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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(Hiver 2006-2007, le mercredi de 17 h à 19 h, salle 5093)

Le monde de V. Vološinov // Мир В.Н. Волошинова

20 décembre 2006:

Gustav Špet et sa notion de slovo

 

Compte rendu par Sévine Uzun

 

1)    Biographie :

 

Né en 1879 à Kiev, Gustav Gustavovič Špet est issu d’une famille d’aristocrates appauvrie. Il réussira néanmoins à suivre une formation classique.

En 1898,  Sˇpet est inscrit à l’université de Kiev dans la section de mathématique/physique. Il en sera rapidement exclu, du fait de son appartenance à un cercle révolutionnaire « Soviet d’union ». Puis, mûrissant, Špet abandonnera le marxisme.

Après cela, Špet se mettra à la philosophie et l’histoire. Kant, Hegel et l’histoire de la Russie sont ses sujets de prédilection.

En 1901, Špet reprend les études universitaires ; il semble cette fois avoir trouvé sa voie : il s’inscrit à la faculté d’histoire et de philologie. Influencé par Čelpanov, son professeur de philosophie, Špet est désormais très enthousiaste et publie dès lors ses premiers travaux : La mémoire dans la psychologie expérimentale et Problèmes de causalité chez Hume et Kant.

En 1907, il suit Čelpanov à Moscou où il fonde, sous la direction de son mentor, le premier institut de psychologie. Puis il enseigne la philosophie et la logique au gymnase Alferov et dans la haute école pour femmes.

Dès 1910, il devient privat-docent, c’est-à-dire maître de conférence à l’université de Moscou.

La même année, il décide de voyager en Europe, particulièrement en Allemagne. Son but est d’aller étudier dans les bibliothèques européennes et de visiter différentes écoles psychologiques d’Europe. En ce sens, il se rend à Bonn, Göttingen, Würzburg. Ainsi, il rencontre Oswald Külpe, fondateur et principal animateur de l’école de Würzburg.

En 1911, il commence sa thèse Histoire comme problème de logique. Il rencontre Husserl et du coup la phénoménologie. Suite à cette rencontre, il écrit Le phénomène et le sens.

Il soutiendra sa thèse en 1916 à Moscou où il travaille comme professeur. Il enseigne la logique, la méthodologie des sciences, la théorie de la connaissance, l’initiation à la philosophie, l’histoire de la psychologie, la psychologie ethnique, l’histoire des idées pédagogiques.

Après la révolution de 1917, il refuse d’émigrer et continue ses différentes activités. Il crée une sorte de revue : La pensée et le Mot où il invite à participer des philosophes russes tels que Losskij.

Puis il sera interdit d’enseigner. Il continue malgré tout quelques-unes de ces activités. Il devient par exemple membre de l’union russe des écrivains.

Plus tard, il se tourne vers le théâtre et  devient membre du conseil artistique du théâtre académique de Moscou.

En 1929, Špet reçoit l’interdiction de travailler dans le domaine de la philosophie. Il commence à traduire des œuvres littéraires.

En 1935, il  est arrêté et envoyé en exil en Sibérie. Il est fusillé deux ans plus tard.

 

2)    La notion de слово:

A la lecture de l’extrait Trois significations de slovo, il nous est possible de saisir en partie quelles nuances ce philosophe qu’était Sˇpet met dans ce mot.

Tout d’abord, avant d’entrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire les nuances de la signification du mot slovo pour Špet, il est certainement nécessaire de mentionner qu’en français, nous pouvons être confrontés à différents problèmes de traduction par rapport au texte russe. En effet, ici, l’idée de Špet est de nuancer l’emploi du mot slovo, alors qu’en français, me semble-t-il, les nuances ne seraient pas les mêmes, du fait que nous utilisons différents lexèmes pour désigner ce qu’à chaque fois Špet désigne par slovo.

— La première nuance à laquelle il fait allusion c’est que le slovo est un moyen par lequel nous pouvons différencier les hommes des animaux. Pour ce premier point, il semblerait que la traduction la plus adéquate est celle de langage. Ceci rappelle la distinction que faisait Aristote, lorsqu’il considère les animaux et les hommes, taxant les second d’animaux politiques, du fait de leur maîtrise du langage.

Špet ajoute à cette distinction que le slovo est le propre d’un groupe de personnes déterminé. Là, se pose un premier problème, c’est de savoir s’il entend par groupe de personne déterminé un cercle comme celui de la famille ou de philosophes ou encore d’enfants, etc… qui utiliserait chacun un mot avec une connotation différente. Il est difficile de savoir ce que Špet entend par usage. Malgré tout, je me risque à dire qu’une fois encore, nous pouvons utiliser la traduction de langage ou de jargon. En effet, là aussi, il s’agit de montrer que l’emploi d’un langage précis permet de circonscrire un groupe d’être vivants.

