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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова


8 novembre 2006 : Le problème du social. La notion d'idéologie.

Compte rendu par Angela Santini

Le problème du social. La notion d'idéologie.

 

Texte d’analyse : extraits de « По ту сторону социального » (Volochinov, 1925)

 

 

1. Le terme « идеология» - définitions et interprétations

 

Les définitions d’idéologie qu’on trouve dans le Petit Robert ont deux traits caractéristiques en commun : 1) elles concernent un groupe, et 2) elles présentent l’idéologie comme quelque chose d’abstrait, d’intellectualisé (consciemment ou non).

 

On peut répartir les différentes définitions d’idéologie existantes en trois groupes :

 

I) idéologie = l’ensemble de croyances, d’idées, de représentations et de valeurs d’un groupe.

Une telle définition d’idéologie correspond assez bien à ce que les romantiques allemands appellent la Weltanschauung (мировоззрение / conception du monde). Dans le romantisme allemand, on retrouve notamment l’idée de l’âme collective, de la Volksseele (âme du peuple) qui témoigne de cet aspect communautaire.

 

II) idéologie = la « fausse conscience[1] » (ложное сознание), une illusion

Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) écrivent en 1845-6 un livre très polémique intitulé L’idéologie allemande qui consiste à mettre en avant l’idée de « fausse conscience » : nous croyons faire ou penser quelque chose, parce que nous le voulons nous-mêmes, mais en réalité, nos pensées et nos actions sont entièrement déterminées par les rapports de production ; elles dépendent donc exclusivement d’une causalité socio-économique. Nous ne sommes que le résultat de notre place dans des rapports de production.

 

Si une personne opprimée accepte sa place, ce qu’elle fait généralement, car la classe dominante arrive à imposer ses valeurs et donc à faire passer la division de la société comme normale, la personne opprimée se trouve dans l’illusion, donc dans l’idéologie.

Il faut, dans ce contexte, distinguer « l’idéologie dominante » de « l’idéologie dominée » (voir aussi Pierre Bourdieu). L’idéologie des dominés est un système de référence commun propre à leur groupe. Ils sont conscients du fait qu’ils soient dominés mais en même temps ils acceptent ce fait tel quel. Si une personne dominée s’en libère, ce qui pour différentes raisons peut être possible, si elle reconnaît donc l’idéologie dominante (le fait que la classe dominante impose son système de valeurs à la classe dominée sans que celle-ci se rende compte ou soit consciente du déséquilibre injuste en résultant), elle se révoltera et pourra tenter de « sauver » la classe dominée.

 

Marx aussi bien que Sigmund Freud (1856-1939) s’occupent tous les deux de l’illusion, c’est-à-dire, dans ce contexte, de l’idée qu’il y a quelque chose qui ne nous appartient pas, quelque chose que nous ne maîtrisons pas. Freud le montre par des expériences d’hypnose[2].

En Europe, au début du XXe siècle, on a tenté de faire fonctionner les deux types d’illusion concernant :

-       la véritable place d’une personne dans les rapports de production (Marx)

-       les véritables motivations d’une personne (Freud)

 

Au début du XXe siècle et jusqu’à la fin des années 1920, la psychanalyse freudienne a eu un grand succès en Europe de l’Ouest aussi bien que de l’Est. Avec le grand tournant de 1929 qui marque le début du « thermidor stalinien » (Trotski), un retour en arrière se fait remarquer aussi dans le domaine de la psychanalyse. Dès 1929, la psychanalyse freudienne est en effet considérée comme bourgeoise et décadente.

 

III) idéologie = l’ensemble des sens réels des énoncés ancrés dans une situation sociale spécifique

Vološinov et Nicolas Marr (1864-1934) qui sont des représentants de cette interprétation donnent ainsi une définition « sémantique » du terme « idéologie ». L’idéologie se base sur un savoir partagé qui ne reçoit son sens qu’à l’intérieur d’un groupe. Le problème avec cette définition est que Vološinov ne définit pas le mot « groupe ». Il utilise souvent le terme « classe » pour référer à un « groupe » mais ses exemples ne confirment pas une telle interprétation.

 

Vološinov utilise ou bien le premier ou alors le troisième sens du mot idéologie mais jamais le deuxième.

 

2. Analyse d’un extrait du texte « По ту сторону социального » (1925) de Vološinov

 

Le texte « По ту сторону социального » (« De l’autre côté du social ») que Vološinov écrit en 1925 est dirigé contre la psychanalyse freudienne. Vološinov reproche à Freud sa préoccupation pour l’inconscient. Selon le critique russe, la réalité est moniste. Le dualisme (conscience – inconscience) dont parle Freud est jugé être bourgeois par Vološinov. Celui-ci comprend l’inconscient freudien comme une sorte de mémoire de sentiments et de désirs d’accomplir des actions « défendues » réprimés dans l’enfance mais l’existence de cette mémoire se manifeste de temps en temps par la réapparition d’un ou de plusieurs de ces désirs. Selon Vološinov une telle conception de l’homme est ridicule. Un « homme plein » (voir séance précédente), responsable ne garde pas de tels souvenirs en tête.

 

Commentaires sur les pages 25-6 :

P. 25 : Chaque classe sociale a une idéologie qui lui est propre. Il y a une classe dominante qui perdra pourtant cette position à un moment donné dans l’histoire. Bien qu’elle essaie d’abord de se révolter contre cette décadence, elle finira par accepter le fait qu’elle se réduise à un organisme biologique, un animal. L’idéologie de cette ancienne classe dominante perd son accrochage à l’histoire et se raccroche à tout ce qui est biologique. Pour Vološinov, c'est le social (et non le biologique) qui constitue la réalité.

 

P. 26 : L’être humain n’existe que dans une situation sociale dont les aspects temporel, social et local définissent un être humain. Le réel, défini par la situation sociale, est l’histoire et donc l’idéologie.

Le mot « изолированно » revient assez souvent dans ce texte. Des mots qui signifient « isolé », « seul », « individuel », etc. sont perçus comme négatifs.

L’idéologie est une sorte de superstructure qui comprend toutes les pensées et actions des gens. Selon la conception de l’idéologie de Vološinov, il n’est pas possible de se trouver en dehors d’une idéologie. Dès qu’on fait partie d’un groupe social, on est dans une idéologie. Cela constitue une grande différence avec la conception de l’idéologie que défend Marx et selon laquelle, un jour, nous sortirons de l’idéologie, nous nous en débarrasseront. C’est la grande utopie, le grand idéal marxistes.



[1] Les trois sens du mot « conscience » en français : 1) sens psychologique (a) s’épanouir ; b) savoir quelque chose) → сознание, 2) sens moral (« il a mauvaise conscience ») → совесть et 3) sens de l’expression « travailleur consciencieux » → сознательность

[2] Exemple : hypnotiser une personne, la demander de faire une certaine action (par exemple aller dans la chambre d’à côté et ouvrir un parapluie qui s’y trouve) ; la « réveiller » par la suite ; observer son action (elle va dans la chambre d’à côté et ouvre le parapluie en question) ; la questionner sur le pourquoi de cette action ; la personne donne une explication plus ou moins plausible.

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