Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres Section de langues slaves, Option linguistique Année 2006-2007, Prof. Patrick SERIOT Séminaire de licence / Bachelor-3 |
(aitomne 2007, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)
Языковое строительство в СССР, 1917-1933. Теории и действительность. / L’édification linguistique en URSS : l’imaginaire et le choc du réel
Prof. Patrick Sériot, avec la participation d’Elena Simonato, Ekaterina Velmezova, et Tatjana Zarubina
Histoire des idées linguistiques: L'édification
linguistique en U.R.S.S.
Compte-rendu de la séance du 25.09.07: Les langues utopiques et le cosmisme: la langue des martiens
par Adren Pingoud
Cette première séance a porté sur la théorie de la langue d' Alexandre Bogdanov et sur son roman utopique, Красная звезда (L'étoile rouge,1908).
Alexandre Bogdanov (1873-1928), médecin, philosophe, est aussi le fondateur du proletkult, un mouvement artistico-littéraire qui se proposait d’élaborer une culture totalement différente de la "culture bourgeoise". Selon lui, chaque classe possède une langue particulière où le vocabulaire, les expressions sont différentes, voir en compétition. Ainsi la langue de la bourgeoisie s'oppose à la langue des prolétaires. Bogdanov estime ainsi que le prolétariat, en tant que groupe social majeur dans la société, doit participer au développement d'une langue unique, qui transcenderait les rapports internationaux.
Son roman utopique L'étoile rouge (1908) raconte l'histoire d'un terrien (un Russe) enlevé par des martiens et emporté sur Mars. Il découvre que les Martiens ont achevé leur révolution socialiste et vivent dans un monde parfait. Le héros découvre aussi la langue martienne. Celle-ci est parfaitement régulière : elle ne possède pas de différence entre masculin et féminin, elle n'a aucune exception, et surtout, elle vise à établir un lien direct entre signifiant et signifié,par exemple en ayant un paradigme temporel des substantifs. Cet élément est très important pour Bogdanov. Selon lui, un monde parfait doit avoir une langue unique et totalement régulière, afin d'éviter tout problème de communication. Une multiplicité de langue est une preuve d'imperfection (cf. S. Mallarmé : «Les langues, imparfaites en cela que plusieurs, manque la suprême (Crise de vers). Ainsi la langue ne doit pas être un obstacle et rien dans celle-ci ne doit être arbitraire. Or selon le linguiste suisse Ferdinand de Saussure, le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire. Celui-ci est en effet l'auteur d'une nouvelle façon d'envisager la notion de signe linguistique, qu'il a défini dans son Cours de linguistique générale (1916). Un signe linguistique désigne selon Saussure une unité du langage formée par la réunion d'un signifié (un concept) et d'un signifiant (une image acoustique). Le signifié, partie sémantique du signe, ne doit pas être confondu avec le référent (objet du monde, extra-linguistique). Par exemple, le mot français arbre est un signe linguistique associant le concept d'arbre à la forme sonore /arbr/. Saussure dote le signe de quatre caractéristiques principales dont la première est l'arbitraire du signe: le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire (car un même concept peut être associé à des images acoustiques différentes selon les langues.) Pour Saussure, cet arbitraire est positif et surtout nécessaire pour que la communication puisse se réaliser.
Or Bogdanov, en décrivant la langue martienne, sort de ce schéma pour proposer une sorte de “parler angélique” où le signifiant renverrait directement au signifié. Le but est alors de transcender l'obstacle à la communication directe pour en arriver à un language universel. Bogdanov était en effet partisan d'une langue unique pour l'humanité. Selon lui, les différentes langues nationales représentent un obstacle énorme pour parvenir à une organisation mondiale unifiée. La langue utopique des martiens sert ainsi de modèle pour la Terre. Mais, comme dans toute utopie classique, on voit apparaître le fantasme de la communication sans obstacle, le désir d'en finir avec toute ide de séparation, donc de manque,donc de désir. L'absence de enre grammatical dans la langue martienne correspond au désir de refuser l'impossible fusion névrotique avec le corps de la mère. Les exemples classiques abondent de cette nostalgie du paradis perdu de la communication totale (cf. la Chute, dans la Bible, après le Péché originel). Elle est renforcée dans Красная звезда par le rêve de l'absence de pesanteur, c'est-à-dire le rewfus de la corporalité du corps. On retrouvera ce rêve de la non-pesanteur comme bonheur suprême chez Ciolkovskij, le père de la cosmonautique soviétique dans les années 1920-1930.
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