématique sont analogues, comme on le voit dans la citation suivante: «Поэтическое произведение подчиняется такой же систематичности и закономерности. Оно «замкнутая в себе система стилистических соотношений, находящих свое функциональное обоснование в служении той имманентной цели, которая осуществлена в его создании».Заменив слово «стилистических» словом «математических» и «его» заменив «ее», мы получим абсолютно точное и правильное определение любой алгебраической, тригонометрической и т. п. формулы.Аналогия становится тождеством.» (222).

On prend l'œuvre littéraire et on la place en dehors du champ de l'interaction artistique et on la fige sous forme d'énoncé monologique comme un système immuable et identique à lui même.

La méthode de l'objectivisme abstrait appliquée à la poétique prende donc possession de ses droits. Il n'y a donc plus de place pour la «conscience créatrice», dit Vološinov, même si Vinogradov en souligne continuellement sa présence. Ceci est une nouvelle erreur méthodologique.

Vološinov soutient qu'il faut définir avec précision l'objet de la recherche, car autrement on n'aura jamais de résultats concrets, peu importe la méthode utilisée. Vinogradov s'efforce de donner une classification et une description des différents procédés stylistiques, qu'il croit être les composants de l'objet esthétique, ce qui est faux, selon Vološinov. Il dit ensuite que la matérialisation de l'objet esthétique à laquelle parvient la linguistique conduit inévitablement à une approche positiviste. L'auteur donne ensuite une définition de l'objet esthétique: «эстетический объект есть прежде всего динамическая система ценностных знаков, есть идеологическое образование, возникающее в процессе особого социального общения и закрепленное в произведении, как материальном medium'e этого общения. Эстетический объект никогда не дан, как готовая, конкретно наличествующая вещь. Он всегда задан, задан, как интенция, как направленность художественно-творческой работы и художественно-сотворческого созерцания.» (224). Les méthodes de la poétique linguistique ne servent pas donc à appréhender le sens global d'un ensemble de signes verbaux ni à comprendre les valeurs idéologiques.

Les représentants de l'objectivisme abstrait oublient que le «langage tout entier est l'œuvre de la collectivité humaine, le reflet de sa pensée, mais aussi le reflet de la structure sociale et de l'économie, un reflet qui se manifeste dans la technique et la structure du discours, aussi bien que dans sa sémantique» (Marr). Oubliant cela, ils substituent donc à l'étude des rapports entre les hommes (que reflète et fixe le donné verbal), l'étude des rapports entre mots. Pour Vološinov, l'objet esthétique exprime les rapports réciproques, hiérarchiques, axiologiques entre l'«auteur», le «personnage» et l'«auditeur»: les trois ingrédients qui constituent sa forme. Ensuite il affirme à nouveau son opposition envers l'approche selon laquelle l'objet esthétique devient un monument linguistique immobile, situé en dehors de l'histoire et de la société.

Même s'il ne veut pas en parler de façon approfondie, Vološinov soulève la question de la structure sociologique de l'objet esthétique, qu'il va traiter dans le prochain chapitre.

— Dans le chapitre suivant, Vološinov va donc parler de l'évaluation sociale, de la conception de la «création artistique» ainsi que du «matériau».

L'évaluation sociale est le moment principal et organisateur de l'object esthétique. Tout énoncé inclut inévitablement et à titre d'ingrédient nécessaire un horizon (constitué d'un élement spatial, sémantique et axiologique) extra-verbal, «sous-entendu».

Vinogradov fait souvent référence à l'individualité poétique et Vološinov se demande alors s'il est possible de faire une évaluation individuelle. Il répond tout de suite que non, qu'elle n'existe même pas. La réaction d'un organisme individuel doit se produire, dit-il, dans un milieu social organisé, et doit être orientée en fonction des autres membres de ce milieu social. Par exemple, le cri d'un animal à la nourriture quand il s'en empare n'est pas une évaluation, tandis que le cri d'un animal grégaire pour indiquer un danger au troupeau, oui, car on a déjà une certaine signification et compréhension. Seule la réaction sociale est susceptible de comporter une évaluation; plus la société est organisée, plus la coordination d'actions dans laquelle s'intègre chaque acte individuel est complexe, plus l'évaluation est complexe. L'orientation idéologique de l'individu par rapport à l'objet est toujours liée à l'orientation idéologique par rapport à la société. Toute évaluation exprime une certaine situation sociale.

