Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres Section de langues slaves, Option linguistique Année 2006-2007, Prof. Patrick SERIOT Séminaire de licence / Bachelor-3 |
(automne 2007, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)
Языковое строительство в СССР, 1917-1933. Теории и действительность. / L’édification linguistique en URSS : l’imaginaire et le choc du réel
Prof. Patrick Sériot, avec la participation d’Elena Simonato, Ekaterina Velmezova, et Tatjana Zarubina
18 décembre 2007 : Возможен ли карельский язык?
Compte-rendu par Arnaud Nicod
La Carélie est une région située à cheval sur la frontière actuelle entre la Finlande et la Russie. Du fait de son statut de zone tampon entre le royaume de Suède et l’Empire russe tout d’abord, puis entre la Finlande et l’URSS à partir du XXe siècle, elle a été l’objet de revendications incessantes au cours de son histoire, partagée qu’elle a toujours été entre deux sphères culturelles importantes.
De nombreuses langues y sont parlées, dont le carélien, qui se subdivise lui-même en plusieurs dialectes (trois ensembles dialectaux). Langue non indo-européenne, appartenant au groupe finno-ougrien, le carélien a souffert de sa parenté avec le finnois. S’il n’est qu’un dialecte du finnois, il rentre par conséquent dans la sphère d’influence culturelle de la Finlande ; s’il constitue au contraire une langue à part, aussi proche du finnois que l’italien l’est du français, on peut alors parler d’une nation carélienne ayant droit à l’autodétermination et pouvant donc former une république de l’Union soviétique.
On voit déjà, au travers de cette problématique du statut de la langue carélienne, l’instrumentalisation que pourront chercher à en faire les acteurs politiques des Etats concernés.
Et en effet, dès 1918 et le début de la politique d’édification linguistique, les communistes finlandais, réfugiés en Russie après leur défaite lors de la guerre civile dans leur pays, parvinrent à convaincre les autorités soviétiques d’introduire le finnois standard comme langue de l’administration publique, de l’éducation et de la culture. Cette démarche ne tenait absolument pas compte des idiomes locaux, qui différaient notablement du finnois standard. Mais la finnisation de la société carélienne alla son train et fut chose accomplie vers le milieu des années trente.
Toutefois, la question des nationalités devenant de plus en plus brûlante et pour tuer dans l’œuf les nationalismes, l’Etat stalinien entama une vaste politique de russification. Ainsi, pour mieux consolider les territoires finno-carélophones de la Russie du Nord, il fut décidé, sous l’impulsion de Dmitri Bubrikh, spécialiste des langues finno-ougriennes, que les Caréliens étaient, selon la triade langue-territoire-nationalité, un peuple à part entière, possédant sa langue propre, le carélien. On assista alors, dès 1938, à la progressive définnisation des institutions, le finnois étant considéré comme une « langue fasciste », et à une tentative d’instaurer un carélien littéraire transcrit par le cyrillique. Bubrikh, chargé d’écrire une grammaire du carélien, prit comme base cette fois-ci (il avait composé une grammaire peu auparavant, à partir du carélien du Nord) les dialectes du Sud, plus éloignés du finnois. Ces dialectes, moins codifiés et donc plus malléables, permirent l’introduction de nombreux mots russes « carélisés ». Mais cette nouvelle langue normalisée avait été faite si rapidement et de façon si arbitraire qu’elle était pratiquement incompréhensible pour les Caréliens eux-mêmes…
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, suite à l’occupation de la région par les Finlandais, cette posture fut abandonnée et le finnois fut réintroduit comme langue officielle. Le carélien était redevenu un simple dialecte du finnois. Cette situation fut conservée après la guerre, sans toutefois parvenir à retrouver le niveau de 1938. Tous les ouvrages en finnois avaient en effet été détruits durant la définnisation.
Aujourd’hui, le carélien n’a toujours pas de langue littéraire, bien que, selon la terminologie russe officielle, les Caréliens constituent bien une nation. Les enjeux politiques de la région ont en majeure partie décidé de son destin linguistique. Et même si, depuis la déclaration d’autonomie de la république de Carélie en 1990, le carélien fait partie des langues officielles, le nombre très réduit de locuteurs ne permet guère d’augurer rien de bon quant à son éventuel développement ultérieur.
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