— La deuxième nuance a plutôt trait à une analyse grammaticale. Il s’agit de comprendre slovo tout d’abord comme synonyme de discours ou expression. Ici, c’est donc plutôt à l’acte, l’action de s’exprimer que Špet fait allusion. Lorsqu’il développe, quelques lignes plus bas cette nuance-là, il va jusqu’à mettre sur un même plan slovo, phrase, proposition. Nous sommes donc ici dans une deuxième signification de slovo, sur un plan qu’on pourrait nommer, afin de trouver une équivalence en français, comme celui de la linguistique textuelle. Il s’agirait dès lors d’un syntagme à la fois nominal et verbal.

— La troisième nuance que Špet exprime est celle de voir slovo, comme nous l’apprenons au cours de langue russe pour étranger, comme une traduction de mot, substantif, avec bien sûr toutes les particularités qu’exige cette partie du discours en russe. En effet, comme l’explique clairement Špet, slovo, doit remplir deux critères avant de pouvoir être considéré comme une partie du discours.

Špet comprend comme slovo même les préfixes et les « mots » tels que « bâteau blanc » car, selon lui, ils ont un sens, une signification.

 

 

3)    Commentaire

 

Losqu’on élargit les définitions données dans le texte, nous pouvons alors saisir à quel point ces nuances, articulées ici, font du slovo un signe source de tout savoir. Pour Špet, ceci mis à l’échelle de la philosophie doit être compris comme le fait que le slovo dépasse de loin le carcan de la grammaire ou de la linguistique comme outil d’observation, mais s’insère dans un cadre de philosophie. Pour Špet, le slovo, c’est un phénomène socio-culturel.

Sortant du cadre de la pure linguistique, celle de la troisième nuance, il voit le slovo comme la source de tous les savoirs possibles. Hors du concret et de la distinction saussurienne entre signifié et signifiant, slovo est propre à exprimer l’abstrait, dans le sens où un lexème comme l’art ne peut être désigné dans toute son envergure que grâce à ce qu’il entend par slovo. Il faut comprendre que pour Špet, le slovo est un phénomène intersubjectif. En effet, si les gens s’entendent sur ce que comprend l’idée de l’art ou autres, c’est parce que nous partageons un même savoir. C’est comme s’il y avait un contrat, dès que deux personnes partagent ce qu’il appelle intersubjectivité, le concept dont parlent ces personnes est désigné par un signe, slovo, dès lors objectif.

Cette vision du slovo est très facilement critiquable. En effet, elle nie tout à fait l’idée que Jakobson, entre autres développera quelques années plus tard, que dans un schéma de communication entre A et B, chacun des interlocuteurs utilise un schéma de représentation et les greffe sur son interlocuteur. A dit quelque chose à B, tout en utilisant différentes connotations. Les signifiants qu’il utilise impliquent toute une représentation du monde qu’il imagine, mais aussi d’autres représentations qu’il imagine que B doit avoir et va avoir, suite à son discours. Dès lors, nous voyons à quel point le concept de Špet de l’intersubjectivité comme critère d’objectivité est fragile.

Pour contrer cette idée d’intersubjectivité comme base de l’objectivité d’un concept, il suffit de penser à un concept comme celui de la religion. En effet, dans chaque groupuscule religieux, les adeptes partagent une forme d’intersubjectivité qui les amène à penser alors leur croyances comme objectives, or, sans même changer de contexte culturel, ni de langue utilisée dans les sermons par exemple, nous trouvons alors d’autres credo qui chacun sont sûr de leur objectivité. Ce ne sont pas les exemples qui manquent, comme par exemple les jansénistes et jésuites qui cohabitaient en France au 17ème siècle, ou les chiites et sunnites qui peinent à cohabiter dans l’Irak actuel. Si je cite ces deux exemples, c’est tout simplement pour montrer que les critères sur lesquels Špet construit son concept d’objectivité sont vains.

Or, montrer que Špet dit des choses qui nous semblent fausses est un point, mais il est peut-être intéressant de montrer pourquoi il est amené à faire ce qui nous semble une erreur.

Pour Špet, l’intersubjectivité est la base de l’objectivité. Cela peut s’expliquer avec sa vision de la culture.

Comme nous le savons, l’idée de culture en Russie est inspirée par l’idéologie romantique allemande. La culture comprend une communauté de langue et par exemple la production artistique. Dès lors, nous pouvons élargir cette conception en rappelant que dans l’idéologie romantique, la nation est un mot qui s’utilise dans un sens plutôt spirituel que géographique, elle recouvre une langue commune, ce qui impliquerait alors un esprit collectif, une culture indivisible. Avec une telle base, il est plus facile d’en arriver à des conceptions telles que celles de Špet, qui veulent que l’intersubjectivité conduit à l’objectivité. En effet, partant du principe qu’à la base de la société, il y a une culture elle-même basée sur un esprit collectif, il devient difficile d’imaginer, si l’on pousse ce type de raisonnement au bout que l’intersubjectivité partagée entre deux personnes ne soient pas forcément partagées entre une communauté entière.

 

 

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