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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова

22 novembre 2006: F. de Saussure vu par Vološinov.

 

Compte rendu par Florine Carron

  

I. Quelques notions-clé introduites par Saussure

 

- opposition diachronie/synchronie : Saussure sera le premier à systématiser ces deux notions et à établir la synchronie comme l’objet propre de la linguistique (d’où son rejet en URSS en vertu de l’opinion d’Engels selon laquelle on ne peut connaître un objet que dans sa dimension historique).

- opposition langue/parole, où la langue est conçue comme un ensemble de règles abstrait, collectif, et la parole comme sa réalisation concrète, individuelle.

- arbitraire du signe : Saussure définit le signe comme la mise en rapport d’un signifiant (suite phonique) et d’un signifié (concept) avec un référent. Signifiant et signifié sont comme les deux faces d’une feuille de papier, absolument solidaires, sans toutefois qu’aucun lien naturel ne les relie : leur rapport est purement arbitraire, non-motivé  (certes, il existe une possibilité de motivation indirecte, comme entre « vache » et « vacher », mais il s’agit ici d’un rapport de motivation de signe à signe, jamais de signifiant à signifié).

- notion de point de vue : pour Saussure, c’est le point de vue qui crée l’objet : le choix d’un critère de pertinence conduit à ne s’intéresser qu’aux aspects de l’objet correspondant à ce critère (cf. la différence entre phonétique et phonologie, où seules sont pertinentes les différences de sons entraînant une différence de sens).      

- notion de valeur : la langue n’est pas une nomenclature renvoyant à des objets préexistants sur lesquels il suffit de coller une étiquette, mais un système de valeurs : les signes n’ont de sens que dans le système de la langue, les différents champs sémantiques se définissant toujours les uns par rapport aux autres ; d’où l’importance des notions de système et de structure.

 

II. La critique de Saussure par Vološinov

 

L’objectivisme abstrait

 

Dans « Marxisme et philosophie du langage », Vološinov oppose deux orientations philosophico-linguistiques : le « subjectivisme idéaliste », fondé selon lui par W.Humboldt et lié au romantisme,  et l’ « objectivisme abstrait », lié au rationalisme et développé en particulier par Saussure (les deux dénominations sont de lui). Sa critique de Saussure est liée à celle de ce second mouvement, rejeté sans appel, dont il comprend les principes comme suit :  

 

1)    conception de la langue comme un système stable de formes individualisées

2)    lois linguistiques conçues comme objectives

3)    lois linguistiques conçues en outre comme non déterminées par l’idéologie

4)    réduction des actes de parole individuels à de simples variations fortuites du point de vue de la langue

 

Problèmes de terminologie

 

Dans sa critique de Saussure, Vološinov se limite en réalité à l’analyse de ses positions de base, à savoir avant tout sa distinction entre langage, langue et parole, termes que Vološinov propose de traduire respectivement par « речь » (ou « язык-речь »), « язык » et « высказывание ». Une terminologie qui, déjà, pose problème : comme il n’y a pas de terme en russe qui puisse correspondre à « langage », Vološinov le traduit par « речь », ce qui voudrait plutôt dire « parole », parfois même « langue » ; de fait, Vološinov l’utilise de façon flottante, tantôt dans le sens de « parole », tantôt dans le sens de « langage ». En outre, « высказывание », on l’a déjà vu, est ambigu : il correspondrait plutôt en français à « énoncé » ou « énonciation ». Définissant le « высказывание » comme « речевой акт », Volosˇinov assimile en réalité énoncé et parole. 

 

Langage, langue et parole

Vološinov interprète l’opposition chez Saussure entre langue et parole comme une opposition entre un principe social et synchronique, véritable objet de la linguistique (la langue), et un principe individuel et diachronique (la parole, conçue selon Vološinov comme l’accumulation temporelle de variations et erreurs, conduisant donc à une évolution diachronique), phénomène secondaire et négligeable. S’opposant à la notion saussurienne de la langue, Vološinov en viendra à nier la légitimité non seulement de son statut d’objet de la linguistique, mais aussi celle des oppositions langue/parole et synchronique/diachronie.

Vološinov rejette la notion saussurienne de la langue comme système normalisé, pure abstraction, au nom de sa propre définition : pour lui, la langue est au contraire un phénomène historique, dynamique, dont la réalité est la communication, le dialogue (entre individus ou entre énoncés au sens large –— un ouvrage scientifique peut ainsi constituer un énoncé). De ce fait, l’opposition entre langue et parole perd son sens. C’est la parole (comprise comme «énoncé» par Volosˇinov) qui est mise en avant et doit constituer l’objet de la linguistique.

En réalité, la conception de la langue chez Vološinov est ici aussi ambiguë : la langue est comprise à la fois dans un sens dynamique, communicatif et comme système de signes. Ce que Vološinov semble en fait proposer d’étudier, c’est le langage (i.e les deux aspects de la langue et de la parole réunis), et non plus la langue seule en tant que système comme le faisait selon lui Saussure ; autrement dit, étudier les énoncés au cours de l’interaction, dans le contexte social, et non plus la langue comme phénomène préexistant (critique mal fondée car Saussure proposait au contraire de construire son objet).

 

Conclusion

Par sa critique de l’objectivisme abstrait, s’attachant à étudier l’énoncé monologal abstrait, Vološinov entend affirmer au contraire la nécessité de toujours étudier l’énoncé dans son contexte. L’exemple de Vološinov nous permet de mettre en évidence la tendance générale de chaque chercheur à se servir de la critique d’autres chercheurs pour mettre en avant ses propres positions. La  réception contradictoire des théories de Saussure en URSS à la même époque en témoigne, chaque savant choisissant de n’en retenir que les aspects correspondant à son propre système.

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