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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова


1er novembre 2006 : Théorie de l’énoncé ou de l’énonciation


Compte rendu par Sévine Uzun.

           

Théorie de l’énoncé ou de l’énonciation :

 

Mikhaïl Bakhtine est à compter parmi les savants russes ayant eu une forte influence sur l’intelligentsia européenne et américaine. Ses idées et théories connurent rapidement un certain succès en Europe.

L’intelligentsia française fit sa connaissance grâce aux traductions qu’en firent Tsvetan Todorov et Julia Kristeva. Originaires de Bulgarie, ils arrivèrent en France avec une certaine connaissance des textes de Bakhtine, en langue originale. Après avoir travaillé au CNRS, notamment, ils fréquentèrent le cercle de Roland Barthes et introduisirent du même coup les idées de Bakhtine.

 

Dans le structuralisme freudo-marxiste qui caractérisait les années septante en France, les idées de Bakhtine furent résumées en quelques mots clés : -    Discours

-  Enonciation

-  Idéologie

 

1.     Enoncés/Enonciation :

 

Le mot existait depuis au moins la Renaissance, moment où dans la littérature, on voit l’émergence du sujet, avec notamment les Essais de Montaigne. La définition se résumait au fait de dire.

Au début du 20e siècle, Charles Bally reprend ce terme dans le cadre de ces diverses théories linguistiques concernant ce qu’il définit comme le langage oral.

Dans la période qui nous intéresse ici, entre 1960-1970, la notion d’énonciation devient inséparable de celle d’énoncé. En linguistique ainsi que dans les autres branches de ce qui s’appelait alors Histoire littéraire, au sens le plus large, le couple énoncé/énonciation est considéré comme le concept le plus novateur et devient en quelques sortes un concept à la mode.

 

Enoncé[1] : Séquence de paroles émises par un locuteur, délimitée par un silence   ou par      l’intervention d’un autre locuteur.

 

Enonciation[2] : Action de produire un énoncé, de dire. Production individuelle d’un énoncé dans des conditions spatio-temporelles précises.

 

La différence entre un énoncé et une proposition tient au fait, entre autres, que l’énoncé ne peut pas être réitéré. En effet, ce dernier est toujours unique, il est le fruit d’une circonstance particulière et d’un locuteur particulier. De plus, comme l’a montré Jakobson, dans Linguistique et Poétique tout énoncé est nécessairement adressé à quelqu’un.

Pour Jakobson, la communication peut se résumer par un mouvement de A à B. A est un locuteur qui s’adresse à B, un autre locuteur. Dans le cas le plus simple, c’est-à-dire sans interférences, A encode le message qu’il va adresser à B. Ce dernier n’aura qu’à décoder le message. Avec ce schéma, Jakobson met au point le schéma de la transmission d’un message.

 

Or, dans les années 60, l’introduction de Bakhtine dans le monde des idées francophones, mais aussi les recherches de Benveniste viennent remettre en question la simplicité du schéma de Jakobson.

 

2.  Benveniste Emile, Problèmes de linguistique générale, Gallimard 66 :

L’apport principal des théories de Benveniste, pour nous, correspond à la différenciation qu’il met au point entre les déictiques et les anaphoriques. Les déictiques correspondent à toutes parties du discours qui ne peut être comprises qu’en relation avec le moment d’énonciation. Tandis que les anaphoriques se comptent parmi les parties du discours, déictiques ou non, servant à reprendre dans le texte un élément cité plus haut.

 

Ex : Hier = adverbe déictique, car il ne se comprend que si le moment d’énonciation du     locuteur est pris en compte.

 

 Maman = nomination déictique, car on ne sait de qui il s’agit que si on connaît la personne qui parle.

 

Un chat traverse la rue. Il va manger une souris.

 Le pronom il fait office de reprise anaphorique du syntagme Un chat. Dans ce cas là, en plus d’être une anaphore, il est déictique, dans le sens qu’on ne peut comprendre que il = le chat, qu’en tenant compte du moment d’énonciation.

Le problème de cette théorie, c’est qu’elle ne marche guère qu’en français. En effet, en russe, c’est difficilement applicable.

      Ex : Он вошёл в комнату. Здесь он увидел её.

