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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова

13 décembre 2006:

Karl Vossler et l’antipositivisme en linguistique.
Avec la participation du Professeur Alexander Schwarz (UNIL, section d’allemand) : analyse d’extraits de Geist und Kultur in der Sprache (1925) de Karl Vossler

 

Compte rendu par Angela Santini 

 

Dans son livre Marxisme et philosophie du langage (1929), Vološinov oppose le subjectivisme individuel (dont Karl Vossler est un représentant) à l’objectivisme abstrait (de Saussure). Nous verrons par la suite comment il critique le positivisme et favorise le subjectivisme.

Karl Vossler (1872-1949), romaniste de Munich, a comme proche collaborateur, entre autres, Leo Spitzer (1887-1960). Ils s’occupent des stylistiques historiques ainsi que de la langue des écrivains et admirent le philosophe du langage italien, Benedetto Croce (1866-1952).

La fin du XIXe siècle, moment auquel la linguistique est encore essentiellement une science de l’Allemagne, est marquée par un mouvement de crise ayant marqué la linguistique mais aussi d’autres domaines. Le scientisme, la foi absolue en la technologie et en la science, est mis à l’épreuve, entre autres en linguistique. Dans ce domaine, et plus précisément dans la phonétique expérimentale, des descriptions les plus parfaites des sons devraient être obtenues à l’aide de phonographes et de supports d’enregistrement de l’oscillation. Si le but de la science est d’atteindre une description adéquate du réel et si donc la description la plus fine est considérée comme la description la plus scientifique, le problème est inévitable dans ce domaine. C’est que jamais un son n’est prononcé deux fois de façon identique par deux personnes différentes ou même par un seul individu. Une telle description se perdrait dans les détails et ne rapprocherait pas l’étude du but final.

Deux groupes de linguistes se sont alors cristallisés. Les néo-grammairiens (Junggrammatiker), constituant le premier groupe, défendent l’idéal de la description la plus exhaustive de tous les faits matériels d’une langue. Une démarche par généralisation ou hypothèse est  radicalement rejetée. Au tournant du XXe siècle, ce mouvement connaît une phase d’épuisement (refaire et répéter ce qui a déjà été fait et dit avant).

Malgré les faits, les néo-grammairiens se servaient de certaines métaphores (non expliquées). En voilà une : la linguistique est une science naturelle dont la notion clé est la loi (Gesetz). Tout changement linguistique obéit à une loi sans exception. « Sprachentwicklung = Lautgesetz + Analogie »

• illustration – la « loi de Grimm » (1822) (ou « première mutation consonantique ») : en allemand, les occlusives sourdes deviennent fricatives avant la voyelle de la syllabe et aspirées après celle-ci.

• illustration – analogie (exception (suite à de petites pertes et à l'imitation d'un aradigme plus fréquent) qui ne remet pas en question la loi elle-même) :

      trobare > trouver
je treuf (comme : je meurs)
nous trouvons (nous mourons)
→ par analogie : la forme étymologique « treuf » est remplacée par « trouve »

Il existait une énorme foi en la loi scientifique. Une fois que la loi est « trouvée », elle ne sera plus remise en question. Des découvertes nouvelles viennent pourtant mettre en cause tout cet édifice. Une telle découverte tourne autour des contacts de langues et des hybridations. Les néo-grammairiens, se servant de l’arbre généalogique pour illustrer l’évolution des différentes familles de langues, disent que, plus les langues se ressemblent, plus la date de leur séparation est rapprochée. L’intérêt apporté à l’arménien, faisant partie de la famille des langues indo-européennes, au XIXe siècle montre pourtant que son rapprochement avec le géorgien, langue caucasienne, révèle de l’hybridation et non d’une séparation récente de ces deux langues. Avec Hugo Schuchhardt (1842-1927) et Johannes Schmidt (1843-1901, avec la Wellentheorie (Théorie des ondes)), deux savants allemands importants s’opposent déjà tôt aux néo-grammairiens. Mais Vossler propose l’opposition la plus radicale et la plus pensée aux néo-grammairiens. Dans son livre Positivismus und Idealismus in der Sprachwissenschaft (1904), Vossler travaille déjà avec l’opposition « blanc ↔ noir » comme le fera aussi Vološinov. Ce livre de Vossler est traduit très vite en russe et est bien connu en Russie. La plupart des linguistes cités par Vološinov dans son Marxisme et philosophie du langage sont d’ailleurs des gens proches de Vossler.

