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Section de langues slaves, option linguistique // Кафедра славянских языков, лингвистическое направление


Univ. de Lausanne, Faculté des Lettres

Section de langues slaves, Option linguistique

Année 2006-2007,

Prof. Patrick SERIOT

Séminaire de licence / Bachelor-3

(automne 2007, le mardi de 15 h à 17 h, salle 5093)

Языковое строительство в СССР, 1917-1933. Теории и действительность. / L’édification linguistique en URSS : l’imaginaire et le choc du réel

Prof. Patrick Sériot, avec la participation d’Elena Simonato, Ekaterina Velmezova, et Tatjana Zarubina

 19 octobre 2007 : Проекты латинизации русского алфавита (Elena Simonato).

Compte-rendu, par Arnaud Nicod


L’édification linguistique en URSS : la latinisation des alphabets

 

 

Le processus de latinisation des alphabets peut se diviser en trois étapes :

 

1.     1920-1926 : recherches sur la phonétique des langues caucasiennes et türkes

2.     1927-1931 : latinisation des alphabets arabes employés jusque-là en Asie centrale et dans le Caucase

3.     1932-1937 : unification des alphabets : emploi généralisé du cyrillique

 

Au lendemain de la révolution d’Octobre, et plus particulièrement vers la fin de la guerre civile, alors que les bolchéviques ont affermi leur pouvoir sur la jeune URSS, apparaît l’idée de la création d’alphabets latins en remplacement de ceux, principalement arabe et cyrillique, employés jusqu’ici pour coder les différentes langues présentes dans l’Empire russe. Afin de marcher tous ensemble vers la révolution socialiste mondiale, il faut parvenir à se comprendre le mieux possible, à créer une unité indéfectible capable de s’opposer efficacement à l’idéologie bourgeoise. Si, d’un côté, la recherche d’une langue commune internationale va son train, on pense parallèlement à adopter un alphabet commun, qui permettrait une meilleure intercompréhension et faciliterait grandement les activités liées à l’imprimerie et à la distribution de ses produits, donc à l’instruction et au combat contre l’illettrisme.

Les expériences de latinisation débutent d’abord en Asie centrale ainsi que dans le Caucase (Azerbaïdjan) où les peuples turcophones emploient un alphabet arabe en fait assez peu adapté à leurs langues (absence de voyelles). Après plusieurs années de recherches a lieu, en 1926,  le Premier Congrès Turkologique de Bakou, où la question de l’alphabet à adopter est vivement débattue. Deux choix s’offrent spontanément aux participants : le latin et le cyrillique. L’un comme l’autre ont leurs avantages (facilité d’apprentissage, conviennent aisément à l’imprimerie, …), mais le latin a, bien plus que son concurrent, une portée internationale, atout majeur dans une époque où l’on espère toujours réaliser la révolution mondiale. De plus, pour certains théoriciens, comme Jakovlev, il n’est pas entaché des connotations colonialistes et donc éminemment bourgeoises du cyrillique, représentant d’une époque révolue de laquelle il s’agit de faire table rase.

Lorsque, en 1929, la Turquie adopte elle-même l’usage des caractères latins, faisant ainsi de la Russie l’exception européenne en matière alphabétique, le besoin se ressent de procéder à la latinisation du cyrillique. Trois projets sont présentés dans le cadre de la Sous-commission à la latinisation de l’alphabet russe (Подкомиссия по латинизации русского языка), créée dans le cadre de la Главнаука. Le projet retenu obéit à trois principes fondamentaux :

 - chaque lettre doit avoir une seule signification sonore
- éviter les signes diacritiques
- éviter les digraphes

En 1930, alors que le projet est adopté, paraissent deux articles dans la revue Культура и письменность востока : l’un du linguiste Jakovlev, spécialiste des langues caucasiennes ; l’autre de Lunacharskij, figure politique du régime, Commissaire du peuple à l’Education de 1917-1929. Chacun apporte ses arguments techniques et politiques en faveur de la latinisation de l’alphabet russe : avantages pour l’écriture (économie de mouvements) ; avantages pour la polygraphie (économie de papier), mais surtout, caractère révolutionnaire de l’alphabet latin, mieux adapté au prolétaire nouveau. Les enjeux, on le voit, sont bien plus politiques que linguistiques.

Si la latinisation de l’alphabet cyrillique n’a finalement pas eu lieu, c’est qu’elle ne correspondait plus, en 1931 déjà, au contexte politique, alors que la nouvelle idéologie stalinienne du renfermement sur soi et de la « construction du socialisme dans un seul pays » commence à occuper l’espace intellectuel et culturel de l’URSS. C’est la fin de l’internationalisme et l’influence du russe sera désormais prépondérante.








 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




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