En traduisant, le mot здесь, on préférera le mot à ici, c’est-à-dire, l’anaphorique, plutôt que le déictique. En effet, en russe здесь peut avoir les deux emplois.

3.  Locuteur/Enonciateur :

Il s’agit de comprendre ces deux termes de la manière suivante. Le locuteur comme le sujet parlant (=l’individu concret qui parle), tandis que l’énonciateur est le sujet prenant en charge le discours. Très souvent ces deux personnes coïncident en une seule et même personne, mais ce n’est pas toujours le cas.

Cette nuance est très utile lorsqu’il s’agit d’analyser les cas de discours ironiques ou lorsque quelqu’un rapporte les propos d’une autre personne. Cela permet aussi de faire des tournures en se déresponsabilisant en quelque sorte de l’énoncé prononcé. C’est un procédé très courant, notamment dans les discours politiques. Par exemple, plutôt que d’utiliser des énoncés verbaux, qui impliqueraient donc la responsabilité du locuteur, en donnant son avis, on observe une tendance à la nominalisation. Ceci permet d’avoir un discours non asserté, reposant sur un contenu implicite.

 

4.  La réception de Bakhtine / Vološinov dans le monde francophone

En français, nous opposons par le sens les termes d’énoncés et énonciation. L’énoncé correspond à toute émission langagière irréitérable, c’est, grossièrement la chose, tandis que l’énonciation est le fait de dire dans un temps, un lieu et par une personne précise. Autrement dit, il s’agit de l’acte.

Or, en russe, nous nous retrouvons confronté à un seul mot : высказывание. Ce mot devrait traduire tant l’idée d’énoncé que celle d’énonciation. Ceci ne sera pas sans poser certains problèmes de traduction, lorsqu’il s’agira de transmettre les idées de Bakhtine. Tantôt, cela sera rendu par un équivalent du mot énoncé, tantôt par énonciation.

5.  Le sujet mort ou assumé ?

Ces problèmes de traduction mentionnés ci-dessus laisseront leurs traces dans la compréhension des ouvrages de Bakhtine/ Vološinov.

En effet, dans les années qui nous intéressent, la littérature française est en plein dans ce qui sera désigné sous le nom de Nouveau Roman, mouvement littéraire qui vise à montrer que le sujet est mort, qu’il n’existe pas. Des écrivains comme Michel Butor ou Nathalie Sarraute essaient de montrer au travers de romans de type expérimental que le sujet est mort. Le cogito est renversé. Ils tendent à nous prouver que nous ne sommes que les nids éphémères de différents discours, idéologies, mouvements intellectuels. L’idée principale peut être comprise comme le fait qu’il y a tant de choses, dans notre environnement, qui nous déterminent, que finalement, nous sommes un peu des marionnettes, dirigées tantôt par la lutte des classes, tantôt par notre inconscient ou la vision qu’on nous a inculquée de ce dernier, par exemple. Le discours nous traverserait sans nous appartenir. En quelque sorte, le je serait le résultat d’une idéologie dominante qui nous traverse et nous dépasse.

Dans la lecture de Bakhtine, bon nombre d’intellectuels francophones croient trouver un écho à leur propos.

Or, si on relit le texte de Bakhtine, nous voyons à quel point le malentendu entre l’écrivain russe et la pensée française des années 1960-1970 est fort. En effet, dans notre extrait, Mikhaïl Bakhtine ne cesse de mettre en avant la responsabilité. Il insiste sur cette notion, en disant que toute personne doit être responsable de ses paroles. Tout sujet parlant est un locuteur qui s’adresse à des personnes réelles et non à une idéologie. Bakhtine cherche à définir une relation entre la vie quotidienne et la vie artistique, notamment. Pour lui, ce lien fait sens à travers l’unité d’une personne morale. Cela va, évidemment à l’encontre des théories structuralistes qui voient l’homme comme une somme de différents éléments agissant chacun avec d’autres éléments qui constitue la vie dans son ensemble. [3]

Avec Bakhtine, nous pouvons parler de personnalisme, compris comme une exaltation de la personne humaine, celle-ci rassemblée dans la notion de responsabilité.



[1] In Petit Larousse illustré, éd. Larousse, Paris, 2005

[2] Ibid.

[3] Cf. М.М. Бахтин : «Искусство и ответственность», День искусства, 13 сентября 1919, Невель.


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