 

Positivismus und Idealismus in der Sprachwissenschaft (1904) : la critique des néo-grammairiens par Vossler

En préambule, il convient de noter que Vossler, tout comme Vološinov et Jakobson, utilise le mot « positivisme » (inventé par Auguste Conte) dans un sens très étroit. Les néo-grammairiens sont ainsi tout simplement appelés « positivistes ». Il s'agit d'une sorte de culte du fait et surtout du refus total de toute généralisation.

Voilà un tableau illustrant l’opposition entre positivisme (néo-grammairiens) et idéalisme:

 

Positivisme

Idéalisme

1)  s’intéresse aux faits, au matériau brut → QUOI ?

1) s’intéresse au lien causal → POURQUOI ?

2) langue = fixe, donnée, statique

(Remarque : Le mot « statique » semble peu adéquat pour caractériser la langue dans la conception des néo-grammairiens qui avaient étudié intensément l’histoire des langues.)

2) langue = dynamique

On s’intéresse au caractère créateur «der Sprache» (correspondant du mot russe «язык» et qui est à traduire en français, tantôt par «langue», tantôt par «langage» ou alors par les deux)

3) dissection anatomique, idée de la mort

 

3) langue est considérée comme un organisme vivant

→ la vie = l’esprit (der Geist)

Vossler, se servant de l’opposition « vie ↔ mort », qui fonctionne ici comme métaphore pour parler de la langue, métaphore qui est issue d’une conception romantique radicale, selon laquelle la vie est mieux que la mort, attribue « la mort » à la conception positiviste de la langue et « la vie » à celle des idéalistes. La « dissection anatomique » que font, selon Vossler, les néo-grammairiens se rapporte à une étude de manuscrits dont les auteurs sont morts depuis des siècles. Or, les néo-grammairiens disent qu’ils étudient les dialectes vivants.

Vossler reproche aux néo-grammairiens qu’ils partent, dans leurs analyses, des sons pour passer par les mots, aux propositions et puis aux œuvres. Selon Vossler, il faudrait partir de l’esprit (der Geist), c’est-à-dire de l’œuvre pour arriver aux propositions, aux mots et aux sons. Il faut donc changer l’ordre d’analyse et le lien de causalités.

L’opposition présentée dans le tableau ci-dessus correspond à celle que fera Vološinov entre positivisme et «sociologisme». Le seul aspect que Vološinov n’admet pas chez Vossler est l’individualisme.

Vossler pense que, selon les néo-grammairiens, le seul lien de causalité est le passage d’un son à un autre. Pour Vossler, ce lien existe mais il n’est pas le plus important. D’après lui, tout changement vient d’un acte esthétique de création individuel. Si la forme créée par cet acte est collectivement recevable, alors elle sera adoptée par la collectivité (« esprit général »).

On pourrait voir une contradiction chez Vossler dans sa thèse qu’il n’y a que des langues individuelles. Or, comme il n’est pas possible d’étudier toutes ces langues, les linguistes de son groupe se concentrent sur l’étude de la langue des écrivains. Pourquoi ce choix ? La création des actes individuels présuppose que ces individus sont doués pour ces créations. Il faut faire la distinction entre deux sortes de don. (1) La plupart des gens se trouvent à un niveau plus bas, c’est-à-dire qu’ils ont le don de savoir constater simplement et d’apprécier la beauté d’une création qu’ils répandent par la suite. (2) A un niveau plus haut, il y a le don de la création (qui est détenu justement par les écrivains).

Remarque : cette concentration sur la littérature de la part de Vossler, qui se considérait a priori comme linguiste, semble avoir été une réaction aux oppositions à son encontre de la part des néo-grammairiens.