La voix humaine,dit-il, est la plus pure et la plus immédiate des expréssions de l'évaluation. Vološinov appelle par convention «expression axiologique» toute évaluation incarnée dans un matériau. Le matériau originel de l'expression axiologique sont le geste et la voix. C'est à partir et à travers du corps qu'elle peut passer dans le matériau non corporel.

Le matériau est le conducteur intercorporel, possible seulement avec la communication entre plusieurs corps. Vološinov souligne encore que si l'évaluation était vraiment individuelle, elle resterait dans l'organisme. La question suivante est «quelle est donc la fonction esthétique de l'expression axiologique dans un matériau»? Elle crée la structure hiérarchique du matériau ou le mouvement hiérarchique qui se fait en lui. L'expression axiologique détermine la localisation de chaque élément matériel dans l'echelle de valeurs inhérente à une œuvre (sans connaître encore la signification précise du contenu). Vološinov nous dit que «Проникнутое ценностной экспрессией материальное тело, входя в социальное событие художественного общения, идеологизуется и становится динамической системой ценностных знаков, становится эстетическим объектом» (229). Le matériau est vivifié et valorisé et il peut apparaître dépourvu de toute signification d'objet, comme par exemple la musique, le ballet, etc. qui n'ont pas d'objet mais qui sont riches en sens et expressivité. La signification du matériau dans l'art s'éclare tout particulièrement par l'analyse des arts qui n'ont pas d'objet.

La première lueur de conscience serait donc donnée dans le matériau de l'expression (cf. L'idée d'Engels pour lequel les répercussions du monde extérieur sur l'homme s'expriment dans son cerveau). C'est pourquoi il n'y a pas une seule étape de la création artistique qu'on puisse concevoir hors du matériau. Il y aurait donc un passage d'un matériau comme discours intérieur, mouvement de la conscience créatrice, vers un matériau conçu comme un matériau spatial.

Vološinov dit que celle-ci est une conception erronée de la création artistique et par conséquent on devrait chercher des idées qui ne seront pas transposées dans le matériau. Seulement un corps qui peut servir de conducteur à la communication sociale peut devenir un matériau artistique, matériau ici compris comme medium. Pour le poète, nous dit Vološinov, la langue est contaminée par des orientations sociales. Ce n'est alors pas possible de voir l'œuvre littéraire comme pur exercice linguistique, défini par la grammaire.

Quelles sont les limites entre lesquelles se tient la possibilité de rajeunir le matériau par les intonations qui l'investissent? Vološinov ne peut pas répondre, mais il affirme qu'à l'intérieur d'un groupe social donné, les limites laissées à la liberté de l'artiste sont étroites. Une révolution radicale et profonde de la forme artistique n'est possible qu'avec l'entrée en scène d'un nouveau groupe social pour lequel des mots identiques sont vécus et compris dans des situations et contextes axiologiques distincts. Les révolutions au sein d'un groupe sont au contraire superficielles et caractérisées par un esthétisme étroit.

— Dans son chapitre conclusif, Vološinov nous parle encore de l'évaluation sociale, de la problématique de l'intonation et du rythme et il nous propose une conclusion sur le débat des frontières entre linguistique et poétique.

L'évaluation sociale, comme le dit l'auteur, détermine, en poésie, la sonorité (intonation), le choix du matériau verbal et l'ordre de disposition, qui sont étroitement liés et qui ne peuvent être distingués que par un procédé d'abstraction.

L'expression axiologique est constituée d'une forme sonore et d'une forme architectonique, à son tour formée par des fonctions, d'un côté celles électives (donc le choix stylistique et thématique) et de l'autre côté, celle distributionnelles (donc qui concerne la syntaxe, la composition, le «genre»).

