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Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO) / Université de Lausanne // Научно-исследовательский центр по истории и сравнительной эпистемологии языкознания центральной и восточной Европы

Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,


Prof. Patrick SERIOT


Séminaire de 3e cycle : doctorants et mémorants

Séance du 1er mai 2007.

Didier Samain, Université de Paris 7, UMR 7597 du CNRS.
Qu'est-ce qu'une donnée ? Qu'est-ce qu'un outil ? Qu'est-ce qu'un modèle ? Etude d'un cas : le recours de Bühler à la Gestalt

Résumé de l'intervention


Ce qu'on appelle improprement «la» gestalt ne forme pas un théorie homogène, mais regroupe un ensemble d'écoles aux thèses parfois divergentes, mais que réunissent le rejet de l'associationnisme et l'appel à une approche plus holistique des processus mentaux. L'homogénéité de l'ensemble paraît du reste d?autant plus problématique qu'on retrouve par ailleurs des thèmes «gestaltistes» hors de la psychologie. ‹ Si on s'en tient à un niveau très général, la systémisme de la gestalt paraît en effet voisin du structuralisme, du béhaviorisme européen ou de l'éthologie d'un Uexküll. Mais des convergences plus techniques apparaissent tout autant, par exemple entre l'opposition gestaltiste figure/fond et le schéma binaire utilisé en linguistique par Rozwadowski (1905). Ces analogies entre champs disciplinaires distincts et entre configurations théoriques différentes invitent à envisager les théories scientifiques et leur éventualité intertraductibilité dans une perspective modulaire.
Ce problème sera ici abordé dans le cadre d?un exemple particulier : l'usage des thèses gestaltistes par Bühler, dont les références à la gestalt sont nombreuses et dont certaines thèses (telles la théorie de l'onomatopée ou encore le concept de fidélité relationnelle) ne sont vraiment compréhensibles qu'en référence à des positions de type gestaltiste. Mais surtout Bühler fait un usage plutôt heuristique des concepts gestaltistes, qui peut parfois surprendre. Ainsi, alors même qu'il rapproche la conception pragoise du phonème et le principe gestaltiste de constance, il utilise la gestalt pour souligner les limites de l'approche phonologique. De même, la notion de «physionomie» lui sert tout à la fois à exprimer le caractère variable du phone au regard de la constance du «signalement» phonématique, et à théoriser un principe de constance sui generis des traits prosodiques. De telles particularités invitent à formuler quelques observations.
Premièrement l'attitude de Bühler est en cohérence avec le pluralisme épistémologique qu'il hérite l'école de Meinong : Bühler rejette aussi bien que le monisme formel qu'il impute à Köhler que le monisme substantialiste qu'il attribue à Freud. Ceci explique que la gestalt fournisse tout à la fois un modèle conceptuel susceptible de mettre en évidence les insuffisances d'une approche purement computationnelle, et inversement que l'existence de structures linguistiques strictement additives serve d'argument empirique pour invalider toute tentative d'exprimer l'ensemble des processus langagiers en termes de structurations molaires, comme le fait selon Bühler la gestalt berlinoise. L'hétérogonéité de formes linguistiques est à ses yeux non seulement irréductible, elle a pour corrolaire l'hétérogénéité factuelle des formes de savoir.
Deuxièmement et pour cette raison même, Bühler se livre une généralisation transversale et fonctionnelle de l'opposition traditionnelle entre calcul et géométrie. A ce titre, on observe que l?intégration de concepts gestaltistes passe par leur découplage à l'égard de leur substrat phénoménologique : dans la Sprachtheorie, ces concepts deviennent des opérateurs au sein d'une axiomatique linguistique. Pourtant toujours fondée sur des données observationnelles, la gestalt chez Bühler se fait donc outil autant que doctrine. Et le modèle ainsi dégagé formule tout à la fois le court-circuit cognitif opéré par un sujet mobilisant son savoir épilinguistique sur la langue, et une option technique du métalangage.

 


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