Analyse de la critique des néo-grammairiens par Vossler

Vossler considère les néo-grammairiens comme de mauvais linguistes (qui s’occupent de la phonétique et de la morphologie). Or, il faut voir que les buts des représentants de ces deux positions opposées sont tout simplement bien différents. L’aspect étudié par Vossler est celui de l’esthétique, tandis que le point de vue favorisé par les néo-grammairiens concerne la matière sonore et les lois des sons. Il n’est donc pas très utile de reprocher à des chercheurs de ne pas s’occuper d’un objet d’étude qu’ils n’ont pas défini comme tel pour leurs études (ou autrement dit, il est absurde de reprocher à un courant opposé de ne pas s’occuper de la matière qu’on étudie soi-même).

Analyse de quelques passages de Geist und Kultur in der Sprache (1925) de Karl Vossler

1) « Empirische » vs. « metaphysische Sprachgemeinschaft » : la communauté langagière empirique (voir p. 123) désigne les personnes qui savent parler une certaine langue, tandis que la communauté langagière métaphysique se réfère à la nature (voir p. 119). Cette dernière n’existe pas selon les positivistes.

2) En ce qui concerne le « Nationalgefühl » (sentiment national) (voir pp. 130 et 132) et le « Nationalcharakter » (caractère national) (voir p. 128), Vossler adopte le point de vue de Humboldt qui conçoit notamment que l’un n’est pas premier par rapport à l’autre.

Vossler spécifie aussi que la « Nationalsprache » (langue d’une nation) exprime la conception du monde (Weltanschauung) qui est propre à la nation en question (p. 144). En même temps (voir également p. 144), Vossler présente une linguistique «idéaliste». Selon lui, grâce à l’étude faite par des « Weltbürger » (citoyens du monde, comme par exemple Dante), qui aiment d’autres langues et qui se rendent compte de la différence entre les Etats, on a appris qu’il n’y a en principe qu’une seule langue. Les langues nationales n’en sont que des formes légèrement modifiées

3) Par rapport aux frontières linguistiques et politiques : on a affaire, selon Vossler, à une hiérarchie entre « essentiel » (frontières linguistiques) et « artificiel » (frontières politiques). Les frontières politiques sont friables et poreuses, et devraient s’adapter avec le temps aux frontières linguistiques. On rencontre donc ici l’opposition entre la citoyenneté et la nationalité, entre l’Etat et la nation. Ainsi, la Suisse par exemple, existerait bel et bien comme Etat mais pas comme nation.

4) Pour sa critique du positivisme et sa défense de l’idéalisme, Vossler se sert d’un vocabulaire de l’armée (voir p. 126). « L’avant- et l’arrière-gardes » (Vorhut et Nachtrab) de la linguistique idéaliste, gardes qui correspondent à une approche scientifique positiviste, sont nécessaires à la linguistique idéaliste, mais n’en constituent pas la partie la plus importante. Le gros est notamment composé des idéalistes (des représentants de la « deutende und idealisierende Betrachtung »).

On trouve également sur cette page (p. 144) l’idée de « danger ». D’un côté, la rigidité du matériau  auquel s’accrochent les positivistes, est désignée comme « dangereuse ». Or, l’attribution de cet adjectif n’est pas expliquée. En même temps, leur méthode serait sans danger (mais aussi sans but…). Celle des idéalistes, par contre, risque d’être dangereuse. Et plus cette approche essaie de trouver de façon conséquente un « Sprachsinn » (sens du langage/de la langue) unique, plus elle devient dangereuse.

5) Vossler se trouve beaucoup plus proche de Humboldt que de l’Ecole néo-humboldtienne dont un représentant important était L. Weissgerber. Selon Vossler, il faut de l’amour aussi bien pour sa propre langue que pour les langues étrangères, afin que sa propre langue ne se dégrade pas (ce qu’elle ferait donc, si des locuteurs de cette langue n’étaient pas en contact avec des locuteurs de langues étrangères). Weissgerber, par contre, défend de façon radicale l’idée qu’une langue correspond à une vision du monde et que la connaissance de plus d’une langue amènera à la schizophrénie. Selon une telle perspective, on est donc prisonnier d’une langue.

 

Remarque finale

La comparaison entre les travaux de Vološinov et ceux de Vossler montre qu’il y a un lien scientifique très fort entre ces deux auteurs et laisse supposer qu’il y ait également d’autres tels liens scientifiques importants entre la Russie et l’Allemagne.

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