Voilà un exemple d'évaluation sociale: le cri. Il s'agit d'un phénomène idéologique qui exprime un événement social et en est le porteur et qui est donc un pénomène social.

Il faut souligner, selon Vološinov, aussi l'importance de l'intonation et il faut dire aussi qu'en poésie, elle n'a pas la même signification que dans le langage quotidien. Ce qui est important aussi, c'est que la prononciation de l'intonation soit possible, et non que c'est possible de l'entendre. Vološinov se focalise donc sur l'acte de la prononciation, dans lequel il y a une orientation de l'organisme pour la permettre. La «possibilité sonore» en poésie joue un rôle essentiel, différemment de ce qui se passe en musique, par exemple. L'intonation a une grande importance dans la constitution du rythme aussi, lesquels facteurs principaux sont le facteur métrique, électif, d'intonation et de composition.

Selon Vološinov, toute intonation est expressive, tandis que pour Medvedev on distingue entre intonation syntaxique et intonation expressive: «В отличие от более устойчивой синтаксической интонации, экспрессивная интонация, окрашивающая каждое слово высказывания, отражает историческую неповторимость его... Конечно, экспрессивная интонация совсем не обязательна, но там, где она есть, она отчетливее всего дает понятие о социальной оценке». (236). Vološinov dit que mettre sur le même plan ces deux concepts d'intonation est un «lapsus terminologiae». Le rythme du poème est créé par la varieté et la liberté de l'intonation expressive, qui est capable de rendre concret l'auditoire. Ensuite il souligne encore que chaque mot est une valeur pour le poète.

La conclusion que Vološinov en tire est que Vinogradov, essayant d'ignorer la structure sociologique de la forme poétique, a dû introduire en poétique une méthode de la linguistique objectiviste et abstraite qui exige la complète réduction à la grammaire de toutes les catégories esthétiques, ce qui porte à l'isolement de la littérature par rapport à l'histoire et à la sociologie (forces vivantes et organisatrices). Vinogradov tue donc la littérature en tant que création sociale.

Ce qui est nécessaire, c'est la «délimitation précise et radicale des phénomènes linguistiques et des phénomènes poétiques»: «Поэтика, рожденная и вскормленная лингвистикой, должна порвать с ее деспотической властью и обрести, наконец, свою полную методологическую независимость. Не «социологический метод «наизнанку», а подлинный марксистский диалектический метод должен овладеть всеми ее специфическими проблемами.» (240).

 

 

Conclusions

 

            En lisant le texte de Vološinov, on voit sa position à propos de l'importance de l'histoire et du social, qui sont selon lui indispensables dans n'importe quelle analyse. Il répète à plusieurs reprises son opposition envers tout ce qui est individualité, et il dit que tout est à chercher dans un contexte historique et social, qui sont très liés. Son texte est très répétitif et on en aurait pu faire un résumé en trois mots, mais on n'aurait pas noté la construction de son analyse et les étapes qu'il parcourt pour arriver à sa conclusion, même s'il paraît qu'il avait déjà la conclusion avant toute analyse de Vinogradov. Il semble, en effet, que les questions qu'il se pose ne soient pas de vraies questions, mais plutôt des questions rhétoriques ou alors juste des points de départ pour une autre constatation que l'auteur veut faire. En conclusion, on peut dire que ce qui ressort de son texte c'est l'importance, pour lui, de tout ce qui est historique et sociologique et son opposition à tout ce qui est individualité et objectivisme.

 

 

 



[1]En russe «язык»

[2]De nouveau en russe c’est «язык»

[3] L’auteur cite ici Humboldt

[4] on a choisi cette terminologie, au lieu d’utiliser le terme «discours », par exemple, qui apparaît dans la traduction française du texte, pour éviter des confusion liées à la signification de ceci. On a donc préféré le terme de « Mot » (сово) en mettant en évidence qu’il ne s’agit pas du « mot » .

[5] cfr. « histoire du goût linguistique » chez Vossler